Autogérée
Cela faisait quelques semaines que je n’avais pas proposé des photos de l’université Paris 8. En voici donc quelques unes.
Commençons par ma salle de cours du vendredi matin (la C224). La fenêtre cassée n’a pas été réparée (malgré le signalement fait en février, il y a plus de deux mois). Mais il y a eu un travail de peinture… qui s’est arrêté à 1m70 du sol. Etrange… Je pense que c’est une manière de montrer que “on a travaillé alors arrêtez de vous plaindre” tout en soulignant, de manière “passive-agressive”, l’existence pérenne des graffitis (qui, eux, ne s’arrêtent pas à 1m70 du sol).
Mais comme me l’a dit l’un des responsables de l’entretien (ou des travaux, je ne sais plus) : “au moins, vous avez une salle, pourquoi vous vous plaignez”. Il est vrai que, par tradition, les salles doivent être gagnées par les enseignants-chercheurs, comme l’écrit un collègue de l’université de Toronto ayant enseigné à P8 :
[…] on my very first day of class. Faculty and students crowded closely around the department secretary, who shouted out the classrooms we had been assigned as they were communicated to her by the central administration via the telephone she gripped tightly to her ear.
Twenty minutes after my course was to have begun, but still without a room, I was collared by an imposing man – my first meeting with the then department chair, Michel Cordillot, a former lyce´e principal and historian of labour and utopian socialist movements. With a twinkle in his eye and a voice filled with conviction, he explained that in such cases it was our duty to protest the administration’s failure to manage its space better by cancelling class. So it was that my first act as a teacher at Paris-8 was to write out a formal letter to the university president to this effect and go home. It would be three weeks before a classroom could be found and I could begin teaching.
source : Paul Cohen « Happy Birthday Vincennes! The University of Paris-8 Turns Forty » History Workshop Journal Issue 69 doi:10.1093/hwj/dbp034
Mais ce qui m’a surpris en arrivant ce matin, c’est la présence d’une cantine autogérée dans les locaux d’une cafétéria (fermée depuis deux ou trois ans), et n’appartenant pas à l’université, déclare, rapidement, le président :
A la communauté universitaire,
Les locaux actuellement occupés par des étudiants au niveau de l’entrée principale du campus universitaire appartiennent à la société SA IACU (Société Anonyme Immobilière pour l’Aménagement des Campus Universitaires) en vertu d’une convention datant de 1998. L’université n’a en conséquence aucune compétence sur ces locaux. Le propriétaire est seul en mesure de garantir le respect de l’affectation desdits locaux, conformément à l’affectation prévue par ladite convention.
Bien cordialement
Le président
Cette cantine a vu le jour à la suite de quelques assemblées générales étudiantes. Il paraît — je n’ai pas enquêté — que ce seraient “des étudiants de SUD” qui en seraient responsables (même si, comme dans toute bonne autogestion, il n’y a pas de responsables).
Autogérée ?
Cela signifie que personne n’a de place attitrée ni de spécialité, qu’il n’y a pas de chef-fe, que les tâches tournent et que les décisions sont prises collectivement. Pour y parvenir, nous essayons de visibiliser tous les aspects de l’organisation pour assurer leur transmission, aussi de mutualiser nos savoirs (cuisiner, écrire des tracts, etc), et menons une réflexion collective et politique sur nos pratiques.
Nous voulons casser les automatismes marchands, sortir de la relation service/usager-e et de la posture de consommateur-trice.
source
Un tract, avec drapeau pirate et tête de mort (et menace d’un concert de slam) a été produit : cantoche.pdf [et produit avec un logiciel libre, attention !].
L’autogestion semble s’accompagner de vandalismes et de dégradations (oups) d’expressions artistiques contre-culturelles sur lesquelles il ne faudrait porter de jugement :
Ces photos, prises hier (et recadrées pour insister sur les graffitis, pour dramatiser un peu et pour les besoins de l’administration de la preuve), ne résument pas la journée. Il faisait beau, et, pris de haut (depuis la B336), le cliché suivant montre des étudiants “fourmis” en train de réviser au soleil ou de se reposer entre deux cours. Disons que c’est une forme d’autogestion individualisée du temps…
[yarpp]
13 commentaires
Un commentaire par A. (10/04/2010 à 11:22)
Par curiosité, pouvez-vous isoler un profil sociologique pour les étudiants en question ? Typiquement, sont-ce des étudiants de premier cycle ? Deuxième ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (10/04/2010 à 11:47)
>a : Aucune idée… désolé
Un commentaire par eli thorkelson (10/04/2010 à 14:28)
Merci pour ces photos, Baptiste! Il me semble qu’il serait plus utile de faire une distinction entre la saleté proprement dite et ce graffiti : hier j’ai vu que plusieurs occupants êtaient en train de nettoyer leurs locaux, et il ne me semble pas que leur but est vraiment la saleté en tant que telle… vous voyez ce que je veux dire ?
De toute façøn, les étudiants disent aujourd’hui que le propriétaire va porter plainte… j’imagine que ça ne peut pas durer. Et pour répondre à l’autre commentaire, j’ai l’impression que ce sont surtout des étudiants en license. Ils sont assez jeunes, au moins.
Un commentaire par decasia: critique of academic culture » The walk home from the field (11/04/2010 à 11:13)
[…] Last night as I got off the metro, I saw a group of people whose faces I recognized from the campus squat I’d visited. I hadn’t talked to them but they looked at me carefully, and I realized I […]
Un commentaire par Alexandra (11/04/2010 à 14:59)
Des étudiants “fourmis” à Paris 8 contre les étudiants “limaces” (cigales ?) à Nancy 2 – où le tag fait rage aussi : http://lh6.ggpht.com/_TUerrt0T5Us/S73Svg8KBqI/AAAAAAAACD8/LOp_3p1KipM/s512/2010-04-08%2014.56.35.jpg
Un commentaire par Baptiste Coulmont (11/04/2010 à 16:34)
> Alexandra : Bravo ! Il y avait en effet une référence implicite.
Un commentaire par Denys (12/04/2010 à 18:03)
Quelle navrante mauvaise foi, une fois de plus. Mais où sont donc les photos de cette magnifique rénovation qui, a partir de deux médiocres salles de cours, a permis de créer pas moins de six (si j’ai bien compté) espaces nouveaux, tous, de plus, consacrés à la meilleure des causes, l’accueil de réfugiés de la science politique. Le miracle de la multiplication des salles, en somme ; n’est-ce pas absolument merveilleux ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (12/04/2010 à 18:40)
>Denys : une enquête est en cours !
Un commentaire par DM (13/04/2010 à 7:40)
C’est marrant, à Grenoble c’est plus propre… On a une idée de pourquoi telle ou telle université est couverte de graffiti tandis que telle ou telle autre ne l’est pas?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (13/04/2010 à 8:45)
>DM : Paris8, c’est un peu particulier… Tagger les murs a même pu être intégré à une époque dans des cours ( http://www.univ-paris8.fr/40ans/IMG/pdf/LAPASSADE.pdf ) … je plaisante à peine.
Exemple de texte de Lapassade : ” j’ai inversé cette démarche et j’ai invité les B. Boys au LP, pour des enregistrements de rap et pour la production de grafs, à l’université où j’enseigne.”
http://193.54.168.65/docs/IMG/pdf/L_ethnosociologie2008-2.pdf (p.118)
Un commentaire par Régis (15/04/2010 à 22:01)
La cantine autogérée est-elle un modèle d’hygiène alimentaire ou un moyen de décimation des étudiants par des affections digestives aigues? Evidemment, il y a surement des hypochondriaques et des colopathes dans la bande d’avachis…
Un commentaire par Régis (15/04/2010 à 22:02)
désolé, j’ai oublié les accents. sincèrement qd même (mon clavier est à changer)
Un commentaire par decasia: critique of academic culture » Occupied “free space” at Paris-8 (20/04/2010 à 17:34)
[…] Coulmont, a Paris-8 sociology professor who’s also posted about this occupation, posted some similar pictures, describing it as “vandalismes et de dégradations (oups) […]