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L’art de ne pas être gouverné

Billet publié le 12/04/2010

[Petit hommage à moitié ironique à James C. Scott via Daniel Little]
 
L’amphithéâtre est un espace social politique. Il suffit d’en avoir fréquenté pour savoir que les people of the hills, ceux qui s’assoient tout en haut, sont rétifs à l’étatisation représentée par le professeur. Le discours enseignant classique leur a donné une nature propre, presque une ethnicité : ils seraient les étudiants potentiels non civilisés, ils représenteraient in vivo une condition pré-étudiante ancestrale. Leur destin serait de descendre, petit à petit, de la “zomia” (cette zone haute peu accessible au pouvoir étatique en raison de la “friction” du terrain) pour se rapprocher du centre étatisé.
Mais une autre tradition de recherche comprend ces rebelles comme ayant été générés par l’étatisation : on peut comprendre toute leur organisation sociale comme une réponse rationnelle à la pression étatique. Egalitarisme des relations sociales, agriculture non sédentaire…

La rebellion estudiantine ne s’objective pas dans des raids esclavagistes, mais dans l’absentéisme ou diverses formes de grèves du zèle. Un indicateur archéologique existe cependant — archéologique au sens où il persiste dans le temps : le graffi-table (graffiti sur table).

Proposons un plan d’un petit amphi universitaire (à peine six rangées). Il est probable que l’on puisse observer ceci, où l’intensité des graffitis à un endroit donné (i) est fonction du carré de la distance au professeur (d) :

i=ƒ(d²)

et — de manière plus qualitative — où, à des rangées particulières, sont associés des types de graffitis particuliers.
Un espace sans graffitable a été repéré dans plusieurs amphithéâtres. Les versions professorales y voient une objectivation de l’espace du charisme personnel — ou du charisme d’institution — reconnu au professeur. D’autres y voient l’espace dit des postillons, une zone trop proche de l’État pour que des étudiants s’y installent.

 


 
En bon empiriste positiviste, il me fallait vérifier cela. Ce fut fait lors d’une surveillance d’examen.

Pour en savoir plus : Une longue tradition d’enquête sur graffitis existe, dont je ne donnerai que quelques exemples : 1, 2, 3

[yarpp]

6 commentaires

Un commentaire par Yann Leroux (13/04/2010 à 10:18)

N’est pas plutôt le champ de stérilisation du professeur ? Parce que les graffitis sont une expression de la créativité. Certes débordante. Certes un tantinet contestataire. Mais y a t il un autre moyen d’être créatif ?

(J’arrive via @bodyspacesoc )

Un commentaire par Baptiste Coulmont (13/04/2010 à 13:14)

>Yann : certains y voient en effet de la créativité, d’autre du vandalisme et de la dégradation.

Un commentaire par dorant (13/04/2010 à 22:15)

observation confirmée dans les amphis où je surveille avec une nuance supplémentaire : c’est sur les derniers rangs que j’ai repéré les graffiti les moins conventionnels : anticapitalistes, libertaires et invitations à des consommations de substances et à des relations homosexuelles.
En revanche, plus on s’approche des rangées du milieu, plus on est en présence de graffiti assez ordinaires : portant sur l’enseignement, sur Sarkozy, sur des relations hétérosexuelles, des critiques inter-étudiantes….

Un commentaire par Régis (15/04/2010 à 22:26)

L’inverse du carré de la distance pour parler de ce qu’on appelle le rayonnement, cela a un sens physique et c’est pertinent.
Mais je suis effaré de l’aménité des ces graffitis: absence de toute provoc significative, d’obscénité assumée… dans mon amphi en 1ère année, rien d’était gravé sur les tables, mais l’agitation qui fleurissait (ou sévissait) dans les gradins les plus élevés, c’était autre chose… En revanche les représentations que tu as reproduites sur ton site, Baptiste, présentent des similitudes frappantes avec les peintures murales d’un schizophrène qui a décoré, pendant la 2ème Guerre Mondiale, les murs extérieurs et les cours de l’Hopital du Vinatier. Il se nommait Sylvain Fusco; il est mort de misère physiologique en 1944, alors que les maisons de fous n’étaient plus ravitaillées et que les internés mourraient dans le dénement le plus total.

Un commentaire par Régis (15/04/2010 à 22:27)

*dénuement

Un commentaire par Laurent (27/12/2010 à 15:02)

A propos des graffitis plus contestataires ou “déviants” sur les tables du fond, je pense que c’est du à la densité d’élèves.
En effet on écrira plus facilement quelque chose du genre “mais qu’est-ce qu’on fait là dans cette société inégalitaire qui me fout la rage ?” (exemple légèrement caricatural :) ou bien une poésie personnelle quand on n’est pas vu par son voisin. Car cela impliquerait que l’on se dévoile beaucoup plus intimement.