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Les billets de June, 2010 (ordre chronologique)

Réseaux musicaux

A quoi est dû le succès ? Aux qualités intrinsèques de l’oeuvre ? D’autres caractéristiques ne joueraient-elles pas ?
Cette question ne trouvera pas facilement de réponse : avant tout parce que mes collègues sociologues rechignent à étudier de trop près les goûts populaires. Combien de thèses sur des acteurs comme Bernard Ménez (par comparaison avec Jean Vilar) ? Sur des chanteuses comme Catherine Lara ? Et combien sur le théâtre de boulevard ? Combien de thèses sur la variété populaire utilisant les mêmes outils que ceux que Bourdieu utilisait dans Homo Academicus ? Il y a de bons articles sur la bande-dessinée (Boltanski). Sur le Rap, le Jazz, et d’autres styles aptes à l’élévation distinctive… Mais je n’en connais pas sur la variété, sur les artistes invités par Drucker à la grande époque de Champs Elysées [car il y eu une grande époque…]
C’est probablement parce que la hiérarchie sociale dicte en partie les intérêts sociologiques (on me souffle qu’une thèse est en préparation qui s’intéresse aux carrières de Bourdieu, Derrida et Foucault…) C’est aussi que la popularité de la variété ne se prête pas facilement à l’objectivation. Il n’y a pas d’académie (ni de chanteurs de variété à l’Académie française, à part Giscard). Pas d’intellectuels organiques (sauf Drucker ?). Pas même d’association des artistes de variété (la SACEM a un autre but, je crois). Il est en fait difficile de mesurer la popularité, quoi qu’on en dise. Qui croit sérieusement que les chiffres de vente annoncés reflêtent les ventes réelles ? Et qui a la base de données exhaustive de ces ventes ?

Prenons donc un chemin de traverse.
Le concours de l’Eurovision nous donne accès — via wikipedia — à une base de données. En cherchant un peu, il serait possible de comparer le succès que remporte un “groupe” par rapport à une personne toutes choses égales par ailleurs, de repérer l’effet de la langue ou du sexe, ou encore de l’ancienneté du pays dans le concours.
L’intérêt des données de l’Eurovision, écrivait perfidement Kieran Healy il y a quelques années, c’est l’absence de qualité intrinsèque de toutes les chansons : la popularité n’est donc ici pas “polluée” par la qualité. Il n’y a que de la merde, plus ou moins populaire. [Je mets ABBA de côté, ils jouaient dans une autre ligue.]
Je vais m’intéresser ici à la composition des votes lors de la dernière épreuve, samedi dernier, parce que je ne peux pas tout faire, non plus. Que voit-on ?
Une toile d’araignée, certes, mais que l’algorithme Kamada-Kawai construit d’une certaine manière. Les votes, en fait, rapprochent certains pays et éloignent d’autres pays. La RFA (ou Allemagne, mais j’en suis resté à la Grande Epoque du Mur) est au centre : sa chanteuse a remporté le concours. Les perdants sont sur la frange extérieure : ils n’ont reçu aucun vote, ou presque.

On peut essayer de mettre un peu de sens dans ce graphique. J’ai donc simplifié le précédent, en ne représentant que les votes de “twelve points” et “ten points” (mais les autres votes sont pris en compte dans la construction du réseau). Les rapprochements semblent avoir une base géopolitique :


Les patatoïdes permettent de se rendre compte que l’Eurovision n’est que la continuation de la diplomatie par d’autres moyens [si je pouvais placer une référence aux deux corps du Roi je le ferai ici]. Le bloc russe [je suis gaulliste sur ce point là, l’URSS n’étant que le corps mortel de l’immortelle corps russe], bien que scindé, plissé et morcelé, a des pratiques de votes similaires. Le monde balkanique se recompose dans la variété. L’Europe des démocraties libérales est unitaire (ce qui montre bien, s’il le fallait encore, que ce que raconte Esping-Andersen est un peu fumeux).

Je ne fais ici que reprendre l’analyse proposée il y a déjà six ans par Kieran Healy, qui, malheureusement, avait écrasé ses données en voulant constituer une base de grande ampleur (1975-1999). En effet, des périodes plus courtes sont nécessaires pour saisir les conséquences de l’éclatement de l’URSS (en créant plein de petits pays avec droit de vote).

Précisions : Vous venez de lire un billet ironique. Mais rien n’empêche d’étudier statistiquement l’Eurovision, ses principes de votes, les conditions du succès… Il devrait être possible, à mon avis, d’élaborer ainsi une stratégie gagnante pour la France, qui, souvenez-vous n’a gagné qu’une seule fois. Non les carottes, ne sont pas cuites. Rendez-nous vite, Marie Myriam!

Les sectes, c’est plus ce que c’était

Dans un article qui vient d’être publié par la revue Genèses (une revue de sociologie et de sciences sociales), Etienne Ollion, sociologue, étudie ce qu’il appelle “un processus de requalification conceptuelle“, la sécularisation de la “secte”.
En effet, autant au début des années 70 la secte apparaissait comme un objet religieux, autant aujourd’hui, après tout un travail de requalification (travail politique et associatif), la secte est un terme utilisé pour décrire un ensemble de pratiques.

Trois périodes peuvent être distinguées : lors de la création des premières associations, les opposants cherchent d’abord à distinguer entre bonnes et mauvaises sectes (i) ; pourtant, la transformation des buts de celles-ci comme l’importation de théories psychologiques étasuniennes font qu’émerge une nouvelle approche de la secte comme groupe utilisant des techniques de conditionnement psychologique (ii). Finalement, c’est après une importante médiatisation et l’engagement d’opposants distants de l’Église catholique que le terme de secte est progressivement sécularisé, y compris chez certains opposants qui rejetaient cette approche quelques années auparavant (iii).

« Jusque dans les années 1970, les quelques personnes qui dénoncent publiquement les sectes sont, sans exception, proches des églises établies. » La création d’association de défense de la famille et de l’individu (ADFI) va venir modifier les dénonciations : « les membres des ADFI dénoncent les groupes non plus pour la « supercherie théologique » qu’ils constitueraient, mais pour les conditions de travail et les infractions au code de la Sécurité sociale et à celui des impôts. »
Les critiques contre “Les Enfants de Dieu” [The family] sont dirigées vers le « Flirty Fishing », [technique de recrutement où l’adepte est invitée à séduire de potentielles recrues, parfois en leur prodiguant des faveurs sexuelles].
[Note : si vous voulez en savoir plus sur le Flirty Fishing, une encyclopédie collaborative possède de nombreux documents : dont des bandes dessinées]
Dans sa conclusion, Ollion lance quelques indices sur ce qui va continuer à l’intéresser par la suite, l’étude des individus qui s’impliqueront dans les associations anti-secte :

La redéfinition de la secte est en effet une condition importante de l’engagement de toute une série d’acteurs qui ne se sentaient pas concernés tant que l’approche religieuse prévalait, où ne savaient pas comment aborder le sujet. Le sectarisme devient ainsi un sujet pour lequel des personnes qui ne se seraient probablement pas engagées dans un combat perçu comme interne au champ religieux peuvent s’investir, ce qui se produit de manière croissante à partir de la fin des années 1970.

Une liste

Mes journées étant bien occupées en ce moment par l’oral d’entrée à l’ENS (et, avant, par la fin de l’année universitaire), je limiterai ce billet à une liste :

Rubicon

La nouvelle série “Rubicon” (ne me demandez pas comment on se la procure) ne promet pas grand chose (elle semble inspirée par “Damages” d’un côté, par “Numb3rs” de l’autre). Mais une chose m’a amusé : cette série repose partiellement sur ce que je vais appeler rapidement une “tendance”. Regardez plutôt ces copies d’écran :

Le bureau du personnage principal est couvert de petits dessins.
Mais que remarque-t-on d’autre ?

Il semble que certains dessins ressemblent à des graphes et des représentations visuelles de relations sociales.

Que remarquez-vous dans cette dernière copie d’écran, ci-dessous ?

On y voit, accroché au mur, une reproduction de la “Carte figurative des pertes successives” de l’armée de Napoléon dessinée par Charles Joseph Minard, l’une des images préférée d’Edward Tufte, l’auteur de Beautiful Evidence et de The Visual Display of Quantitative Information”. Ces “oeufs de Pâques” visuels ont été remarqués au moins ici sur twitter.
Mais il semble que ces images n’aient dans cette série télévisée qu’une fonction illustrative. Elles n’interviennent pas, apparemment, dans la narration. Dommage, j’aurais aimé voir un héros résoudre une énigme à l’aide d’une sparkline. Peut-être que le décorateur de cette série s’est amusé ici (il me semble que ce même décorateur affectionne aussi Helvetica, ce qui n’est pas surprenant).
Pourquoi ai-je qualifié ces images de “tendance” au début de ce billet ? C’est que plusieurs blogs influents, Daring Fireball ou Kottke se font les publicitaires des travaux de Tufte, que ce dernier vient d’être nommé par la Maison Blanche à un panel de surveillance des dépenses liées au “Recovery Act”. Enfin la question de la visualisation des données, abordée par Graphic Sociology, ou par Flowing Data, devient cruciale à un moment où l’on dispose de tellement de données statistiques que la difficulté est d’en construire des “synthèses épaisses” (“thick syntheses”, comme l’on parle de “thick description” à la Geertz).

Petit déplacement

Cette affiche sur les phtalates, les sex-toys et les perfusions médicales, m’a amusé

Plus d’informations ici [L’affiche semble avoir été produite par le “c2ds“]
Il y a quatre ans, la revendication était différente : “Si les Phthalates sont interdits dans les jouets pour enfants, pourquoi ne le sont-ils pas dans les jouets pour adultes ?” se demandait Greenpeace.

I am not a number…

… I am a growing series of numbers