Categories

Archives

Les billets de July, 2010 (ordre chronologique)

Changer de prénom

Quelques milliers de personnes, chaque année en France, changent de prénom. Ce peut être par francisation au moment de la naturalisation. Mais c’est aussi possible indépendamment de tout changement de nationalité : dans ce cas, c’est le juge aux affaires familiales qui décidera.
Au cours des deux prochaines années, je vais étudier ces changements de prénoms : étudier à la fois de quoi sont constitués les dossiers de demande, comment se défend une “raison légitime” ; étudier aussi, avec Thierry Mayer ce que ces demandent produisent, un nouveau stock de prénoms.
Je reste pour l’instant allusif. Le blog et une page spécifique à cette recherche sur les changements de prénoms rendront compte d’une partie de l’avancement des travaux, mais seulement d’une partie.

Le député s’appelait Marie

Entre 1803 et 1955, il est possible de changer de nom de famille, mais il est impossible de changer le prénom inscrit à l’état civil : la justice ne le permet pas, aucune procédure n’existe. Le prénom est « immuable ».
Fin 1953, après 150 ans du même régime d’immutabilité, un député propose d’autoriser les modifications de prénoms. La proposition de loi n°7547 déposée le 31 décembre 1953 est justifiée par les motifs suivants :

Le choix des prénoms n’est pas entièrement libre. [Mais cette disposition] n’est pas suffisamment précise, ni surtout assez strictement observée, pour que des prénoms parfois ridicules ne soient pas attribués à certains enfants. D’autre part, un individu peut avoir un grand intérêt à obtenir une modification ou une adjonction de prénom, soit pour le différencier d’une autre personne, soit pour régulariser l’appellation sous laquelle il est connu.

Ce député n’expose pas de motifs plus précis, et je n’ai pas pour l’instant pu localiser où se trouveraient ses archives personnelles, ni d’interview données au même moment. J’en suis réduit à des spéculations pas vraiment sérieuses. (Si ses descendants passent par ici, je serai très heureux qu’ils me contactent.)
Ce député, en effet, avait un usage idiosyncratique du nom et du prénom. Son père, Antoine Révillon (journaliste et député), se faisait appeler Tony Révillon. Lui-même a fait sa carrière sous le nom de Michel Tony-Révillon (en transformant donc le nom d’usage complet de son père en patronyme). Son premier prénom était « Marie » : à la fin du XIXe siècle la chose n’était pas très étrange (un millier de garçon, chaque année avant 1910, recevaient le prénom Marie) et l’on trouverait d’autres exemples (le général Kœnig avait aussi ce premier prénom, et utilisait le second comme prénom d’usage).
C’est donc Michel Tony-Révillon (à l’état civil Marie Révillon) qui déposa une proposition de loi visant à permettre les changements de prénom. La coïncidence est amusante, mais n’y voyons pas un lien de causalité, s’il vous plaît…
Deux ans plus tard, en 1955, la commission de la justice de l’Assemblée nationale rend un rapport favorable à cette proposition de loi (rapport n°11031, séance du 28 juin 1955).

Parfois, des prénoms ridicules à porter ou indésirables sont attribués à certains enfants; d’autres fois, c’est leur caractère désuet ou leur consonance étrangère qui les rend impossibles à conserver; d’autres fois encore, c’est l’effet que produit le prénom juxtaposé au nom patronymique qui fait immédiatement un objet de risée de celui qui en est affecté.
Il y a dons (sic) intérêt, dans de tels cas, à permettre à l’intéressé de changer de prénom.
Il arrive aussi, et quelquefois en raison même du caractère ridicule ou extraordinaire du prénom primitivement attribué, que les parents ou les personnes ayant recueilli l’enfant lui donnent un autre prénom sous lequel il sera désormais connu de tous, et qui deviendra son prénom usuel.
Il y a intérêt à ce que, dans des cas semblables, une modification du prénom puisse intervenir. (…)
Enfin il peut y avoir intérêt, en vue de se différencier d’autres personnes portant à la fois le même nom et le même prénom, à ajouter un autre prénom.

Ce rapport est intéressant en ce qu’il multiplie les motifs : prénoms ridicules, prénoms à consonance étrangère, effet de la juxtaposition, extra-ordinarité, mais aussi, tout simplement, le caractère désuet. Il semble que, pour les députés de la commission de la justice, de nombreuses raisons pouvaient être envisagées pour changer de prénom. Afin de limiter les demandes, les députés proposent une procédure

longue et compliquée et de nature à décourager un certain nombre de demandeurs; mais il est apparu que, justement, dans une matière aussi délicate, on devait éviter les procédures trop aisées et susceptibles d’encourager des demandes inconsidérées.
Seules, feront la demande les personnes qui auront vraiment un intérêt majeur à faire modifier leurs prénoms; ainsi les services ne seront pas encombrés et les décisions pourront intervenir dans le minimum de temps prévu par la loi.

Les sénateurs, à qui la proposition arrive après avoir été votée par l’Assemblée nationale, ont une conception différente (Rapport n°34, séance du 18 octobre 1955) :

Quand il s’agit d’un changement de nom, des précautions doivent être prises, nul ne songe à le contester.
Le nom résulte, en effet, de la filiation et s’impose à chaque individu. Dans la mesure ou le nom est la forme obligatoire de la désignation des personnes, tout ce qui le concerne touche à l’ordre public. Il est par conséquent normal qu’on ne puisse pas le modifier sans l’autorisation du pouvoir central.
On ne peut en dire autant des prénoms, qui sont choisis par les parents et n’ont aucun rapport avec la filiation et l’odre public.
Pour ces raisons, votre commission a décidé de substituer une procédure judiciaire simple et rapide à la procédure administrative longue retenue par l’Assemblée nationale.

Les députés accepteront cette procédure simple : il faudra donc demander aux tribunaux d’instance le changement de prénom. Le 8 novembre 1955 est donc votée cette loi (publiée au J.O. du 13 novembre 1955) qui modifie l’article 57 du code civil :

« Les prénoms de l’enfant, figurant dans son acte de naissance, peuvent, en cas d’intérêt légitime, être modifiés par jugement du tribunal civil prononcé à la requête de l’enfant, ou, pendant la minorité de celui-ci, à la requête de son représentant légal. Le jugement est rendu et publié dans les conditions prévues aux articles 99 et 101 du présent code. L’adjonction de prénoms pourra pareillement être décidée »

Le vote de cette loi n’a pas été perçu comme quelque chose d’important : un entrefilet de 3 lignes dans Le Monde, rien dans Le Figaro. Il me reste à consulter les revues de droit civil pour voir si les juristes s’y sont intéressés.

Recrutements universitaires

Cette année encore, en sociologie, le wiki auditions de l’ASES a bien fonctionné, et la prochaine version du wiki auditions (automne 2010) est en ligne.
J’ai contribué à la marge à ramasser diverses informations, tant auprès de candidats que de collègues déjà en poste. Encore une fois, cette année, certains collègues n’ont pas souhaité diffuser les décisions des comités de sélection, avec divers arguments.
1- “cela peut nuire au candidat classé premier” : l’idée ici est qu’un département ne recrutera pas quelqu’un qui a été déjà classé premier ailleurs. Certes, cela s’est vu déjà. Mais : un comité demandera systématiquement à tous les candidats s’ils ont été classés ailleurs, si l’information n’est pas connue. L’argument ne tient donc pas vraiment : les seuls qui ne sauront pas, ce sont les autres candidats et la communauté des sociologues.
2- “on attend la décision du C.A.” : l’idée de cet argument est que le comité de sélection n’est pas légitime, qu’il faut “attendre la décision du CA”. Il est encore une fois utile de répéter que ce n’est pas la décision du CA qui importe ici, mais celle des comités de sélections. L’intérêt du wiki est de rendre visible le travail des collègues, leurs principes de sélection et de classement. Ainsi, même si les informations concernant l’université de Strasbourg ont été parfois difficiles à recueillir, disposer du classement sur le recrutement que le CA a annulé est très intéressant. Que le classement ait été connu avant que le CA se prononce a sans doute contribué à rendre l’affaire publique.

Continuons : cela fait maintenant une douzaine d’années que les mathématiciens français, avec le soutien et l’appui du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, organisent ce qu’ils appellent “l’opération Postes“, où toutes les décisions des comités sont rendues publiques. Dans cette discipline, la volonté de garder secrètes les décisions, de ne les faire circuler qu’entre soi, de ne prévenir que le premier classé et pas les autres… sont considérés comme des erreurs éthiques. Dans leur bilan, les matheux le signalent : “Seuls quelques établissements irréductibles demeurent, il semble s’agir en général d’établissements un peu en marge du système universitaire“.
J’aimerais qu’il en soit de même en sociologie, d’où le wiki auditions : on peut repérer les marges universitaires (ce sont les départements qui gardent leurs recrutements secrets).

Comment faire, alors, quand l’informations ne circule pas. Personnellement : j’écris aux candidats que je connais, même vaguement, pour leur demander s’ils ont l’information. J’écris à un collègue (plutôt un jeune collègue) membre du comité. Si rien n’arrive, j’envoie un mail collectif. Cette année, le département de sociologie de l’université de Tours a mis du temps à diffuser l’information : sur un poste, plus de 15 jours après les auditions, les candidats n’étaient même pas au courant du classement. J’ai donc envoyé un petit mail ironique et pince sans rire qui a eu pour effet de libérer le classement. Rien ne me motive plus qu’un comité qui tente de garder secret son travail.

Ce petit travail de suivi m’a fait prendre conscience de la spécificité du département de sociologie de l’université Paris 8. Les discussions sur les profils de postes y sont publiques, en réunion de département. La composition des comités de sélection est aussi publique, de même que les dates des réunions. Il en va différemment dans les départements de socio d’autres universités, presque d’autres univers : Nanterre (Paris 10) semble être balkanisée (avec une information qui ne circule pas, même en interne, ce qui oblige à avoir des oreilles un peu partout) ; Paris 7 semble avoir un fonctionnement dans lequel les laboratoires (CSPRP, urmis, Gaulejacquiens) pré-emptent des profils… Il est alors plus difficile de trouver une personne qui connaîtra l’ensemble des informations. Les universités de Lille sont au contraire très réactives : les informations ont été mises en ligne sur le wiki très vite.

La suite ? Je pense que les “wiki auditions” vont se développer dans d’autres disciplines. Il y en aura un, au moins en “test”, en histoire l’année prochaine (dès la rentrée ?). Des géographes se tâtent encore. L’expérience du wiki en philosophie, section 17 n’a pas connu de succès cette année.
Si l’on me permet un petit usage de concepts : s’impliquer, sous son nom, dans un tel suivi du processus de recrutement est une petite mise en jeu de capital. Je ne doute pas avoir énervé certains collègues, mais je pense disposer de suffisamment de capitaux pour me permettre cette petite perte. Surtout que, à mon avis, ce qui est perdu d’un côté est retrouvé de l’autre. Enerver de manière passagère les barons, les baronnets et leurs minions, c’est somme toute assez amusant.
Mon conseil, donc, est le suivant, aux collègues d’autres disciplines : impliquez-vous personnellement dans la création d’un tel outil, sous votre nom. Une fois en poste, vous ne risquez rien (je n’ai eu qu’une seule menace de procès). Ou, mieux, trouvez le soutien d’une association, comme l’ASES en sociologie. Il est très probable que, sans l’ASES (et celle de Matthieu Hély), ma petite initiative de 2007 n’aurait pas connu de suite.

Liens utiles

Chaque année ou presque, la régie publicitaire du Figaro publie un carnet des prénoms qui a un intérêt : il fournit un “top 20” des prénoms les plus données dans le “Carnet du jour” de l’année passée. L’on peut ainsi se faire une idée des prénoms que la bourgeoisie parisienne se donne (si l’on fait l’hypothèse que le Figaro est un journal de classe).

En 2009, Louise, Joséphine et Victoria semblent être fort appréciées. En 2007, on trouvait bien Louise, en première position, puis Victoire, plus bas, mais pas de Joséphine. En 2007, Charlotte et Camille étaient dans le top 3, seule Camille (17e) persiste.

*

Sans transition :

Prénoms bourgeois

Je n’ai pas retrouvé les anciens “Carnets des prénoms” du Figaro (avant 2007) : on les trouve, je pense, dans La Cote des prénoms de Joséphine Besnard (et dans les éditions plus anciennes, sous la responsabilité de son père).
Le petit dessin ci-dessous est donc composé de trois années. Les prénoms qui se retrouvent sur deux années consécutives sont liés par des traits de couleur.

Question : Combien des prénoms féminins les plus donnés en France aujourd’hui se retrouvent dans le Carnet du jour du Figaro (Pour les filles, vers 2006, ces prénoms étaient Emma, Léa, Clara, Chloé, Sarah, Manon, Camille, Inès, Jade, Maëlys).

La libéralisation du choix des prénoms

Le choix d’un prénom (pour un nouveau-né) a longtemps été restreint. Une loi (celle du 11 germinal an XI) posait des limites : celle des noms en usage dans les calendriers, plus quelques personnages de l’histoire.
L’Instruction générale relative à l’état civil de 1955, rédigée pour guider les officiers d’état civil, précisait qu’il fallait “refuser d’enregistrer les prénoms de fantaisie” [J.O., 22/9/55, p.9351]. Cette circulaire eu sans doute pour conséquence d’interdire certains prénoms à un moment où quelques couples souhaitaient non seulement donner à leurs enfants des “prénoms bretons”, mais aussi faire inscrire ces prénoms à l’état civil. Cette interdiction a donné « L’Affaire des prénoms bretons » (que je ne résumerai pas ici).
Onze ans après, donc, en 1966, cette Instruction générale est modifiée. La loi de Germinal an XI est précisée : Les dispositions de cette loi “procèdent du principe que les enfants français doivent, normalement, recevoir des prénoms français”. Plusieurs paragraphes précisent L’application pratique de cette loi :

on voit mal les officiers de l’état civil, en tant que juges immédiats de la recevabilité des prénoms, chercher à inventorier les ressources exactes des calendriers et de l’histoire ancienne afin de déterminer si tel prénom figure ou non parmi ceux de ce patrimoine du passé. Il leur appartient, en réalité, d’exercer leur pouvoir d’appréciation avec bon sens afin d’apporter à l’application de la loi un certain réalisme et un certain libéralisme, autrement dit de façon, d’une part, à ne pas méconnaître l’évolution des mœurs lorsque celle-ci a notoirement consacré certains usages, d’autre part, à respecter les particularismes locaux vivaces et même les traditions familiales dont il peut être justifié. Ils ne devront pas perdre de vue que le choix des prénoms appartient aux parents

[J.O., 3/5/66, 3523]

J’ai souligné ce qui m’apparaît être un changement : au refus d’enregistrement succède le “réalisme”, le “libéralisme”, “l’évolution des mœurs”, le “respect des particularismes”… Certes, il reste des interdits : les onomatopées ne peuvent être choisies comme prénom. Mais tout un ensemble de prénoms, basques, bretons, étrangers (comme “Nadine”)… peuvent désormais être acceptés.

Une note m’a intéressé : les rédacteurs de l’Instruction générale de 1966 ont cru bon de préciser :

Ces considérations militent en faveur de l’admission des prénoms coraniques pour les enfants de Français musulmans. Il y aurait d’ailleurs intérêt, dans ce dernier cas, à ce que l’officier de l’état civil conseille discrètement aux parents d’adjoindre un prénom français au prénom coranique de leur enfant. Cette pratique serait, en effet, de nature à permettre ultérieurement, une meilleure assimilation de l’intéressé à la communauté nationale.

Je ne sais pas si beaucoup de Fatima, Isabelle Benarfa sont nées après 1966. Et je ne sais pas comment ce conseil de “discrétion” donné en note dans une instruction ministérielle a été suivi. Il faut toujours suivre les conseils de discrétion, me direz-vous. Mais ça me semble un peu contradictoire ici.

Quoi qu’il en soit, cette instruction de 1966 a libéralisé en partie le choix des prénoms, donnant aux bretonnants la possibilité de bretonner. Le processus s’est poursuivi par la suite, avec, notamment un arrêt amusant de la Cour de cassation, qui précise en 1981 : “il n’y a pas lieu d’exiger que le calendrier invoqué émane d’une autorité officielle” (première chambre civile, 10 juin 1981). Les personnes motivées pouvaient alors imprimer leur propre calendrier.

La commission de déontologie et le devoir de moralité

policièreL’on attire mon attention sur le dernier rapport de la Commission de déontologie de la fonction publique dont rend compte Les Echos. De plus en plus de fonctionnaires veulent cumuler leur emploi avec une activité privée.
Les petits salaires de la fonction publique (et leur hausse réduite) incitent probablement à rechercher un cumul d’activités. Mais c’est ce passage qui plus précisément a attiré l’attention de mon informateur :

Le sujet du cumul public-privé est assez nouveau pour la commission de déontologie qui commence à étoffer sa jurisprudence. Les professions évoquées sont d’une extrême diversité : depuis la création d’une société d’ambulances jusqu’à celle d’une agence de détectives privés en passant par l’expertise en sciences criminelles, voire l’activité d’achat et revente de « lingerie dite fine et autres produits à connotation marquée ». Une activité incompatible avec les fonctions de gardien de la paix, précise la commission.

Les fonctionnaires doivent être de bonne vie et moeurs : dès la fin du XIXe siècle, les candidats aux fonctions d’instituteurs doivent disposer d’un “certificat de bonne vie et moeurs”. Les enquêtes de moralité touchent aussi, si je me souviens bien, les facteurs et postiers. Encore aujourd’hui, un devoir de moralité s’impose « y compris en dehors du service : un fonctionnaire ne doit pas choquer par son attitude (alcoolisme, scandale public…), ni porter atteinte à la dignité de la fonction publique ». Fonctionnaires adultères, tremblez. [Je n’arrive plus à retrouver les références d’un texte qui étudiait le traitement administratif de l’homosexualité des fontionnaires.]

La décision citée se trouve dans ce rapport de la séance du 8 juillet 2009 :

Incompatibilité entre une activité d’achat et de revente, notamment, de lingerie dite fine et autres produits à connotation marquée, et les fonctions, exercées concomitamment, de gardien de la paix au sein d’une circonscription de sécurité publique : un tel cumul serait de nature à porter atteinte à la dignité des fonctions exercées par l’intéressé dans l’administration (avis n° A0480 du 8 juillet 2009).

et dans le rapport annuel, 2009, page 57.
Il me semble clair, ici, que les membres de la commission évitent d’utiliser le terme de “sex toy”, qui, après tout, est un anglicisme peu utilisé dans les rapports publics (sauf au Sénat, particularité de la Chambre haute certainement). Mais peut-être trouverait-on plus de précisions dans la requête déposée à la commission. Je n’ai malheureusement pas trouvé l’avis n°A0480 du 8 juillet 2009 qui répond à cette requête. Comment faire pour disposer du texte complet ? Demander à la CADA ?
En tout cas Anne Lolotte va devoir vérifier la profession de ses représentantes-“ambassadrices”, ou du moins les avertir.

Obésité et sexualité en France

L’enquête CSF (Contexte de la sexualité en France) produit d’intéressants résultats. Nathalie Bajos et son équipe viennent de publier un article lui aussi intéressant dans une revue de médecine Sexuality and obesity, a gender perspective: results from French national random probability survey of sexual behaviours.

L’on a probablement tous une petite idée du rôle du poids dans la séduction et la vie sexuelle. Cet article pourra confirmer — ou infirmer — certaines idées. L’on voit, surtout, que le poids ne joue pas le même rôle pour les hommes et pour les femmes.

Je me permets ici de reproduire deux des tableaux proposés dans l’article. Le premier s’intéresse à la distribution des partenaires en fonction du sexe et du poids :

Pour synthétiser très rapidement, les femmes en surpoids ou obèses ont surtout des relations sexuelles (stables) avec des hommes en surpoids ou obèses. Mais les hommes en surpoids ou obèses, eux, ont surtout des relations avec des femmes “normales” (dont l’indice de masse corporelle est considéré comme normal). On pourrait dire ces mêmes choses très vulgairement.

Le deuxième tableau est difficile à lire, trop petit, je sais. Mais l’article est en ligne, donc allez-y le lire.
Ce que je repère ici, c’est la position spécifique des hommes maigres, six fois plus nombreux que les autres catégories d’hommes à déclarer des relations homosexuelles. [Notons, tout de suite, le petit nombre, 72, d’hommes en souspoids pris en compte ici : ne tirons pas trop de conclusions]. Ils déclarent plus fréquemment n’avoir eu aucun-e partenaire sexuel (22,5% contre, en gros, 10%) au cours des 12 derniers mois, ne pas avoir eu de relation au cours de la dernière année (34%), et ils déclarent, quand ils ont un-e partenaire, une fréquence mensuelle moindre.
Peut-on parler de pauvres maigres ? Si l’on assimile la fréquence et le nombre à une forme de “richesse”, alors, oui, pauvres hommes maigres… (les femmes maigres apparaissant ici relativement plus riches, donc).

Je n’ai fait qu’effleurer, par manque de temps, cet article, qui contient beaucoup plus. Vous pouvez le lire il est en “open access” : Sexuality and obesity, a gender perspective: results from French national random probability survey of sexual behaviours.

Les femmes et les sex-shops

Une enquête a enfin relevé la proportion d’hommes et de femmes entrant dans les sex-shops. Petite victoire, peut-être, mais qui permet d’en savoir un peu plus sur les modes genrés de consommation. Des travaux précédents s’étaient intéressés à certains magasins mais n’avaient pas procédé à un relevé méthodique des entrées sur plusieurs magasins (Berkowitz, Hefley — mentionné rapidement ici).
Que nous apprend alors l’article de Richard Tewksbury [cv] et Richard McCleary [cv], Female Patrons of Porn ? [Notez : en anglais, “Patron” signifie client. L’article porte sur les clientes.]
Un mot sur la procédure de recherche : 9 assistants de recherche ont observé 33 sex-shops californiens : 271 observations, le tout ayant duré 162 heures, réparties sur l’ensemble du jour et de la nuit.
Qu’est-ce qui a été observé :

Of the 1,258 patrons who entered the 33 stores during 162 hours of observation, 1,044 (83 percent) were men, 214 (17 percent) were women. Most men (75.6 percent) entered alone, most women (86.9 percent) entered in groups, either same-sex (49.1 percent), mixed-sex (22.4 percent), or in a traditional couple (15.4 percent).

Les femmes constituent donc 17% du public des sex-shops. C’est non négligeable, mais minoritaire. Si les hommes visitent le plus souvent ces magasins seuls, les femmes font partie de groupes.

Quel type de magasin préfèrent-elles ? Plusieurs caractéristiques ont été relevées. “Toutes choses égales par ailleurs”, la présence de vigiles à l’extérieur fait fortement augmenter la probabilité que des femmes soient observées parmi les clientes. Une forte fréquentation est aussi lié à une forte proportion de femmes parmi les clients. La présence de cabines vidéo est négativement reliée à la présence de femmes parmi les clientes. Plus étrange, les femmes sont moins présentes dans les magasins qui emploient des vendeuses, ce qui semble opposé au “bon sens” des entrepreneurs (notamment en France, où la présence de femmes parmi les vendeuses est présentée comme le signe que le magasin s’adresse aux femmes).
L’on trouve, sur le site de l’association qui a financé la recherche, un rapport de McCleary qui donne d’autres informations, sur la variation journalière et horaire (en nombre de clients par heure) :

Les femmes sont du milieu de la semaine et du milieu de la journée, les hommes plutôt de la fin de la semaine et du milieu de la nuit. Comme si l’on avait, finalement, deux publics prêts à s’éviter.

 

Ailleurs sur internet : ceci.

Bibliographie :
Berkowitz, Dana. 2006. Consuming Eroticism: Gender Performances and Presentations in Pornographic Establishments. Journal of Contemporary Ethnography 35, n°. 5: 583-606. doi:10.1177/0891241605285402.
Hefley, Kristen. 2007. Stigma Management of Male and Female Customers to a Non-Urban Adult Novelty Store. Deviant Behavior 28, n°. 1: 79-109. doi:10.1080/01639620600987491.
McCleary, Richard, et Richard Tewksbury. 2010. Female Patrons of Porn. Deviant Behavior 31, n°. 2: 208-223. doi:10.1080/01639620902854985.

Un sex-shop contre l’administration fiscale

Les sex-shops, pour le moment, sont non seulement interdits d’installation à proximité des établissements scolaires, mais ils sont aussi surtaxés [plus de précisions].
Je vais donc parler ici de droit des impôts. Mais ne partez pas tout de suite, ça peut vous intéresser quand même.

*

Cette surtaxe, donc, consiste en “un prélèvement spécial de 33 % (…) sur la fraction des bénéfices industriels et commerciaux imposables à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu”. Les établissement déclarés licencieux “soit en application de l’ordonnance n° 59-28 du 5 janvier 1959 (…), soit en vertu des pouvoirs de police que le maire et le représentant de l’Etat dans le département” tiennent de certains articles du Code des collectivités territoriales.

C’est un impôt étrange, qui est déclenché quand un préfet (ou un maire) déclare certains magasins licencieux ou interdits aux mineurs. Comme il n’y a ni “Ordre des patrons de sex-shops”, ni nécessité d’obtention d’une licence préalable à l’installation, ni obligation de déclaration… des magasins s’ouvrent et se ferment sans que les autorités soient au courant. Parfois, un préfet ou un maire se réveille, déclare tel magasin interdit aux mineurs… ce qui peut conduire à cette surtaxe. Les autres magasins, s’ils connaissent les arcanes du Code des impôts, vivent dans l’insécurité juridique (et financière) : ils peuvent très bien être ouverts depuis longtemps sans être soumis au “prélèvement spécial”. [Il me semble que c’est le cas des grandes surfaces sexy/porno ouvertes en zones commerciales, qui, éloignées des centres-villes, sont aussi éloignées du regard du “représentant de l’Etat”.]
Devant une telle insécurité, allez-vous me dire, les sex-shops se sont unis pour agir… C’est sans compter sur l’individualisme de ce monde : parce qu’ils sont nombreux à percevoir dans leurs concurrents des personnes de peu de foi, les patrons et propriétaires de sex-shops n’ont jamais réussi à constituer de syndicat professionnel. Il y eu deux tentatives : une en 1973-1974, et une autre vers 1986.
Pendant longtemps, donc, il n’y eu aucune protestation publique ou action en justice. Cela a changé. Le 21 juin 2010, le Tribunal administratif de Paris a rendu une ordonnance (dans l’affaire n°0701697). Cette ordonnance transmet au Conseil d’Etat une “Question prioritaire de constitutionnalité”. D’ici quelques mois, le Conseil d’Etat se prononcera et transmettra (ou non) la question au Conseil Constitutionnel.
C’est une première victoire pour un sex-shop, qui a réussi à intéresser les juges du T.A. (la question “n’est pas dépourvue de sérieux” écrit la vice-présidente). Il est possible que le texte de l’article 235 ter MB du Code général des impôts ne soit pas conforme à la Constitution : la taxe n’est pas prélevée de manière uniforme sur le territoire national ; la perception [au sens du Trésor public, collecter] d’un impôt national dépend donc de la perception [au sens de la connaissance] de la pornographie qu’ont les maires et des préfets.
Citons un peu l’ordonnance du T.A. qui résume un “mémoire” déposé par l’avocat du sex-shop : “en l’absence d’arrêté d’interdiction, des établissements vendant des articles similaires sont traités différemment, un arrêté d’interdiction n’est pas obligatoire eu égard aux circonstances locales et aux différences d’interprétations auxquelles elles peuvent donner lieu, et la taxation fiscale dissuasive auxquels sont soumis les seuls établissement interdits aux mineurs favorise la diffusion de la pornographie dans un secteur non protégé et contrevient ainsi aux impératifs de la protection de l’enfance“.
Si le Conseil constitutionnel juge fondée la Question prioritaire de constitutionnalité, l’article du CGI sera abrogé. Les sex-shops qui avaient dû payer cette taxe pourraient demander son remboursement. C’est probablement financièrement intéressant — s’ils ne laissent pas passer les délais de recours.

Parce que la question des mobilisations collectives est sociologiquement intéressante, que la “mobilisation par le droit” l’est tout autant, il s’ensuit que l’inverse, la mobilisation individuelle devrait être intéressante (il faudrait que je lise L’arme du droit de Liora Israël). Car pour l’instant seul un magasin s’est lancé dans cette aventure judiciaire. Si d’autres se joignaient au litige, cela donnerait, presque mécaniquement, plus de poids à la Question de constitutionnalité. Il me semble, en effet, qu’une action en justice est d’autant plus grande qu’il y a de personnes mobilisées.
Quel pourrait être l’intérêt de ces magasins à sortir de la routine ?

  • Pour les magasins “sexy”, qui vendent des culottes fendues, des caches-tétons et des godemichets, l’intérêt pourrait être de régler l’insécurité fiscale : ces magasins, qui disent ne pas vendre de pornographie, se conçoivent comme des “non-sex-shops”, comme des “love-stores”. Mais ils ne sont pas à l’abri d’un-e maire qui décide d’interdire l’entrée des mineurs. Surtout quand ces magasins, d’eux-mêmes, restreignent l’entrée aux “adultes consentants”.
  • Pour les sex-shops “classiques”, l’intérêt de se joindre au litige avant que le Conseil constitutionnel prenne sa décision est financier, le remboursement des impôts qui seraient jugés anticonstitutionnels. Comme me le précise un informateur, “les réclamations qui seront déposées après la décision du Conseil se heurteront aux délais de recours contentieux” (il sera alors trop tard pour le remboursement des impôts payés il y a plus de quelques années).

Ces magasins se découvriront-ils un intérêt commun ?

*

Parce que l’affaire m’intéresse, j’essaierai d’assister aux éventuelles audiences publiques du Conseil d’Etat (comme je l’avais fait pour l’Affaire Poppers il y a deux ans). Si le Conseil constitutionnel devait se prononcer, j’espère qu’il y aura aussi des audiences publiques.
Note conclusive : si j’ai commis d’honteuses erreurs juridiques, confondant “décision” et “jugement”, “litige” et “contentieux”, merci de me le signaler, gentiment, en commentaire.

Un joli dessin

Voici une analyse en composantes principales réalisées sur les prénoms masculins, en 2000, à partir du fichier des prénoms de l’insee, par départements.

Les nombres rouges sont les codes départementaux (avec 20 pour la Corse).
Il me semble, si je ne fais pas trop d’erreur d’interprétation, qu’on voit apparaître différents groupes. La gauche du graphique représente, à mon avis, des prénoms aujourd’hui peu donnés dans la France entière, mais présents dans certains départements (en Corse, Lisandru, dans le Neuf-Trois Yanis et Mohamed). La droite du graphique associe entre eux des prénoms en vogue.
Le haut du graphique est trusté par les prénoms bretons. Le plus haut, le plus breton.
Et “Loïc”, situé en bas, n’est pas une erreur de casting : c’est aujourd’hui un prénom du croissant Est de la France.
Si vous voulez voir ce dessin en PDF, suivez ce lien : ACP-2000. Mais si vous téléchargez le fichier PDF, j’exige vos commentaires.

Zotero, outil collaboratif ? (Utiliser Zotero, 2)

Au coeur de l’été dans Paris assoupi, je termine un manuscrit (et j’aurai prochainement besoin de relectrices sociologues). Pour ce texte, j’utilise maintenant quotidiennement zotero et Dropbox : j’écris en effet un texte sur deux ordinateurs, et j’ai besoin d’un suivi automatique des versions.
Zotero me semble moins buggué maintenant et fort utilisable. J’ai donc souhaité passer à l’utilisation d’autres fonctions offertes par le logiciel bibliographique, en créant un “Group Library” (Bibliothèque groupée). Cette bibliothèque porte sur les églises noires en France et ne contient pour le moment qu’une trentaine de références. Certaines sont très récentes, comme la thèse, touffue, de Sarah Demart.
Ce groupe est joignable et, je pense, éditable par les personnes à qui je donnerai certains privilèges. Chaque référence que ces personnes entreront dans la “bibliothèque groupée” se retrouveront ajoutées automatiquement à ma base bibliographique (utilisable directement dans Word quand j’écris). La “veille documentaire” pourrait ainsi être collaborative.
On verra bien ce que cela donnera… Cela devrait être plus utile dans d’autres domaines (la “sociologie de l’émotion” par exemple, a un groupe bien actif).