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Basques et bretons au collège

Billet publié le 28/09/2010

Dans un quotidien, récemment, l’un des frères Fassin disait que la culture, ce n’est pas une explication, c’est ce qu’il faut expliquer. Pour cela, il faut probablement encore croire que la culture existe un tant soit peu, ce qui n’est pas vraiment mon cas.
Cependant, il faut reconnaître que certaines personnes construisent activement des identités collectives et qu’on ne peut les effacer aussi rapidement. J’avais déjà mentionné l’existence de prénoms bretons : depuis une cinquantaine d’années, des promoteurs de la culture bretonne publient dictionnaires, calendriers, listes… comprenant ce qu’ils appellent des “prénoms bretons”. Si l’on agrège différentes listes, l’on finit par obtenir une grosse liste de prénoms bretons.
Le “fichier des prénoms” de l’INSEE propose des données au niveau national et au niveau de chaque département. Mais rien en dessous : rien au niveau des communes ou des cantons.
Mais, peut-être par inadvertance, l’éducation nationale, elle, donne accès à des données intéressantes. Une bonne partie des académies publient les résultats nominatifs au brevet des collèges. Henry Ciesielski a repéré cela et a réussi à récupérer une bonne partie de cette liste.
L’on dispose ainsi d’informations assez fines au niveau de chaque collège. La suite est le résultat d’une collaboration entre Henry et moi. Les 4800 collèges ont été géolocalisés (assez grossièrement et avec des erreurs, car nous ne disposions que de la commune, pas de l’adresse postale complète). Et, pour chaque collège, la proportion de “prénoms bretons” parmi les admis au brevet a été calculée.
La carte suivante permet de voir, rapidement, qu’il y a plus de prénoms bretons en Bretagne qu’en dehors. Il est bien dommage que les académies limitrophes n’aient pas publié les résultats au brevet : l’on aurait pu voir où s’arrêtait la frontière culturelle… [Notez : la taille des points est fonction du nombre de prénoms bretons, la couleur fonction de la proportion.]

Des résultats plus fins sont disponibles : les collèges “Diwan” regroupent plus d’enfants avec des prénoms bretons.
La carte suivante m’intéresse plus. En effet, les promoteurs de la culture bretonne semblent avoir réussi un double essai : rendre visible les prénoms bretons à l’état civil pour une minorité non négligeable d’enfants, et diffuser à l’ensemble de la Bretagne-région cette pratique. Cela dans un contexte intéressant : plus personne ou presque ne parle breton…
Les promoteurs du basque n’en sont pas là encore. Voyez la carte : seuls une poignée de collèges contiennent une proportion importante de prénoms basques, et cela est limité à l’extrême sud-ouest du Sud-Ouest. Autant les Morgane, les Gwenn et les Ewen se sont diffusés au delà du monde des bretonisants, autant les Bixente, les Ainhoa et les Aguxtin restent confinés au pied des Pyrénées-Atlantiques. [Ce n’est peut-être pas vrai pour quelques prénoms, mais, pris collectivement, ils n’ont aucune existence en dehors de la micro-région.]

Prenez ces deux cartes comme un début de recherche, une première visualisation des effets à la fois de la libéralisation du choix du prénom et, je le pense, des entreprises politiques de différenciation culturelle.

[yarpp]

9 commentaires

Un commentaire par J.F. (30/09/2010 à 11:36)

Pourtant sociologue de formation, je ne comprends pas vraiment ce que signifie la phrase de Fassin que vous reprenez dans votre billet (même après lecture de l’article de Libération auquel vous renvoyez !). Pourriez-vous m’apporter votre lumière ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/09/2010 à 12:02)

>JF : c’est une opposition théorique au culturalisme que cette phrase, avec laquelle je suis personnellement d’accord. Toute explication par “la culture” doit être vue comme problématique. Pourquoi les Portugais/es font moins de mariages avec des Français/es que les Espagnols/es ? “la culture”… (alors que la prise en compte de l’âge à l’arrivée, des métiers exercés, du sex-ratio… permettent de trouver d’autres explications). Une explication qui recourt à l’élément culturel est une explication paresseuse. Poursuite de la discussion ici : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/09/29/misere-du-culturalisme_1417649_3232.html

Un commentaire par lomig (30/09/2010 à 17:27)

Bonjour,

il me semble que votre remarque sur la proportion de locuteurs de la langue régionale en Bretagne et Pays Basque, serait à prolonger. Elle ouvre en effet un questionnement sur le rôle de marqueur culturel du prénom dans des contextes d’usage de la langue assez différents : en Bretagne, un usage limité du breton en Basse-Bretagne (172000 locuteurs en 2007 soit environ 13% de la population (Moal, 2009, http://trema.revues.org/927 ) et du Gallo en Haute-Bretagne (5 à 10 %, http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/12/04/25/PDF/RapportGallo1.pdf) avec une attribution importante des prénoms bretons alors qu’au Pays Basque le taux d’attribution paraît moindre mais la langue Basque est davantage parlée (entre 30 et 40 % en 1997, http://lapurdum.revues.org/index1777.html). L’attribution du prénom ne serait finalement qu’un pis aller de la culture bretonne dont la pratique linguistique n’a pas résisté aux profonds changements qu’a connu la Bretagne durant l’après-guerre comme le montre, entre autres, les travaux sur Plozévet (http://plozcorpus.in2p3.fr/).

Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/09/2010 à 18:19)

>lomig : merci. Je pense aussi que le prénom peut être donné quand la langue n’est plus là pour soutenir l’identité collective. Le cas de l’Alsace et de son dialecte vivant pourrait être aussi étudié : il n’y a pas de prénoms alsaciens.

Un commentaire par J.F. (01/10/2010 à 16:17)

Merci pour la réponse !
Effectivement, si on voit l’explication par la culture comme une moyen de ne pas aller plus loin, de ne pas prendre en compte d’autres facteurs, cela pose problème… Mais de là à exclure “la culture” (ou plutôt “des éléments culturels”) comme une variable explicative parmi d’autres, quitte à utiliser un modèle économétrique et à contrôler l’effet de certaines variables socio-économiques sur les variables culturelles, je ne comprends pas… Doit-on exclure certaines variables explicatives avant de les avoir tester ? Je ne pense pas que cela soit votre propos.
Je comprends votre exemple et je partage avec vous l’idée que “la culture” n’explique pas tout, mais la phrase “la culture, ce n’est pas une explication, c’est ce qu’il faut expliquer.” me paraît en l’état excessive.

Un commentaire par Controverses sociologiques | Polit’bistro : des politiques, du café (04/11/2010 à 8:08)

[…] je n’ai donc pas d’opinion. Si je me permettais, je dirais que la culture n’est pas une variable, mais comme cela reviendrait à m’inscrire dans le débat (je ne sais pas de quel côté, […]

Un commentaire par serj (10/11/2010 à 18:08)

contrairement a ce que vous dites, le breton est toujours parlé par une minorité d’environ 250 000 personnes en bretagne et 350 000 en tout.le gallo par environ 100 000 personnes.il ne faudrait pas enterrer ces langues trop tot non plus.l’enseignement du breton augmente de 6% par an , ce qui, theoriquement, stabilisera la langue dans les années 2030 pour repartir a la hausse.la nouveauté est que c’est une langue unifiée,moderne et utilisant les moyens de communications a la pointe, la plupart des logiciels sont en version bretonne( mon ordi par exemple est totalement en breton,du systeme d’exploitation, navigateur internet et emule)le breton est la 40 eme langue sur internet.
la langue bretonne est aussi sortie de son aire linguistique ( la basse bretagne) pour se repandre dans toute la bretagne historique( à 5 departements)et meme une ecole a paris.
il faudrat aussi compter sur sa langue soeur, le gallois, qui s’en sort encore mieux avec une progression du nombre de locuteurs deja enregistrée depuis 10 ans
brezhoneg bev!

Un commentaire par YR (10/03/2011 à 16:48)

Serj prend ses désirs pour des réalités ! D’où sortent ces chiffres du nombre de locuteurs du breton ?

Le breton n’est plus que très peu parlé. Seuls les vieux et les bretons “culturellement engagés” le parlent tous les jours. Et encore, dans le Finistère !

Quant à sortir de son aire linguistique, on croit rêver ! Que des panneaux d’entrée de ville et des noms de rue en breton fleurissent à Rennes, à Saint Brieuc ou à Fougères est une hérésie culturelle : les habitants de ces terres n’ont jamais parlé breton dans l’histoire, rappelons le, mais gallo, qui est du… vieux-français, sans aucune relation avec le breton !

Bref, les prénoms bretons ont la cote car il y a beaucoup de gens attachés à la Bretagne hors de Bretagne, mais qui ne sont pas locuteurs. Tout comme il y a de nombreuses personnes qui appellent leur enfant Yannick ou Maïwenn sans être aucunement bretonnant ni même breton de sang…

Youenn n’est-il pas en effet plus mignon que Zaraitzu ;o) ?

Un commentaire par xavier (09/07/2012 à 22:18)

Je “sens” bien aussi le post de lomig, il me semble que les bretons ont surinvestit les “signes extérieurs” tandis que le fond culturel foutaient le camp. On se rapproche en quelque sorte du folklore vs la culture.
Ceci dit les symboles et leurs charges sont importants et dans le fond tout dépend de ce que les familles transmettent factuellement et en donnant un prénom enraciné.
Pour Mr Yr, l’aire brittonique fut bien plus vaste que vous ne le dite allant de la baie du mont st mich’ passant a 20 km de rennes et descendant jusque St Nazaire. On trouvait d’ailleurs encore des brittophones dans le pays de Batz en 44 jusqu’au début 20°. St Brieuc parla breton jusqu’au XV°.
Tous ceci a été très bien étudié et décrit par nombre d’universitaire (Von Harff, Jackson, Falc’hun), ça n’a jamais été d’ailleurs sujet de polémique.
Rien de choquant a ce que les villes bretonnes s’affichent billingue, d’une part il y vit des bretonnants (c’est le paradoxe, il y en a moins mais on en trouve un peu partout) et d’autre part c’est le fleuron patrimonial du pays, ce serait dommage de s’en priver…