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Les billets de October, 2010 (ordre chronologique)

Un mot par mois, et des compte-rendus en direct

couv-sociologie325_01couv-sociologie325_03La revue Sociologie à laquelle je participe a une stratégie de publication, disons… multisupport : une version “papier” éditée par les Presses universitaires de France, une version PDF sur cairn.info, et une version html sur revues.org. Chaque version a ses spécificités.
Le site de la revue Sociologie sur revues.org s’étoffe régulièrement, et pas seulement quand un nouveau numéro est publié. Chaque mois, un morceau de l’oeuvre collective du comité de rédaction, Les 100 mots de la sociologie, un Que-Sais-Je ? publié en 2010, sera mis en ligne. Ce mois-ci Stratification sociale, par Philippe Coulangeon. Et, pour ne pas attendre les 99 prochains mois pour découvrir les 99 autres mots, il est fort recommandé d’acheter le livre.
Des compte-rendus d’ouvrage sont aussi en ligne, dont le tout dernier, La fortune du Ghetto au sujet de La loi du ghetto.

Des sociologues en ligne

Une liste de sites internet de sociologues (français). N’ont été retenus que les sites ayant un nom de domaine propre (pas les pages personnelles, pas les blogs hébergés sur blogspot ou overblog, ni sur free.fr).
Serge Paugam : http://www.serge-paugam.fr/
Laurent Mucchielli : http://www.laurent-mucchielli.org/
Cécile Van De Velde : http://cvandevelde.com/
François de Singly : http://www.singly.org/francois/
Olivier Martin : http://www.olivier-martin.fr/
Olivier Bobineau : http://www.olivierbobineau.com/ (attention, son site fait ouvrir une pop-up publicitaire…)
Jean-Pierre Durand : http://www.jean-pierredurand.com/
Louis Chauvel : http://www.louischauvel.org/
Bruno Latour : http://www.bruno-latour.fr/ (à mon avis, c’est un site réalisé par un fan, pas par Latour lui-même)
Albert Piette : http://www.albertpiette.net/ (il est Belge, mais ça compte comme un Français)

et bien entendu : Baptiste Coulmont : https://coulmont.com (on n’arrêtera jamais l’autocitation).
 
J’en ai certainement oublié. J’ai bien vérifié que Pierre-Paul (Zalio) ni Pierre-Michel (Menger) n’avaient pas de nom de domaine. Ni Nathalie Heinich, ni Alain Quemin. Mais si vous connaissez d’autres égos surdimensionnés ayant acheté leur point-com ou leur point-net, merci de le signaler en commentaire.

Mise à jour :
Natacha Chetcuti : http://www.natachachetcuti.com/
Vincent de Gaulejac : http://www.vincentdegaulejac.com/
Marie-Victoire Louis : http://marievictoirelouis.net/
Nicolas Jounin : http://www.nicolasjounin.com/
Yves Sintomer : http://sintomer.net
Philippe Robert : http://www.phrobert.fr/
Jacques Donzelot : http://donzelot.org/

Poursuite de la mise à jour :
Régis Dericquebourg : http://WWW.regis-dericquebourg.com
Pierre Mercklé : http://pierremerckle.fr
Vincent Dubois : http://vincentdubois-socialscience.eu
Stéphane Dorin : http://www.stephanedorin.com/
Geoffroy de Lagasnerie : http://geoffroydelagasnerie.com/

Ces bandes de bohémiens…

Dans Le Figaro, le 9 septembre 1910, il y a donc cent ans.
LES ROMANICHELS
On sait que des ordres très sévères ont été donnés pour débarrasser la France de ces bandes de bohémiens qui s’abattent sur une contrée : marchands de paniers d’osier, diseurs de bonne aventure, etc., mais ne vivent en réalité que de rapines, et surtout experts aux vols à l’étalage et au « rendez-moi ».
Un campement. d’une cinquantaine de roulottes était venu ces jours derniers s’installer dans un vaste terrain compris entre les fortifications, la rue de Paris, à Montreuil, et la rue de Saint-Mandé. A peine étaient-ils là que des plaintes s’élevaient. Le préfet de police donna ordre d’agir.
Hier matin, MM. Hamard, chef, et Jouin, sous-chef de la Sûreté, accompagnés de quatre-vingts inspecteurs et gardiens de la paix, et des chiens de police Brutal, Follette et Titi, se rendaient au campement des romanichels. Des perquisitions furent opérées dans les roulottes, et quatre-vingt-quinze individus, hommes et femmes, furent conduits au poste de Charonne, où les attendaient M. Bertillon, chef du service anthropométrique, et Prunier, inspecteur principal de l’identification judiciaire.
A l’aide des fiches anthropométriques on a pu reconstituer l’identité de la plupart de ces nomades qui se désignaient par des noms de fantaisie. Un certain nombre d’entre eux, frappés d’arrêtés d’expulsion, interdits de séjour, insoumis à la loi militaire, condamnés déjà pour vol et recherchés par des Parquets de province ont été mis en état d’arrestation. Les autres ont été, invités à évacuer le plus vite possible les environs de Paris.

 
Il y a cent ans, donc. Avec l’aide de Bertillon, la France s’était dotée de formes performantes d’identification. Celles et ceux qui y résistaient, nomades, seraient bientôt dotés d’un carnet anthropométrique spécifique, apte à les constituer comme groupe d’équivalence, du point de vue de l’Etat du moins. Mais on sait combien les catégories juridiques, administratives, deviennent parfois, aussi, des catégories du sens commun.
 
Il y a cent ans, les chiens de police avaient des prénoms, comme les chefs et les sous-chefs. Mais ni les nomades, ni les “inspecteurs et gardiens de la paix” n’avaient de noms suffisamment grands pour passer le filtre journalistique.

L’addition

« Je t’invite. »
Autour de ces trois petits mots se joue un drame social bien plus grand. C’est en tout cas ce que montre un joli mémoire de master que vient de soutenir Anaïs Marchaut et qui m’a inspiré les lignes suivantes.
Si la place que l’argent joue dans le couple et la famille commence à être connue, son rôle dans la séduction, et les tout-débuts de la séduction l’est moins. Ce qui était étudié dans ce mémoire, c’était le premier rendez-vous (ou le premier paiement-cadeau).
Dans ce contexte, l’argent est invisibilisé : la micro-négociation se passe très vite, dans l’espace laissé par une virgule, un souffle, entre le « si, si, j’insiste » et le « merci ».
Mais il n’y a, en même temps, rien de plus visible. L’argent est matériel. Et c’est autour de la matérialité que se joue la négociation. Pour les acteurs en effet, l’argent devient le marqueur de leur relation, un indicateur du lien. Avec le problème que ce marqueur est impur.
Entrons dans les détails. Les entretiens réalisés par Anaïs Marchaut — avec toutes les difficultés associées à des entretiens sur une toute petite pratique sociale — montrent que l’argent est associé à trois domaines que les acteurs souhaiteraient séparer mais qu’ils ne peuvent concrètement séparer.

  1. L’argent est d’abord décrit comme pouvant devenir un signe : inviter, c’est dire “j’aimerai vous revoir” ; accepter l’invitation, c’est dire “pourquoi pas”. Ce domaine, c’est celui de la stratégie, du calcul.
  2. L’argent est aussi décrit comme un vecteur de domination : partager l’addition est alors une forme de mise à égalité des deux partenaires. Car le sens caché de l’invitation, ne serait-ce pas l’achat ?
  3. L’argent est enfin inscrit dans des habitudes relationnelles : ici, c’est le domaine du rituel. Les enquêtés, garçons comme filles, soulignent combien il est attendu que l’invitation soit masculine.

La superposition de ces trois domaines sur deux billets et trois pièces rend les choses complexes, sinon dans la vie réelle, du moins dans les entretiens. Les discours sont en effet souvent contradictoires : les mêmes personnes qui tentent de faire comprendre pourquoi inviter, c’est important, disent aussi que partager l’addition fait sens. A la différence d’autres usages de l’argent, fortement encadrés par toute une série de décisions juridiques [que Viviana Zelizer excelle à étudier] l’impureté du marqueur est ici renforcée par l’absence de formalisation. La menace du passage d’un domaine à l’autre est donc permanente.

En cherchant des choses sur ce sujet, j’avais trouvé ceci dans “La Revue de Paris“, juillet 1964, p.171. Un article de Robert Poulet intitulé “Moeurs : « Sortir avec » “, p.170-172, qui étudie (et dénonce, surtout) de nouvelles pratiques de séduction.

p.171 Un reste de l’ancienne galanterie française, que bat en brèche la tendance à l’égalité des sexes, veut encore que ce soit l’élément mâle qui règle l’addition du restaurant et paie les places du cinéma et du théâtre. En retour, que donne l’élément femelle? Sa gracieuse présence, son aimable conversation, plus les menus suffrages… Aux Etats-Unis, paraît-il, la balance des comptes est strictement réglée par une loi non écrite; le “boy” qui “sort” une “girl” doit lui envoyer d’abord une orchidée, que la belle épingle à son corsage; le boy doit prendre à sa charge les dépenses de la soirée; en retour il est autorisé à courir sa chance par faits et gestes, au cours des trajets en voiture; et, en tout cas, il a droit, sur la pas de la porte, à un baiser fort tendre, mais sans conséquence ni engagement.
Cette forme de prostitution, honnête et limitée, a-t-elle gagné l’Europe (…) ?

Et dans le paragraphe suivant, l’auteur résume l’expression “sortir avec” : c’est du “donnant-donnant” écrit-il, c’est l’abandon de la galanterie gratuite (mais où l’homme est le personnage dominant) au profit d’une sorte d’échange égalitaire de bons procédés (mais où l’homme, toujours galant, paye).

Donc, du point de vue d’un commentateur (et c’est ainsi que se placent le plus facilement les enquêtés, en entretien) l’invitation peut poser problème. Il est plus difficile de passer “sous” le point de vue du commentateur pour essayer de saisir les hésitations pratiques autour de l’invitation. Je tenterais deux propositions :

  1. Ce moment, le paiement de l’addition peut être compris comme un moment d’incertitude concernant l’entrée en relation. L’entrée en relation elle-même est compliquée.
  2. Et ce moment inaugure toute une série d’actes cumulatifs, que Jean-Claude Kaufmann étudie depuis une vingtaine d’année. Ce sociologue, cependant, s’est intéressé à l’espace domestique beaucoup plus qu’à la séduction. S’il a cherché à comprendre où et quand naissait l’espace domestique (pour lui, c’est le “premier matin“), il s’est éloigné de ce qui se passe hors-domestique.

Pour conclure : ce qui m’a fortement intéressé dans ce sujet, l’addition au premier rendez-vous, c’est la possibilité d’étudier à la fois une forme matérielle investie par des acteurs et une pratique sociale difficile à objectiver, la drague ou la séduction. Prendre une “chose” pour étudier des “faits sociaux”.

Politique sociologique

L’on trouve en ligne la composition du nouveau comité de rédaction de la Revue française de sociologie. J’y repère l’entrée de mon collègue de Paris 8 Camille Peugny (et futur camarade de bureau, quand les travaux seront réalisés rue Pouchet) et de mon condisciple de l’ENS Olivier Godechot.
Ce comité est maintenant composé de 8 femmes sur 25 membres : la tierité est atteinte, la parité est pour bientôt. Je suis trop paresseux pour repérer les autres caractéristiques (“provinciaux” / “parisiens” ; “rang A” / “rang B” ; “CNRS” / “Université”) ni même pour comparer l’ancien et le nouveau comité.

En revanche, je me suis amusé à repérer quels laboratoires étaient dans quelles revues :

Il y a des labos centraux et d’autres moins… Mais il me faudrait d’autres données, sur d’autres revues.

Mise à jour : un beau PDF avec 13 revues (RFS, ARSS, politix, sociétés contemporaines, sociologie, socio du travail, travail genre société, cahiers du genre, regards sociologiques, revue fra de socio-éco, genèses et l’année sociologique) : reseau des revues

Barricades ?

Paris 8 bruisse en ce moment d’un mouvement social. Et, en entrant dans la salle des enseignants du département de sociologie [nous n’avons aucun bureau, l’université n’a pas prévu que les chercheurs et enseignants puissent y travailler] j’ai cru qu’une barricade avait été dressée à l’intérieur.
Mais en fait, non.

Il apparaît que les services dédiés à la peinture ont décidé d’utiliser la semaine de la rentrée pour repeindre la salle des enseignants, plutôt que de le faire pendant les congés. Et, pour repeindre, ils ont mis tous les meubles au milieu, et les ont protégés d’une feuille plastique. Très bonne idée.
Pendant ce temps là, la fenêtre de la salle C224 est toujours cassée (depuis janvier, elle ne ferme pas, et n’a pas été réparée malgré les demandes). Et seul un quart des lampes fonctionnent en B232 (ceux qui y font cours, le soir, le font dans la pénombre, accentuée par les murs gris et taggés qui seront repeints… un jour). Il n’y a plus de serviettes dans les toilettes du bâtiment B (puisque la grippe est passée, il n’y a plus à être propre, apparemment).

Et puisque nous parlons de Paris 8 et de ses toilettes dégoûtantes : voici un texte ethnographique sur les toilettes des colocations étudiantes en France (en anglais).

Et quelques liens dans le désordre :

Les territoires de la délivrance, la thèse de Sarah Demart sur les églises pentecôtises congolaises en Belgique et en France (et au Congo)… est en ligne. C’est une thèse touffue.

Tout le monde aime les daltoniens (disponible en t-shirt).

Une université bloquée, Paris 8

Hier lundi 18, la coordinatrice de l’UFR envoyait ce mail :

Je profite de cette lettre d’information N16 pour vous dire que, à l’heure de cet envoi, le bâtiment B est en train d’être totalement bloqué (j’espère juste pouvoir sortir…) et France Info annonce Paris 8 bloquée demain.

Ce matin, en effet, l’université était bloquée. Voici quelques images :

J’ai cherché des informations “en direct” : on en trouve un peu sur twitter, où j’ai créé une liste “paris 8” et ou le hashtag #paris8 peut être intéressant à suivre.
Sur la photo plus haut, la grande banière, on peut le constater, a déjà servi : je pense qu’elle est restée accrochée quelques semaines en 2009 pendant la contestation de la LRU.
L’on trouve aussi des affiches plus neuves : ici par exemple.
Mise à jour : Un texte intéressant chez Unicorns and icecream :

“I’m in your class on the Major figures in the history of economics (L3). I just wanted to let you know that this morning we went to the university and we saw that it was completely blocked. We had planned to come back for your class but as we were leaving a lot of ”casseur” showed up and started messing things up. Some people got hurt, a lot of women got they’re bags stolen and we (my friends and I ) were entering the metro they came as well. Things got out of control…

Suite de la mise à jour :
Mail du président de l’université :

A l’attention de la communauté universitaire,
Chers collègues,
Depuis plusieurs jours, des individus profitent des mouvements lycéens et étudiants pour commettre des actes de vandalisme, des vols et des agressions à la proche périphérie de l’université (parvis du métro, entrées de parking, etc.).
Il est vous est donc recommandé de vous montrer particulièrement vigilants lorsque vous entrez ou sortez de l’établissement.
En cas de besoin, vous pouvez contacter le poste de sécurité de l’université au **** ou, en cas d’urgence, mon cabinet au ****
Le président de l’université

Un cortège d’étudiants de Paris 8 : journal télévisé de France2, 19 octobre à 13h :

Ethno-photographie sélective d’une université

L’état de délabrement matériel dans lequel se trouve l’université Paris 8 est difficile à imaginer. Mais il est connu et a déjà fait l’objet d’analyses dans des revues anglophones à comité de rédaction [Paul Cohen « Happy Birthday Vincennes! The University of Paris-8 Turns Forty » History Workshop Journal Issue 69 doi:10.1093/hwj/dbp034 ]
Il y a des petits délabrements, dûs à l’absence de nettoyage sérieux du matériel de bureau. Par exemple, voici le clavier du seul ordinateur disponible pour la quarantaine d’enseignants-chercheurs du département de sociologie :

C’était l’état avant nettoyage (j’avais, hier, enfin pensé à amener des lingettes pleines d’antibactérien et de savon). Maintenant, le clavier est beau et propre. [On remarquera que ce n’est pas sur cet ordinateur que sont rédigés les tracts antisarkozy : les touches K, Z et Y ne font pas montre d’un usage bien fréquent.]
Il y a des délabrements plus importants.
La semaine dernière, par exemple, une fuite d’eau au deuxième étage du bâtiment B avait improvisé une sorte de petite cascade jusqu’au rez de chaussée.

Hier, pendant un cours, le tableau d’un amphithéâtre est tombé. Sur twitter, @antoineevenou raconte et photographie (j’ai utilisé sa photo) :

*

Les étudiantes (pas seulement les universitaires) sont donc confrontées à un environnement hostile. Voyons comment, en cas de mouvement social, ils font avec les moyens du bord.

L’inventivité de l’UNEF pour canaliser les foules est à souligner. La seule entrée disponible mardi matin avait été rétrécie par des tables sur lesquelles étaient assis des militants. Pas moyen d’échapper aux tracts. On voit mieux le dispositif si l’on prend un peu de hauteur.

Une autre technique de canalisation : le blocage. Jeudi matin, l’université était bloquée (à 9h, je ne sais pas si elle le sera encore après midi au moment où j’écris). J’ai pris quelques photos du blocus, qui était, cette fois-ci, plus un canalisage qu’un blocage : le dispositif avait pour but d’amener les étudiants à l’amphi B1 (en passant devant un stand offrant un petit-déjeuner).