Qu’est-ce qu’un prénom « français »
Il est possible de changer de prénom en prenant la nationalité française : c’est ce qui s’appelle la francisation. J’en ai déjà parlé.
Au cours de la procédure, il est proposé au candidat à la naturalisation de prendre un nom ou un prénom “français”. Pour aider les personnes remplissant le formulaire CERFA 65-0054, il est précisé ceci :
Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition. Tout prénom choisi dans cette liste sera donc accordé. Cependant, ce document n’est pas limitatif et les demandes particulières seront examiné au cas par cas.
source : formulaire CERFA 65-0054
Cette liste n’est pas évidente à trouver. Récemment, Abdellali Hajjat m’envoie une liste qui était en usage dans diverses préfectures il y a quelques années, en me signalant qu’à l’époque, cette liste ne restait pas seulement “indicative”, mais surtout “confidentielle”.
Les choses ont changé depuis. Certaines préfectures, dont la Préfecture de police, donnent accès à cette liste, qui n’a plus pour titre “liste indicative”, mais “LISTE ALPHABÉTIQUE DES PRÉNOMS“.
A l’étranger, certains consulats précisent la procédure :
Ne sont admis que les noms et prénoms dont le caractère français est avéré. Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition à l’institut français de Taipei
source : document du consulat français à Taipei
Et d’autres sites diplomatiques précisent que cette liste peut se trouver sur l’intranet du ministère des affaires étrangères. Si l’on compare les différentes versions, il semble que cette liste soit mise à jour régulièrement. On trouve ainsi trace d’une mise à jour régulière dans une circulaire de 2000 :
Le but poursuivi par la francisation est de faciliter la vie quotidienne des nouveaux Francais et leur integration dans la communaute nationale. Ainsi, ne sont admis que des noms et des prenoms dont le caractere francais est avere. A cet effet, la liste indicative des prenoms francais acceptes, adressee par la sous-direction des naturalisations aux tribunaux d’instance et consulats et mise а jour periodiquement, devra pouvoir etre consultée par le declarant.
source : Circulaire DPM 2000-414 du 20 juillet 2000, je souligne.
[le texte est identique dans la circulaire de 2005 qui remplace la circulaire de 2000.
Parmi les révisions remarquables, « Baptistine », pourtant un très joli prénom, disparaît au cours de la deuxième moitié des années 2000. Ce prénom, soit a perdu sa dignité de “français”, soit, et c’est plus probable, n’est plus “couramment usité”. Je n’ai pas fait de comparaison plus précise, elle viendra en son temps.
Mais à la lecture des différentes listes, il m’apparaissait que les prénoms semblaient un peu “vieillots” malgré le rafraîchissement régulier. Je passe sur le fait que certains prénoms sont proposés avec des variantes orthographiques étranges (Garence, ou Edgard, qui semblent moins “français” et moins “usités” que Garance ou Edgar). Dans la série des « S » on trouve ainsi Solange, Ségolène, Sylvain ou Sylviane… qui sont un peu datés.
Ce sentiment est conforté par un petit traitement statistique. On peut affirmer, à partir du “fichier des prénoms” de l’INSEE, qu’il y a plus de 80% de chances qu’un français pris au hasard, s’il (ou elle) est né avant 1970, porte l’un des prénoms de la “liste des prénoms français”. Mais s’il est né en 2008, il n’y a plus que 30%.
La liste des prénoms “français” est donc surtout la liste des prénoms portés par les vieux français : « Kévin », le prénom masculin à succès des années 1990, est absent de la liste, ainsi que de nombreux autres prénoms à la mode depuis une vingtaine d’années.
Comment expliquer ceci ?
Une première explication porterait sur l’âge des candidates à la francisation : elles ont souvent plus de 30 ans, donc autant leur proposer des prénoms adaptés à leur âge.
Une deuxième explication a ma préférence. A mon avis, c’est un bel exemple d’inertie des choses écrites. J’imagine qu’une liste a été établie, il y a de cela quelques dizaines d’années, un peu de bric et de broc, par quelques fonctionnaires de la sous-direction des naturalisations, qui avaient peut-être accès au “top 50” des prénoms les plus donnés dans les années soixante. Cette liste a probablement circulé, de manière plus ou moins confidentielle pendant un moment, s’est stabilisée et a accédé à une certaine forme de publicité à la fin des années 1990, pour être ensuite périodiquement révisée. Mais les choses écrites ont une certaine “force” diraient les promoteurs de la performativité. Comment ôter, de quel droit ôter à un prénom “français” sa place, qui lui revient de droit, dans cette liste. Peut-on y insérer Yasmine ou Sabrina, prénom au succès non négligeable en France, ou même Inès, Emma, Jade ou Lola ? Et l’évolution des prénoms, le rythme de l’engouement et du dégoût, s’accélère aussi au même moment. Les enthousiasmes pour “Kévin” passent vite, au profit d’un enthousiasme aussi grand pour “Téo”.
Note : le graphique précédent, lu par un fou, “prouverait” la démographie galopante des populations allogènes (qui donnent, nécessairement, à leurs enfants, des prénoms non-français). Il montre plutôt le décalage croissant entre une liste plus ou moins figée et les goûts des parents en matière de prénomination.
Note 2 : de Abdellali Hajjat, vous pouvez lire l’article intéressant, autour d’une thématique proche, sur le défaut d’assimilation dans la procédure de naturalisation / acquisition de la nationalité française.
5 commentaires
Un commentaire par elifsu (09/03/2011 à 20:58)
J’ai été naturalisée en 2008 après 14 années de titres de séjour provisoires en tant qu’étudiante puis salariée (soit une quarantaine d’A/R à différentes adresses de la préfecture, mais ça c’est une autre histoire), mais j’avais commencé ma candidature en 2003 (je crois). Victime de ma lenteur à remplir un dossier lourd, des mises à jours nécessaires tous les 3 mois, de la difficulté à obtenir certains documents dans mon pays d’orgine concernent notamment des parents non mariés, l'”oubli” de mon dossier dans les tiroirs de la préfecture pendant plus de six mois, le changement de procédure qui a opéré pendant ce temps-là, puis le changement de l’adresse de leurs bureaux…
Bref, j’ai rempli et envoyé deux fois des dossiers, donc. Et à chaque fois j’avais 2 exemplaires du formulaire de francisation. J’ai donc 2 fois longuement réfléchi. Non pas que j’ai hésité à changer de prénom (no-way ! je ne peux pas répondre à autre chose que “elifsu”). Mais je me suis dit comment je *francise* mon prénom ?Je lui colle un accent aigu sur le e pour bien faire le son é ? Remplacer les “u” par des “ou” ? Le “c” de mon nom de famille par “dj” pour aider un peu les Français à prononcer correctement mon nom ? Je prends carrément un *prénom qui est Français* ? Le mien, ça ne fera pas trop de débat qu’il n’est pas Français, mais les prénoms français, je les trouve où, il y a une liste ? Je ne peux prendre que dans les saints de mon agenda ? Les saints de tous les agendas sont-ils les mêmes ? …Etc.
J’en aurais bien profité pour coller à mon nom de famille, le nom de famille de ma mère, mais là, un ami juriste m’a dit qu’autant les premières questions n’avaient pas de réponses simples, autant la francisation n’était pas faite pour ça.
Du coup j’ai rien fait. Et gardé les beaux formulaires de francisation (de couleur dominante rose?) en souvenir dans mes archives…
Un commentaire par Frédéric Grosshans (09/03/2011 à 21:12)
Autre explication possible: Jusque dans les années 60-70, le choix d’un prénom était limité de la même manière en France pour les Français à la naissance, comme vous l’indiquiez dans votre blog ici : http://coulmont.com/blog/2010/07/16/liberalisation-choix-prenoms/. L’assouplissement de cette limitation a autorisé une diversification des prénoms des Français, ce qui expliquerait l’allure de votre courbe.
De même, l’origine de la liste est sans doute à chercher dans le services de l’état-civil alors qu’une telle restriction était en vigueur pour les Français à la naissance, plus que dans les services de naturalisation.
Un commentaire par régis (10/03/2011 à 10:21)
Baptiste: des patronymes sont devenus des prénoms “bien de chez nous” à une période récente (Xavier et Chantal au 17ème siècle, Régis au 18ème) voire très récente. Si les prénoms antérieurs à la Révolution, a fortiori liés à la Contre-Réforme comme Xavier et Régis, n’ont guère posé de questions lorsque les registres paroissiaux tenaient lieu d’état civil, comment des prénoms répandus sous la IIIème République (Vianney) ont été reçus par les secrétaires de mairie?
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Qu’est-ce qu’un prénom “français” ? suite (10/03/2011 à 12:40)
[…] d’une dizaine d’années, probablement. [Pour plus de précisions, je vous renvoie à Qu'est-ce qu'un prénom "français" ? (première partie)] Il y a des prénoms abandonnés entre l’ancienne version et la nouvelle. 153 prénoms si mes […]
Un commentaire par Sylvette (10/03/2011 à 13:12)
Je pense que la rapidité de changement induite par la mode fait qu’une telle liste est forcément obsolète au moment même où elle est publiée (voire avant). maintenant qu’en plus on peut appeler ses enfants Caramel ou Chouchou, on voit qu’il faudrait aux fonctionnaires préposés à la rédaction d’icelle une imagination sans borne, et même un brin perverse. Pour corser le tout, les lecteurs du figaro adoptent en masse des prénoms sans doute débarqués depuis longtemps de la liste (Foulque, Bohémon, Vérenne, Lancelot)…