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Les billets de June, 2011 (ordre chronologique)

Dans les rayons

Vous aviez peut-être suivi l’annonciation, suivie d’une mise à l’épreuve, et de la nativité. Voici venu le temps de l’ascension dans les rayons de toutes les bonnes librairies.
Sociologie des prénoms se trouve maintenant en librairie (preuve en est la photographie ci-contre). Et il y a de bonnes chances pour qu’il se trouve dans une librairie indépendante près de chez vous.
Que faire maintenant ? L’aider à voler de ses propres pages et réfléchir sérieusement au suivant. Les bonnes nouvelles que le CNRS vient de m’envoyer [“J’ai l’honneur de vous informer que votre accueil en délégation a été accepté par les instances d’évaluation du CNRS.“] devraient faciliter cela.

Identification et exposition

Les graffitis sont partiellement en voie de patrimonialisation. On pourrait transformer une série d’anecdotes en corpus : 1- Des livres racontent les grandes heures des graffiteurs d’y il a trente ans. 2- Certains revendiquent pour leurs oeuvres l’étiquette de street art, et si c’est de l’art, c’est pour les musées. 3- De rares personnes accèdent au statut de “grand”, d’autres restent encore anonymes.
Mais parfois les dessins faits sur les murs peuvent dorénavant être attachés à des noms : les taggueurs avaient une signature, ils ont maintenant un corps, susceptible d’identification.
Or les instances d’identification, dans le monde contemporain, sont en concurrence, parfois. Les unes parient sur l’unicité, support de la grandeur géniale :

To the Los Angeles Museum of Contemporary Art, Revok is a renowned artist whose bright, sprawling work is worthy of display in its latest exhibit.

Les autres parient sur l’identité, qui permet de rattacher un corps à une trace :

To the Los Angeles County Sheriff’s Department, Revok is Jason Williams, also known as inmate No. 2714221.

Un article récent du Wall Street Journal s’amuse à poursuivre la concurrence entre musées et polices. Les premiers, en arrachant les tags de l’anonymat, participent à l’identification d’artistes… qui sont encore, dans l’état actuel des choses, soumis aux formes disciplinaires propres à la police.

“This is really the first time in the history of law enforcement that we’re making significant gains on identifying who the [graffiti] taggers are, and building a case against them,” says Lt. Vince Carter, who heads the sheriff’s graffiti unit. “We’re in this war against graffiti and we’re doing everything to stop it.”
In years past, authorities usually didn’t go out of their way to prosecute the artists, most of whom use pseudonyms to protect their identities.
Now, law-enforcement officials in major cities around the country are sharing information, creating catalogs of graffiti work by artist.

La joie policière : réussir à identifier les taggueurs. La joie muséale : réussir une belle exposition de taggueurs (mais juste des “meilleurs”, ceux dont le nom est remarquable). Il semble donc bien que le chemin vers l’état de “grand” passe désormais par la case prison (au sens du monopoly aussi, avec des amendes forfaitaires). Oh ! ironie que cette validation institutionnelle du charisme…
P.S. : si vous pouviez m’aider à identifier les artistes du coin, je vous serais reconnaissant.

Vous êtes ici. Là !

C’est peut-être le besoin de se rassurer, de s’assurer qu’on n’est pas seulement ici, mais bel et bien , qui fait se rencontrer le bout d’un doigt et la carte des stations.

Quand j’étais petit, et que Paris était une ville étrangère, ces zones arrachées m’indiquaient où j’étais : il suffisait de les repérer pour pouvoir ensuite s’orienter. Les traces d’usage collectif remplaçaient fort bien le “Vous êtes ici” accolé à certaines cartes. Crowdsourcing avant l’heure, objectivation d’une combinaison du volume de fréquentation de chaque station et de son caractère touristique. Aujourd’hui, dans la plupart des stations, les cartes sont protégées par un film plastique, qui empêche d’user trop vite la zone de la station.

En 1994, une artiste italienne, Paola di Bello, avait photographié, dans les 350 stations du métro, ces zones. Pour ensuite en reconstituer une grande carte du métro, sur lesquelles les stations étaient soumises à la disparition paradoxale. On trouve quelques explications de sa démarche sur le site de Paola di Bello.
Note : Ce billet est un effet secondaire de la lecture de Petite sociologie de la signalétique : Les coulisses des panneaux du métro.

En catimini ?

En catimini, le coeur juridique de ma recherche actuelle, sur les changements de prénom, vient d’être modifié. Les réponses à la question “Comment changer de prénom ?” ne changent pas, mais les réponses à la question “Qu’est-il possible de changer ?” oui.
En effet, la « loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit », a un article 51 rédigé ainsi :

A la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

Jusqu’à présent, l’article 60 était rédigé ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction ou la suppression de prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Et maintenant ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction, la suppression ou la modification de l’ordre des prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Cela ne change pas grand chose, mais quand même toute une jurisprudence, résumée ainsi dans le Rep. civ Dalloz (article de Florence Laroche-Gisserot) :

L’interversion pure et simple de l’ordre des prénoms, bien que celle-ci ait été admise de façon indirecte (…), est problématique. La Cour de cassation y est peu favorable, le demandeur ayant la liberté de choisir comme prénom usuel n’importe lequel de ses prénoms et pouvant imposer ce choix à l’Administration (Cass 1re civ. 4 avr. 1991, Bull. civ. I, no 117, Defrénois 1991.941, obs. Massip), et les arrêts récents de cours d’appel y sont généralement opposés, d’autant plus que la loi du 8 janvier 1993 (C. civ., art. 57, al. 2, in fine) a confirmé cette faculté (…).

Je n’ai pas encore compris comment, concrètement, dans le processus d’élaboration de cette loi, cet article 51 en est venu à exister. Il apparaît dans une version de 2009 (Article 28 bis nouveau de la proposition de loi adoptée le 2 décembre 2009, Texte n°376 http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0376.pdf)… et avant cela dans un amendement (CL409, déposé le 13 novembre 2009 par le député Sébastien Huyghe) refusé par la commission examinant le texte.

Après rectification de l’amendement, une discussion avait eu lieu à l’Assemblée nationale en décembre 2009 concernant l’amendement suivant :

Amendement n° 37 (2ème rectification) présenté par M. Huyghe, Mme Rosso-Debord, M. Alain Cousin, M. Straumann, Mme de La Raudière, Mme Vautrin, Mme Pons, Mme Grosskost, M. Spagnou, M. Vitel, Mme Fort, M. Piron, M. Diard, M. Christ, M. Dord, M. Mariani, M. Loïc Bouvard, M. Chossy, M. Geoffroy et M. Couve.
Après l’article 28, insérer l’article suivant :
À la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

L’amendement avait été déposé le 27 novembre 2009 :

Il est aujourd’hui possible de modifier tous ses prénoms mais non d’en changer l’ordre sur l’acte de naissance, alors même que de nombreux Français souhaiteraient pouvoir modifier cet ordre sans pour autant changer de prénoms.
Une personne qui use au quotidien d’un autre prénom que celui qui est placé à la première place sur l’acte de naissance par l’officier d’État civil, que ce soit pour des raisons d’appréciation personnelle ou la conséquence d’une actualité dont elle n’est pas responsable, se voit contrainte dans toutes ses démarches administratives.
Cet amendement vise donc à permettre à toute personne faisant usage d’un autre prénom que celui qui lui a été attribué en premier lieu de mettre en adéquation sa situation administrative avec sa situation personnelle et professionnelle.
source : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/2095/209500037.asp

Voici comment l’amendement est discuté :

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 37 deuxième rectification.
M. Sébastien Huyghe. En modifiant l’article 60 du code civil, cet amendement vise à réparer une bizarrerie. En effet, il est aujourd’hui permis à une personne de supprimer l’un de ses prénoms ou de changer ceux-ci, mais pas d’en modifier l’ordre. Avec cet amendement, cela sera désormais possible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission?
M. Étienne Blanc, rapporteur . Initialement, la commission a émis un avis défavorable.
Elle a rappelé que l’utilisation du prénom d’usage constitue une solution simple qui permet déjà d’obtenir le résultat que recherche notre collègue. Ainsi la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 4 avril 1991, que le prénom d’usage s’imposait au tiers comme aux autorités publiques. En clair, il suffit d’utiliser son deuxième prénom et cet usage s’impose à tous.
Cependant, une jurisprudence considère effectivement qu’il est difficile d’institutionnaliser cet état de fait et de le transcrire dans les actes d’état-civil. En conséquence, après avoir réétudié l’amendement dans le détail, nous pensons que le dispositif proposé peut être acceptable. À titre personnel, le président de la commission des lois et moi-même émettons donc finalement un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Le Gouvernement est d’autant plus favorable à cet amendement que je peux personnellement témoigner, pour avoir été confronté à ce type de situation, que le problème se pose parfois. Autant le résoudre!
(L’amendement n° 37 deuxième rectification est adopté.)
source

Les personnes qui demandaient, jusqu’à présent, à l’inversion de leurs prénoms quand elles utilisaient le deuxième et souhaitaient le voir passer en premier, se voyaient répondre que tout prénom inscrit à l’état civil pouvait être pris comme prénom d’usage (article 57 du Code civil), et que la demande n’était pas recevable.
Depuis le 19 mai, ce n’est plus le cas. Jean, François, Dupont peut demander au Juge aux affaires familiales à ce que son identité civile devienne François, Jean, Dupont. Mais cette information n’a pas encore été largement diffusée : à en croire google, seuls les sites proposant le Code civil électronique parlent de cette “modification de l’ordre”.

Le Parisien dentelé : un objet obscène vers 1890

Maxence Rodemacq est l’auteur d’un mémoire de master d’histoire intitulé L’industrie de l’obscénité. Commerce pornographique et culture de masse à Paris (1855 – 1930), réalisé sous la direction de Dominique Kalifa en 2010. Son travail s’inscrit dans une série de travaux récents en histoire de la sexualité. Pour dire bref, il se concentre sur le marché de la pornographie alors que les études un peu plus anciennes, celles d’Alain Corbin ou celle d’Annie Stora-Lamarre s’intéressaient aux formes culturelles ou s’intéressaient à la pornographie « dans le cadre de la censure politique ou encore celui de la “morale anticléricale” ». Mais à la fin du XIXe siècle, la pornographie se détache de tout discours politique pour viser autre chose.
A partir de sources policières et judiciaires, combinées à des textes publiés (notamment dans la presse de l’époque), Rodemacq donne à voir comment le marché s’organisait avant 1930. Les sources policières posent des problèmes bien analysés : pour les policiers aussi, l’outrage aux bonnes moeurs est un délit commercial, et ils s’intéressent plus aux vendeurs qu’aux clients. Le client intéressant, c’est « l’ “acheteur” qui achète pour revendre ensuite – par exemple le “commis acheteur” ». Les autres n’apportent pas grand chose au dossier policier.
Mais les sources policières ont de réels intérêts pour la recherche : elles conservent des documents qui ont disparu et qui donnent une idée de l’étendue de ce qui est alors considéré comme “obscène”. Des publicités et des catalogues notamment, qui donnent une idée des prix au détail. Une entreprise de “caoutchouc dilaté”, la Maison A. Claverie, propose ainsi, à la fin du XIXe siècle, divers préservatifs :

Le “Parisien” peut “servir plusieurs fois” : il “est en caoutchouc dilaté de qualité tout à fait supérieure [et] possède à son extrémité une petite poche ou ampoule qui sert à recevoir la semence de l’homme. Ce qui fait que le visiteur n’est pas gêné dans son fonctionnement au moment psychologique. On s’en sert comem du préservatif ordinaire, en le déroulant sur le visiteur“.
Le “Parisien dentelé […] a en plus un anneau dentelé soudé au bas de l’ampoule. De sorte qu’en étant très commode pour l’homme, il procure un plus grand plaisir à la femme”.
Le caoutchouc est devenu la matière centrale de l’obscénité par “objets” : il permet aussi la fabrication de godemichés (il suffit d’un moule, permettant la fabrication en série). Ces derniers deviennent, à un moment précis de l’histoire, des objets nécessaires aux mises en scènes photographiques : aux débuts de la photographie, le temps de pause est trop long pour que les modèles hommes puissent conserver leur érection.

Le mémoire de Maxence Rodemacq est consultable au Centre d’histoire du XIXe siècle à l’université Paris I.

Toilettes universitaires

Voici une photo prise une semaine après une demande explicite de nettoyage faite, comme il se doit, “par intranet”.

Donc, puisque “intranet” ne donne, dans une certaine université parisienne, aucune satisfaction, peut-être que “internet” aura plus de succès : après tout, il y va de la réputation de l’université. Il s’agit des toilettes du rez de chaussée du bâtiment B2, qui sont dans cet état depuis plus d’une dizaine de jours maintenant.
Et puisque j’y suis, et que là aussi des signalements ont été faits “par intranet”, sans succès. La porte de la salle B134 est sortie de ses gonds depuis janvier dernier. Plus de six mois n’ont pas suffit pour que les services chargés de l’entretien, de la serrurerie ou de la logistique arrivent à la réparer. (Ma dernière vérification date de mardi).

[Mise à jour : On m’annonce en commentaire que l’intervention-toilette a été réalisée hier. J’irai faire une photo rapidement. Rien, en revanche, concernant la réparation de la porte de la B134.]

Au jury

Après quatre ans de participation au jury d’entrée à l’Ecole normale supérieure, j’ai participé à mes dernières délibérations. La proclamation des résultats a eu lieu il y a quelques heures et la liste des admis est ici.
Je ne vais pas ici faire un rapport sur les épreuves (c’est en cours de rédaction avec mon collègue, Charles Soulié). Il me semble que les candidates, pour ce qui est de l’épreuve de sociologie, sont techniquement mieux préparés maintenant qu’à mon époque (certaines candidates font des exposés que j’aurais eu du mal à faire à leur âge).
Je savais, par divers indices, que mon blog était lu par les préparationnaires. Sur un forum, on pouvait lire cette année un message d’un certain “philradjesh bis” :

Par exemple, en sociologie, un membre de l’an dernier( et peut-être de cette année) publie un repère ‘ sociologie des prénoms’ in extremis le 9 juin, dix jours avant les épreuves. Si j’ai un peu de temps, j’essaierai de le feuilleter, et au pire j’ai lu son blog où il parle de ce thème.
source

Le « in extremis » m’a fait sourire, et je trouve le reste étonnant. Mais finalement pas très surprenant. En 1994-1995, quand j’ai passé le concours, si les professeurs nous disaient qu’untel était au jury, il était très compliqué d’en savoir plus que cela. Aujourd’hui, la composition du jury est en ligne, les articles des membres du jury le sont aussi pour partie (et certains ont même des blogs). Les candidats se rassurent peut-être en essayant de cerner les centres d’intérêt des membres du jury. Sachant cela j’ai souvent évité de mentionner, sur le blog, certains articles au moment de leur publication, dans l’hypothèse où ils pourraient me servir dans le cadre de l’épreuve “sur dossier” [annales 2010].
Cette “veille”, de la part des candidats, se double d’une surveillance au moment des oraux : nos questions habituelles sont notées et, à ce qu’il paraît, circulent ensuite par mail. J’aimerais beaucoup lire un de ces “compte rendu d’oral”.