Categories

Archives

Les billets de September, 2011 (ordre chronologique)

Carrières de députés

Il s’agit ici d’explorer un peu qui sont nos députés (et il s’agit de le faire aujourd’hui en accompagnement du congrès de l’AFSP). J’ai proposé à une collègue, Catherine Achin (qui avait commencé à le faire), de récupérer, sur le site de l’Assemblée nationale, des informations biographiques sur les 577 députés. Le site de l’A.N. est suffisamment bien fait pour que, avec le package XML, on puisse demander à R d’aspirer tout seul certaines informations. (Encore merci à François Guillem d’avoir mis en ligne son tutoriel et répondu à mes questions).
Professeure Achin ne s’intéressait pas seulement aux caractéristiques actuelles des députés, mais à leur carrière. Comment sont-ils arrivés où ils en sont aujourd’hui ? Car l’on devient député à un âge fort avancé : l’âge à la première élection réussie est de 46 ans en moyenne. Ils ont du faire autre chose avant, mais quoi donc ?
Plus de 95% des députés au moment de leur élection, avaient déjà été détenteurs d’un mandat local : ce sont visiblement des professionnels de la politique. Les 5% restants, qui n’indiquent pas, sur le site de l’assemblée nationale, avoir déjà été élus, sont en partie des petits cachottiers, comme Edwige Antier (élue dès 1977 en Nouvelle Calédonie, puis en 2001 à Paris). Dans les paragraphes qui suivent, je n’étudie pas le cumul des mandats, mais la présence, ou non, avant dans la carrière, d’autres mandats (qui sont peut-être terminés).

Voici les séquences de carrière les plus fréquentes
C-M-G-D (d’abord conseiller municipal, puis maire, puis conseiller général, puis député) : 58 députés
C-D : de conseiller municipal à député : 49 députés
C-M-D de conseiller municipal à maire, à député : 43 députés

Toutes les carrières ne se terminent pas par “D” (Députés), certains se lançant aussi dans des carrières locales après la députation. R, ici, signifie membre d’un conseil régional.

Ne se trouvent, dessous, que les successions de mandats les plus fréquentes, car avec les permutations possibles G-D-R-M et autres… il y a une centaine de séquences possibles

C-M-G-D	58
C-D     49
C-M-D   43
D       29
C-G-D	26
C-G-M-D	22
C-R-D	22
G-C-M-D	20
C-M-R-D	19
G-C-D	14
C-M-G-R-D 12
R-D	12
C-D-M	11
D-C-M	9
D-R	8

… etc…

Voici une autre représentation. Les députés (chaque ligne correspond à un°e député°e) sont classés en fonction de l’année de leur premier mandat électif. Nous n’étudions ici que les mandats municipaux (conseillers, ici M, et maires, ici MA). Les carrières “toutes vertes” (uniquement député) sont rares : ceux qui commencent députés acquièrent rapidement un mandat municipal. Un député, ici, finit “bleu” ou “marron” (il a, à un moment de sa carrière, un mandat municipal), et commence “jaune” ou “rouge” (conseiller municipal ou maire).

Une conclusion ? La carrière locale est toujours bien intéressante. Et les députés hostiles au cumul des mandats, quand un mandat local s’ouvre à eux, ne résistent pas souvent.

L’idée que j’avais au départ, avec toutes ces données, était de faire de l'”analyse de séquence” (pour en savoir encore plus il existe cet article par Laurent Lesnard et Thibaut de Saint Pol, Introduction aux méthodes d’appariement optimal (Optimal Matching Analysis). J’ai d’ailleurs utilisé, avec R, le package TraMineR. Mais cela n’a d’intérêt que pour un connaisseur de la vie politique française et, surtout, les données “brutes” extraites directement du site de l’A.N. nécessitent un nettoyage. Je reviendrai peut-être sur ces données un jour. [d’ici là, les voici deputes-20110831.zip]

Travail de députés

Avec qui travaillent nos députés ? Restent-ils entre membres du même parti ou vont-ils voir ailleurs ? Parce que le congrès de l’AFSP se termine, voici une deuxième petite excursion dans le monde politique. Pour répondre à la question précédente, on peut prendre comme indicateur d’un travail en commun la liste des “sponsors” des propositions de loi. On dira ici que travaillent ensemble des députés dont les noms apparaissent sur un même projet de loi.

Ainsi la proposition de loi 3698 visant à pénaliser les insultes à la nation a-t-elle été signée de ces noms-là :

Lionnel LUCA, Élie ABOUD, Philippe MEUNIER, Damien MESLOT, Claude BODIN, Claude GATIGNOL, Jean-Philippe MAURER, Christian MÉNARD, Jean-Pierre DECOOL, Bérengère POLETTI, Muriel MARLAND-MILITELLO, Jean-Marc ROUBAUD, Yves NICOLIN, Isabelle VASSEUR, Gérard HAMEL, Bernard DEPIERRE, Dominique DORD, Guy MALHERBE, Alain MOYNE-BRESSAND, Michel ZUMKELLER, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Marie SERMIER, Bernard REYNÈS, Michel LEJEUNE, Jean-Claude BOUCHET, Guy LEFRAND, Michel VOISIN, Éric DIARD, Michel TERROT, André WOJCIECHOWSKI, Jacques MYARD, Édouard COURTIAL, Daniel MACH, Marc FRANCINA, Josette PONS, François-Michel GONNOT, Jean-Michel FERRAND, Jean-Pierre GORGES, Jean-Pierre SCHOSTECK, Daniel SPAGNOU, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL, Jacques REMILLER, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Franck GILARD, Hervé NOVELLI et Patrick LABAUNE,

On peut penser que ces gens-là partagent certaines idées.

J’ai examiné les 250 dernières propositions de loi. Dans le graphique suivant, chaque député est représenté par un petit rond, et quand 2 députés apparaissent signataires d’une même proposition, un lien gris les relie.

La répartition des points (plus les députés sont fréquemment ensemble sur des propositions de loi, plus ils sont proches) fait apparaître trois groupes. Que l’on peut faire ressortir automatiquement (avec la fonction walktrap.community du package igraph, dans R)

Dans le graphique précédent, les Oranges sont un groupe comprenant les noms suivants : Brard, Buffet, Dolez, Billard, Braouezec, Amiable, Gosnat… Les spécialistes auront reconnus.
Les Bleus ce sont les proches de Montebourg, Mamère, Emmanuelli, Le Guen, Blisko, Filipetti, Queyranne, Cambadelis.
Les Prunes, ce sont les Poniatowski, Santini, Antier, de Courson, Jégo et autres Woerth.

Le travail de signature de proposition de loi, assez souvent, relie ensemble des personnes du même parti. Je ne comprends pas trop pourquoi les Communistes ne se retrouvent pas plus proches des Socialistes/Verts. C’est peut-être du à un effet de sélection (les 250 dernières propositions de loi).

Il y a quelques individus étranges, situés “in between” plusieurs groupes. On peut calculer cette “betweeness”, cette “centralité d’intermédiarité” : dans le graphique suivant, les individus les plus “intermédiaires” sont en bleu (et j’ai mis le nom de certains à côté de leurs points) :

Et là, j’avoue ma perplexité : je ne connais pas ces députés. J’ai entendu parler de Gremetz (qui s’est fait exclure ou s’est auto-exclu, je ne sais plus trop). Braouezec est probablement un communiste réformateur (encore plus réformateur que les autres). Martine Billard est peut-être en voie de “socialistisation”. Il faudrait un/une spécialiste de la politique parlementaire pour m’en dire plus… ou alors, il faudrait vraiment travailler sur ces données réticulaires, et plus précisément sur l’ensemble des propositions de loi d’une mandature plutôt que sur les 250 dernières.

Notes : cette petite étude graphique a été réalisée avec R, packages XML et igraph.

Mise à jour : on me demande en commentaire si l’on repère des proximités entre groupes politiques plus précises. Dans le graphe ci-dessous, chaque point est colorié en fonction du groupe d’appartenance du (de la) député(e). Rose et rouge : socialistes et “gauche républicaine”, les bleus : UMP et apparentés, orange et jaune : “nouveau centre” et apparentés…, les blancs sont “sans groupe politique”…

Deuxième mise à jour : voici ce qu’une étude sur les 1000 dernières propositions de vote donne.

Il est toujours trompeur de se baser sur une représentation graphique pour interpréter… mais je pense pouvoir déceler, ici, des “sous-groupes” au sein des gros groupes politiques. Et notamment au sein des groupes “UMP” et socialistes. Le “centre” n’existe pas dans l’assemblée actuelle, mais il y a de la part de certains à droite et de certains à gauche un plus grand détachement du bloc que leur parti constitue. Ce n’est probablement pas un “centre” que ces deux sous-groupes, mais plutôt des députés proposant de nombreuses lois, ou signant de nombreuses propositions. A droite, on y trouve Yvan Lachaud, JM Morisset, A. Grosskost, C. Gatignol, mais aussi Lionnel Luca (voir tout en haut du billet), JP Decool, Morel-à-l’huissier, Roatta, JM Lefranc, etc… et à gauche, on y trouve Guigou, M. Rogemont, J. Giraud, Martine Carillon-Couvreur, François Loncle, Monique ibora, michel vergnier, JP Dulau, Philippe Plisson, françois Imbert…
Je pense que seuls des spécialistes du parlement pourront donner une autre explication à l’existence de ces sous-groupes.

Encore une mise à jour : J’ai restreint les liens, ici, aux liens entre le dépositaire de la proposition de loi (le premier nom qui apparaît sur les listes) et les personnes qu’il a réussi à mobiliser. On peut en effet penser qu’une proposition de loi a une origine individuelle. Le graphe ci-dessous ne s’intéresse qu’à celles et ceux qui 1- ont déposé plusieurs projets de loi ET 2- dont le nom est apparu sur plusieurs projets de loi. J’ai fait s’afficher les noms des député-e-s qui sont recherchés et recherchent des signatures du camp opposé.
[Dans ce graphe, ce sont des députés de gauche qui apparaissent, car les députés de droite, par l’algorithme de placement des points, déposent tellement de propositions de loi qu’ils n’échappent pas à la gravité du groupe].

Il s’établit, au fur et à mesure de la mandature, des liens réciproques : tu signes, je signe… Ainsi, Gremetz appelle 9 fois Candelier à signer, et Candelier appelle 17 fois Gremetz.

maxime gremetz    jean-jacques candelier  9      17
jean-pierre decool pierre morel-a-l-huissier  8      14
jean-jacques candelier            maxime gremetz 17       9
yannick favennec pierre morel-a-l-huissier  9       9
jean-pierre decool       andre wojciechowski  7       8
...

Certains, qui proposent beaucoup de lois, demandent beaucoup plus de signatures qu’ils ne sont appelés à signer.

Encore une mise à jour : J’ai maintenant limité les données aux liens réciproques. N’ont été gardés que les députés formant couple (c’est à dire ayant signé une proposition de loi d’un collègue qu’ils avaient sollicité pour une signature).


Sur ce dessin, les noms qui apparaissent sont ceux des “cutpoints” (ou points d’articulation), qui, s’ils étaient absents, découperaient le réseaux en composantes non reliées. Ce graphe renforce encore l’effet de groupe (de groupe politique) qui semble être le canevas sur lequel se tissent les relations de travail.

Des réseaux de prénoms

Les prénoms indiquent indirectement et grossièrement l’âge (un Téo est probablement plus jeune qu’un Maurice), le sexe (un Léa est très probablement une Léa), mais aussi l’origine nationale ou régionale d’une partie des ancêtres du porteur (une Samira n’a pas les mêmes parents qu’une Nolwenn).
Parce qu’il existe des entrepreneurs identitaires, intéressés par la stabilisation de formes culturelles, l’on trouve des dictionnaires de prénoms, arabes, occitans, turcs ou bretons. Mais toutes les formes culturelles n’ont pas leurs entrepreneurs. Comment “mettre ensemble” des prénoms qui ont toutes chances d’aller ensemble ?
Un article récent de Pablo Mateos et alii, publié dans PLoS One (Ethnicity and Population Structure in Personal Naming Networks), expose une méthode, qui s’appuie sur le fait qu’aux prénoms sont associés des noms de famille : Nolwenn est plus probablement une Le Kergourvehnec’h qu’une Aattabah. Et les Aattabah ont peut-être pour prénom Samira, Yanis et Inès.
En disposant d’une très grande liste d’individus, il est possible de recomposer des relations de proximité qu’entretiennent les prénoms (et les noms de famille). On peut résumer graphiquement cela ainsi (graphique issu de l’article cité plus haut) :

Le premier graphique représente un réseau “bimodal”, les deux suivants (B et C) les deux réseaux unimodaux que l’on peut déduire du premier, si l’on se concentre sur les noms de famille (B) ou les prénoms (C). Les auteurs de l’article exposent l’intérêt de cette méthode (et certaines des opérations nécessaires pour repérer les relations significatives entre prénoms).
Disposant d’une liste nominative de plus de 400000 bacheliers, j’ai appliqué une partie des recettes, et cela donne des choses plus ou moins intéressantes.
 
Graphe (illisible)

 
Extrait 1 : au coeur de la composante principale

 
Extrait 2 : une composante “ethnique”

 
Extrait 3 : une autre composante “ethnique”

 
Cette méthode peut se comprendre comme une méthode de classification automatique : l’on part d’une liste de “Jean Dupont” et l’on aboutit à mettre en évidence des groupes de prénoms qui sont indirectement liés entre eux (par le nom de famille).
Et cette classification combine ici deux choses : d’un côté le choix des parents pour un prénom (choix qui exprime tout une série d’éléments, principalement le goût pour telle ou telle sonorité, mais aussi des attachements identitaires); de l’autre une forme héritée (on ne choisit pas son nom de famille, très souvent encore le nom de famille de son père).

Quartier d’artistes anonymes, suite

J’habite un quartier d’artistes anonymes, qui n’ont peut-être pas assez d’argent pour s’acheter des toiles. Elles dessinent donc sur les murs. Dans d’autres quartiers, ce sont des spermatozoïdes qui avaient envahi l’espace public. Ils ne sont pas arrivés jusqu’ici, peut-être effrayés par le Angry Cupcake qui attend à côté de l’arrêt du bus 60.
Un groupe anonyme colle des poissons, des mollusques et des cnidaires dans la rue de la Villette. Ils étaient probablement plusieurs, car de grands murs ont été couverts de petits poissons.

Mais l’artiste la plus persistante est sans doute l’auteure des graffitis au pochoir que vous trouverez ci-dessous. Persistante, car elle en produit de nouveaux presque chaque semaine. [Voir aussi ici]. Un message semble se dessiner au fur et à mesure que les pochoirs s’accumulent.
Quel message ? Elle cite le Rimbaud du Bal des pendus, elle a donc des lettres, même si Mallarmé eût été de meilleur goût. Rimbaud, c’est sans doute pour le côté rrrrrebelle. Ou alors la citation est un clin d’oeil : “Hop, qu’on ne sache plus si c’est bataille ou danse”, qu’on ne sache plus si les revendications sont sérieuses ou malicieuses.

Le thème central semble être l’autonomie sexuelle. Ni Dieu ni mec d’un côté. Un mec dans mon pieu, pas dans ma peau, de l’autre. L’un des graffitus (graffitum ?) a d’ailleurs été commenté par un homme (mâle) signifiant, assez violemment, son opposition, message qui a, en retour, été biffé par l’auteure [non photographié].

L’autonomie sexuelle s’affirme aussi dans un langage cru et direct : on croirait lire du Marie-Hélène Bourcier ou du Beatriz Preciado. “Il pleut, elles mouillent, faudrait pas que ça rouille”, “14 juillet dans ta chatte” ou “Hiroshima dans ta [image de Felis silvestris catus]”

A cela s’ajoute des messages inspirés peut-être du “développement personnel” ou d’une forme de “coaching”. Il s’agit ici d’exprimer son bonheur (“Parfois, je suis tellement heureuse que je pourrai mourir sur le champ”, “Love you” ou “You make me dance” — on sait donc que c’est danse, et non pas bataille), ou de donner des conseils face à une rupture amoureuse (“Prends de la hauteur”).

Est-elle végétarienne ? Un poulet d’élevage, mort, nous signifie “J’ai fait de la batterie”. Ou alors, peut-être bien, n’apprécie-t-elle pas les batteurs (leur préférant les bassistes ?).

Récemment, un (une?) nouvel-le artiste oooh-tellement-subversif a fait son apparition. J.G. colle des affiches représentant un sexe féminin, avec le message suivant “Regardez-moi dans les yeux” (lien vers une photo de l’affiche : Cliquez (NSFW)). J’avoue ne pas encore comprendre le message (qui reprend un slogan publicitaire) ni l’affiche (qui ressemble à une vieille publicité Benetton). L’auteur, à la différence des artistes anonymes du quartier, appose des initiales à son oeuvre. La démarche est peut-être différente.

Elections au conseil national des universités (CNU). Pourquoi je me présente.

Si vous êtes membre du corps électoral du CNU, section 19, alors vous devez avoir reçu votre matériel de vote. Deux listes se présentent, et, pour les “rangs B”, je suis sur la liste suivante : Liste ouverte et de reconstruction, dont la tête de liste est Sylvain Laurens, de l’Université de Limoges.
Le ministère a préféré ne pas envoyer les professions de foi ou “exposé des motifs”. On peut les trouver, difficilement, sur le site “galaxie” ou sur le blog de la liste.
Sur “Galaxie”, vous trouverez les “fiches biographiques” des candidates et candidats.
Ici, je vais préciser les raisons de ma candidature personnelle.
Depuis plus de deux ans, la 19e section (sociologie et démographie) est en crise profonde, en partie parce que ses membres se sont autopromus : devant décider de l’avancement de carrière des collègues, ils ont, dans des proportions jamais vues, décidé d’avancer leur carrière. Les péripéties ont été décrites avec précisions sur le blog Agora, (voir aussi ici). Si tout avait fonctionné normalement, je serai sans doute resté à côté de ces élections. Mais j’ai souhaité participer à une liste soutenue à la fois par les associations de la sociologie française, AFS et ASES, et les syndicats (SNESUP et SGEN). L’exposé des motifs de cette liste revendique explicitement le refus des autopromotions.
Vous allez donc voter pour une liste, et pas pour un individu en particulier, et mon nom, de toute façon ne vous dit probablement rien. Mon nom, non, mais le “wiki audition”, si vous êtes sociologue universitaire, vous dit probablement quelque chose. Dans ma “fiche biographique”, à la rubrique “activités professionnelles”, j’indique ainsi : « Création, en 2007, du “wiki auditions“, suivi du processus de recrutement des maîtres de conférences en sociologie-démographie. » Si vous avez été recruté au cours des 5 dernières années, vous avez probablement perçu combien cet outil était utile : en donnant, à l’avance la date des auditions, en indiquant la composition des comités et la liste des personnes classées. Il y a encore quelques réticences à rendre ces informations publiques, et je pense que la section 19 du CNU peut avoir un rôle incitatif et soutenir le travail que fait désormais l’ASES et Matthieu Hély. J’essaierai en tout cas de convaincre mes collègues, si je suis élu.
Une chose à laquelle je m’engage, en tout cas, c’est de mettre à jour le site de la section 19 du CNU. Certaines pages, contenant des informations inexistantes, n’ont pas été mises à jour depuis 2008. Alors que cette instance va devenir, très rapidement, l’instance d’évaluation individuelle de l’ensemble des sociologues universitaires, il devient crucial de faire en sorte que l’on sache ce qui s’y passe.

Des prénoms à la mode en Turquie ?

Par Elifsu Sabuncu (https://penserclasser.wordpress.com/) et Baptiste Coulmont
 

L’INSEE turc [Turkish Statistical Institute] met à disposition deux fichiers donnant le rang des 100 premiers prénoms, depuis 19501.

La belle longévité de certains prénoms, la mort d’autres

Certains prénoms connaissent une belle longévité : Zeynep, prénom féminin, est dans le “top 10” de 1950 à 2010; Mehmet, prénom masculin, est presque constamment le prénom le plus donné. On le voit assez facilement dans le graphique suivant, qui donne le rang de quatre prénoms masculins et quatre prénoms féminins depuis 1950 en Turquie.

Mais cette image de grande stabilité est trompeuse. On voit déjà que Elif, prénom féminin, connaît un succès grandissant, et que Hasan, prénom classique, a tendance être de moins en moins donné (relativement aux autres).

Et l’on pourrait tout aussi bien, comme nous le faisons dans le graphique suivant, insister sur les abandons. Certains prénoms, très populaires dans les années 1950, quittent le palmarès, abandonnés par les parents, qui ne nomment plus leur fille, ni leur garçon, ainsi.

Ainsi Serife disparaît du “top 100” avant 2000, et Bayram, prénom masculin, un peu après 2000. Visiblement, tous les grands-pères et toutes les grands-mères n’arrivent pas à transmettre leurs prénoms. En Turquie comme en France, les prénoms des vieux ne sont plus toujours les prénoms des plus jeunes.

Sous la stabilité, de nombreux mouvements

Les abandons (c’est à dire des prénoms qui passent sous la barre du 100e rang) sont très fréquents. Pour les filles : seuls 12 prénoms dans le “top 100” de 1950 sont encore présents dans le “top 100” en 2010 : Zeynep, Elif, Zehra, Fatma, Meryem, Ayşe, Medine, Hatice, Rabia, Emine, Melek, Esma. Les 88 autres prénoms de 2010 sont des prénoms “neufs” (ou peut-être, comme en France, d’anciens prénoms revenus au goût du jour2). Il en va de même pour les garçons, même si les changements sont un peu moins rapides (En 2010, il reste encore 29 prénoms présents en 1950, Yusuf, Mustafa, Mehmet, Ahmet, Ömer, Ali, Ibrahim, Hüseyin, Hasan, Ismail, Hamza, Abdullah, Ramazan, Murat, Mehmet-Ali, Salih, Yakup, Osman, Kadir, Bilal, Halil, Mehmet-Emin, Abdülkadir, Halil-Ibrahim, Süleyman, Musa, Adem, Mahmut et Isa).
Cette première différence entre garçons et filles est importante : en Turquie, tout comme dans les autres pays européens pour lesquels l’on dispose de données, les prénoms des filles se renouvellent plus vite que les prénoms des garçons. Les parents turcs en Turquie, aussi bien que ceux nés en Turquie mais immigrés en Allemagne ou en France, se permettent de donner aux filles des prénoms ayant une “carrière culturelle” plus courte que celle des prénoms masculins. Il y a plus d’inertie associée aux prénoms donnés aux garçons.

Si des prénoms disparaissent, il faut bien que d’autres les remplacent. Et ils ne sont pas remplacés par des prénoms aussi “classiques”. Les Turcs ont bien l’équivalent de nos “Martine” (1950-1960), “Aurélie” (1980-1990) ou “Manon” (1990-2000), prénoms générationnels qui connaissent un engouement très rapidement suivi par un désintérêt.

Le graphique montre bien le succès éphémère de quelques prénoms : Tuǧba pour les filles, ou Emrah pour les garçons ne restent pas longtemps au sommet du classement. Un prénom comme Sıla semble arriver de nulle part et disparaître aussi vite : il semble lié à la diffusion d’une série de télévision du même titre, dans lequelle une pauvre fille est recueillie par une famille riche d’Istanbul (vidéo ici)

Certains prénoms, qui se trouvent dans le “top 10″en 2009, n’ont que quelques années de popularité réelle : Ecrin (qui viendrait de l’arabe, et qui se prononce “edjrine”), Irem, Merve, Yaǧmur, Eylül et Nisanur pour les filles, Yiǧit ou Arda pour les garçons.

De la mode, donc !

Le cas turc est intéressant. L’étude des variations temporelles de la popularité des prénoms s’est appuyée sur les exemples de pays comme les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas… pour lesquels un état civil ancien permettait de repérer des phénomènes de mode. Rares sont les travaux à avoir essayé d’observer les mêmes phénomènes dans des pays, disons “extérieurs au G7”.
Dans les études portant sur les conséquences de la migration sur le choix des prénoms, il est parfois écrit que les prénoms des immigrés et de leurs enfants sont “traditionnels”, comme si, dans “leurs pays”, il n’y avait que “tradition”.

This corresponds to the results of Lieberson (2000), and Sue and Telles (2007), who have reported a higher use of more traditional (ethnic) first names for boys than for girls in Mexican-American families. This gender difference in naming is not easy to interpret. One possibility is that parents want traditions to be continued primarily by their male offspring.
Becker, B. [2009], Immigrants’ emotional identification with the host society. Ethnicities, 9[2], p.200-225.

Oftentimes, ethnic groups voluntarily give up their traditional first names and adopt names of the dominant ethnic group without state in- tervention.
Gerhards, J. & Hans, S. [2009], From Hasan to Herbert: Name-Giving Patterns of Immigrant Parents between acculturation and Ethnic Maintenance. American Journal of Sociology, 114[4], p.1102-1128.

De ce fait, il est implicitement sous-entendu que les pays à majorité musulmane (ou, plus largement, les pays d’émigration) auraient des “prénoms traditionnels” (Ali, Mohamed, Fatima…), qui, en plus, seraient hérités de (grand-)père à (petit-)fils. Ces pays ne connaîtraient pas la mode… et le fait de porter des prénoms ressemblant à des prénoms “musulmans” serait une preuve d’attachement à des “traditions”.

De rares travaux ont montré que ce n’était pas le cas, la mode n’est pas une spécificité occidentale. Et l’on peut, en cherchant bien, disposer maintenant de données statistiques au niveau national, qui le prouvent.

Peut-on repérer autre chose ?

Accessoirement, les données turques permettent d’autres interprétations. Par exemple, le succès récent de Muhammed (que l’on voit dans le graphique précédent), semble remplacer Mehmet. Si l’on fait l’hypothèse que Mehmet, forme turquisée de “Mohamed”, pouvait être lié au nationalisme des parents (préférant des prénoms “turcs” pour leurs enfants), alors on peut supposer que Muhammed est donné par des parents plus islamistes que nationalistes (ou trouvant désuet le recours à une forme éloignée de l’arabe).

Un premier classement des prénoms origine etymologique (“arabe”, “turc”, “persan”…) donne des résultats incertains (ci-dessous, pour les prénoms des filles). Les prénoms “turcs” (en bleu) ont tendance à être de moins en moins nombreux dans le “top 100”, alors que les prénoms “arabes” se maintiennent. Apparaît très visible, en revanche, l’augmentation du nombre de prénoms “difficiles à classer”, prénoms neufs ou sans ancrage.

Sources et bibliographie
Données turques :
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1331 #filles
et
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1332 #garçons

Aslan, S. [2009], Incoherent State: The Controversy over Kurdish Naming. European Journal of Turkish Studies, [10]. Available at: http://ejts.revues.org/index4142.html [Consulté août 16, 2011].
Bulliet, R.W. [1978], First Names and Political Change in Modern Turkey. International Journal of Middle East Studies, 9[4], p.489-495.
Borrmans, M. [1968], Prénoms arabes et changement social en Tunisie. IBLA, revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes, 121, p.97-112.

Notes
1 Ces données ne représentent pas directement les naissances, mais les personnes nées une année donnée, et encore vivantes vers 2009. Nous allons faire ici comme si ces données étaient assez fidèles aux naissances.
2 Mais pour le savoir, il faudrait disposer de données remontant aux siècles précédents. Les spécialistes d’histoire turque nous renseigneront en commentaire.

Des prénoms… multisupports

1- Sociologie des prénoms est maintenant disponible sur le portail “Cairn” (en version PDF, à 3 euros le chapitre. Étrangement, le livre n’est disponible qu’à la découpe, pas en bloc).
 
2- Autre “multisupport” : le billet sur les prénoms turcs et la mode [PDF] est maintenant disponible sur HAL-SHS. Le site “coulmont.com” est en effet censuré dans les universités de Turquie dont les filtres font un peu de surchauffe.
 
Note : Le filtrage, j’appelle ça la silençure, la censure silencieuse, privée, démultipliée, ramifiée, celle dont on s’aperçoit rarement.
Depuis plusieurs années, l’accès à ce site (coulmont.com) est interdit à de nombreux internautes. Collégiens, lycéennes, voire même universitaires.
Il est probable que l’URL fait partie d’une liste de sites interdits… de laquelle il est impossible de sortir. La belle ville de Bruges offre ainsi un wifi gratuit dans tout son centre ville, mais ce wifi gratuit restreint l’accès à certains sites (heureusement, pas à sexactu.com).

Le prix lycéen du livre d’économie et de sciences sociales

Oh, voici Sociologie des prénoms sélectionné pour participer au Prix lycéen du livre de SES. Quelles sont ses chances d’emporter le prix ? De très sérieux concurrents sont aussi dans la sélection.
À ma gauche mon collègue du département de socio de Paris 8, Nicolas Jounin — et alii avec « On bosse ici, on reste ici ». La Grève des sans-papiers : une aventure inédite. À ma droite, mon ancien “co-jury” du concours d’entrée à l’ENS, Coulangeon, avec Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui.

Mais aussi du Pialoux & Corouge Résister à la chaine. Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue, du Gojard (Le métier de mère) et un livre intriguant que je devrais lire, Sandrine Rousseau, François-Xavier Devetter, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité.
Beau programme de lecture en perspective.

L’appropriation du monopole de l’évaluation

Les réformes qui ont touché le monde de l’enseignement supérieur ont conduit à une évaluationite aigüe. Différents organismes ont été créés, ou ont été réformés, pour évaluer le travail des universitaires.
Maintenant l’AERES, une agence d’évaluation, est chargée d’évaluer les procédures d’évaluation. Exactement : c’est de la méta-évaluation. Voici un extrait de la lettre envoyée récemment par la direction de l’AERES aux présidences des universités :

Pour éviter le ridicule, l’AERES ne parle pas d’une évaluation-au-carré (e²), mais d’une “validation des procédures d’évaluation des personnels”.
« Pas si vite, coco ! » a répondu l’autre instance d’évaluation, le Conseil national des universités.

Commencez-donc par évaluer la façon d’évaluer les procédures d’évaluation (e³), répond le CNU à l’AERES. Faites du e³ avant d’essayer de faire du e², voyons.