La défrancisation
Il est possible de franciser ses prénoms et son nom de famille en acquérant la nationalité française. C’est une procédure à la signification ambigüe : d’un côté elle permet à des citoyens de ne plus être perçus — à distance — comme des étrangers; de l’autre elle manifeste une sorte de “nationalisme onomastique” [on appelle “onomastique” la science des noms propres]. Dans les faits aussi, une certaine ambigüité demeure : c’est une procédure facultative… mais c’est la première question qui apparaît sur le formulaire de naturalisation.
Parfois, la francisation passe mal. Le nouveau nom, ou le nouveau prénom, n’est pas utilisé car il apparaît trop étranger à soi-même. Ou alors plusieurs “nationalismes onomastiques” entrent en conflit.
Je suis d’origine marocaine et j’ai changé mon nom suite à ma naturalisation fin 2005, donc j’ai traduit mon nom de naissance (proposition faite par le ministère des affaires étrangères), ce qui a donné le nom Castel, un nom tout à fait noble et joli.
Au fur à mesure, je rencontre des soucis à la fois en France et au Maroc et qui deviennent très lourds à gérer. En France, on me pose la question « êtes-vous mariée » et on me regarde de travers quand je dis non!. Etant une personne très réservée, je n’aime pas parler de ma vie privée, mais ce nom suscite la curiosité des gens qui n’arrêtent pas de me poser des questions. Même en cas de contrôle de routine par la police, je me retrouve gênée par leurs questions.
Au Maroc, le nom Castel est refusé par les autorités marocaines à partir du moment où vous êtes au Maroc, aucune possibilité d’acceptation d’un nom français. Donc à l’aéroport je me fais toujours embêter parce qu’on me demande la carte d’identité marocaine et non la française. Le consulat du Maroc ici a refusé également ce nom et on me traite d’avoir renié mon pays natal.
Il est vrai qu’au moment où j’ai changé de nom, je n’ai pas réfléchi aux conséquences et que cela allait me rendre malade. Je pensais que mon nom natal allait disparaître sur les papiers, mais je me suis rendue compte que ce nom est mentionnée sur mon acte de naissance. Aujourd’hui je suis au bord de la dépression à cause de ce double patronyme et cela fait 6 ans que je vis avec ça, je ne supporte plus cette situation et j’aimerais savoir si c’est possible en France de récupérer mon nom de naissance tout simplement pour retrouver la paix et la sérenité.
Ce texte (reçu par mail) est touchant : en changeant de nom de famille, Mme Castel se retrouve sous le soupçon de fausse identité en France (son corps ne ressemble pas à son identité de papier) ou de reniement au Maroc (où changer d’identité civile au profit de l’ancienne puissance coloniale semble mal perçu). Parce que ces deux pays associent, à des degrés divers, le nom à l’appartenance nationale, les individus se trouvent au coeurs de conflits qui leur échappent.
Si madame Castel avait francisé son prénom, par exemple de Samia en Virginie, il lui aurait été possible de dé-franciser son prénom en montrant que seul Samia a, depuis sa naturalisation, été utilisé, et qu’un double état-civil pose problème dans la vie quotidienne.
Mais la dé-francisation du nom de famille n’est pas possible : le “Service du Sceau au ministère de la justice”, qui s’occupe de ces changements de noms de famille, a développé une jurisprudence très restrictive qui interdit de prendre un “nom étranger”. Certains descendants de migrants d’Europe de l’Est, souvent juifs, qui avaient pris, après 1945, des noms de famille “francisés” cherchent aujourd’hui à reprendre ces noms d’origine. Un collectif, la force du nom, s’est constitué au cours des dernières années. Un DVD, “Et leur nom, ils l’ont changé”, a été produit, qui montre bien les différences entre générations, les plus âgés n’ayant pas l’investissement émotionnel de leurs enfants.
[yarpp]
3 commentaires
Un commentaire par Guillaume Payre (20/02/2012 à 13:09)
Il y a eu une émission de France Culture (la Fabrique de l’histoire) sur ce problème.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (20/02/2012 à 13:42)
Merci ! L’émission est ici
http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-du-changement-de-nom-au-re-nom-rediffusion-de-l-emission-du-27-09
Un commentaire par Joël (20/02/2012 à 14:52)
Il y a une blague juive sur ce problème (en fait, je me demande s’il y a des problèmes sur lesquels il n’y a pas de blague juive).
C’est M. Cohen qui veut faire changer son nom pour faire oublier qu’il est juif. Il procède donc à ce changement, et s’appelle désormais M. Martin.
Quelques semaines plus tard, il décide de changer à nouveau de nom. L’officier d’état-civil qui le reçoit s’étonne, et lui dit “mais vous avez déjà changé de nom !”.
M. Martin répond : “oui, mais quand je disais que je m’appelle M. Martin, tout le monde me demandait : “et avant ?”, et j’étais obligé de dire qu’avant je m’appelais M. Cohen. En changeant de nom et me faisant appeler Dupond, je pourrais répondre qu’avant je m’appelais M. Martin !”.
Au passage, mon père se trouve dans la situation des Juifs d’Europe de l’Est que tu décris, et 3 de mes 4 frères et soeurs affichent l’un de ses noms originels (oui, il en a eu plusieurs…) sur leur profil Facebook…