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Les billets de March, 2012 (ordre chronologique)

Un mythe à détruire ?

Les Presses universitaires de Vincennes viennent de publier un très beau livre Un mythe à détruire ? Origines et destin du Centre universitaire expérimental de Vincennes, livre dont j’ai pu suivre d’assez près la réalisation.
Ouvrage de près de 500 pages, il se distingue fortement des quelques autres livres publiés sur Vincennes-l’université. En effet, il ne se centre pas sur les égos surdimensionnés des membres du “noyau cooptant” (Badiou, Serres, Foucault, Cixous, Duroselle…) mais sur les disciplines et les départements. Les années soixante voient la recomposition des facultés et des disciplines académiques sur de nouvelles bases… et Vincennes est une université “à départements”, où la pluridisciplinarité s’est toujours appuyée sur des départements, disciplinaires, à l’identité affirmée.

Un mythe à détruire interroge donc les niveaux intermédiaires du monde universitaire, absents des hagiographies : les étudiants (et notamment les étudiants étrangers, rapidement très nombreux à Vincennes), les chargés de cours, les “professeurs ordinaires” qui font “tourner la boutique”, et les logiques internes au monde académique (souvent éloignées de la fabrique des grands hommes).

Ces niveaux intermédiaires sont saisis par l’intermédiaire de traces statistiques laissées un peu partout dans les archives de l’université : origines des étudiants, choix des mineures (il y a un beau graphe montrant les flux entre mineures), statuts des enseignants-chercheurs (chargés de cours, vacataires, maitre-assistants…). Un gros travail a été accompli pour synthétiser ces traces, fort bien mises en valeur dans l’ouvrage :

D’autres traces se prêtent moins à la mise en tableau : Un mythe à détruire a recours aux illustrations (ci-contre, un jeu de l’oie “Vincenn-oie”) pour montrer le monde de l’époque. Ainsi le “participationnisme” électoral est rendu visible à la fois par des statistiques (le département de sociologie était très peu “participationniste”) et par la reproduction de tracts de l’époque.
 
La présentation générale [PDF] rédigée par Charles Soulié est en ligne sur le site des PUV.
Un mythe à détruire est sur amazon, dans les bonnes librairies à partir du 22 mars, et dès maintenant sur le site des Presses universitaires de Vincennes.

 
Je disais plus haut que j’avais suivi ce livre…
Il y a quelques années, alors que se préparait le quarantième anniversaire de l’université Paris 8, fondée en tant que “Vincennes” à la fin des années soixante, Charles Soulié, collègue du département de sociologie avait commencé à réunir autour de lui une petite équipe qui s’était donnée pour tâche d’explorer l’histoire et la sociologie de l’université de “Vincennes → Saint-Denis”. Et je savais par ailleurs, parce que j’étais au comité éditorial des Presses de Vincennes (qui sont les presses universitaires de Paris 8), qu’existait un intérêt à la publication d’un ouvrage en lien avec les “40 ans”. Ma contribution fut de relier ces deux envies de recherche (et de participer à la relecture de versions préliminaires des différents chapitres). Charles Soulié et son équipe ont laissé passer les “40 ans”, et c’est pour le mieux : l’anniversaire a contribué en partie à libérer la parole de certains, et ce temps a aussi permis la découverte d’archives inexplorées.
 
Note : Pour les anciens du département : vous trouverez page 188 une copie de la carte d’étudiant “millésime 1969” de Guy B*, qui fut longtemps secrétaire du département de sociologie.

Le prénom du jour : Jay-Z (djézi)

Le 5 mars 2012, Ouest-France publiait, dans la rubrique “état civil”, l’annonce suivante :

[via 3mmanu3l (aussi un prénom rare!) sur twitter]
On y trouve toute une série de prénoms plus ou moins rares : Mia, Pol, Philomène, Lou-Ann, Sahëme, Cléophée… mais aussi un prénom présentant une spécificité typographique et de prononciation, “Jay-Z”, qui se prononce “djézi”.
Pour celles qui ne le sauraient pas — et j’en faisais partie jusqu’à peu — il s’agit du pseudonyme de Shawn Carter, artiste américain (étatsunien). D’où la prononciation djézi : s’il avait été canadien, ç’aurait été “djézède” [1].
Pseudonyme probablement choisi en référence aux lignes de métro locales du quartier de naissance de Carter, les lignes J/Z, qui ont la particularité d’être des lignes de métro traversant principalement des quartiers populaires (Bed-Stuy…). Un peu comme si Diams, au lieu de choisir Diams, avait choisi comme pseudonyme “Clignancourt”.

Enfin, tout cela pour dire que les prénoms, maintenant, viennent avec leur prononciation : “Pol”, est-ce pôle ou paul ? Sahëme, est-ce sahème ou sahéme. Doryan, est-ce comme “croissant” ou comme “cabane”. Yuri, c’est probablement “youri”. Et ce n’est pas spécifique à la France. Le dessinateur Mike Lester, il y a quelques années, s’était moqué de cette tendance :

Notes :
[1] : la prononciation étatsunienne/canadienne du “Z” fait l’objet de réflexions ironiques répétées dans stargate SG1

Logique de guichet

En France, changer de prénom passe par un avocat, la constitution d’un dossier, une audience devant une juge et un procureur. Aux États-Unis, le plus souvent, cela se passe devant un guichet.

Le guichet “Name change” dans la Civil Courthouse de Manhattan
 
Cette différence a des conséquences. Le travail de celui qui demande un changement de prénom (ou de nom), aux États-Unis, doit être facilité :

Poster présentant des informations concernant les formulaires “prêts-à-remplir”, Civil Courthouse de Manhattan
 
Dossier d’un côté (avec attestations, photocopie de papiers divers, requête rédigée par un avocat), formulaire de l’autre : d’un côté, la demande doit être soutenue par un discours sur soi, une narration, une exposition de soi, de l’autre pas de narration. Personnalisation et individualisation de la demande d’un côté, égalitarisme du formulaire de l’autre.
Il me semble qu’une comparaison est possible, au delà de ces différences marquées. Car la guichetière ne fait pas que recevoir la demande, elle entend l’histoire personnelle, redirige parfois, contrôle, précise : on pourrait appeler ce moment de passage à l’oral la “procédure cachée”.

Changer de prénom à New York

En France, les changements de noms de famille et de prénoms font l’objet de deux procédures distinctes. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Et ce n’est pas la seule différence. Alors qu’en France il n’y a aucune publicité faite au changement de prénom, aux États-Unis, souvent, le changement de nom ou de prénom fait l’objet d’une “notice légale” publiée dans un journal local. Notice qui indique les références de l’ordonnance (consultable elle aussi), mais qui n’est pas publiée dans un “journal officiel” ni dans un organe administratif ou judiciaire, mais sur un support privé (au sens de non étatique), et souvent de circulation restreinte.
Cet élément seulement nous laisse entrevoir les différences de conception de ce qui relève de la “vie privée” ici et ce qui relève de la “privacy” là-bas. Différences de conceptions qui résultent de l’empilement historique de petites décisions solidifiées par un corpus juridique.

À New York, c’est le Irish Echo qui publie, en ce moment, la majorité des changements de prénom ayant fait l’objet d’une décision de justice. Comme on le constate ci-contre, de nombreux éléments sont rendus publics : outre les noms/prénoms de départ, on y trouve la date de naissance et l’adresse, que je ne me suis pas résolu à publier ici.
Ces “notices” mentionnent donc divers éléments de ce que l’on considère en France comme participant de l’état civil des personnes (date de naissance, nom, prénom, adresse, élément permettant l’identification individuelle). Mais le sexe n’y est pas. Ou plutôt, comme nous allons le voir, il y est indirectement.

On constatera d’abord que, comme en France, changer de prénom peut servir à se donner un nom/prénom plus en accord avec les formes majoritaires. Ici, Xiaojan devient Lily.
Mais on voit aussi d’autres choses, qui peuvent étonner. Leslie devient Tangerine, mais elle indique sur sa notice ses “aliases” : AKA, “also known as”, “connue aussi sous les noms de”. Car il existe, en plus des procédures judiciaires (dites “statutory“), la possibilité reconnue par la common law de changer de nom simplement en usant d’un autre nom, cet usage donnant droit à considérer comme légal le nouveau nom. La mention des noms d’usage dans la notice permet de relier ensemble les différentes identités, pour signaler que c’est bien elle, et elle-même, qui sont à considérer sous ce nom.

Les questions d’identité se posent parfois de manière très étrange lors de ces changements de prénoms. Ainsi, sur quelques 250 notices publiées récemment dans le Irish Echo, l’on trouve ces trois notices, par lesquelles des femmes, dont le prénom est “Female”, prennent un autre prénom.

On les comprend. Avoir comme prénom la mention directe de son sexe, c’est quand même autre chose que d’avoir un prénom genré qui n’est qu’indirectement mention d’un sexe. Je n’ai pas trouvé d’équivalent chez les mâles, mais mon échantillon est réduit.
A quoi est du ce prénom étrange ? Erreur de déclaration à la naissance, peut-être. Interversion malencontreuse de champs à remplir (mais le sexe est probablement une case à cocher). Ou alors remplissage automatique du prénom par le sexe quand les parents n’ont pas choisi de prénom (certains États fédérés n’obligent pas à déclarer de prénom à la naissance). Cela reste à creuser.
Les prénoms ont un genre, et cela se perçoit dans plusieurs notices, dans lesquelles apparaissent des personnes abandonnant un prénom fortement associé à un sexe — “Michael” — pour prendre un prénom probablement associé à l’autre — “Charisma”.

Cette manière de faire d’un nouveau prénom un prénom légal a toute une histoire : c’est à partir de la fin du XIXe siècle qu’en plus de la “common law” s’est mise en place la possibilité de faire appel à la justice pour changer de prénom. Car à ce moment-là déjà les “vêtements de papier” dont nous sommes tous affublés étaient de plus en plus tissés et cousus par l’État. Et déjà, il devenait difficile de faire plier des administrations à sa volonté de changer de prénom sans “preuve” que l’on était bien soi-même, même en cas de petite modification du soi.
Mais l’État n’a pas conquis, dans le cas étatsunien, l’entier monopole, confiant à des journaux locaux l’importante tâche de publicisation de l’identité privée. Mais le processus ne s’arrête pas là : comme on le constate sur le document suivant, une fois la notice publiée, le “clerk” du journal doit, devant un “notary public” dire sous serment que la notice a été publiée.

La copie notariée de la notice est ensuite “filed” et annexée à l’ordonnance.
En France, l’ensemble des papiers d’identité a une base, l’acte de naissance, source des autres papiers. Le changement de prénom fait l’objet d’une “mention marginale” dans l’acte. Aux Etats-Unis, l’acte de naissance n’a pas, apparemment, le même poids. Héritage, peut-être, du “Common law”, la réputation joue un rôle. D’où la publication, routinisée, des notices, dans des petits journaux… mais des journaux locaux, des journaux publiés dans le “County”, qui peuvent être lus par les voisins. Mais c’est alors un “Common law” encadré par le droit des tribunaux : la notice est un formulaire, la notice doit être ensuite notariée.

Les sex-shops à Paris. Quelques chiffres

Comment les sex-shops, à Paris, ont évolué numériquement depuis une douzaine d’années. Est-il possible d’avoir des chiffres comparables ? Oui, car l’APUR (l’Atelier parisien d’urbanisme) réalise, tous les trois ans environ, une étude très poussée sur les quelques 60 000 commerces parisiens, et que les différentes études sont globalement comparables entre elles. Comme nous allons pouvoir le constater, ces magasins sont actuellement en crise :
 
Entre 2000 et 2005 l’évolution avait été changeante : une petite hausse entre 2000 et 2003, une forte baisse entre 2003 et 2005.


source : Banque de données sur le commerce parisien. Résultats du recensement 2005 et évolutions 2000-2003-2005. (APUR, 2005)

Depuis 2005, la tendance est encore à la baisse : -3 % entre 2005 et 2007, -4% entre 2007 et 2011.


source : L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)

Depuis 2003, la baisse cumulée est d’environ 25% (il y en avait près de 130 en 2003, il y en a un peu moins de 100 aujourd’hui).

De manière intéressante, les autorités municipales semblent ne pas s’inquiéter de la disparition d’un petit commerce de quartier, qui avait pourtant l’intérêt d’être ouvert en soirée et d’avoir une clientèle habitant parfois assez loin. Au contraire, il semble qu’une politique d’urbanisme bien réfléchie vienne contribuer au remplacement des sex-shops par d’autres magasins :


source : extrait de L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)
 

Il faudrait signaler, aussi, les restrictions spatiales mises à l’installation de nouveaux sex-shops depuis 2007 (où un amendement à une loi de 1987 est venu étendre à 200m autour des établissements scolaires la zone d’interdiction des sex-shops). Cela pourrait expliquer pourquoi, si des magasins ferment, d’autres ne se créent pas. Mais pour en être certain, il faudrait pouvoir étudier, outre le stock, les flux (ouvertures et fermetures depuis 2000).

Note : Je disais au début que les vagues d’enquête de l’APUR étaient globalement comparables entre elles. Car dans le détail, certains magasins peuvent apparaître à certains enquêteurs comme des magasins de lingerie (CC108) ou des magasins de vidéo (CF405, SA401) et non pas comme des sex-shops (CF502)… De même les séries d’arrondis sur les pourcentages, et l’incertitude à la marge (est-ce 125 ? est-ce 131 ?) ne doivent pas tromper : la tendance est bien à la baisse.