Changer de prénom à New York
En France, les changements de noms de famille et de prénoms font l’objet de deux procédures distinctes. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Et ce n’est pas la seule différence. Alors qu’en France il n’y a aucune publicité faite au changement de prénom, aux États-Unis, souvent, le changement de nom ou de prénom fait l’objet d’une “notice légale” publiée dans un journal local. Notice qui indique les références de l’ordonnance (consultable elle aussi), mais qui n’est pas publiée dans un “journal officiel” ni dans un organe administratif ou judiciaire, mais sur un support privé (au sens de non étatique), et souvent de circulation restreinte.
Cet élément seulement nous laisse entrevoir les différences de conception de ce qui relève de la “vie privée” ici et ce qui relève de la “privacy” là-bas. Différences de conceptions qui résultent de l’empilement historique de petites décisions solidifiées par un corpus juridique.
À New York, c’est le Irish Echo qui publie, en ce moment, la majorité des changements de prénom ayant fait l’objet d’une décision de justice. Comme on le constate ci-contre, de nombreux éléments sont rendus publics : outre les noms/prénoms de départ, on y trouve la date de naissance et l’adresse, que je ne me suis pas résolu à publier ici.
Ces “notices” mentionnent donc divers éléments de ce que l’on considère en France comme participant de l’état civil des personnes (date de naissance, nom, prénom, adresse, élément permettant l’identification individuelle). Mais le sexe n’y est pas. Ou plutôt, comme nous allons le voir, il y est indirectement.
On constatera d’abord que, comme en France, changer de prénom peut servir à se donner un nom/prénom plus en accord avec les formes majoritaires. Ici, Xiaojan devient Lily.
Mais on voit aussi d’autres choses, qui peuvent étonner. Leslie devient Tangerine, mais elle indique sur sa notice ses “aliases” : AKA, “also known as”, “connue aussi sous les noms de”. Car il existe, en plus des procédures judiciaires (dites “statutory“), la possibilité reconnue par la common law de changer de nom simplement en usant d’un autre nom, cet usage donnant droit à considérer comme légal le nouveau nom. La mention des noms d’usage dans la notice permet de relier ensemble les différentes identités, pour signaler que c’est bien elle, et elle-même, qui sont à considérer sous ce nom.
Les questions d’identité se posent parfois de manière très étrange lors de ces changements de prénoms. Ainsi, sur quelques 250 notices publiées récemment dans le Irish Echo, l’on trouve ces trois notices, par lesquelles des femmes, dont le prénom est “Female”, prennent un autre prénom.
On les comprend. Avoir comme prénom la mention directe de son sexe, c’est quand même autre chose que d’avoir un prénom genré qui n’est qu’indirectement mention d’un sexe. Je n’ai pas trouvé d’équivalent chez les mâles, mais mon échantillon est réduit.
A quoi est du ce prénom étrange ? Erreur de déclaration à la naissance, peut-être. Interversion malencontreuse de champs à remplir (mais le sexe est probablement une case à cocher). Ou alors remplissage automatique du prénom par le sexe quand les parents n’ont pas choisi de prénom (certains États fédérés n’obligent pas à déclarer de prénom à la naissance). Cela reste à creuser.
Les prénoms ont un genre, et cela se perçoit dans plusieurs notices, dans lesquelles apparaissent des personnes abandonnant un prénom fortement associé à un sexe — “Michael” — pour prendre un prénom probablement associé à l’autre — “Charisma”.
Cette manière de faire d’un nouveau prénom un prénom légal a toute une histoire : c’est à partir de la fin du XIXe siècle qu’en plus de la “common law” s’est mise en place la possibilité de faire appel à la justice pour changer de prénom. Car à ce moment-là déjà les “vêtements de papier” dont nous sommes tous affublés étaient de plus en plus tissés et cousus par l’État. Et déjà, il devenait difficile de faire plier des administrations à sa volonté de changer de prénom sans “preuve” que l’on était bien soi-même, même en cas de petite modification du soi.
Mais l’État n’a pas conquis, dans le cas étatsunien, l’entier monopole, confiant à des journaux locaux l’importante tâche de publicisation de l’identité privée. Mais le processus ne s’arrête pas là : comme on le constate sur le document suivant, une fois la notice publiée, le “clerk” du journal doit, devant un “notary public” dire sous serment que la notice a été publiée.
La copie notariée de la notice est ensuite “filed” et annexée à l’ordonnance.
En France, l’ensemble des papiers d’identité a une base, l’acte de naissance, source des autres papiers. Le changement de prénom fait l’objet d’une “mention marginale” dans l’acte. Aux Etats-Unis, l’acte de naissance n’a pas, apparemment, le même poids. Héritage, peut-être, du “Common law”, la réputation joue un rôle. D’où la publication, routinisée, des notices, dans des petits journaux… mais des journaux locaux, des journaux publiés dans le “County”, qui peuvent être lus par les voisins. Mais c’est alors un “Common law” encadré par le droit des tribunaux : la notice est un formulaire, la notice doit être ensuite notariée.