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Le prénom du jour : MJ a.k.a. « le ver dans la langue »

Billet publié le 19/04/2012

Le contentieux sur le choix des prénoms, depuis la loi du 8 janvier 1993, est devenu résiduel, très peu fréquent, car les parents peuvent donner les prénoms qu’ils souhaitent à leurs enfants. On trouve, en cherchant, une douzaine de décisions de cours d’appel sur lexis-nexis. Ainsi :
Cristale a été jugé non ridicule ou non contraire à l’intérêt de l’enfant (C.A. Aix, 16 Janvier 1996), tout comme Tokalie (C.A. Caen, 30 avril 1998), Zébulon (C.A. Besançon, 18 novembre 1999), Quays (C.A. Douai, 6 mars 2000), Mégane (associé à Renaud, C.A. Rennes, 4 mai 2000), Mickey (C.A. Douai, 15 mai 2000), Bilbo (C.A. Papeete, 12 février 2004), Loïna (contraction de Loïc et Anna, C.A. Reims, 1er avril 2004), Vauxanne et Souanne (C.A. Reims, 6 mai 2004)

Mais d’autres prénoms ont été jugés contraires à l’intérêt de l’enfant : Titeuf n’est pas possible (Cass 1ere civ, 15 février 2012, suite à C.A. Versailles 7 octobre 2010), Folavril non plus (C.A. Rennes, 4 Novembre 1996) : l’enfant est devenu Zoé; idem avec Joyeux et Patriste (C.A. Montpellier, 4 octobre 2006, qui accepte Soleil). Dans les deux derniers arrêts mentionnés, c’est le sens des prénoms qui pose encore problème : ces prénoms signifient trop.

L’imagination des parents, dans un régime de choix sans contraintes explicites, peut fleurir. Castpucine a été jugé acceptable (C.A. Reims, 26 septembre 2002) : “Dans la mesure où la famille de naissance de l’enfant naturel est bretonne d’origine, le prénom Castpucine qui se prononce capucine peut être admis car il fait référence à la Commune de SAINT CAST LE GUILDO et traduit l’attachement de la famille à ancrer les membres de la famille dans sa province d’origine. Il ne saurait ainsi être contraire à l’intérêt de l’enfant.
La mère de l’enfant, toutefois, n’a pas très bien vécu l’aventure judiciaire. Sur un forum, à la question de savoir si elle aime le prénom Capucine, elle répond : “C’est adorable. Ma fille de bientot 3 ans le porte et ça lui va très bien. Pour la petite info, mon mari étant originaire de ST CAST prononcé ST [KA] dans les Côtes d’Armor, nous l’avons orthographié CASTPUCINE, ce qui nous a valu 2 années de procès et 15 000 frs de frais d’avocats mais nous avons gagné en appel. A cause d’un Substitut que n’a rien d’autre à faire que d’ennuyer le monde. (source).
L’on peut trouver le “ST-muet” un peu tordu, mais, portant comme prénom “Baptiste” (avec un “P-muet”), je ne jetterai pas la première pierre.
 
Les jeux sur la graphie peuvent poser problème.

Et Martì non et Martí non, mais Marti oui (C.A. Montpellier, 26 novembre 2001) : c’est parce que “en français le i avec un accent aigu sur le i n’existe pas” que la Cour interdit l’inscription de Martí sur l’acte de naissance. Signe que la graphie tient à coeur aux parents, on trouve, en catalan (ou en occitan, je ne saurai dire), un résumé de l’affaire. Les parents, en 2008, ont vu leur demande jugée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme (25 septembre 2008, req. n/ 27977/04).

Tout cela pour en venir à une affaire que je n’ai découvert que récemment, dans laquelle un tribunal juge contraire à l’intérêt d’un enfant le prénom “MJ” (composé de deux lettres majuscules accolées). Le courrier picard en rendait compte l’année dernière :

[leur] fils, né le 25 mai 2010 [est] prénommé MJ, en hommage à Michael Jackson.
Stéphane N* et sa compagne ont toujours donné des prénoms originaux à leurs enfants. L’aînée s’appelle Mélodime, la cadette Djoly. Ce n’est qu’avec le petit dernier que l’administration coince.
(…)
Le délai écoulé contrarie doublement le couple : «On aurait dû nous dire non tout de suite, on aurait accepté. On me demande de le dénommer quand il a six mois. Alors qu’il commence à prononcer son nom, ses sœurs l’ont toujours appelé ainsi, c’est trop tard ! ».
(…)
«Nous venons de trouver des origines à ce prénom avec la même orthographe, qui remontent aux Vikings ! Cela signifiait il y a des centaines d’année : “le ver dans la langue” »

Je n’ai malheureusement pas le jugement dans l’affaire MJ, qui n’a pas donné lieu à d’autres articles que celui du Courrier picard. Il est possible que l’IGREC (l’instruction générale relative à l’état civil) serve de guide aux juges.

Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (Annexe), version de fin 2008, NOR: JUSX9903625J
Section 3. – Enonciations communes aux divers actes , Sous-section 3. – Prénoms des personnes désignées dans l’acte §111 : Les prénoms doivent toujours être indiqués dans l’ordre où ils sont inscrits à l’état civil. Les prénoms simples sont séparés par une virgule, les prénoms composés comportent un trait d’union. Les prénoms précèdent toujours le nom patronymique.
La première lettre est inscrite en majuscule, les autres en minuscules.

“MJ” devrait alors être écrit “Mj”.
Mais au §276 de la même instruction générale, l’on trouve : “la liberté du choix des parents connaît certaines limites (…) Les parents ne peuvent choisir (…) par exemple, des prénoms ayant une apparence ou une consonance ridicule, péjorative ou grossière, ceux difficiles à porter en raison de leur complexité […ou…] de vocables de pure fantaisie“.
Reste à savoir si, pour le juge aux affaires familiales du TGI local, ou pour la Cour d’appel qui devra se prononcer, “MJ” est “de pure fantaisie”, ou si “le ver dans la langue” (Wormtongue ?), finalement, n’est pas quelque peu péjoratif.

Enfin, et sans transition : les lectrices d’Abricot peuvent me trouver ce mois-ci (n°277, mai 2012) en fin de magazine :

[yarpp]

5 commentaires

Un commentaire par ureak (19/04/2012 à 12:16)

A vue de nez, je dirai que c’est du catalan.

Un commentaire par Marie-Aude (20/04/2012 à 1:02)

“ces prénoms signifient trop”

Amusant, quand nous avons en réalité perdu la signification de la plupart des prénoms. Votre prénom, le mien, ont une signification claire. Beaucoup de prénoms traditionnels étaient à l’origine des qualités. La très grande majorité des prénoms musulmans, beaucoup de prénoms juifs sont dans le même cas. Les sites indiquant la signification des prénoms ont un succès permanent…

Un commentaire par Alex (23/04/2012 à 10:29)

Et en matière de changement de prénom:
-les juges autorisent une jeune fille à changer le prénom Vania en Vaina, « dans la mesure où Vania étant une marque de produits d’hygiène féminine », ce prénom « occasionne et lui a occasionné des moqueries et, selon une attestation qu’elle produit, est à l’origine de sa timidité » (CA Angers, 9 juin 2010)
-ils refusent le changement de « Furkan », dans la mesure où ce prénom étant phonétiquement très éloigné de l’expression française « fous le camp », le risque de confusion n’est pas établi (CA Besançon, 17 décembre 2009),
-ils refusent également que l’on puisse ôter “Bernadette”, dans la mesure où « il ne peut être soutenu que le prénom Bernadette, peut-être un peu démodé en 1972, serait ridicule et traumatisant » (CA Douai, 16 novembre 2009),

La revue “Actualité juridique Famille” (éditions Dalloz) prépare un dossier sur le prénom, qui sortira au mois de juin 2012…

Un commentaire par Baptiste Coulmont (23/04/2012 à 10:33)

> Alex : Merci ! J’étais au courant de la préparation du numéro de l’AJ-Famille. Le ridicule, le désuet, la moquerie, les quolibets… n’ont jamais été fortement soutenus par la jurisprudence.

Un commentaire par Baptiste Coulmont » Un véritable prénom (03/01/2013 à 13:58)

[…] 2010 naquit un garçon, nommé «MJ, Jean, Elihaou». Le premier prénom, rapidement, posa problème à l’officier de l’état civil, au procureur et à un juge aux affaires familiales. Un […]