Rarement rentrée universitaire aura été aussi catastrophique. A Paris8, depuis deux ans, un logiciel est censé géré toute la scolarité des étudiants, mais il n’est pas fonctionnel. « Apogée » — le nom de ce machin — a été mis en place aux forceps, sans période d’adaptation, et depuis deux ans, des problèmes, qui n’avaient pas été réglés en septembre 2010, s’accumulent, se multiplient, d’ajoutent, se diffractent, forment des rhizomes…
Un exemple : l’année dernière, un bon étudiant avait accumulé suffisamment de crédits pour être inscrit en 3e année de licence… Mais « apogée » n’arrivait pas à additionner ses crédits. Donc : pour apogée, l’étudiant ne pouvait pas être en L3, mais pour le département de sociologie, cet étudiant avait bien la possibilité de suivre les cours, de passer les examens, etc… Cet étudiant a donc obtenu sa licence (selon le jury), mais comme le logiciel ne lui permettait pas l’inscription administrative en 3e année de licence, l’étudiant devrait se réinscrire cette année pour qu’apogée puisse faire l’addition de ses crédits.
Des problèmes comme celui-là, 175 étudiants les ont signalés, par écrit, au secrétariat de la licence de sociologie. Ces 175 problèmes généraux forment plus de 500 problèmes “atomiques” : question de note non entrée, de notes “qui ne remontent pas”, de crédits non pris en compte etc… Mes collègues ont résumé cela sur le site du département de sociologie.
Parce qu’apogee ne fonctionne pas, depuis deux ans les différents départements ont du développer en interne des solutions leur permettant d’assurer le suivi de la scolarité et des études des étudiants. Tel département a mis en place un fichier Excel relié tant bien que mal à apogee, tel autre gère l’entièreté des crédits “à la main” (dans des fichiers papiers), tel autre a choisi de ne se fier qu’à Apogee (vaille que vaille)… Et parfois, d’une année sur l’autre, les solutions imaginées ont du être modifiées, parce qu’elles ne permettaient plus de gérer la complexité.
Voici comment un collègue me résume la situation dans un autre département :
J’ai parlé vendredi avec le malheureux maître de conf qui en […] s’occupe d’Apogée. Ils n’utilisent pas Apogée, font tout sur excel et introduisent seulement les moyennes globales au niveau du L 1, du L 2 puis du L 3. Quand aux étudiants d’autres disciplines, ils leurs donnent des bouts de papier…
Comprenez bien ceci : les étudiants de ce département ont donc bien leurs crédits, et leur diplôme, mais plus aucune trace des cours individuels qu’ils ont pu suivre. Pour l’instant, ça marche, les diplômes sont délivrés. Mais dans 5 ans, 10 ans ou 15 ans cela posera problème.
Dans n’importe quelle organisation, face à ces bricolages, des discussions auraient eu lieu, des personnes embauchées pour aider les départements à faire la transition d’un logiciel vers un autre. Mais pas à Paris 8.
Il y a plus de six mois maintenant, un collègue adressait une lettre au président de l’université, dont voici un extrait :
” (…) la seule inscription, manuelle, des étudiants aux cours de sociologie dans Apogée aura mobilisé 5 personnes (3 secrétaires et 2 enseignants-chercheurs) à plein temps sur 10 jours, et ce sans tenir compte des situations problématiques et du temps nécessaire à leur résolution. Une telle procédure, extrêmement consommatrice en temps, demandant d’attendre la fin du semestre et nécessitant une très grande vigilance ainsi que la mobilisation intense des enseignants-chercheurs, n’est pas envisageable comme procédure habituelle. C’est un mode de gestion ponctuel d’une situation de crise (…)
Pendant ces dix jours, deux tutrices, de 9 heures jusque 21 heures ont porté à bout de bras cette procédure. La survie de notre licence ne repose que sur l’investissement quotidien, de bonne foi et à plein temps de ses deux responsables, au détriment de toute autre tâche, qu’elle soit d’enseignement ou de recherche, ainsi que sur la bonne volonté de deux tutrices dont ce n’est assurément pas le rôle. A ce stade, je peux témoigner de l’état d’épuisement des troupes et de ma grande inquiétude “
Ce collègue n’aura pas été entendu : il lui a été dit que tout allait bien dans le reste de l’université… alors que d’autres départements, un peu avant ou un peu après, faisaient le même signalement. Il ne faut pas me croire sur parole : mais lisez simplement la profession de foi d’un candidat à la vice-présidence du CEVU de Paris8, anciennement membre du Conseil d’administration, qui ne mentionne à aucun moment les problèmes liés à ce logiciel… alors que le CEVU est spécifiquement en charge de la “vie étudiante”. [Notons qu’il ne mentionne pas non plus la situation des toilettes, mais qu’il met en avant la politique d’excellence du “PRES”. Signe d’un changement, peut-être, ce candidat n’a pas été élu…]
Au département de science politique, mes collègues ont rendu publique une déclaration au sujet d’apogée : après avoir « procéd[é] manuellement à l’inscription pédagogique des étudiant-e-s. Nous réitérons notre demande que soient prises des mesures permettant d’arriver à une solution rapide et définitive de ces problèmes »
Comment comprendre l’absence de prise considération de ces demandes anciennes ? Dès décembre 2011 sur le bondyblog des étudiants rendent compte de leurs problèmes. Et lors de cette rentrée, plusieurs sites internet en parlent :
http://yahoo.bondyblog.fr/201209140217/fac-de-paris-8-un-passage-en-annee-superieure-compromis-par-un-logiciel/ – http://yahoo.bondyblog.fr/201209181356/les-deboires-dun-etudiant-pour-se-reinscrire-a-la-fac-de-saint-denis/ – http://mcetv.fr/mon-mag/1909-la-reinscription-a-luniversite-paris-8-ou-la-desillusion-des-etudiants – http://www.mediaetudiant.fr/vie-etudiante/logiel-complique-inscription-etudiants-paris8-11896.php
Il se murmure maintenant que la nouvelle direction de l’université accepterait un “audit”… mais l’on murmure aussi que cela risque d’être un audit “interne”.
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Arrivés ici, vous, lectrices habituées de ce blog, ne comprenez pas pourquoi cette rentrée serait catastrophique. C’est que la situation, cette année, est différente des années précédentes. Depuis 2009, à Paris8 (comme dans les autres universités françaises), nous bénéficions du “plan licence”, qui nous a permis d’accueillir dans des conditions minimales des étudiants de plus en plus nombreux — dont
les détenteurs d’un bac professionnel. Cette année,
comme l’écrit Camille Peugny, ce plan est supprimé :
Pire, cette année, à Paris comme ailleurs, plus de plan licence. Nous devons donc fonctionner avec vingt charges de cours de moins que l’année dernière, mais autant d’étudiants. Message nous est transmis que nous avons vécu « au-dessus de nos moyens » artificiellement pendant les trois années du Plan licence et qu’il faut redevenir raisonnable. Des cours en amphi sont ainsi rétablis dès le premier semestre de la première année de la licence, mais des cours en amphis sans amphis : les étudiants seront parfois 80 ou 90 dans des salles pouvant accueillir 35 personnes. Pour faire face, on nous incite alors à faire des démarches intensives pour récolter de la taxe d’apprentissage qui désormais devra financer les charges de cours supplémentaires (en plus du service des titulaires). Mais évidemment, cette dernière ne suffira pas. Le message, au final, visiblement assumé par mon université, est le suivant : il faut diminuer les capacités d’accueil. En clair, ne plus accueillir tous les étudiants qui veulent s’inscrire dans notre formation. Un pas supplémentaire est donc franchi : nous ne pouvons plus accueillir tout le monde, et nous accueillons mal ceux que nous accueillons. Voilà où en est la France de 2012 : incapable de former tous les jeunes qui le souhaiteraient.
Pour cette raison, la rentrée sera catastrophique : pas d’outil de suivi de la scolarité et perte de vingt cours (l’équivalent de 800 heures de cours supprimées, rien qu’en licence de sociologie) dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants.
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On ne peut même pas terminer sur une note heureuse : Quand Paris 8 est mentionnée sur arte-radio, c’est pour faire
l’histoire d’un ancien enseignant, devenu fou, qui habite maintenant dans une salle de cours et qui ère dans l’université. Ceci dit, je vous recommande ce reportage-documentaire.
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Allez, une note d’humour. Cette photo a été prise par une
twitteuse de Paris8. J’y ajoute mon petit commentaire :