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Les billets de November, 2012 (ordre chronologique)

Un graphe dynamique et interactif avec d3.js

R est un logiciel formidable. Mais d’autres outils sont plus adaptés pour une présentation sur internet. Il existe un ensemble d’instructions appelées d3.js, qui permettent en quelques instructions de mettre en ligne des graphiques interactifs. Pour deux exemples, voir ce réseau de sociologues et ce réseau d’écrivains.

Voici comment faire la même chose, chez vous.
Ce “tutoriel” nécessite quelques connaissances de R et de html.

Le point de départ :
– vous avez créé un graphe, dans R, avec le package igraph. Ce graphe se nomme g2. Il est constitué de “vertices” (des individus par exemple) et de “edges” (des liens entre individus). À chaque individu, vous avez associé un “groupe” : V(g2)$group (il peut y avoir plein de groupes, numérotez-les)
– il s’agit maintenant d’exporter ce graphe (ou une partie), dans un format que d3.js peut comprendre… et d3.js comprend surtout le .json
– le code suivant va enregistrer un fichier .json utilisable par d3.js, en se servant du package RJSONIO

library(RJSONIO)
 
#creation de la partie qui renseigne les "nodes"
temp<-cbind(V(g2)$name,V(g2)$group)
colnames(temp)<-c("name","group")
js1<-toJSON(temp)
#creation de la partie qui renseigne les "liens"
write.graph(g2,"Desktop/edgelist.csv",format="edgelist")
edges<-read.csv("Desktop/edgelist.csv",sep=" ",header=F)
colnames(edges)<-c("source","target")
edges<-as.matrix(edges)
js2<-toJSON(edges)
#concatenation des deux parties
reseau<-paste('{"nodes":',js1,',"links":',js2,'}',sep="")
write(reseau,file="Desktop/reseau.json")

Created by Pretty R at inside-R.org

Ce fichier .json a normalement la structure suivante :

{
"nodes":[
{"name":"Nom1","group":4},
...
{"name":"Nom3","group":3}],
"links":[
{"source":0,"target":1},
...
{"source":138,"target":126}]
}

Ensuite : téléchargez ce fichier reseau.txt, enregistrez le dans le même répertoire que celui dans lequel est enregistré reseau.json. Changez l’extension (remplacez .txt par .html).

Voter aux Etats-Unis

En France, la procédure de vote a été nationalisée. On vote de la même manière à Strasbourg et à Orléans, à Rennes ou à Ajaccio. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis (voir un billet de 2004 sur le même sujet). L’organisation matérielle du vote n’est même pas confiée aux Etats fédérés, elle est laissée en grande partie aux responsables des “Counties”, les Comtés.
Ainsi dans l’Ohio, le Sécrétaire d’Etat indique sur une page spécifique quel Comté dispose de quelles machines :

A chaque couleur correspond une machine particulière (ou une combinaison de machines).
J’ai retrouvé une carte de 2008 indiquant, au niveau de chaque comté, quel type de vote était en place :

On constatera la grande variété des modes du votes.
Et ces procédures ne sont pas fixes, loin de là : depuis une bonne dizaine d’années, elles sont à la fois “modernisées” (avec le passage à différentes formes électroniques) et “politisées” (notamment autour de la fiabilité des différentes formes de vote). Cela conduit à de nombreux changements d’une année sur l’autre :

La carte précédente indique quels sont les comtés qui, entre 2000 et 2008, ont changé leur équipement de vote : cela se fait rarement pour un Etat tout entier, souvent comté par comté (même si l’on distingue bien des mouvements qui semblent se réaliser au niveau des comtés d’un même Etat).

Pourquoi est-ce si compliqué ? Un élément à garder en tête est le recours important à l’élection directe. Ainsi, si vous êtes à Manhattan, vous aurez, mardi, à voter pour neuf élections différentes, voire plus… et parfois, des partis différents (le parti démocrate et le Independance Party) vont soutenir le même candidat. Vous aurez donc la posibilité de voter pour Gillibrand en tant que soutenue par le Parti Démocrate OU Gillibrand en tant que soutenue par le Independance Party :

cliquez pour voir le bulletin de vote en entier

Dans un tel système, le recours au bulletin simple, comme en France, s’avère compliqué : les opération de comptage seraient longues. D’où, probablement, le recours aux machines, très variées (comme la Shoup Lever Voting Machine, utilisée dans la ville de New York… mais pas dans le reste de l’Etat de NY… sauf à Albany, la capitale).

Refuser le plagiat

Depuis quelques années, en France (mais pas seulement), le plagiat entre universitaires devient une question politique : comment empêcher ces plagiats, et comment lutter contre les plagiaires. Souvent, les universités sont lentes à réagir… et les plagié-e-s se retrouvent seul-e-s.
Et c’est pourtant bien un problème collectif : la pétition suivante, publiée sur le blog de Jean-Noël Darde, de l’Université Paris 8, vise à rendre visible le caractère collectif de ce problème :

«Refusons de fermer les yeux sur le plagiat dans la recherche
À quelques jours de la conclusion des Assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les universitaires et les chercheurs soussignés estiment de leur devoir de rappeler que l’université doit pouvoir garantir la légitimité des diplômes qu’elle délivre. En particulier, elle doit veiller à ce que le plagiat dans les mémoires, les thèses et les publications scientifiques ne puisse discréditer la qualité des formations proposées et de la recherche française.»

La conclusion de la pétition/lettre ouverte est ici :

La sauvegarde de la liberté de la recherche et de la liberté académique dépend de la qualité des diplômes, des publications et des productions. Laisser ces dossiers en l’état ne pourrait qu’aggraver une situation qui tend à laisser penser que l’Université française, persistant dans l’ignorance de l’ampleur du phénomène du plagiat, a renoncé à défendre un niveau d’excellence indispensable pour tenir son rang aux niveaux européen et international.

Je suis réservé sur ce point : cette conclusion a certainement pour but d’alerter les autorités de tutelle (rectorats, ministères), en utilisant le langage de l’excellence. Mais le plagiat pose un autre problème : il ruine la collégialité de la recherche en conférant à des plagiaires le monopole de bénéfices matériels et symboliques qui auraient du revenir aux plagiés. Où est le mal, disent celles et ceux qui, “oubliant” de citer sans oublier de copier, deviennent docteurs, “publiant” ou universitaires ? Le mal est dans la rupture de la confiance collégiale sans laquelle il n’est plus possible de travailler.

Classes et réseaux

Max Weber commence par définir ce qu’il appelle une “situation de classe”, qui est associée à une “chance typique” résultant de l’accès à des biens et services permettant de se procurer des rentes ou des revenus. Puis il définit la classe sociale comme “l’ensemble de ces situations de classe à l’intérieur duquel un changement est aisément possible, pour une personne donnée, dans la succession des générations” [Economie et Société, Tome 1, Paris, Plon, 1995, coll. Pocket, p.391].
La traduction n’est pas simple, et je ne sais pas ce que Weber écrit dans la version originale. Mais il me semble que l’idée est ici de définir la classe sociale à partir de la mobilité des personnes entre “situations de classe”. C’est le flux entre situations, qui fait se rassembler les situations (et c’est ce rassemblement qui forme des “classes”) : une classe est ici un ensemble d’éléments presque équivalents du point de vue de la mobilité.
Le graphique suivant illustre ce que j’ai cru comprendre. Les points représentent des situations de classe (à partir d’une profession) et les flèches des passages intergénérationnels entre ces situations de classe. Plus le trait est épais, plus ces passages sont fréquents.

On peut tester l’idée à partir de nombreuses bases. Parce que j’avais l’enquête TRA sous la main (déjà explorée ici), voici ce qu’une exploration donne, pour le XIXe siècle. Les flèches indiquent que “les pères de telle profession ont souvent des fils de telle profession”. Les couleurs indiquent l’appartenance à une “communauté”, repérée par un algorithme (“walktrap.community”, avec igraph, dans R). [D’autres algorithmes auraient été possibles, mais je ne cherche pas ici à repérer le meilleur découpage.]

On repère bien, en violet, un gros groupe composé de domestiques, de journaliers, manoeuvres, sabotiers et bergers… Un deuxième groupe travaille la terre (fermiers, ouvrier agricole, laboureur) ou les frontières (marins, douaniers)… Les deux groupes verts regroupent des professions “mobiles” mais liées au travail agricole : l’occupation centrale étant “cultivateur” (CVR); et des professions plutôt commerciales immédiatement dérivées du travail de la terre (meunier, maréchal ferrant….) Le groupe bleu est doublement séparé du travail agricole (les professions fournissent des “outils d’outils” : tailleurs, marchand, menuisier, cordonnier, tonnelier) et contiennent des professions “nouvelles” (au XIXe) comme instituteur et employé. Un dernier groupe, en rose, contient les professions financières (rentiers, employés de commerce et négociants), qui fournissent les outils des outils des outils ?
La description n’est pas inutile… reste à savoir si ces “communautés” peuvent sérieusement être considérées comme des “classes”, ne serait-ce qu’au sens wébérien.
Pour aller plus loin, je recommande la lecture des billets de Pierre Mercklé, Réseaux sociaux contre classes sociales ou Les réseaux sociaux contre les classes sociales ? Pour en savoir un peu plus

L’individualisation du social… vraiment ?

Au cours du XXe siècle, nous — Français — nous sommes mis à utiliser le prénom en dehors de l’intimité la plus intime. Dans La Comédie humaine, les prénoms ne sont utilisés que de manière très stratégique. Ainsi, dans Le contrat de mariage (Pléiade, Tome 3, p.567) trouve-t-on un couple qui se connaît depuis au moins six mois. Pour faire signer un contrat, la future Nathalie de Manerville est chargée par sa mère d’être très gentille. Elle va donc s’adresser à son fiancé de cette manière : « Paul, lui dit-elle à voix basse, et elle le nomma ainsi pour la première fois… »
Rien de tel aujourd’hui, où le prénom est d’usage courant. Mais il est toujours utilisé de manière aussi stratégique, par celles et ceux qui cherchent à nous séduire. Mais moins comme terme d’appel que pour sa fonction connotative.
Voici une série de publicités repérées dans le métro au cours des derniers mois.


Le prénom indique l’âge.

Certains prénoms, associés à d’autres indices, peuvent connoter parfois la religion.




Il y a des “Léa” dans plusieurs publicités (au moins deux).


Mais à quoi donc servent les prénoms dans ces publicités ? Effet de réalité : “Lou” existe vraiment, et elle aime vraiment le yaourt ou le fromage de chèvre.

A ne pas utiliser les prénoms, que faudrait-il indiquer pour donner à voir ces caractéristiques sociales collectives (nationalité, âge, genre, religion, origine sociale…) ? Les vieilles publicités fonctionnant sur le principe du témoignage (par exemple, les publicités pour les “Croix Vitafor” et autres fétiches) dans les années soixante / soixante-dix, utilisaient “Mme S* de Cambrai”, “Monsieur T* de Auch”…



Le prénom individualise, certes, surtout qu’il est toujours associé, dans les publicités, à une photographie du visage du porteur de prénom. Mais c’est une individualisation paradoxale : le prénom, ici, ne sert pas à identifier (ce n’est pas sa fonction dénotative qui est recherchée), il sert à classifier. “Léa”, c’est aussi Camille, Lucie et Chloé, et plus largement l’ensemble des jeunes femmes nées entre 1985 et 2000 (mais qui est ainsi exclu quand un tel prénom est choisi ?).