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Où sont les nobles ?

Billet publié le 05/02/2013

nobles-deputes-2012Dans “L’interdiction” de Balzac (une des nouvelles de la Comédie humaine), le narrateur se demande si, “pour commander”, il faudrait “ne point avoir connu d’égaux”. Et le narrateur de regretter l’évolution récente des lois et des mœurs, qui modifient les vocations naturelles des nobles.

Ne faut-il pas enfin que l’éducation inculque les idées que la nature inspire aux grands hommes à qui elle a mis une couronne au front avant que leur mère n’y puisse mettre un baiser ?
Ces idées et cette éducation ne sont plus possibles en France, où depuis quarante ans le hasard s’est arrogé le droit de faire des nobles en les trempant dans le sang des batailles, en les dorant de gloire, en les couronnant de l’auréole du génie ; où l’abolition des substitutions et des majorats, en émiettant les héritages, force le noble à s’occuper de ses affaires au lieu de s’occuper des affaires de l’État, et où la grandeur personnelle ne peut plus être qu’une grandeur acquise après de longs et patients travaux : ère toute nouvelle.

Cette retraite vers “les affaires personnelles”, près de deux cents ans après l’écriture de ces lignes, semble réalisée. Mais les Révolutionnaires auraient, s’ils vivaient encore, “des rires pleins de larmes”… Les Pinçon-Pinçon-Charlot ont bien montré que cette retraite n’est pas totale.
Aujourd’hui, pour “s’occuper des affaires de l’État”, il faut passer, le plus souvent, par l’élection (d’autres voies sont possibles, certes, mais elles sont moins centrales, et consistent plutôt à être “au service” de l’État). Et entre l’élection de droit naturel, dont souffrent les nobles, et l’élection au suffrage universel, une différence existe, cruciale : le succès électoral n’est qu’un “plaisir provisoire”. Les travaux des historiens ont montré, cependant, la rapide adaptation des nobles (d’Empire ou d’Ancien régime), au système parlementaire. René Rémond a même fait d’une homologie (ou isomorphisme?) entre prétentions nobles et partis de droite la base d’un ouvrage célèbre. L’on aurait, à droite, en France, une faction “légitimiste” (i.e. nostalgique de l’Ancien régime), une faction “orléaniste” (i.e. acceptant certains acquis révolutionnaires) et une faction “bonapartiste”.

Mais concrètement, y a-t-il encore, aujourd’hui, une attirance spécifique des “nobles” pour certains partis politiques ?

Je me suis amusé avec la liste nominative des quelques 6600 candidats à la députation [que j’avais déjà utilisée ici]. J’ai imaginé que les porteurs d’un nom en “de Quelque Chose” (de Rohan…) étaient nobles (tout en relevant que les “de Oliveira” et les “de Souza” ne le sont probablement pas). Où sont-ils ? Quels partis hantent-ils ? Le Noble est-il, “avec ses gestes plein de chaaâarme”, le véritable candidat de la diversité ?
La liste suivante donne, pour chaque “nuance politique”, le nombre de candidats manants et le nombre de candidats nobles, la proportion de nobles parmi les candidats, et enfin une classification “Droite/Gauche” de la “Nuance”.

Nuance manant noble Prop Droite ou Gauche ?
   PRV    193     5 2.52 "Valoisiens"
   DVD   1535    39 2.47 droite
   NCE    211     5 2.31 droite
    FN   1117    25 2.18 droite
  ALLI     98     2 2.00 droite
   EXD    148     2 1.33 droite
   UMP    991    13 1.29 droite
   CEN    683     7 1.01 centre
   AUT   1004    10 0.98 autres
   VEC    918     6 0.64 ecolo
   ECO   1234     8 0.64 ecolo
   DVG    493     3 0.60 gauche
    FG   1109     5 0.45 gauche
   EXG   2111     5 0.23 gauche
   SOC    943     1 0.10 gauche
   RDG    144     0 0.00 gauche
   REG    154     0 0.00 "régionalistes"

Comme on le voit, les nobles n’ont pas “perdu leur flamme / Flamme, flamme, flamme, flamme”, mais ils sont loin d’être majoritaires. Ce sont surtout les “DVD” (divers-droite ← attention, ce lien contient un point Godwin) qui portent des noms à particule (une quarantaine sur 1500 candidats et suppléants). Les candidats du FN ne sont pas loin (2% portent des noms à particule). Ils “préfèrent les motos aux oiseaux”: on en trouve peu chez les écolos. Ils sont très peu nombreux à l’extrême gauche ou au parti socialiste. Et on retrouve, étrangement (ou pas), une division droite/gauche assez nette, les nobles évitant autant que faire se peut la mésalliance démocratique. « Dis-moi si tes candidats sont nobles, je te dirai si ton parti est à gauche. » L’ironie de l’étude est, bien évidemment, que le Parti radical valoisien attire plus que sa part de nobles, alors qu’il ne défend pas — ouvertement — la prise de pouvoir par un des descendants des Valois.

Note méthodologique :

  1. Peut-on vraiment imputer noblesse aux porteurs d’une particule ? Transformer ainsi un nom en indicateur, c’est une manière de faire qui a “Quelque chose d’un robot / Qui étonne même les miroirs”. Le repérage onomastique des “Juifs”, par l’extrême droite, fonctionnait ainsi, par le soupçon sur l’identité. Et les de Rohan nous diraient qu’il se porte fausse noblesse comme fausse fourrure; que la particule est un bien faible indicateur; que de fameuses familles, dont la noblesse remonte à Saint Louis ou Guillaume le Conquérant, portent nom de terre sans particule; que, comme minorité opprimée dans une république génocidaire, certains cachent leur particule… Il n’en resterait pas moins qu’entre partis de droite et partis de gauche, la mise en avant de la particule diffère.
  2. Il faudrait voir si la monstration particulaire est corrélée à plus de votes à droite, moins de votes à gauche…
  3. Dans le même ordre d’idée — et c’est ce que je défends ici — le “nom”, dans l’espace public, n’est pas cette chose fixe, inchangeable, permanente, c’est une ressource stratégique, malléable. Que l’on pense à Laurent Wauquiez, qui commence sa vie publique sous le nom de Wauquiez-Motte (les Motte, du nom de sa femme, étant une “Grande famille” du Nord, il pouvait être intéressant de s’y rattacher). Mais la modernité du nom composé cède vite la place au nom tout court et on l’imagine sans mal revendiquer, après “l’héritage chrétien”, la particule. Pensons aussi à (Marie-)Ségolène, à Marion-Anne “Marine”, à de Nagy-Bocsa, à Harlem, Chaban, Dassault… L’image publique se construit sur la manipulation du nom.
  4. La référence détournée à la chanson de Jouvet est à comprendre comme un rappel implicite des critiques “patriotes” ou républicaines de la période révolutionnaire, qui, pour délégitimer la domination aristocrate, décrivaient les nobles comme efféminés, poudrés, porteurs de talons hauts : le genre est bien une catégorie utile pour l’Histoire… Mais elle est surtout à comprendre comme variation autour de la grande question des usages de la parité aux Législatives.
[yarpp]

5 commentaires

Un commentaire par Étienne (05/02/2013 à 13:21)

“1.Peut-on vraiment imputer noblesse aux porteurs d’une particule ?”

En théorie, la particule a toujours été indépendante historiquement de la noblesse : la particule indique simplement qu’on a une terre (ou une origine qu’on veut montrer). On peut dire en fait que la particule n’est que corrélée à la noblesse en France aujourd’hui, est bien pauvrement.

La plupart des nobles (historiquement : ceux qui ont un titre) portent une particule, mais pas tous.

La corrélation inverse est encore moins bonne : j’avais lu que la proportion de nobles (au sens large : tous régimes confondus) parmi les porteurs de particule est de moins de 25%.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (05/02/2013 à 19:34)

> Etienne : Oh non… mon étude est détruite ! ;-)

Un commentaire par Fred (06/02/2013 à 4:58)

Un bel exemple fut celui de Charles de Chambrun (mort en 2010), élu de Lozére, dont l’aïeul, prénommé également Charles, fut député de Lozère en 1876. Un bel exemple de dynastie !

Je conseille la lecture du “Dictionnaire de la noblesse’ et surtout l’Encyclopédie de la fausse noblesse”, également indispensable.

Un commentaire par Régis (06/02/2013 à 11:34)

Bonjour Baptiste.
Si vous cherchez où sont les nobles en politique, allez donc voir du côté du groupe UMP au Sénat où ils sont légion. Ils sont moins nombreux à l’Assemblée. Comme quoi être d’une famille aristocratique permet de se constituer un réseau chez les grands électeurs, surtout dans les départements ruraux (ça, ça peut intéresser le sociologue!) … sinon, il est prudent de repérer les nobles sans particule, descendants d’émigrés où de la noblesse d’Empire. Les Poniatowski, par exemples, princes du Saint-Empire et de l’Empire français… on est difficilement plus noble!

Un commentaire par Régis (06/02/2013 à 13:06)

Pardon pour mes coquilles, je ne me suis pas relu.
Suggestion: parlementaires nobles: pro-Coppé vs pro-Fillon, à première vue, l’effectif semble très, très différent! les pro-Fillon seraient nettement plus nombreux. Question de réseau? ou d’adhésion à une conception girondine-modérée-orléaniste de la droite? qu’en pensez-vous?