Séries de prénoms
J’ai récupéré les résultats nominatifs au bac de 2012 (bac général et bac techno). Il est facile de repérer, à partir de ces résultats, qu’à certains prénoms sont associés des proportions de mentions spécifiques.
On peut aussi s’intéresser aux relations entre séries et prénoms. A chaque série est associée un groupe de prénoms surreprésentés (je n’ai gardé que les prénoms qui apparaissaient plus de 60 fois). Ainsi, les “Aliénor” représentent au total 2 candidates sur 10 000, mais elles sont 6 sur 10 000 candidates au bac “L” (littéraire) : elles sont 3 fois plus nombreuses à passer le bac “L” (littéraire) que ce qui est attendu à partir de leur nombre total. Et les prénoms diffèrent. Dans certaines séries (“S” et “STG” par exemple), ce sont des prénoms masculins qui sont surreprésentés… mais ce ne sont pas les mêmes : Augustin est plus fréquent en série S, Ahmed en série STG.
Le tableau suivant montre — pour quelques séries du bac — ces prénoms surreprésentés (12 par série). Ces prénoms “ont un air de famille” : Pierre-Louis est avec Pierre-Antoine; Yoann avec Yohan; Alison avec Allison et Alisson (dans la même liste que Stéphanie, Tiphanie et Tiffany) — mais bien séparées des Lison. Cet “air de famille” s’étend au delà de la proximité graphique : les prénoms “anglosaxons” et “arabes” semblent associés à des séries différentes.
Georges Felouzis et ses collègues (Joëlle Perroton notamment) ont bien analysé la ségrégation ethnique et le rôle qu’elle joue dans la reproduction sociale : il s’est d’ailleurs appuyé sur un codage des prénoms pour repérer l’ethnicité revendiquée par les parents.
Ils s’intéressaient aux collèges, mais les séries du bac ne remettent pas a priori en cause cette ségrégation ethnique et sociale (ici, je m’intéresse simplement aux prénoms surreprésentés, et pas à la concentration).
Mise à jour :
- “Chaillot”, commentateur averti, m’a indiqué une erreur sur le tableau, que j’ai corrigé. Merci.
- La liste ne concerne pas les prénoms les plus fréquents par série, mais les prénoms surreprésentés relativement à l’ensemble de la population des candidats au bac (pour lesquels je dispose de résultats)
30 commentaires
Un commentaire par Ruxor (30/03/2013 à 20:44)
Très impressionnant !
Mais peux-tu expliciter la méthodologie ? Tu as pris l’ensemble des prénoms de bacheliers qui apparaissent au moins 60 fois dans la base, et parmi ceux-ci tu as calculé le rapport entre la proportion des bacheliers de la série X ayant ce prénom et la proportion de tous les bacheliers ayant ce prénom (“facteur de surreprésentation dans la série X”), et tu as donné les 12 prénoms les plus surreprésentés de chaque série parmi six, j’ai bien compris ?
Ça vaut peut-être la peine de faire aussi la variante où tu sépares complètement la population de garçons et la population de filles, ce qui ne fera plus apparaître la surreprésentation d’un genre, mais ce qui rendra plus claire le facteur social de la variation des prénoms.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/03/2013 à 20:53)
>Ruxor : c’est tout à fait ça. C’est un simple rapport de proportions. Je ne peux pas séparer immédiatement les garçons des filles : je dispose du prénom, mais pas du sexe, il faudrait que je recode le tout (ceci dit, je peux le faire).
Un commentaire par phi (31/03/2013 à 13:36)
La “ségrégation ethnique” est-elle simplement un état de fait dû à des corrélations indirectes de l’ethnicité ou bien une action raciste délibérée du système éducatif ou des parents? Il est très net que les parents de CSP supérieures, donc plutôt non (ex-)immigrés, résistent bcp aux orientations réputées inférieures et probable que les enseignants anticipent cela et cherchent à éviter les conflits. Cela est net entre STG et ES, qui a un côté “STG bourgeois-compatible”. Il faudrait regarder aussi les mentions; je prédirais donc que les (ex-)immigrés réussissent relativement mieux car ils acceptent leur orientations (sur la base des notes) au lieu de forcer le passage.
D’accord avec Ruxor sur l’intérêt de séparer la population de garçons et la population de filles mais pour les ST2S, y’aura très peu de garçons et pour la STI2D, peu de filles, d’où des surreprésentations plus importantes dans ces classes puisque la a “ségrégation sexuelle” s’ajoute à la “ségrégation ethnique”.
Il serait intéressant aussi de comparer avec les surreprésentations des prénoms dans les CSP. On constaterait alors avec optimisme que l’école amortit malgré tout un peu la “ségrégation sociale”…
Un commentaire par Bertrand (31/03/2013 à 15:34)
Il faut aussi remarquer la nette différence entre les prénoms de type “série américaine”/télé-réalité (Alisson, Brandon,…) voire chanteurs (Jean-Philippe Smet par exemple) et les prénoms plus “historiques” (Aliénor est un bon exemple). Cela marque le niveau culturel des parents, donc de la famille, avec des impacts évidents sur les choix éducatifs.
Et je suis catastrophé par le fait que des parents appellent leur fille “Lolita”. Je crois clair qu’ils n’ont pas lu le bouquin de Nabokov. Enfin, j’espère.
Un commentaire par Fr. (31/03/2013 à 16:51)
La présence de certains prénoms dans plusieurs listes (ex. Anouk) me fait dire que même à n > 60, il y a encore un souci de faible-N et que des odds-ratios seraient plus appropriés, i.e. la proportion des “Anouk” à aller en L plutôt qu’ailleurs. Ce serait néanmoins plus compliqué (et encore, on pourrait régionaliser le modèle par rectorat) et donc moins parlant que l’approche descriptive brute, pour des résultats probablement équivalents.
Un commentaire par Anna (31/03/2013 à 17:21)
La “ségrégation ethnique” est d’abord une ségrégation sociale ou de classe.
Un commentaire par Régis (31/03/2013 à 19:48)
Ah, Baptiste, je ne suis pas sociologue, mais il est difficile de ne pas lorgner vers Max Weber, et de remplacer les bourgeois, les prolétaires et les immigrés de la France de 2012 par les catholiques, les protestants et les juifs de Bade il y a un siècle . Vous savez mitonner les restes. Mais, blague mise de côté, est-ce que dans le prénom il n’est pas difficile de distinguer ce qui relève de la tradition familiale et de la classe sociale d’une part, des fantasmes parentaux d’autre part, pour faire de cette variable un surrogate crédible?
Un commentaire par thomas (31/03/2013 à 23:19)
Est-ce public et privé? uniquement public? cette variable me parait aussi importante à prendre en compte…
Un commentaire par george sosin (01/04/2013 à 19:38)
Audrey et Roland? Quelles tendances?
Un commentaire par bruno (01/04/2013 à 19:51)
C’est vraiment intéressant ! Mais il y a un souci statistique. Les prénoms qui ont une faible fréquence ont un coefficient de sur-représentation qui a plus de variance, donc ont plus de chance de les retrouver dans le tableau.
Je vous suggérerais humblement de sélectionner les prénoms qui ont la p-value la plus forte, je trouverais ça beaucoup plus informatif, le tableau en sortie m’intéresserait personnellement beaucoup plus en tout.
Un commentaire par Sacha Kley (01/04/2013 à 20:56)
Si le sujet t’intéresse, il y a d’excellentes publications de Steven Levitt dans le genre. Elles sont notamment présentées dans Freakonomics, son bouquin dans lequel un chapitre est entièrement consacré à l’étude de l’évolution des prénoms, liés aux facteurs de réussite, aux études, au milieu social d’origine… Bref un énorme travail vraiment sympa qui pourrait alimenter ta réflexion pour la suite!
Un commentaire par Olivier (01/04/2013 à 21:04)
Très intéressant, et qui ne fait que corroborer statistquement ce que nombre d’enseignants perçoivent de façon empirique dès leurs premières années d’enseignement … et encore, il n’y a pas les bacs pros, où les prénoms d’origine étrangère (anglo-saxons et immigrés) seraient de très loin en surreprésentation, bien plus encore qu’en filières technologiques !!
Un commentaire par Léon (01/04/2013 à 21:50)
C’est un peu n’importe quoi de comparer des sur-représentations de prénoms courants comme Louis ou Victor avec des prénoms rares comme Marin, Sixtine ou Anouk qui doivent être moins d’une centaine en 2012 d’après les statistiques des sites de prénoms (naissances vers 1994).
Une approche moins “Yahoo news” et plus scientifique aurait fait figurer les chiffres permettant d’obtenir ces ratios.
Cela dit ça reste amusant ;-)
Un commentaire par Pierre @serial-viewer (02/04/2013 à 2:10)
Moi ce qui m’interpelle dans cet article c’est qu’en 2012, il y a encore pas mal de gamins avec des vieux prénoms qui ne sont plus vraiment d’actualité: henri michel christian alain ou Jean Philippe.
Sont-ils vraiment à ce point la représentatif des prénoms usité?
Un commentaire par Chaillot (02/04/2013 à 7:32)
Bonjour,
Votre étude concerne entre autre les bac STI2D. Comment pouvez connaitre les chiffres alors qu’aucun élèves n’a encore passé ce bac? (création de cette filière en 1ère en 2011, donc première session de bac en 2013)? C’est étrange non? Votre étude concerne le bac 2012, le bac STI2D n’existait pas!!
Un commentaire par Attila HORVÁTH-MILITICSI (02/04/2013 à 9:47)
J’ai débuté ma premiere année de primaire á Subotica, puis 6 ans ans et demi au Maroc au MUCF Pasteur et au lycée Pierre et Marie Curie d’Oujda. Á l’époque on m’avait prédit que je ne pourrais pas finir l’école primaire et paradoxalement j’ai fini parallelement langue et littérature française, anglais et finnois+finnougristique soit pratiquement 3 études de faculté. Par la suite je fus pendant pres de 10 ans diplomate professionnel en tant que représentant de l’État d’Israel á vie pour l’ex-Yougoslavie pres l’Ambassade de Belgique á Belgrade. Depuis je suis devenu informaticien professionnel et spécialiste des télécommunications satellites. Depuis avril/mai 2009 je suis le seul interprete de français en Serbie á avoir le niveau de DALF C2 Sciences… La liste est longue n’est-ce pas ?
Attila est un surnom donné par les tribus goths au roi des Huns. Il veut dire “Notre Pere” comme dans le “Notre Pere qui est aux cieux” car pour eux il était le Bon Dieu. Pour les peuples/tribus scandinaves il était également un dieu, mais cette fois celui du Mal personnifié…
Mon frere s’appelle Szabolcs – porte le nom d’un des vizirs/compagnons du roi Árpád, un des 7 chefs des tribus magyars. Il est devenu gastro-entéro-hépatologue reconnu dans le monde entier.
Ma soeur, Csilla- une forme poétique d’Estelle est prof de langue et littérature hongroise. Pendant son temps libre elle dirige une harmonie de village.
Ces 3 prénoms sont parmi les plus courants en Hongrie. Dois-je dire que mes initiales veulent dire “His Majestic Altesse” ? et cependant il en est ainsi et cela n’est pas un poisson d’avril, car nos parents nous ont élevés á etre les taipans – les rois dans tout ce que nous entreprendrions dans la vie – en bien ou en mal. Ainsi il va d’une bonne part d’aide parentale en ce qui touche la carriere future d’un enfant. Si les parents apprennent avec lui/elle et qu’ils prennent soin de l’initier á la lecture et la mémorisation rapide, alors toutes les portes leurs sont ouvertes plus tards.
Un commentaire par Guillaume (02/04/2013 à 11:40)
Ce tableau présente surtout des prénoms « rares » car la méthode calcul un écart relatif entre la représentativité d’une filière dans un prénom par rapport au global. Le fait que 20 des 60 Alienor d’une génération ont choisi L (donne une sur-représentation de la filière L dans les filles s’appelant Alienor mais pas une sur-représentation des Alienor en filière L (ou elle ne représente que 0,001%)
Nota : Mes chiffres sont fantaisistes mais permettent de comprendre le principe…
Un commentaire par Virginie (02/04/2013 à 13:11)
Qu’en est il des prénoms composés la question se pose je pense
Un commentaire par Zv (02/04/2013 à 14:04)
“les Aliénor représentent au total 2 candidates sur 10 000, mais elles sont 6 sur 10 000 candidates au bac “L” (littéraire) : elles sont 3 fois plus nombreuses à passer le bac “L” (littéraire) que ce qui est attendu à partir de leur nombre total.”
Cette phrase serait vrai s’il y avait le même pourcentage de bacheliers dans chacune des filière. Il faudrait peut-être tenir compte également de ce pourcentage dans les calculs. En effet, avec 10% de bacheliers en L multiplié par 0.02% d’Alienor passant le bac, on s’attend à 0.002% d’Aliénor en L en cas d’indépendance statistique entre la filière et le prénom. C’est donc 30 fois plus d’Aliénor en L qu’attendu qu’on observe.
Le résultat peut paraître énorme, mais le fait de faire des ratios de probabilités si proches de 0 fait exploser la sur-représentativité des prénoms rares. Il serait donc peut-être préférable d’utiliser des mesures de sur-représentativité tenant compte de la rareté des prénoms, comme l’information mutuelle apportée par la filière et le prénom. Cette mesure statistique serait, je pense, plus appropriée pour cette étude qui est franchement très intéressante.
Un commentaire par Chloé (02/04/2013 à 14:59)
On peut aussi observer la ségrégation sexuelle. Ce n’est pas un hasard que votre mode de sélection vous donne des quasiment exclusivement masculin ou féminin selon les séries…
Un commentaire par DM (03/04/2013 à 13:15)
Je suis encore une fois bluffé par tes résultats… et je me demande où tu as été pêcher les résultats du bac ?
Un commentaire par aliénor (03/04/2013 à 14:09)
Bonjour, bravo pour cette recherche.
Je m’appelle Aliénor et j’ai fait un Bac L. je valide donc l’hyspothèse. ;-)
Un commentaire par LucLaMainFroide (03/04/2013 à 17:07)
Bonjour
Intéressant article
J’ai constaté également ces faits durant ma scolarité.
Outre le côté la “ségrégation” (je n’aime pas ce mot) techno-ethnique, il faut noté celle associé au fort %tage de filles au sein des filières littéraires.
Nous avons du chemin à parcourir encore pour ladite égalité…
Peut-être un jour verra-t-on plus de femmes que d’hommes dans nos gouvernements ;)
@tte
Un commentaire par Laurent de la Baume (03/04/2013 à 20:05)
rien de nouveau, les prénoms caractérisent le milieu social, ont le savait déjà
Un commentaire par DM (04/04/2013 à 9:49)
Le déséquilibre H/F suivant les filières est parfois vraiment frappant. Il m’arrive parfois de faire cours dans une école d’ingénieurs grenobloise en filière informatique, les jeunes femmes se comptent sur les doigts de la main (je crois même qu’elles sont plus rares qu’à l’X) ; je rentre à mon labo en traversant les universités lettres et SHS, c’est très féminin. :-)
Baptiste, aurais-tu des statistiques là-dessus, histoire que je voie si mon impression est confirmée ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Deux passions françaises, les prénoms et le bac (07/04/2013 à 12:03)
[…] dernier billet, sur les prénoms surreprésentés par série du bac, a été fortement diffusé. J’aimerai, pour m’en souvenir plus tard, faire ici un […]
Un commentaire par Martingale et journalisme scientifique | Freakonometrics (08/04/2013 à 6:36)
[…] Coulmont, elle écrivait “c’est le jeu auquel c’est amusé Baptiste Coulmont sur son blog“. Je ne sais pas si le terme était voulu, si c’était basé sur le fait qu’un […]
Un commentaire par S.Marais (08/04/2013 à 19:22)
Je suis issue quartiers défavorisés de la Seine-Saint-Denis où les enfants ont soit des parents illettrés ( de souche immigrée ) soit des parents qui passent trop de temps devant la télévision ( prénoms anglo-saxons ). Aujourd’hui, je vis dans un quartier dit privilégié où les copains de mon fils s’appellent Victor, Sixtine, Louise, Côme etc La culture prend une plus grande place dans la vie des enfants. Ils vont au musée dès deux ans, se font offrir des livres plutôt que des consoles de jeux et n’ont qu’un seul poste de TV dans la maison ( parfois aucun ). Je ne suis pas étonnée…
Ce qui m’étonne, en revanche, c’est qu’encore aujourd’hui les garçons sont sur-représentés dans la séries S et idem pour les filles et le bac L.
Un commentaire par jean (10/04/2013 à 21:25)
Bjr!
Je suis étonné des remarques de vos collègues concernant la méthode statistique que vous utilisez dans votre post. Etonné parce que les éléments mentionnés me paraissent tout à fait basiques et je ne comprends pas qu’un problème aussi simple “quels prénoms sont sur-représentés dans telle et telle filière du bac” ne fasse pas l’objet d’un consensus méthodologique automatique entre professionnels de la sociologie. Y-a-t-il une explication qui m’échappe?
Un commentaire par anne m (25/04/2013 à 9:16)
Le choix des prénoms n’est pas le même suivant le statut social des parents.
Cette ségrégation n’est pas une nouveauté c’est d’abord et avant tout un marqueur social dans cette société paternaliste et sexiste quoi qu’on en dise. Hors grandes villes , très souvent , le seul lycée du quartier ou vous pourrez envoyer vos enfants c’est le lycée technique. Situé la plupart du temps dans des quartiers ouvriers , à forte immigration…et bien entendu avec l’assentiment des professeurs et des conseillers d’orientation qui dirigent les élèves automatiquement vers certains établissements. Préjugés ? vous avez dit préjugés ?
Préjugés de classe, préjugés de sexe, j’ai des souvenirs d’école, ma meilleure amie d’alors, excellente élève au collège avec une moyenne générale de 18 /20 souvent “punie”, jugée turbulente par ses professeurs et son entourage , dirigée en fin de 3ème vers un bEP couture sous le prétexte fallacieux qu’entourée de garçons, elle ne supporterait pas la compétition ..alors que d’autres qu’elle “battait” en maths sans forcer son talent , furent dirigés vers une filière générale et un bac S
Comment une société peut -elle se priver du talent de certaines personnes par des préjugés d’un autre âge pour ne pas dire d’un autre siècle . Si loin…
Ce qui explique aussi le forcing que font certaines familles auprès des rectorats pour ne plus se voir imposer un établissement .