La mention n’attend pas le nombre des années
Le monde scolaire valorise la précocité, c’est même peut-être un des autres noms de la classe sociale. Certains élèves “sautent”, tôt dans leur scolarité, une ou deux classes. Ce ne sont pas n’importe quels élèves, comme le montre Wilfried Lignier dans sa thèse, La petite noblesse de l’intelligence.
Sélectionnés dès l’enfance, ces élèves “en avance” (en avance sur leur classe d’âge) qui arrivent “en avance” au bac sont particulièrement adaptés aux épreuves.
Comme le montre le graphique suivant, ils obtiennent au minimum deux fois plus fréquemment la mention “Très bien” que celles et ceux qui sont “à l’heure” au bac, et 15 fois plus que celles et ceux qui ont un an de “retard”. [les données portent sur plus de 338000 élèves ayant obtenu 8 ou plus au bac en 2013]
Graphique au format PDF, plus lisible
Il est intéressant de remarquer que la précocité se perçoit aussi mois après mois : celles et ceux qui sont nés en janvier 1995 et qui passent le bac en 2013 obtiennent moins de mention Très bien que ceux qui sont nés en décembre 1995. C’est probablement que les parents des enfants nés en janvier 1995 et qui souhaitaient maximiser le rendement de l’institution scolaire ont réussi à faire “sauter” un mois à leurs enfants, intégrés à la classe “1994”, et donc rendu précoces. La capacité des parents à imposer ces sauts diminue avec le nombre des mois : possible pour les “février”, difficile pour les “mai”, impossible, ou presque, pour les “décembre”.
Natura saltum non facit… mais le monde social institue des sauts.
20 commentaires
Un commentaire par étienne (08/07/2013 à 9:55)
Très intéressant. Le mécanisme ne peut-il pas être spécifié (avoir une mention et être en avance sont deux manifestations d’un même fait: l’investissement parental?).
Sinon, le résultat est contre-intuitif sur les mois de l’année. Ce n’est pas parce qu’on est de la fin de l’année qu’on réussit moins bien visiblement. Est-ce que les mêmes résultats valent pour l’obtention du bac?
Un commentaire par a (08/07/2013 à 13:34)
Très intéressant effectivement. J’ai la même question qu’Étienne (que se passe-t-il si on regarde simplement la réussite au bac ?). Par ailleurs, avez-vous effectué la même étude pour d’autres années ? Une petite dernière : comment a été prélevé l’échantillon ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (08/07/2013 à 13:53)
>a : votre mail ne fonctionne pas.
Un commentaire par Yeti (08/07/2013 à 14:51)
Je ne vois rien d’extraordinaire dans le graphique, vu que ce sont les enfants les plus “doués” qu’on fait sauter des classes, donc normal qu’ils aient plus de mentions que les autres. En retirant les enfants les plus à même d’obtenir une mention de la catégorie noire pour les mettre dans la tranche bleue, on ne peut pas vraiment observer autre chose. Ou alors j’ai pas compris la finalité de l’analyse :)
Un commentaire par Baptiste Coulmont (08/07/2013 à 15:11)
> Yeti : oui, mais ça me semblait intéressant.
Un commentaire par Mehdi (08/07/2013 à 15:28)
Analyse très intéressante ! Mêmes questions qu’Etienne et A concernant la réussite globale au BAC. Celle-ci corrèle-t-elle avec le nombre d’années d’avance ou avec les prénoms ? Si vous avez des analyses supplémentaires que vous pouvez envoyer par email, je suis preneur. Merci !
Un commentaire par a (08/07/2013 à 17:18)
Il serait également intéressant, pour tenter bêtement d’éliminer ces questions de sauts de classe ou de redoublements (ou les deux…) de se fixer une année et de regarder la proportion de mentions TB obtenues (pour ceux qui obtiennent le bac) en fonction du mois. Autrement dit, parmi ceux nés en janvier 1990 et ayant obtenu le BAC (en 2006 ou 2007 ou …), quelle est la proportion de mentions TB ?
Il serait peut-être bien de se limiter également à une série du BAC.
Tout cela a sans doute déjà été fait (et des choses plus fines ont sans doute été faites d’ailleurs). Avez-vous des liens vers ce genre de choses ?
Un commentaire par Godechot (08/07/2013 à 19:19)
C’est le contraire de ce que montrent Goux et Maurin sur l’effet du mois de naissance. Sans doute un effet du biais de sélection sur les mentions TB. En effet, en 3ème, on compte 30% de redoublant parmi les personnes nées en janvier, contre 40% pour celles nées en Décembre.
Un commentaire par Benjamin (08/07/2013 à 19:51)
Quelles données permettent d’établir que l’avance scolaire est “un autre nom de la classe sociale?”. A mon avis, l’avance scolaire est corrélée au fait d’être un(e) bon(ne) élève. Ce fait est lui-même corrélé à la classe sociale, mais pas totalement déterminée par elle, me semble-t-il. Il serait intéressant de regarder ce qu’il en est pour les élèves de milieu populaire ayant sauté une classe. S’ils réussisent mieux que des élèves de même milieu n’ayant pas sauté de classe, il me semble que cela voudra dire qu’une partie non-négligeable de l’explication n’est pas en termes de classes sociales. C’est un peu le même argument méthodologie que celui que je faisais pour le post sur les prénoms. Si l’on soutient qu’un certain effet se réduit à un autre, il y a des méthodes statistiques pour tester cette hypothèse…
Un commentaire par Jastrow (09/07/2013 à 9:01)
Est-ce qu’il n’y a pas un effet de sélection à ne retenir que les élèves qui se présentent au bac avec leur(s) année(s) d’avance ? Est-ce que l’échec du saut de classe se traduit par une absence de mention TB ou un redoublement ?
Question connexe, tu indiques que le saut de classe se fait « tôt dans leur scolarité ». Est-ce qu’on sait à quel point cette sélection se fait tôt ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (09/07/2013 à 9:31)
> Jastrow : j’ai du mal m’exprimer, le graphique synthétise les résultats de tous les candidats de 2013 [du moins ceux qui ont plus de 8, et qui ont autorisé la diffusion de leurs résultats], pas juste de ceux qui sont en avance.
Je n’ai pas plus d’information sur le saut de classe dans mes données, mais il y a eu des travaux sur ce point : Lignier, Roux et Maurin, Duru-Bellat aussi je crois.
Un commentaire par a (09/07/2013 à 12:08)
Une autre question dans le même style. Quel est l’effectif de ceux nés en janvier 1997 comparé à celui de ceux nés en janvier 1996 ? Il serait vraiment intéressant de se débarasser de ces questions de sauts/redoublement…
Un commentaire par Jastrow (09/07/2013 à 15:10)
Non, c’est moi qui me fais mal comprendre : parmi ceux qui ont sauté une ou des classes, j’imagine que certains qui ont été trop poussés perdent leur avance et se retrouvent donc parmi les candidats « à l’heure », voire en retard. Du coup les gens qui parviennent au bac en ayant gardé leur(s) année(s) d’avance ont des grandes chances d’être effectivement les plus doués à l’école (je boucle sur le commentaire de Yéti). Mais peut-être le pourcentage de redoublements est-il faible parmi les élèves ayant de l’avance ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (10/07/2013 à 9:18)
> Jastrow : aucune idée… les données dont je dispose ne disent rien du redoublement de celles et ceux qui ont sauté une classe.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (10/07/2013 à 9:20)
> a : les effectifs des “1996” sont environ 15 fois plus faibles que les effectifs “1995”, idem pour les “1997” par rapport à “1996”.
Un commentaire par a (10/07/2013 à 12:32)
@Baptiste Coumont. Merci. Par conséquent et si je ne me suis pas trompé, même si on cumule les différentes années à mois fixé (par exemple janvier 1995, 1996 et 1997) on onserve toujours une croissance assez nette en fonction des mois de l’année.
Il faudrait faire cela proprement bien sûr mais c’est intéressant parce que j’avais déjà entendu dire que l’effet était dans l’autre sens. Je n’ai jamais eu le résultat précis sous les yeux mais l’un des commentaires donnent je crois une référence.
Peut-être qu’être né en fin d’année permet aux enfants précoces d’être mieux stimulés (ce qui se verrait sur les meilleurs élèves) tandis qu’elle accentue les difficultés des élèves plus moyens (ce qui se verrait peut-être sur une étude analysant le nombre de redoublements ou l’obtention simple du bac).
Un commentaire par Baptiste Coulmont (10/07/2013 à 12:47)
>a : pas certain… et je ne dispose pas des dates de naissance pour les années précédentes. Je ne peux donc pas vérifier.
Un commentaire par a (10/07/2013 à 16:29)
@Baptiste Coulmont : si on se concentre uniquement sur les résultats de cette année, vous disposez des taux de mention TB par mois de naissance. Non ? (C’est par contre effectivement différent de ce que je disais dans mes premiers messages où je voulais fixer une année de naissance et cumuler sur les années d’obtention du bac ; ici je parle de fixer une année du bac et de cumuler sur les années de naissance.)
Un commentaire par herwée (14/07/2013 à 9:56)
Outre les questions de calcul et d’échantillonnage, on sait aujourd’hui que les enfants précoces ont besoin pour la majorité, d’adaptation dans leur scolarité pour réussir (=obtenir 1 titre de formation de base au moins). Le saut de classe est une possibilité parmi d’autres. Pour la proposer, il faut que les parents soient informés par, à ce jour, 1 bon psychologue, à qui ils auront, en général, accès s’ils en ont les moyens… La boucle est bouclée. Ça fait des lustres qu’on sait que le niveau social joue et il me semble qu’on passe plus de temps et d’argent à l’établir qu’à investir pour palier et”manipuler” la tendance… Merci pour cette étude qui est la première à chiffrer les bénéfices de l’avance par rapport aux déficits du retard. Bon départ car il y aura bcp de remises en question et gageons que ça permettra p-ê d’établir certaines observations.
Un commentaire par phi (02/08/2013 à 12:13)
On voit bien sur ce graphique que «les redoublements sont inutiles et même aggravants» (http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/02/18/01016-20110218ARTFIG00677-le-redoublement-scolaire-de-plus-en-plus-conteste.php) et qu’il faudrait au contraire faire sauter deux classes aux élèves en difficulté! c le ministère du Budget qui va être content!
:)
Trêve de sophismes, la pente de l’effet du mois de naissance pour 2 ans d’avance est 2 à 3 fois plus forte que celle pour 1 an d’avance, comme si la sélection était alors moins hasardeuse. Une idée?