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Les billets de November, 2013 (ordre chronologique)

Redonner de la chair

Dans « Tenir le haut de l’affiche » (article publié récemment dans la Revue française de sociologie), j’ai pris le contrepied des études ethnographiques sur les églises chrétiennes issues des immigrations africaines. Je me suis limité à des matériaux frustes mais nombreux, des affiches pour des événements religieux (200 affiches). Ce pas de côté devrait pouvoir être compris comme un contrepoint, l’ajout d’une nouvelle perspective de recherche à la douce mélodie de la “thick description“.
Bernard Boutter, dans un billet récent, revient sur mon article en explicitant certaines des raisons possibles de l’association entre deux pasteurs : l’un passant de Rennes à Paris, l’autre de Paris à Toulouse. Il souligne aussi le rôle joué par deux “nœuds” : le rassemblement autour d’un site internet et une fédération internationale d’églises. En faisant cela il redonne de la chair à des acteurs que j’avais consciemment dépersonnalisés.

Ségolène, Marine et les autres…

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le prénom — en tant que terme d’adresse et terme de référence — s’est diffusé largement. Mais on n’appelle pas tout le monde par son prénom. Il faut un minimum d’intimité (ne serait-ce qu’une simple intimité professionnelle) que module la considération que requièrent les hiérarchies sociales.

Cela rend d’autant plus intéressant le recours, très fréquent, au prénom pour faire référence aux femmes politiques. Ségolène, Marine, Najat… Frédérique Matonti le remarque dans une interview :

Martine Aubry et Ségolène Royal aussi ont été caricaturées, du temps où elles s’affrontaient. On les appelait par leur prénom, ce qui n’arrive jamais à un homme, «Martine» était «la méchante autoritaire», la Thatcher du Parti socialiste. Tandis que «Ségolène» était campée en Madone ou en Marianne.

À ce constat, certains diraient : “ce n’est pas vrai, l’on mentionnait aussi l’ancien président sous son prénom, Nicolas”. Et d’autres ajouteraient : “Elles ont construit leur image sur leur prénom, et ne récoltent que ce qu’elles ont semé”. Ils pointeraient vers le compte twitter de N. Vallaud-Belkacem @najatvb, ou vers le compte “officiel” de la campagne d’A. Hidalgo, «Avec Anne »:
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On dispose, pour les États-Unis, de deux travaux qui ont étudié l’usage des prénoms dans les campagnes politiques, et plus précisément lors de la campagne présidentielle de 2008, qui opposa, pendant les primaires, une femme blanche, Hillary Rodham Clinton, et un homme noir Barack Hussein Obama.

Le premier article [Zurbriggen & Sherman] porte sur les “cartoons”, ces dessins de presse humoristique. On y voit que, dans un tiers des cartoons, Clinton est indiquée par son prénom ou ses initiales, et que cela ne concerne que 5% des cartoons représentant Obama, et 17% des cartoons représentant le sénateur John Sidney McCain III.

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Mais, me direz-vous, ces cartoons sont des prises de parole très spécifiques.
Le deuxième article [Goren & Uscinski] s’intéresse aux prises de parole dans les émissions télévisées politiques et les émissions de talk-show d’information. Les auteurs se sont restreints à la première référence à la personne [pas à toutes les références au cours des émissions, uniquement à la première]. Le plus souvent, nom et prénom sont utilisés, mais le prénom est utilisé quatre fois plus fréquemment pour indiquer Clinton que pour indiquer Obama.

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Et d’où provient cette différence ? Le deuxième tableau montre qu’elle vient presque entièrement des journalistes hommes. Les journalistes femmes n’utilisent presque jamais le prénom pour faire référence à Clinton.

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Hillary2008Mais, me direz-vous, l’on “sait bien” qu’Hillary Clinton a fait campagne sur son prénom. La chose amusante, que montrent bien Uscinski et Goren dans leur article, c’est que d’autres candidats aussi ont utilisé leur prénom : Rudy Giuliani par exemple, sans que ces prénoms ne soient utilisés par les journalistes.

De tels travaux quantitatifs indiquent bien une différence de traitement entre candidats et candidates. Ils devraient pouvoir être reproduits assez facilement en France, si j’en crois et ce que j’entends, et ce que je peux lire :
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Bibliographie

Zurbriggen E.L. & Sherman A.M. (2010), « Race and Gender in the 2008 U.S. Presidential Election: A Content Analysis of Editorial Cartoons: Race and Gender in 2008 Election ». Analyses of Social Issues and Public Policy, 10[1], p.223–247.

Uscinski J.E. & Goren L.J. (2011), « What’s in a Name? Coverage of Senator Hillary Clinton during the 2008 Democratic Primary ». Political Research Quarterly, 64[4], p.884–896.

Colloque “Noms et prénoms”

nomsprenoms-colloqueJe co-organise avec Virginie Descoutures un colloque à l’INED : “Noms & prénoms : établir l’identité dans l’empire du choix”.
Vous pouvez téléchargez le programme du colloque [PDF]
ou consulter la page dédiée au colloque.
Note : l’accès à ce colloque est libre, mais il faut prévenir l’INED à l’avance (comme indiqué sur le programme)
La loi du 8 janvier 1993 révise l’état civil et la filiation en libéralisant le choix du prénom et en facilitant les changements de prénom. Plus récemment, c’est la transmission du patronyme (devenu nom de famille) qui s’est vue réformée par la loi du 4 mars 2002, permettant aux parents de choisir de transmettre à leurs enfants soit le nom du père, soit celui de la mère, soit encore un « double nom ». Ces réformes françaises s’inscrivent dans un mouvement plus large (européen notamment) qui apparaît à première vue comme un nouvel « empire du choix ». Au-delà de cette façade libérale, portée aussi par le principe d’égalité, qu’en est-il ? Le prénom et le nom restent sous l’emprise de l’État national et de la domination masculine. Il s’agit alors, dans ce colloque, de rendre compte de la manière dont noms et prénoms servent à matérialiser divers aspects de l’identité sociale, et d’étudier des situations empiriques mouvantes, changeantes, quand le choix offert peut servir de révélateur des contraintes symboliques.

Vrai ou faux ?

Exercice journalistique (interview sur M6)

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« Tenir le haut de l’affiche » en accès libre

La Revue française de sociologie a placé mon article, « Tenir le haut de l’affiche. Analyse structurale des prétentions au charisme » en accès libre. Il est disponible ici en PDF : http://www.rfs-revue.com/sites/rfs/IMG/pdf/RFS-2013-3-B-_Coulmont.pdf.
L’article revisite la sociologie wébérienne du charisme en insistant non pas sur la reconnaissance par une population dominée charismatiquement, mais sur la reconnaissance entre porteurs de charismes.
Je ne peux que vous encourager à le lire, à le discuter, à le partager… Je rappelle que les données initiales (200 affiches pour des événements évangéliques) sont elles aussi disponibles sur flickr.

Les amis de mes amis sont directeurs de thèse

Voici plusieurs graphes établis à partir des codirections de thèse en France.

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Les couleurs indiquent les disciplines des directeurs.

Et l’on constate que les disciplines “proches” (socio / histoire) ont tendance à se retrouver à proximité sur le graphique.
socio-reseau

On peut s’intéresser de plus près aux thèses codirigées inscrites dans une discipline particulière, par exemple, au hasard, la sociologie. [cliquez pour voir en grand]
socio-reseau
Dans ce dernier graphique, les couleurs placent ensemble des individus que l’algorithme walktrap.community a placé dans la même “communauté”. Globalement “ça fait sens”. Et l’on ne remerciera jamais assez Nicky Le Feuvre de servir de “bridge” entre des mondes distincts.

Le même graphique pour l’histoire, pour la philosophie et directement en images pour l’économie
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Comment ont été construits ces graphes :

Grâce à @cynorrhodon (qui avait étudié la longueur des titres de thèse), j’ai récupéré des informations sur plus de 315 000 thèses françaises (oui, 315 000). Parmi ces thèses, un peu plus de 38 000 thèses sont effectuées ou ont été effectuées en codirection. En général, cela implique deux directeurs ou directrices de thèse, mais parfois trois ou quatre. Très très rarement plus.
Chaque thèse est associée à une discipline au moins, parfois deux ou trois.
La base ainsi constituée est relativement sale, et il a fallu la nettoyer un peu, en normalisant les noms et prénoms. Ceci fut fait de manière automatisée et rapide, sans chercher à dissocier “Jean Dupont” professeur de Mathématiques à Rennes 2 et “Jean Dupont” professeur de sociologie à Montpellier 3. J’espère qu’ils ne sont pas très nombreux à être ainsi homonymes. De même je n’ai pas cherché à indiquer que J. Dupont, professeur de mathématiques à Montpellier 3 est la même personne que Jean Dupont professeur de mathématiques à Montpellier 3.
Se posait ensuite un problème d’association, entre une personne et une discipline. Un seul exemple, Stéphane Beaud, sociologue, apparaissait 7 fois comme “sociologues”, et à une reprise comme “Sciences de la société”. Julia Kristeva apparaissait 15 fois comme “littérature française” et sinon sous de multiples autres disciplines. J’ai donc considéré que la discipline à retenir était celle qui était le plus souvent associée avec une personne.
Le réseau comprenait un grand nombre de liens et de personnes. J’ai donc réduit ce réseau aux individus qui avaient au moins N liens, et je n’ai gardé que la plus grosse composante (pour produire les graphes représentés).
Il y a un grand nombre de disciplines différentes, plus de 4 400. Parfois un intitulé généraliste est proposé : “Sociologie” ou “Chimie”, parfois, c’est un indicateur très précis, comme “Anthropologie psychanalytique et pratiques cliniques du corps” ou “Chimie organique, minerale, analytique, industrielle” ou encore (sans correction) “Ingenierie de la cognition, de linteraction, de lapprentissage et de la creation Sciences du langage”. Pour associer des couleurs aux points, je cherche donc la présence d’une chaine de caractère dans la discipline. “Socio” pour tout ce qui est sociologie, socioanthropologie… “politi” pour tout ce qui est science politique, sciences politiques.

Le graphique spécifique à la sociologie illustre certaines des difficultés : l’on repèrera que des individus identiques apparaissent sous deux formes nominales… et sont donc considérés comme deux individus différents. Je n’ai gardé que les individus ayant participé à deux codirections ou plus (les individus qui n’ont participé qu’à une seule codirection ont disparu).