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Sous le loup de Fantômette

Pour savoir un peu qui se cache sous le loup de Fantômette

Tenir le haut de l’affiche : les données

La Revue française de sociologie vient de publier mon article « Tenir le haut de l’affiche: analyse structurale des prétentions au charisme ».
L’article repose sur l’analyse statistique de 200 affiches pour des événements religieux organisés par des églises évangéliques liées aux migrations africaines (églises noires, ou “d’expression africaine”, ou “africaines”), en banlieue parisienne. [résumé de l’article]

Je mets à disposition des personnes intéressées les documents sur lesquels je me suis appuyé (et même un peu plus) dans cette collection d’environ 220 affiches dont celle-ci :
Untitled
Par ailleurs l’article avait été préparé par des réflexions intermédiaires, publiées sur ce blog, où j’indique comment savoir quand s’arrêter, et où je parle des acteurs importants, des réseaux aléatoires, de la statistique, des jeux d’échelles, des cartes, et une description des affiches (et une description des dispositifs anti-affichage).
L’on trouve aussi sur hal-shs une version un peu ancienne de mes réflexions : Capitals and networks : a sociology of Paris’ black churches (en anglais plein de fautes).

Comme vous pourrez le constater donc, cet article est le fruit d’une slow science. J’ai mis un peu plus de trois ans à rassembler le matériel qui a servi de base à l’article, patiemment, semaine après semaine : aucun corpus n’existait, il a fallu le constituer. Et ensuite il a fallu passer des heures à coder les affiches pour les faire “entrer” dans une base de données. Ah comme je jalouse les sociologues-en-chambre, qui n’ont comme seul corpus que leurs états d’âme (ce qui leur permet parfois de “produire”, bon an, mal an, un livre régulièrement).
L’article lui-même a mis deux ans à émerger : il fallait, pour le rédiger, me familiariser avec les outils de la sociologie des réseaux et avec l’ethnographie du pentecôtisme des migrants africains, deux choses que je ne connaissais pas. Et ici je jalouse les belles plumes de certains sociologues-en-chambre…
Le tout a donc pris cinq ans, c’est dire combien je suis heureux de cette publication.
Cette recherche fut, pendant ces cinq années, mon “travail à côté” : mes recherches principales étaient consacrées à la socio-histoire de la pornographie d’un côté et à la sociologie des prénoms (et aux changements de prénoms) de l’autre. J’ai apprécié l’absence d’intersection entre ces trois thèmes, qui rend difficile l’importation paresseuse de schèmes explicatifs (car il faut alors travailler à l’importation). J’ai apprécié la liberté qu’offrait le caractère marginal et non financé de cette recherche, y compris dans l’emploi de mon temps : recherche non financée, qui ne faisait l’objet d’aucune obligation institutionnelle, son rythme n’était dicté que par les possibilités de découverte. S’il n’y avait rien eu à découvrir, je n’aurai rien écrit.

Tout le monde en liste !

Plein de liens intéressants cette semaine :

  1. L’Association française de sociologie des religions prépare un colloque où interviendront probablement des sociologues qui étudient la religion sans être sociologues des religions. Appel à communication (pdf) : « Comment caractériser et expliquer aujourd’hui les attitudes des sociologues français à l’égard du fait religieux ? Y a-t-il une spécificité laïcisante de la sociologie au sein des sciences sociales, à la différence de l’histoire ou de l’anthropologie où la religion serait un objet plus « banal » ? Existe-t-il une spécificité française à cet égard, en lien avec un effet inhibant de la laïcité ?»
  2. Olivier Roueff, dont l’ouvrage Jazz, les échelles du plaisir sort dans quelques jours, a mis en ligne un formidable “site compagnon” : http://www.plaisirsdujazz.fr, sur lequel se trouvent de nombreuses informations. Vous n’avez même pas besoin d’apprécier le Jazz pour apprécier ce site : c’est de la sociologie.
  3. Un shapefile des circonscriptions législatives de la métropole : http://www.laspic.eu/circos-shp . Il est, par ailleurs, possible de simplifier des shapefiles
  4. Le package R Rgrs devient questionr
  5. Emile, on bande ?, ethnographie d’un master de sociologie, remarqué aussi chez Pierre
  6. Analyse statistiques des annonces de mariage du New York Times
  7. Un inconnu décède dans un sex-shop, il est rapidement identifié
  8. Goudron Talon : une année en Caroline du Nord
  9. Didier et Édouard discutent sur twitter :
    nexistepas
    « Les gens qui produisent.. »
  10. Comment lutter ? [pdf], par Lilian Mathieu, texte intégral, sur hal
  11. Anne Lavigne explique comment répondre à des pressions Le directeur d’agence recommande Kevin. Il faudrait que je fasse la même chose avec “La présidente de l’université recommande Apogée”
  12. 21 vidéos sur youtube qui servent d’introduction à R
  13. Identifier pour surveiller chez Marie
  14. Les co-signatures d’amendement, dans le Polit’Bistro
  15. Écrire, et après… comment se termine une recherche… sur le carnet du Printemps
  16. Le sinueux chemin vers le bac [pdf], par Cayouette et de Saint Pol
  17. Le livret de caisse d’épargne, une forme d’identification économique [pub]

Des ordres amoureux

Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire le billet publié dans Le Monde, à la une du cahier « Science & Techno » du mercredi 11 septembre 2013, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?
J’ai pris la succession de Pierre Mercklé, qui a tenu cette chronique pendant deux ans, et qui avait pris l’habitude de replacer chacune d’entre elles dans un ensemble de travaux sociologiques qu’il ne pouvait citer en 3480 caractères, espaces compris.
Mon propos sera bien plus modeste ici (sans que cela fasse pléonasme avec Le Monde), je vais simplement expliciter les citations de la chronique.
1- Je fais référence à un article de Michel Bozon et Wilfried Rault ” De la sexualité au couple. L’espace des rencontres amoureuses pendant la jeunesse“. Population, 2012/3, vol.67, p.453-490. L’article est en accès libre sur le site de l’INED. Un autre article des mêmes auteurs, au format “4 pages”, est consultable aussi librement : Où rencontre-t-on son premier partenaire sexuel et son premier conjoint ?, Populations et sociétés, n°496, janvier 2013
2- Je parle aussi de Michael J. Rosenfeld et Reuben J. Thomas. “Searching for a Mate : The Rise of the Internet as a Social IntermediaryAmerican Sociological Review 2012 77(4), 523-547. Si l’article est aussi en accès payant sur le portail de l’éditeur, Sage, on le trouve en version préliminaire sur le site de Rosenfeld à Stanford. L’on consultera aussi avec intérêt les matériaux complémentaires que l’on ne trouve pas dans l’article.

De quels prénoms le vôtre est proche ?

Le mini-site coulmont.com/bac/ a été mis à jour, avec les données de 2012 et de 2013. Il comporte deux parties pour l’instant distinctes :

  1. un formulaire qui permet de dresser la liste des prénoms qui ont le même profil de résultats au bac : la base comporte 1186 prénoms différents
  2. un “nuage des prénoms” construit avec la proportion de mentions “très bien” en abscisses, les effectifs en ordonnées. Il est possible de sélectionner le nuage correspondant au bac 2013 ou le nuage correspondant au bac 2012

Les deux parties permettent de repérer des proximités entre prénoms, soit par un parcours dans le nuage, soit au moyen d’un formulaire… Allez vérifier sur coulmont.com/bac/.

Ce “mini site” est une “soupe” de techniques différentes : du simple css+html (Bootstrap), du php, du javascript (d3.js et “google charts”). J’ai l’impression que cela peut exploser à n’importe quel moment… et j’ai atteint ici mes limites de programmeur.

Retour sur une expérience renouvelée

L’année dernière, en 2012, mon billet sur les mentions au bac avait été largement relayé. J’avais ensuite tenté de réfléchir un peu à cette réception. Cette année, au début du mois d’avril 2013, suite à un billet sur les prénoms sur-représentés par série du bac, une chose similaire s’était produite. Et j’y avais réfléchi, encore.
Il y a une semaine, j’ai rapidement analysé les résultats au bac 2013 qui venaient d’être publiés… et mon billet a rapidement été relayé. Alors, forcément, il y a un truc. Soit je dispose d’attachées de presse très compétentes, soit il y a un truc.
Il y a un truc [même si les attachées de presse de La Découverte sont très compétentes.]

Qu’ai-je fait ? Après avoir récupéré les données, je mets en ligne un billet dimanche en fin d’après-midi. Dans l’idéal, je l’aurais mis en ligne samedi en fin d’après-midi, mais je n’ai pas réussi à tout récupérer à temps. Pourquoi le samedi ? Je me dis que si le billet est repris sur “twitter” au cours du week-end, des journalistes l’auront vu et pourraient en parler le lundi. J’avais fait cela le 30 mars pour le billet sur les séries du bac. J’avais en effet toutes les chances de penser que ce qui était arrivé en juillet 2012 pouvait se reproduire — peut-être à une plus petite échelle — en juillet 2013, et autant prendre les devants en permettant une meilleure réception. Eviter l’idée selon laquelle le prénom “détermine” quoi que ce soit m’était chère.
Mais ce n’est visiblement pas la peine : le billet est mis en ligne dimanche, et les journalistes ont commencé à m’appeler lundi matin.

Immédiatement après avoir mis en ligne le billet, je twitte ceci :
pas-de-surprise
Je ne twitte pas “grande découverte”, mais “pas de surprise”.
Et ce fut ma seule contribution à la diffusion.

Poursuivons par une petite objectivation : le volume des visites sur le site coulmont.com
Le volume annuel tout d’abord :
bw-coulmont-year-201307
Cela indique assez bien le caractère exceptionnel, mais renouvelé, de l’intérêt porté aux billets sur les prénoms et le bac.

Le volume journalier ensuite :
bw-coulmont-7days-201307
A la différence de juillet dernier, le traffic a surtout été concentré sur le lundi. Une analyse plus détaillée montrerait que c’est moins le billet en lui-même que le document PDF qui a été visité. Cela se perçoit un peu sur le tableau des “pages vues” et des “hits” que je reproduit ci-dessous :

visites-bac2013-coulmont
Sur ce tableau, l’on estime mal le poids de “twitter”, car ce site multiplie les URL différentes en t.co. Europe1 semble en faire de même, avec 4 URL différentes.

Je n’ai pas pu récupérer, comme je l’avais fait l’année dernière, les discussions sur “twitter”, même si j’ai essayé de les suivre. Mon sentiment est que, initialement, les “twittos” utilisent l’URL du billet ou du PDF, mais que rapidement, cette URL se perd dans l’ensemble des URL dérivées (presse en ligne).

  1. Slate : Bac 2013 et prénoms: 20% des Adèle et des Diane ont eu une mention très bien, contre 2,5% des Sabrina [deux journalistes me contactent quelques minutes après que Slate ait mis en ligne l’article, en citant explicitement Slate comme étant à l’origine de leur appel]
  2. Le Monde, blog “big browser” : PALME D’OR – Pour une mention « très bien » au bac, mieux vaut s’appeler Adèle
  3. Rue89 : Baccalauréat : mieux vaut s’appeler Ulysse qu’Enzo
  4. aufeminin.com : Baccalauréat 2013 : Quel prénom pour quelle mention ?
  5. Elle.fr Les Diane et Adèle font mieux que les Sabrina au bac 2013
  6. 20minutes : Bac 2013: 20% des Adèle et Diane ont eu une mention «très bien», contre 2,5% des Sabrina
  7. LCI.fr Bac 2013 : quand le prénom est déterminant pour la mention
  8. Direct Matin : Mention au bac. Mieux vaut mieux s’appeler Diane ou Adèle
  9. L’Express.fr Pour avoir la mention “très bien” au bac, mieux vaut s’appeler Diane que Sabrina
  10. Sud Ouest : Bac : 17% des Juliette et 2,5% des Sabrina ont obtenu une mention “très bien”
  11. Europe1 : Bac 2013 : Diane, un prénom à mention
  12. RTL : Bac : dis moi ton prénom, je te dirai ta mention
  13. La Nouvelle République : “Insolite” Bac 2013 : les prénoms qui donnent des mentions
  14. lefigaro.fr Bac 2013 : dis moi ton prénom je te dirai ta mention
  15. plurielles.fr Diane, Adèle, Quitterie : ces prénoms qui récoltent des mentions “Très Bien”
  16. youmag.com Mieux vaut s’appeler Adèle que Rudy pour avoir son bac avec mention très bien [j’aime bien ceci « Des résultats qui vont sans aucun doute relancer la polémique lancée lors de la précédente divulgation de cette étude en avril 2013 où beaucoup, comme Magic Maman s’insurgeait [sic] contre ce type d’étude qui véhicule “une fois de trop la théorie du déterminisme social” »]
  17. blog-examen : Bac 2013 : la mention dépend-elle du prénom ?
  18. psycho-enfants.fr : Bac 2013 : certains prénoms « réussissent » mieux que d’autres
  19. LaLibre.be [Belgique] : Pour réussir ses études, mieux vaut s’appeler Diane ou Adèle [On apprécie le «En France, c’est devenu un classique après chaque annonce des résultats du bac. Le sociologue Baptiste Coulmont…»]

Quelques indices signalent l’intérêt des lecteurs (comme ce “palmarès” des articles les plus partagés de lemonde.fr) :
lemonde-bac2013

Le 9 juillet (mardi), les réactions continuent.
D’abord, les journaux gratuits “20 minutes”, “Direct matin”, “Metro”… publient des petits articles sur les prénoms et le bac. Mais, et c’est intéressant, une Sabrina et un Kévin sont conviés par les blogs du Nouvel Obs pour exposer leur point de vue

  1. Le Nouvel Obs : Bac 2013 : dis-moi comment tu t’appelles, je te donnerai ta mention
  2. Je m’appelle Sabrina et mon prénom n’a rien à voir avec ma mention “Assez bien”
  3. Bac 2013 et prénoms : je m’appelle Kevin, on me prend pour un crétin mais…
  4. Et un jeune collègue, N. Docao [oui, j’ai atteint l’âge où je peux parler de “jeunes collègues”] décrypte Bac 2013 et étude sur les prénoms : les médias s’emballent, Kevin et Sabrina trinquent

Ce que dit Nicolas Docao m’intéresse : l’attention (passagère) accordée à mes travaux est liée à ceci : “s’il est un bien symbolique dont l’individu est affublé en dehors de toute procédure de choix, il s’agit bien de son prénom. (…) Qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, le prénom dépasse tout choix individuel” Et relier ce non-choix à un statut acquis (la réussite au bac) pose problème, cela d’autant plus que le prénom est vécu comme un résumé du soi.
Je relève aussi quelques articles publiés le 9 juillet :

  1. BFMTV Bac 2013: quel prénom a obtenu le plus de mentions Très bien?
  2. 7sur7.be [site belge] Les prénoms qui prédisposent à réussir le bac
  3. ParoleDeMamans.com [sic] Les prénoms pour réussir le bac !
  4. grazia : Faut-il s’appeler Diane ou Adèle pour avoir une mention au bac ?
  5. La Côte (Suisse) : Tu veux avoir la mention au bac? Appelle-toi Juliette ou Grégoire mais pas Brian! [avec un rappel de la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu]
  6. zurbains : Bac 2013 : à chaque prénom sa mention ! [mention “passable” à ceci : «Au-delà des chiffres, vous aurez compris qu’une interprétation de ces résultats n’a que peu de sens.»]

Une chose m’a surpris dans ces articles, l’idée selon laquelle “comme chaque année, le sociologue Baptiste Coulmont publie son étude sur les prénoms…”, idée qui n’apparaît pas seulement dans les articles, mais aussi sur twitter :
tous-les-ans-twitter
Dans le monde contemporain, les “traditions” s’implantent finalement très rapidement, dès la deuxième année.

La discussion s’est poursuivie aux États-Unis, certes de manière un peu moins médiatique :

  1. Le blog themonkeycage.org, tenu par un groupe éminent de politistes étasuniens, relaie mon travail, sous la plume d’Erik Voeten : Kevin Rarely Gets “Très Bien”
  2. et ce billet est à son tour repris par Kevin Drum sur le site du mensuel Mother Jones It’s Not Just Kevin Who Rarely Gets “Très Bien” : il n’y a pas que Kevin qui ait du mal à obtenir la mention “Très bien”, écrit …Kevin… Drum [Drum est un commentateur politique qui apprécie les statistiques. A-t-on cela en France ?]
  3. et, de manière indirecte sur un des blogs du Washington Post, Wonkblog [wonk est un mot qui désigne l’expert public un peu “nerd“]

Pendant ce temps, en France, quelques quotidiens publient [en version “papier”] des articles reprenant les conclusions du graphique (Le Progrès, L’Est républicain). Ces articles sont mentionnés dans le cadre de la Revue de presse du matin sur LCP. Et Ségolène Royal a du répondre à une question dessus (c’est vers la fin de la vidéo) :

Des journalistes du “20h” de France 2 ont fait un reportage (j’y suis interviewé). Le reportage a été diffusé le 11 juillet.

Ce reportage suscita plusieurs commentaires indignés sur “twitter” :
twitter-fr2-comm
Et enfin, le 12 juillet (vendredi), mon travail est rapidement abordé dans une chronique de l’émission Télématin :

Que retenir de tout ça ?

Je ne dirai presque rien ici des erreurs de lecture, je renvoie au billet de Nicolas Docao. Ces erreurs de lectures (“le prénom détermine…”) sont en lien avec ma démarche : les prénoms personnalisent, individualisent presque, une cérémonie nationale collective, la publication des résultats du bac. Camille a réussi… une Camille a réussi… les Camille ont réussi… 11% des Camille ont réussi… Le langage opère des raccourcis entre catégories (hétérogènes) et individus… et l’on a parfois affaire à de quasi-antonomases (les noms propres, ici certains prénoms, ne sont pas tout à fait utilisés comme noms communs, mais on n’en est pas très loin). Un jeu intéressant (pour mes travaux) se déploie entre fonction identificatrice du prénom (son rattachement à une personne précise, dans un contexte donné) et sa fonction connotatrice (puisque des qualités collectives, ici la réussite mesurée par le taux de mention, sont attachées aux prénoms, si bien que les porteurs du prénom, sans porter individuellement ces qualités, peuvent y être associés).
Je retiendrai ici surtout, d’abord, qu’il est possible de renouveler ce qui apparaissait comme une expérience particulière, un enchaînement d’articles et de reportages sur une réflexion sociologique autour des ressorts la réussite scolaire. Mais que ce renouvellement ne se fait pas à l’identique. L’année dernière, deux relais avaient été cruciaux : une dépêche AFP et un article en deuxième page du Monde. Cette année ce fut plus diffus et moins légitime. L’enchainement fut celui-ci :
(1)twitter–>(2)”pure players” [i.e. presse uniquement en ligne]–>(3)quotidiens gratuits–>(4)presse régionale–>(5)télévision
Pas à l’identique pour une autre raison : certaines personnes ont ressenti de la lassitude face à ce qu’ils avaient déjà lu ou entendu l’année précédente. Il n’est donc pas certain que ce travail sera autant relayé, si l’année prochaine je réitère l’analyse des résultats nominatifs au bac. De mon côté, l’infrastructure est déjà en place, automatisée, depuis le code R pour scrapper les résultats jusqu’à la production de deux “mini-sites”, celui qui indique les prénoms ayant le même profil et celui qui présente, de manière lisible, le “nuage des prénoms“… Il ne reste plus qu’à organiser une conférence de presse alors ?

La mention n’attend pas le nombre des années

Le monde scolaire valorise la précocité, c’est même peut-être un des autres noms de la classe sociale. Certains élèves “sautent”, tôt dans leur scolarité, une ou deux classes. Ce ne sont pas n’importe quels élèves, comme le montre Wilfried Lignier dans sa thèse, La petite noblesse de l’intelligence.
Sélectionnés dès l’enfance, ces élèves “en avance” (en avance sur leur classe d’âge) qui arrivent “en avance” au bac sont particulièrement adaptés aux épreuves.
Comme le montre le graphique suivant, ils obtiennent au minimum deux fois plus fréquemment la mention “Très bien” que celles et ceux qui sont “à l’heure” au bac, et 15 fois plus que celles et ceux qui ont un an de “retard”. [les données portent sur plus de 338000 élèves ayant obtenu 8 ou plus au bac en 2013]
mois-naissance
Graphique au format PDF, plus lisible

Il est intéressant de remarquer que la précocité se perçoit aussi mois après mois : celles et ceux qui sont nés en janvier 1995 et qui passent le bac en 2013 obtiennent moins de mention Très bien que ceux qui sont nés en décembre 1995. C’est probablement que les parents des enfants nés en janvier 1995 et qui souhaitaient maximiser le rendement de l’institution scolaire ont réussi à faire “sauter” un mois à leurs enfants, intégrés à la classe “1994”, et donc rendu précoces. La capacité des parents à imposer ces sauts diminue avec le nombre des mois : possible pour les “février”, difficile pour les “mai”, impossible, ou presque, pour les “décembre”.
Natura saltum non facit… mais le monde social institue des sauts.

Prénoms et mentions au bac, édition 2013

Mise à jour :

  1. Le mini-site https://coulmont.com/bac/ permet d’accéder à des résultats plus précis (distribution des mentions et liste des prénoms ayant le même “profil”).
  2. Une visualisation dynamique du graphique est maintenant en ligne ici
    bac-mention-2013

Cette année encore, la proportion de mentions “Très bien” que reçoivent les porteurs de certains prénoms permet de dessiner un espace social qui, immédiatement, fait sens. Prénoms choisis par des parents des classes intellectuelles, de la bourgeoisie ou du salariat d’encadrement d’un côté, prénoms choisis par des parents des classes populaires de l’autre.
Le graphique ci-dessous place les prénoms suivant :
– en abscisses la proportion de mention “très bien” associée au groupe des porteurs du prénom
– en ordonnées le nombre de candidats au bac, en 2013.

bac-2013
Lien vers le graphique au format PDF

En 2013, 20% des Diane et des Adèle ont obtenu une mention “TB”. Ce n’est le cas que de 4% des Enzo et des Anissa. 16% des Clara, 4,5% des Jeremy. Ces différences entre prénoms ne sont pas dues aux prénoms : les copies sont corrigées anonymement, et le prénom n’a rien de magique. Le prénom indique — de manière imparfaite et floue — l’origine sociale de celles et ceux qui le portent, et la réussite scolaire est, en partie, liée à cette origine sociale : “Parmi les élèves entrés en sixième en 1995, 71,7% des enfants d’enseignants ont finalement décroché en 2010 un bac général, 68,2% des enfants de cadres supérieurs, 20,1% des enfants d’ouvriers qualifiés, 13% des enfants d’ouvriers non qualifiés, et 9,2% des enfants d’inactifs”.
Pour revenir aux prénoms, si l’on ne garde que les prénoms qui apparaissent plus de 30 fois dans la base, ceux qui sont associés à un taux énorme de mention TB sont : Ulysse, Guillemette, Quitterie, Madeleine, Anne-Claire, Ella, Sibylle, Marguerite, Hannah, Irene, Octave, Domitille (qui sont entre un quart et un tiers à obtenir une mention). À l’opposé moins de 2% des Asma, Sephora, Hakim, Kimberley, Assia, Cynthia, Brenda, Christian, Bilal, Brian, Melvin, Johann, Eddy, et Rudy ont obtenu mention TB.

Les données portent sur plus de 338000 candidats au bac général ou technologique en 2013, qui ont obtenu une moyenne supérieure à 8/20 et qui ont accepté la diffusion de leurs résultats. 8,6% de cette population a obtenu une mention TB. L’aide d’Etienne O. fut précieuse !

Pour en savoir plus sur l’aspect sociologique des prénoms : Sociologie des prénoms, [sur amazon, dans une librairie indépendante]
Les années précédentes : 2012 [précisions] et 2011

Mise à jour : Les observateurs minutieux repèrent que l’on trouve surtout des prénoms de fille à droite. L’explication de départ est que les filles réussissant mieux que les garçons à l’école, elles reçoivent aussi, plus souvent que les garçons, des mentions TB. Une autre explication s’intéresse aux prénoms eux-mêmes : les prénoms des garçons choisis par les parents de “classes supérieures” sont peut-être moins socialement clivants que les prénoms de filles.

Dix ans et mille billets

Le blog que vous lisez a aujourd’hui dix ans. Mille billets y ont été publiés (N=997).

Inès et Arthur

Chaque année, le Figaro fait le comptage des prénoms les plus fréquents dans son Carnet, et publie ce palmarès dans un “guide des prénoms”.
Le but ? réduire l’anxiété de la bonne bourgeoisie en présentant “comment choisir” :
figaro-2013-comment
[Extrait du “Guide des prénoms”]
Voici le palmarès des prénoms de 2012. “Pia” m’a un moment surpris, avant de penser que cela pouvait être une variante féminisée de Pie.

figaro-2012-palmares

Ce palmarès a un intérêt : fournir, à un instant donné, et chaque année, une photographie des goûts bourgeois en matière de prénoms. La longue liste des prénoms présents mais peu répandus dans le Carnet, publiée aussi chaque année, pourrait aussi servir d’indicateur.

On se souvient que, l’année dernière, Joséphine était en première position, et l’année d’avant Louise (déjà présente en 2008).

Téléchargez le Guide des prénoms du Figaro (édition 2013).