Faut-il salarier les clients ?
Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire le billet publié dans Le Monde, à la une du cahier « Science & Médecine » du mercredi 22 janvier 2014, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?
Quelques explications supplémentaires alors.
Le point de départ de ma réflexion (et le point d’arrivée de la chronique) est cette histoire de contrôle : Bretagne : les clients rapportent leur verre au bar, l’Urssaf réclame 9 000 €, ou encore ici : Un bar doit payer 9 000 euros d’amende pour un verre rapporté au comptoir…
Et si la solution était de salarier les clients ?
Solution insolite, mais que quelques publicitaires avaient déjà utilisé, comme il est possible de le constater sur cette ancienne réclame pour un supermarché en ligne, qui montre des clients sous la figure des travailleurs, en utilisant les codes du réalisme socialiste.
Mais le socialisme soviétique ne proposait pas la fin du travail, il proposait d’autres formes de travail (que cette publicité ne montre pas).
Solution insolite, le salariat du client, mais qui s’inscrit dans une série de réflexions sociologiques sur la “mise au travail des clients” :
- Sciences de la Société, N° 82, Mai 2011 : L’activité des clients : un travail ? [où j’ai trouvé la référence de la publicité utilisée plus haut]
- Dujarier, Marie-Anne. Le travail du consommateur : De McDo à eBay : comment nous coproduisons ce que nous achetons, La Découverte, 2008
- Tiffon, Guillaume. La Mise au travail des clients, Economica, 2013
- Ritzer, George : The McDonaldization of Society, traduit en français sous le titre Tous rationalisés
- Bernard, Sophie, “Travailler « à l’insu » des clients. Défaut de reconnaissance en caisses automatiques, Travailler, n° 29, 2013/1 DOI:10.3917/trav.029.0119
- et aussi : Tiffon, Guillaume, “La pression du flux client” in Bercot et Rahou Le Travail de Service, Anact, 2013, p.131-138 [accès direct au PDF]
2 commentaires
Un commentaire par ML (23/01/2014 à 2:38)
Ravi que vous souleviez ce problème.
Depuis que j’enregisre moi-même mes commissions chez Carrouf, je n’ai pas constaté de franche baisse du ticket de caisse …
Mais assez étrangement, et cela devrait interpeller le sociologue roué que vous êtes, j’ai crû déceler une certaine décomplexion du personnel de caisse vis-à-vis du client. Celui-ci ne serait plus qu’un appendice serviciel du lumpen prolétariat de caisse (M. Benquet y trouvera l’opportunité d’un 2nd opus).
Ainsi, un soir, alors que je trainais à remplir mon cabas à un pool de caisses en libre-service, je me suis vu rabrouer par une jeune et innocente caissière qui me reprochait mon manque d’entrain et partant de “lui faire perdre son temps” (dixit).
Passé ma crise épidermique au terme de laquelle j’ai rappellé à la donzelle les fondements du droit de propriété (j’avais payé et il était hors de question qu’elle effleure mes achats, ce qu’elle s’est aventurée à faire), j’ai songé à la crapulerie de son employeur qui se commettait crassement, c’est un sentiment qui attend une confirmation juridique, dans du travail dissimulé …
Merci pour l’orignalité et la pertinence de vos analyses.
M L
Un commentaire par JF Paulin (07/02/2014 à 16:36)
Bonjour,
Votre papier dans Le Monde est tout à fait intéressant; les conséquences juridiques à en tirer plus discutables. Le problème posé me semble être plus celui des cotisations sur une activité qui profite exclusivement à l’entreprise que la reconnaissance d’un authentique contrat de travail et partant de travail dissimulé au sens actuel du code du travail. En revanche, la question du travail à titre gratuit est coeur des stages étudiants. Egalement enseignant chercheur (juriste), je travaille sur cette question et alimente un blog d’information pour les étudiants (www.etudiantspro.com).
Je vous signale qu’un collègue. P. Rozenblatt, sociologue, a publié à la revue de droit du travail sur l’évolution du droit du travail et la place problématique du client
Dalloz actualité / M. Lallement et P. Rozenblatt — 2 novembre 2011
Cordialement
JF Paulin