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Les billets de March, 2014 (ordre chronologique)

Tous des menteurs ?

Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire le billet publié dans Le Monde, à la une du cahier « Science & Médecine » du mercredi 5 mars 2014, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?

Parfois les enquêtés mentent… Les questionnaires des enquêtes quantitatives demandent alors aux enquêteurs (qui posent les questions) d’estimer la “bonne volonté” des enquêtés, comme ici à la fin du questionnaire de l’enquête TeO :

TeO-controle

Le cœur de la chronique vise à souligner que, si les enquêtés mentent parfois, ils tendent quand même à être honnête quand on leur demande s’ils ont répondu honnêtement. Le problème des sociologues n’est donc pas que “tous les Crétois sont menteurs”, mais d’arriver à faire quelque chose avec les réponses des 5% de Crétois menteurs (qui disent, quand on leur demande, qu’ils sont peut-être menteurs).
J’avais déjà abordé ce thème dans un vieux billet sur les réticences à répondre : A. Béjin expliquait, dans un article, les procédures de contrôle des réponses. L’article qui m’a donné l’occasion de la chronique de cette semaine m’a semblé intéressant dans la mesure où, au lieu de reposer sur une procédure externe, le contrôle de la parole des enquêtés repose sur eux-mêmes. Une injonction disciplinaire qui, en plaçant les individus en position de sujets, les incite à dire une vérité… Foucault, sort de ce questionnaire !

L’évaporation académique

Suite au billet sur le bilan de la qualification, un collègue m’a demandé une représentation graphique de l’évaporation académique (je l’avais fait il y a un an). On appelle “évaporation” la proportion de candidats “qualifiés” par le CNU qui, une année donnée, ne candidatent sur aucun poste ouvert au concours.
Voici donc une représentation à partir des données de 2013 :
pression-evaporation-2013
Cliquez : c’est plus lisible en PDF

Des disciplines comme le droit, l’infocom et la science politique sont “malthusiennes” : elles laissent entrer peu de monde (en cherchant à qualifier un nombre de candidates relativement équivalent aux nombres de postes, sauf la science politique, qui qualifie beaucoup car elle a peu de postes). D’autres disciplines (en bleu) qualifient presque toutes celles qui se présentent… ce qui conduit, étant donné qu’il n’y a pas autant de postes, à plus d’évaporation (des candidats qualifiés ne candidatent même pas).

Les données proviennent des fichiers mis à disposition par la DGRHA1-A.

L’image christique et l’objet phallique

La jurisprudence est aussi une mise en récit. Voici une petite histoire, en provenance d’une Cour d’appel (à peine réécrite).

Le 19 janvier 2010, des agents de la police municipale, alertés par des locataires d’une maison de retraite, se rendirent dans un passage près de l’avenue… Il constatèrent que sur le bord intérieur d’une fenêtre étaient apposées des feuilles A4, visibles de l’extérieur, sur lesquelles était représenté un Christ en érection avec une main faisant un doigt d’honneur. Ils constatèrent aussi ce qui paraissait être une sculpture de sexe d’homme.
Les policiers sonnèrent à la porte, et le locataire, qui comprit rapidement la situation, déclara : “Je retire mes images de suite. Sachez que j’en ai envoyé au Président de la République et que c’est une atteinte à ma liberté d’expression”.

Le 4 mars 2010, les policiers se rendirent à nouveau à cette adresse (car le locataire n’avait pas répondu aux convocations)… et ils constatèrent que l’affiche représentant le Christ (en érection et faisant un doigt d’honneur) était toujours à la fenêtre.

Le 8 mars le locataire déclare aux policiers que petit un les objets inscriminés ne sont pas à la vue des passant “dès lors qu’ils ne regardent pas à ma fenêtre, et que moi, quand je marche, je regarde droit devant moi”. Et que petit deux il a retiré l’objet mais qu’il a “entièrement le droit de mettre un tableau, quelle que soit la représentation de l’œuvre. je ne vois pas où est le mal et la raison profonde pour laquelle je suis convoqué, je n’en vois pas l’intérêt.”

Le 7 septembre, c’est devant le procureur qu’il doit s’expliquer. Il nie avoir diffusé un message à caractère pornographique. Il a même soutenu que “ce que je crée, c’est de l’art et j’ai le droit de faire ce que je veux chez moi”. Le procureur demande une expertise psychiatrique, mais le locataire refuse de se rendre au rendez-vous de l’expert “lui adressant un long courrier pour expliquer son refus”. Un peu plus tard, réentendu par les policiers, il leur remet un texte destiné “à tous les parasites de la République, donc tous les politiciens, et à l’armée et leurs esclaves”.

En novembre 2012, le Tribunal correctionnel condamne le locataire.

En mars 2013, la Cour d’appel relaxe en partie le locataire. Je vais citer l’arrêt

“Le dessin représentant un Christ en érection que Monsieur a désigné aux enquêteurs comme un tableau, avait manifestement pour objectif de provoquer ses éventuels contemplateurs, notamment dans leurs conviction religieuses ou sociales, mais il n’était pas de nature à provoquer chez le plus grand nombre une excitation sexuelle ce qui est le but principal de la pornographie qui ne peut se confondre avec la vulgarité ou la laideur. Par ailleurs ce même dessin qui en représente pas une image dégradée de l’homme, mais détourne et dévalorise un symbole religieux fort, porte atteinte aux convictions morales et religieuses des spectateurs mais pas à la dignité humaine.
Quant à la représentation d’un sexe d’homme en plastique, que l’on peut appeler godemiché ou olisbos, qui se trouvait posée à côté du dessin lors des premières constatations, [le locataire] a implicitement reconnu qu’elle présentait un caractère pornographique, ce qui est incontestable puisque cet objet a pour seule fonction de provoquer et de satisfaire le désir sexuel, et l’a retirée à la première demande. [Le locataire] fait observer devant la cour que de tels objets ou de semblables, sont visibles en bien d’autres endroits que sur sa fenêtre, notamment dans des catalogues de vente par correspondance généralement accessibles aux mineurs. Cependant l’affichage en vitrine d’un tel objet, à la vue de l’ensemble du public, est prohibé en raison justement de son caractère pornographique.
En conséquence de ce qui précède, il y a lieu de réformer le jugement et de relaxer [le locataire] des fins de la poursuite en ce qui concerne le dessin représentant un Christ, en maintenant en revanche la déclaration de culpabilité pou la reproduction de sexe d’homme en plastique.”

[Cour d’appel, Angers, Chambre correctionnelle, 28 Mars 2013, texte de l’arrêt sur droitdesreligions.net]

L’image (christique) ne semble donc pas avoir le même statut que l’objet (phallique).

Cet arrêt a été remarqué dans La semaine juridique (13/01/2014, “Les sanctions pénales et civiles de la diffusion d’un message à caractère pornographique”, Jean-Yves Maréchal, p.46), notamment parce qu’il y a eu aussi des conséquences civiles. Dans une décision du 29 octobre 2013, la Chambre civile de la Cour d’appel d’Angers rend un arrêt dont je cite un extrait :

En effet, s’il soutient n’être pas l’auteur des graffitis dégradant l’immeuble, alors qu’il a adressé au maire de la commune des courriers de même teneur, [le locataire] ne peut contester l’apposition d’affiches représentant un Christ en érection, avec commentaires, collées, de l’intérieur de son logement, contre les vitres des fenêtres et les volets, et la pose d’un sexe d’homme sur le rebord de sa fenêtre ainsi qu’il l’a été constaté par les policiers municipaux, et qu’il l’a reconnu, le 19 janvier 2010 (pièce n°10), ‘Je retire mes images de suite. Sachez que j’en ai envoyé au président de la république et que c’est une atteinte à ma liberté d’expression‘. Un tel comportement dans un immeuble collectif de 3 étages, divisé en 4 appartements (pièce appelant n°4), dont il occupe le rez de chaussée, constitue bien un manquement à l’obligation d’user paisiblement des lieux loués, visée à l’article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989 , suffisamment grave, à lui seul, pour justifier la résiliation du bail en application de l’ article 1729 du code civil . La décision qui a prononcé la résiliation du bail et ordonné l’expulsion sera confirmée de ce chef.

Avoir un prénom, changer de prénom

Vous arrivez ici peut-être après m’avoir vu dans une émission de télévision. Pour vous guider, voici quelques liens :

  1. Quelques réflexions sur les changements de prénom
  2. Exploration interactive : Les prénoms, reflet de l’origine sociale ? Les prénoms et le bac
  3. Présentation de mon livre Sociologie des prénoms
  4. un CV, si diplômes et titres vous intéressent

La plupart de mes articles sont en accès libre (sauf certains des plus récents) qu’ils portent sur le vote par procuration, ou l’affaire Olesniak (du nom d’une concierge qui, en 1969, projetait des films interdits dans sa loge.

Bourdieu and dataviz

[Please forgive (or correct) my English skills]
Bourdieu did many experiments with diagrams, what we tend to call “dataviz” today. Techniques of data visualization are not usual in contemporary sociology (according to Kieran Healy and James Moody’s paper) and they were not that usual forty years ago when Bourdieu wrote and drew.

Let’s begin with an image :

hautecouture

This image was published in an article about fashion and “haute couture” (le couturier et sa griffe, written with Yvette Delsaut)

And it dates back to a time when graphics had to be drawn by hands. The journal created by Bourdieu and his team, “Actes de la recherche en sciences sociales“, used the services of a comics creator who is also an academic, Pierre Christin… but I don’t know if Christin drew this particular graph. The source used by Bourdieu is from a trade magazine : “17 couturiers, leurs structures économiques”, Dépèche-Mode, n°683, mars 1974, and it is a great and complex “dataviz”. One could add some embellishments with d3.js but the structure is well-thought.

How to read the image :

  • – Haute Couture firms are placed according to their foundation date
  • – the thin-line circle is proportionnal to the number of employees
  • – the bold-line circle is proportionnal to the sales [revenue, sales turnover] : sales usually grow with the age of the firm
  • – the arrows represent the moves of specific individuals from one “haute couture house” toward another (you can see Yves Saint-Laurent leaving Dior to create Saint-Laurent) : « les nouveaux entrants sont pour la plupart des tranfuges des maisons établies » : “the “new” couturiers are very often turncoats [defectors?] from established Houses”
  • – the words at the bottom are words associated in 1974 with the Haute couture firms founded between 1880 and 1970 : Lanvin is “luxurious” and “exclusive”… Lapidus is “moderne” and rigorous”… Scherrer is “kitsh” and “ultra-chic”

It seems that this article “le couturier et sa griffe” (the fashion designer and his signature) has not yet been translated in English.

Let’s now give some background on this image :

  1. Bourdieu discusses on several occasions the uses of graphics (maps, plans, calendars, genealogical trees…) in his books. It is in “Le sens pratique” (1980), in which Bourdieu discusses his relationships with structural anthropology, that you will find the most thorough analysis of the use of diagrams :

    [My translation :] One should not see more than a theoretical artefact in the schema that put together as a sharper and synoptical form the information gathered by a recollection work(…)
    [in French] p.335 Il faut se garder de voir autre chose qu’un artefact theorique dans le schéma qui rassemble sous une forme resserrée et synoptique l’information accumulée par un travail de recollection (…)

    p.335 [schemas and explanations] are useful in two ways. First they offer an economical way to give the reader an information reduced to the relevant outlines [relevant features] and ordered according to an ordering principle both familiar and immediately visible. Second they enable us to show some of the difficulties that are created by the effort to gather and linearise the available informations (…)

    [schéma et explication] sont utiles à deux titres différents: premièrement ils offrent un moyen économique de donner au lecteur une information réduite aux traits pertinents et ordonné selon un principe d’ordre à la fois familier et immédiatement visible; deuxièmement, ils permettent de faire voir certaine des difficultés que fait surgir l’effort pour cumuler et linéariser les informations disponibles (…)

    Bourdieu wanted his diagrams to be read quite easily, but he did not want his diagrams to be only simple, they ought also be able to show that the translation from the observed reality to the graphical space is difficult. To show the work involved in creating these diagrams. They need to show many data points.

  2. The article “Le couturier et sa griffe” was published in the very first issue of “Actes de la recherche en sciences sociales“. An award-wining comics artist and illustrator, Jean-Claude Mézières, played a role in the graphical layout of this journal (which did not look like an academic journal). [to be clear : Mezières worked with Christin, who was married to the editorial staff of Actes, Rosine Christin : small world]

    Luc Boltanski (who was at the time a follower of Bourdieu) wrote recently about the creation of Actes de la recherche en sciences sociales. In this text we understand that diagrams were not only “post-structural” devices. They were also “post-comics” devices.

    [Rendre la réalité inacceptable, Paris, Demopolis, 2008]
    p.19 I collected fanzines bought in specialized bookstores. What we called fanzines at the time were small magazines by comics “fans”, often published by amateurs, without many funds (…) One of these fanzines seemed especially effective [beautiful ? successful?] : it was called Schtroumpfs (the title was an hommage to the little blue Smurfs [called Schtroumpf, in French]). One day, when I was discussing the
    thorny “journal-that-we-don’t-have” question with the boss, I pulled one issue of Schtroumpf from my bag and I said to him “We will make a sociological fanzine”…

    je collectionnais les fanzines achetés dans les librairies spécialisées. Ce que l’on appelait alors des fanzines étaient des petites revues de “fan” de BD, souvent publiées par des amateurs, avec très peu de moyens (…) L’un de ces fanzines me semblait particulièrement réussi: il s’appelait Schtroumpf (en hommage aux petits lutins du même nom). Un beau jour, au cours d’une conversation avec le patron sur cette fameuse question de la revue dont nous manquions, je sortis un exemplaire de Schtroumpf de mon sac et je lui dis: “on va faire un fanzine de sociologie”…

  3. One can find a few texts that reflects on Bourdieu’s use of diagrams, photographs, graphs and typographic variations. For example in Michel Gollac’s text : La rigueur et la rigolade (in : Rencontres avec Pierre Bourdieu, sous la direction de Gérard Mauger, Éditions du Croquant, 2005). The title translates as “Rigor and fun”, and this text reflects on Bourdieu’s oral advice that sociology should be “fun”. [I would say that his idea of “fun” was a peculiar scholastic fun. Bourdieu was not very well known for being funny]. Gollac’s idea in this text is that Bourdieu’s diagrams (which were not always based on hard statistical evidence) were supposed to be a “fun time” during the reading. A fun pause, a “free trip” into social space. But these graphs required a “strenuous effort” to be drawn… Rigor and fun…

    A central part of his text is :

    « Whether handmade diagrams or true correspondance analysis graphs, what’s essential is that they offer a novel possibility (unthinkable with tables or regression analysis results) : to wander freely in a social space. This virtual trip is a fun time, in the strongest sense of the word : offering in a single gaze the whole possible lifestyles (which is not possible with a variable-by-variable classical analysis) . it [the trip] condenses in a short amount of time the pleasure to “live all the lives”, to use one ofBourdieu’s expression.
    This condensation of the whole possible shows [makes it to appear, in French] that each practice is situated and takes its meaning only in relation to the other practices, and this is showed through a
    conscious and laborious effort, but also through the pleasure of the sensible evidence and visual esthetics. »

    « Qu’il s’agisse de diagrammes faits à la main ou de véritables graphiques d’analyses de correspondances, l’essentiel est qu’ils offrent une possibilité inédite, impensable à l’aide de tableaux ou de résultats de régressions : se promener librement dans un espace social. Cette promenade virtuelle est un moment fun, au sens le plus fort : offrant, en un seul regard, l’ensemble des styles de vie possibles (ce que ne permet nullement un traitement classique, variable par variable), elle concentre en un court instant le plaisir de « vivre toutes les vies », pour reprendre l’expression de Bourdieu.
    Cette concentration de l’ensemble des possibles fait aussi apparaître, non seulement à travers un effort conscient et pénible, donc à peu près impossible à soutenir tout au long d’une recherche, mais aussi à
    travers le plaisir de l’évidence sensible et de l’esthétique visuelle, que chaque pratique se situe et ne prend sens que par rapport aux autres. »

  4. From all these elements, it follows that diagrams are not simple images of statistical relations between variables. The relationship between statistics and images is far from being univocal :

    bourdieu-disctintion-g5

    In the French edition of La Distinction, the “Graphique 5 / Graphique 6” “Espace des positions sociales / Espace des styles de vie” is famous. Bourdieu writes in a note that “it is not a correspondance analysis graph”, but a summary of many partial graphs that takes the form of a correspondance analysis graph. In short he says : I don’t have the data to back this graph, but I have many smaller datasets that hints at this graph… so… let’s do it.
    There are other “fake” graphs : « L’espace des consommations alimentaires » (graphique 9), « L’espace politique » (graphique 21) : « This diagram is a theoretical outline [schéma] that was constructed on the basis of a thorough reading of available statistics (and of various correspondance analyses) » [French text : Ce diagramme est un schéma théorique qui a été construit sur la base d’une lecture approfondie des statistiques disponibles (et de différentes analyses des correspondances).]

    Some see Bourdieu as a “faussaire statistique génial” : a brilliant statistical counterfeiter. But let’s be charitable and let’s speak of “a genial compositor” (creator of composite graphs).

Vote à distance, distance au vote ?

Dans un article sur Metropolitiques, Lucie Bargel analyse le vote des “originaires”, celles et ceux qui sont vues comme étant “d’ici”, mais qui vivent “là bas”. Elle pointe l’existence de villages dans lesquels il y a plus d’inscrits (sur les listes électorales) que de résidents (au sens du recensement). Cet “effet Bargel”, est-il fréquent ?

La carte suivante laisse penser que oui.
france-inscrits-residents
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Sur cette carte, les zones en rouge sont celles où les inscrits sur les listes électorales de la commune sont plus nombreux que les résidents de la commune. Certes il existe un lien entre la résidence et l’inscription sur les listes électorales. Mais une résidence “secondaire” dans une commune peut suffire à être inscrit sur la liste de cette commune. Et il y a aussi tous ces “jeunes” (et moins jeunes), qui, ayant quitté leurs parents, continuent, par attachement peut-être, à voter là où ils résidaient. Traditionnellement, ces personnes ont été qualifiées de “faux inscrits” [Sineau. “L’abstentionnisme parisien…” RFSP 28(1), 1978, 55-72] (on trouve aussi l’expression chez Gaxie dans Explication du vote: Un bilan des études électorales en France) en suivant l’idée que ces personnes ne devraient pas être inscrites.

Creusons un peu cette carte. Si l’on se restreint aux résidents majeurs (en enlevant les enfants, qui ne votent pas et qui donc n’ont rien à faire dans l’histoire), que remarque-t-on ?

france-inscrits-residents19
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On voit donc apparaître une France de l’attachement, en rouge. Une “France du vide” (démographique) mais une France qui n’a pas été entièrement quittée par celles et ceux qui n’y habitent plus vraiment. La France des montagnes : Morvan, Alpes, Pyrénées. La France des plâteaux : le Perche, les Ardennes sont visibles sur cette carte. Et, aussi, une France de la Côte (regardez bien, à l’Ouest normand ou breton, où presque tous les villages du littoral immédiat sont roses ou rouges) pleine de résidences secondaires. Au total, plus de 17 000 communes ont plus d’inscrits sur les listes électorales que de résidents majeurs. Cela peut sans doute contribuer aux difficultés rencontrées par de nombreux villages dans la constitution de listes de candidats complètes pour les municipales.

Une représentation graphique montre une relation entre l’altitude d’une commune et le rapport entre nombre d’inscrits et nombre de résidents… là se niche peut-être le cœur de “l’effet Bargel”.
altitude-inscrits-residents
Mais une altitude (1000 mètres) ne signifie pas la même chose partout en France. Il y a des “1000 mètres” très difficiles à atteindre et des “1000 mètres” bien plus aisés à atteindre. Je propose deux régressions (linéaires et locales), sans pondération (ce qui donne à chaque village ou ville un poids égal) ou avec une pondération par le nombre d’inscrits. Dans les quatre cas, la relation est positive.

L’étude de la relation entre la variation de la population et la “surinscription” est moins univoque. Le graphique suivant met en abscisse la variation relative de la population (entre 1999 et 2011) et le ratio “inscrits sur résidents majeurs” en 2008/2009.
La régression linéaire sur les communes a un coefficient négatif : avoir perdu des habitants est corrélé à “avoir plus d’inscrits que de résidents majeurs”. Mais si on prend en compte la taille des communes (leur population en 2011), alors le coefficient est très proche de zéro : la surinscription n’est pas liée à la variation relative du nombre d’habitants.

population-evolution-inscrits
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L’inscription sur les listes électorales étant liée, quand même, à une forme de résidence (ancienne, partielle, secondaire…) il est possible que les villes et villages comptant une grande proportion de résidences secondaires soient aussi des endroits avec une surinscription plus forte. C’est, globalement, le cas :
surinscription-secondaires
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Plus il y a de résidences secondaires (en proportion) plus il y a d’inscrits “en trop” (par rapport aux résidents majeurs).

On peut aussi regarder s’il existe une relation entre la proportion d’actifs résidents dont le travail se trouve à l’extérieur de la commune et la surinscription. J’utilise là une variable non pas pour elle-même, mais comme indicateur de la situation communale : une zone de résidence plus que de travail. Une partie des surinscrits sont peut-être des personnes qui travaillent et vivent en dehors de la commune où ils sont inscrits.

Le graphique suivant résume les corrélations entre variables (prises deux à deux) :
corrplot

Mais alors, ce rôle de l’altitude c’est peut-être juste la combinaison du déclin de la population et d’un nombre important de résidences secondaires combiné à une situation d’emploi particulière ? Une régression linéaire multiple, sur ces quatre variables, laisse penser que non : une altitude plus élevée reste associée à une surinscription plus forte (en contrôlant les autres variables). L’effet Bargel résiste bien à la régression !

Cette surinscription a-t-elle des conséquences électorales ? Après tout, ces non-résidents ne votent peut-être pas, s’il faut, pour voter, se déplacer. Ces villages où se trouvent plus d’inscrits que de résidents, doivent connaître un taux d’abstention plus élevé que la moyenne, n’est-ce-pas ? Pas vraiment : participation et surinscription semblent corrélées.
participation-bargel

Peut-être que les “surinscriptions” ont lieu dans des zones électoralistes… et que ceux qui résident ailleurs mais y sont inscrits continuent, même à distance, à participer intensément. Il est probable (à vérifier…) que si ces résidents temporaires font l’effort de s’inscrire (ou ne font pas l’effort de s’inscrire ailleurs), alors ils font aussi, peut-être, l’effort de voter (ou d’établir une procuration). Distance au vote ou vote à distance ? ce “ou” n’est pas exclusif. Il est certainement possible d’analyser cette “surinscription” comme la surmobilisation de groupes ou de personnes, qui arrivent à voter, à élire, sans avoir à résider.

Maintenant, vous pouvez retourner lire l’article de Lucie Bargel.

Notes : Les cartes ont été réalisées avec R, package maptools, à partir d’un shapefile des communes (GeoFla) et de données de l’INSEE (pour le recensement) et du ministère de l’intérieur (pour le nombre d’inscrits sur les listes électorales). J’ai bien conscience que ces sources n’ont pas la même origine, qu’une “résidente” et qu’une “inscrite” sont les résultats de définitions différentes… mais qui ne sont pas sans lien entre elles. L’appariement des données s’est fait très rapidement mais un peu “à la louche” quand même.

La province à Paris

De quel endroit viennent les Parisiens ?
parisprovince
En utilisant les données de l’INSEE sur la mobilité des résidents entre 2005 et 2008, il est possible de repérer les départements d’origine des néo-parisiens.
J’ai essayé de prendre en compte la taille des départements d’origine et des arrondissements d’arrivée, pour repérer les flux “significatifs” (qui ne sont pas toujours les flux les plus importants).
Note de lecture : cette carte compte tous les “78” comme des Versaillais, et tous les “77” comme des Melunais.
La carte avec les numéros de département est ci-dessous :
parisprovince-nombres

From tags to niches : big “data porn”

The first issue of Porn Studies has now been published, and it contains the article written with Mazières, Trachman, Cointet and Prieur, “Deep Tags“. In it, we describe a huge dataset of titles and tags. One interesting part is where we try to define what could be a “niche”, as arising from shared tags rather than from a particular or specific desire.
You can find more information about this article and the dataset on sexualitics.org.
Deep tags: toward a quantitative analysis of online pornography (open access)

La procuration au premier tour (Paris, municipales, 2014)

Centre et périphéries à Paris : le recours à la procuration fut peu important au premier tour des municipales. Il fut plus important dans les arrondissements centraux.
procurations-paris-municipales-t1
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Porno… graphies

Les rythmes académiques de publication sont plutôt lents. Au temps de la recherche il faut ajouter celui de l’écriture, celui de l’évaluation, de la réécriture, de la mise en page, des corrections, de l’insertion dans un numéro de revue… Le tout est plus ou moins rapide. Parfois, plusieurs textes sont publiés au même moment, et c’est ce qui m’est arrivé ce mois-ci, quand trois textes ont finalement vu le jour :

  1. Deep tags: toward a quantitative analysis of online pornography a été publié dans le premier numéro de Porn Studies. C’est un article auquel j’ai participé, avec Antoine Mazières, Mathieu Trachman, Jean-Philippe Cointet et Christophe Prieur.
  2. La notice “Sex-shops” dans le Dictionnaire des sexualités dirigé par Janine Mossuz-Lavau
  3. Police économique : le petit commerce pornographique sous l’œil de la police, 1965-1971 est un petit article paru dans Regards croisés sur l’économie. [j’ai plusieurs “tirés à part électroniques” pour celles et ceux qui souhaitent lire l’article]
  4. Et j’ai mis en ligne sur hal-shs une version préliminaire de Les économies de l’obscénité qui avait été publié en 2012 dans un ouvrage collectif.

Les auteurs prolifiques (et moins intéressés par l’empirie), eux, ont une autre stratégie éditoriale : toujours alterner la réédition en poche d’un ancien livre avec la sortie d’un nouveau livre, pour se trouver, toujours, sur la table d’une librairie. Je n’y suis pas encore.