À son nom
Les prénoms nous entourent. Et parce qu’ils servent de terme d’adresse (“Salut Eddy !”), de terme de référence (“Tu connais Edouard ?”) individuels ou de classificateur collectifs (les Louis sont des garçons), ils se prêtent à des usages troubles. Revenons donc, après ceci et cela, sur les prénoms dans la réclame.
Récemment, @brooklynbridge m’envoyait la photo suivante, une publicité Coca sur laquelle quelques protestations se faisaient entendre. « Et Mohamed ? »
Difficile à lire, mais d’autres commentaires s’ajoutaient : Et Sofiane ? Et Kelly ? Et Minh ? Kim ?
Voici quelques années maintenant que les publicitaires de la boisson gazeuse utilisent les prénoms. Mais pas n’importe lequel : “votre” prénom. Fini les bols à son nom, voici la canette.
Mais à la différence de variables simples, comme le sexe (le plus souvent dichotomisé), la profession (ramenée à une nomenclature à six modalités) ou l’âge (ramené à quelques grands groupes, 18-25, 25-40, 40-60…), il existe plusieurs dizaines de milliers de prénoms différent en circulation, voire quelques centaines de milliers, rien qu’en France. Et n’allez pas dire à Priscillia qu’elle est une Precylia : l’orthographe fait la personne.
Coca va laisser insatisfait un grand nombre de personnes : il faudrait quelques milliers de prénoms différents pour couvrir 80% de la population.
Sauf à imaginer la fabrication sur mesure de canettes à son nom.
La publicité n’a fait, ici, que suivre les usages. « Monsieur le Premier Ministre, mon cher Manuel » écrivait, hier, l’ancienne ministre de la culture sur sa lettre de dé-motivation. Même les sociologues utilisent, pour nommer leurs personnages, très souvent, des prénoms. Mais dans la pub, Coca est un cas à part: il n’y a pas toujours personnalisation/individualisation du consommateur, le prénom est le plus souvent utilisé comme indicateur d’un groupe de classe/ethnicité/genre/âge.
Voici une récolte de publicité, réalisée au cours des derniers mois, principalement dans le métro parisien.
Deux hommes, deux femmes (dont une “issue de l’immigration”), mais l’on parle toujours de l’Homme :
Une jeune femme (probablement née vers 1995) :
Clémence (mais cela aurait pu être Victoire ou Coline … mais pas Cynthia)
Les associations et les commerces trans-nationaux signalent à demi-mots le public visé.
Parfois le corps redouble le prénom :
La ratp, entreprise citoyenne, favorise la diversité :
Mais si on laisse faire la ratp, on se retrouve vite avec des prénoms “bien de chez nous” :
Des prénoms de hipster, comme Marcel :
Lauriane est “Responsable”, Sophie est “Assistante” :
Certains en perdent même leur titre :
Dispositif narratif, le prénom vise à assurer, en l’absence de corps, l’identité d’un personnage tout au long d’un texte. Il n’y a que dans les romans expérimentaux de Claire Chazal ou d’un collègue historien démographe de l’EHESS que l’on observe une variabilité importante. Il en va de même dans les publicités, concentré narratif :
Déformation professionnelle : certains mots ressemblent à des prénoms.
Eux aussi font partie de notre monde. Ils ont aussi un prénom, une race, un genre :
Les prénoms nous entourent.
[yarpp]