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Durkheim et les statistiques, petite note

Billet publié le 17/01/2016

François Simiand, dans son compte-rendu du Suicide paru dans la Revue de métaphysique et de morale en 1898 (dans une rubrique intitulée “L’année philosophie 1897”), critique les usages non-réflexifs des données statistiques dans cet ouvrage : “une critique préalable de la valeur respective des statistiques, selon les pays et selon les dates serait en pareille matière toujours souhaitable : tout fait, que quelqu’un a des raisons de dissimuler, est difficilement atteint par la statistique”

La plupart du temps, en effet, Émile Durkheim ne propose aucun examen critique des sources statistiques qu’il utilise. Comme on le voit, cela lui a très tôt été reproché, même au sein du premier cercle durkheimien. Est-ce à dire que Durkheim serait aveugle à la qualité des données statistiques ? Non. Dans Le Suicide, il use à plusieurs reprises d’un regard critique envers les chiffres dont il dispose. Voici quelques exemples :

  • p87. Durkheim récuse la significativit dde chiffres trop faibles qui n’ont pas “toute l’autorité désirable”.
  • p144. « ce qu’on appelle statistique des motifs de suicides, c’est, en réalité, une statistique des opinions que se font de ces motifs les agents, souvent subalternes, chargés de ce service d’information » : les statistiques produites, le plus souvent, ne sont pas dignes de foi car les agents qui les recueillent sont mal formés pour le faire ; Durkheim est de plus très sceptique face à la possibilité d’étudier les opinions.
  • p166. « la statistique du suicide par profession et par classe ne [peut] être établie avec une suffisante précision » : ces données sont complexes à recueillir
  • p168. (note 2)  « l’exactitude de la statistique espagnole nous laisse sceptique » : l’appareil administratif espagnol est beaucoup moins précis que celui d’autres pays, nous dit Durkheim
  • p219. « en temps de crise […] la constatation des suicides se fait avec moins d’exactitude » car l’action de l’autorité administrative est paralysée.
  • p398-400. Durkheim discute de la qualité des statistiques judiciaires et des statistiques de décès : « le nombre des morts par la foudre a encore beaucoup plus augmenté; il a doublé. La malveillance criminelle n’y est pourtant pour rien. La vérité, c’est, d’abord que les recensements statistiques se font plus exactement et, pour les cas de submersion, que les bains de mer plus fréquentés, les ports plus actifs, les bateaux plus nombreux sur nos rivières donnent lieu à plus d’accidents »

Ces critiques sont à la fois radicales (il ne faut pas étudier les « motifs » des suicides, bien qu’ils soient disponibles dans les annuaires statistiques, car ce ne sont que des « appréciations personnelles ») et de détail (tel chiffre est faux, tel autre est mal recueilli). Durkheim n’est donc absolument pas dupe de la qualité des chiffres qu’il utilise. Le Suicide est un ouvrage de combat, et Durkheim va sélectionner les données qui l’intéressent : il ne va critiquer que les données numériques qui lui posent problème.
Vous voudriez en savoir plus : Sociologie du Suicide de Durkheim (document PDF).

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