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Les billets de May, 2016 (ordre chronologique)

Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom

changer-prenom-couv-petitIl y a quelques semaines sortait Changer de prénom (PUL, 2016), le fruit d’une enquête sur la procédure en changement de prénom. Je décris, dans ce livre, une tendance ancienne à la libéralisation qui soutient ce qui peut se comprendre comme un droit à devenir soi-même. Ainsi, la quasi totalité des demandes adressées aux juges aux affaires familiales étaient acceptées, mais après un examen pouvant prendre plusieurs mois, et, très souvent, une audience devant juge, procureur et greffière.
Le gouvernement a proposé une modification de l’article 60 du code civil venant conclure cette tendance à la libéralisation : “Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom.” Et cette demande est acceptée, sauf si l’officier pense que la demande ne revêt pas un intérêt légitime : il saisit alors le procureur de la République, qui se penche à son tour sur la question, et qui peut s’opposer au changement.
Au cours de mon enquête, les oppositions des procureurs étaient rares. Ils émettent parfois des avis réservés, rarement des oppositions totales.
Interventions télévisées sur ce sujet :

Une synthèse faite de Marx, de Weber et de Durkheim

Est-il possible de procéder à une synthèse rigoureuse de la pensée de sociologues aussi divers que Marx, Weber et Durkheim ?
Pour le savoir, exposons d’abord quelques textes de ces grands auteurs :
Marx/Engels, en premier, privilège chronologique oblige, dans leur correspondance, le 22 juin 1869 :

Les pédérastes commencent à se compter et trouvent qu’ils constituent une puissance dans l’État. Seule manquait l’organisation, mais d’après ce texte, il semble qu’elle existe déjà en secret. (…) ils sont dans tous les vieux partis et même dans les nouveaux des hommes si importants (…) que la victoire ne saurait leur échapper. « Guerre aux cons, paix aux trous-du-cul » [en français dans le texte], dira-t-on maintenant. C’est encore une chance que nous soyons trop vieux pour avoir à redouter, en cas de victoire de ce parti, d’avoir à payer, physiquement, quelque tribut aux vainqueurs. Mais la jeune génération ! Au reste, il n’y a qu’en Allemagne qu’un type de ce genre puisse monter sur scène, ériger en théorie cette saloperie et proclamer : introite [entrez], etc.
Source : Correspondance Marx Engels

Max Weber ensuite, qui va décrire les Polonais de l’Est de l’Allemagne comme une race inférieure :

Der polnische Kleinbauer im Osten ist ein Typus sehr abweichender Art von dem geschäftigen Zwergbauerntum, welches Sie hier in der gesegneten Rheinebene durch Handelsgewächsbau und Gartenkultur sich an die Städte angliedern sehen. Der polnische Kleinbauer gewinnt an Boden, weil er gewissermaßen das Gras vom Boden frißt, nicht trotz, sondern wegen seiner tiefstehenden physischen und geistigen Lebensgewohnheiten. Source : Weber, 1895, Der Nationalstaat und die Volkswirtschaftspolitik.
traduction partielle : Le petit paysan polonais gagne du terrain parce que, dans une certaine mesure, il se nourrit pour ainsi dire de l’herbe du sol, non pas en dépit, mais à cause de son très bas niveau physique et intellectuel. [traduction : Revue du Mauss, 1989]

Et Émile Durkheim enfin, dans Le Suicide, publié en 1897 :

dans tous les pays du monde, la femme se suicide beaucoup moins que l’homme. Or elle est aussi beaucoup moins instruite. Essentiellement traditionnaliste, elle règle sa conduite d’après les croyances établies et n’a pas de grands besoins intellectuels.
[…]
on dit que les facultés affectives de la femme, étant très intenses, trouvent aisément leur emploi en dehors du cercle domestique, tandis que son dévouement nous est indispensable pour nous aider à supporter la vie. En réalité, si elle a ce privilège, c’est que sa sensibilité est plutôt rudimentaire que très développée.
[…]
Avec quelques pratiques de dévotion, quelques animaux à soigner, la vieille fille a sa vie remplie. Si elle reste si fidèlement attachée aux traditions re- ligieuses et si, par suite, elle y trouve contre le suicide un utile abri, c’est que ces formes sociales très simples suffisent à toutes ses exigences.
[…]
En effet, les besoins sexuels de la femme ont un caractère moins mental, parce que, d’une manière générale, sa vie mentale est moins développée. Ils sont plus immédiatement en rapport avec les exigences de l’organisme, les suivent plus qu’ils ne les devancent et y trouvent par conséquent un frein efficace. Parce que la femme est un être plus instinctif que l’homme, pour trouver le calme et la paix, elle n’a qu’à suivre ses instincts.

Pour résumer, avec un peu d’anachronisme donc, il nous faudrait en synthèse une personne pouvant tenir des propos à la fois homophobes, xénophobes et antiféministes. Eric Zemmour ? Alain Finkielkraut ? La liste est longue, en fait, des synthèses wébéro-durkheimo-marxiennes. Mais sont-elles rigoureuses ?

Trève d’ironie : pour l’analyse réelle d’une tentative de synthèse véritablement sérieuse, rigoureuse et critique, vous pouvez lire le dernier ouvrage de Jean-Louis Fabiani : Pierre Bourdieu : Un structuralisme héroïque.

Ectoplasme ! Moule à gaufre ! Ambassadeur à particule !

La diplomatie fut longtemps une occupation acceptable pour un aristocrate. Encore aujourd’hui, environ 4% des ambassadeurs français portent une particule (alors que la proportion dans la population française est inférieure à 1%). Une petite base comportant des informations sur 3000 nominations d’ambassadeurs (sur data.gouv.fr) depuis 1944 nous permet de repérer une tendance à la baisse.
ambassadeurs-nobles-1944-2012

[Merci à @Gilda_f pour le titre]

Monsieur de l’Isle

Certaines personnes, en France, possèdent un petit signe distinctif, une particule dans leur nom de famille : un “de”, un “du” ou un “d'”, voire un “des”. Moins d’un Français sur 100 en possède une.
Des indices variés laissent penser que cette particule est prestigieuse. Quand des personnes possèdent un nom à rallonge, de la forme “Coulmont de la Gastine”, un jeu identitaire est possible. Se définir publiquement comme “Coulmont” ou choisir au contraire “de la Gastine”, un beau nom de Vicomte. Il me semble que c’est souvent “de la Gastine” qui est utilisé au quotidien. Ainsi Philippe Le Jolis est-il connu sous le nom de Philippe de Villiers.
Mais peut-on trouver des preuves plus solides de ces prétentions à la distinction ?
Les demandes de changement de nom de famille, que publie chaque jour le Journal officiel, sont intéressantes. Elles sont nombreuses, mais surtout elles indiquent, du point de vue des demandeurs, une préférence. Molière l’écrivait déjà en 1662, il existe des particules de vanité :

« Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre
Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux. »

C’est que la quasi-totalité des nobles titrés, en France, ont un nom à particule. Et on estime à plus de 97% la proportion des adhérents de l’Association de la noblesse française possédant une particule. Si tous les nobles avaient des cheveux verts, ce signe, même partagé par d’autres personnes, non nobles, prendrait une signification particulière. Certaines personnes se coloreraient les cheveux en vert : «C’est parce qu’il y a des gens qui veulent à toute force entrer dans la noblesse que le mécanisme de la noblesse marche», écrivait Pierre Bourdieu. Car à la différence de la caste, fermée, la noblesse accepte, avec parcimonie, les prétendants.

Je n’ai pas trouvé de demandes d’abandon de nom à particule, mais j’ai trouvé, en quelques semaines, plusieurs dizaines de demandes visant à prendre une particule. De la même manière que Monsieur Cocu demande à devenir Cossu, que Madame Crotte demande à devenir Madame Crosse, l’on va trouver des Monsieur Lagrange voulant devenir “de la Grange”, ou souhaitant ajouter “du Roy” pour devenir “Lagrange du Roy”.

Voici une liste partielle de demandes récentes, pour lesquelles j’ai censuré certaines informations :

changementdenom-particule
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