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Les billets de November, 2016 (ordre chronologique)

Namyboo… et recommander des prénoms

Pour aider les futurs parents à choisir un prénom, maintenant qu’ils peuvent choisir n’importe lequel des prénoms qu’ils aiment, il existe des livres, les conseils des grands-parents, des forums… etc. Et un site (namyboo.com) qui aide dans le processus lui-même, en permettant aux parents de dresser une liste ordonnée de prénoms sur lesquels ils s’accordent.

Si j’aime ça, j’aimerai ça

http://namyboo.com est un nouveau site permettant aux parents angoissés de trouver un prénom qu’ils aiment. Plusieurs dizaines de milliers d’individus y ont déja cherché un prénom. Le principe est simple : après avoir sélectionné des listes thématiques de prénoms, il suffit de cliquer “j’aime / je n’aime pas”, puis de classer les prénoms entre eux. Le créateur du site m’a donné accès à un extrait, entièrement anonymisé, des choix réalisés par quelques dizaines de milliers d’internautes.

On peut considérer que deux prénoms sont liés entre eux quand plusieurs personnes les ont appréciés tous les deux. C’est ainsi que “Margaux” et “Margot”, logiquement, se trouvent reliés. Mais quels autres prénoms sont appréciés des Margophiles ? et des Marceauphiles ?

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Le graphique précédent – qui ne représente qu’une petite partie du réseau de relations entre prénoms – colorie de la même couleur des prénoms qui sont proches, souvent appréciés ensemble ou appréciés par des personnes qui apprécient un prénom proche (j’ai comparé avec la matrice d’indépendance pour faire ressortir les liens forts). Mathis, Dorian et Julian se trouvent dans le même groupe. Augustin, Octave et Charles dans un autre. C’est Quentin qui les relie. On voit aussi ici que Margot est plus proche de Jeanne que de Margaux.

La structure principale reste l’opposition entre prénoms de garçons et prénoms de filles : la recherche d’un prénom est avant tout la recherche d’un prénom “pour un garçon” ou d’un prénom “pour une fille”.

Un amour conditionnel

Un autre calcul est possible : regarder, pour chaque prénom, les prénoms appréciés par au moins un tiers des individus qui apprécient ce prénom. Dans le tableau suivant, on voit que plus d’un tiers de ceux qui apprécient Augustin apprécient Arthur, Jules et Louis. Mais que les fans d’Arthur préfèrent Louis et Jules à Augustin. Les appréciations ne sont pas symétriques : on peut “prédire” qu’un Augustinophile moyen aura Arthur en second choix, et aussi prédire qu’un Arthurophile n’aura pas Augustin en second choix.

prénom apprécié autres prénoms aussi appréciés
Arthur Louis; Jules; Gabriel
Adam Gabriel
Augustine Joséphine; Léonie; Célestine
Alan Liam; Maël; Léo
Milan Eden
Augustin Arthur; Jules; Louis
Guillemette Aliénor; Blanche; Suzanne
Milane Eden; Lila; Mila
Quitterie Éléonore; Alix; Domitille
Doriane Oriane; Romane; Roxane
Addison Emery; Camélia; Jamie
Adama Kobe; Ada; Enu

On peut alors dessiner le réseau des voisins de tel ou tel prénom (ici, je retiens jusqu’aux voisins d’ordre deux, les voisins des voisins). Les flèches vont du prénom initial vers le prénom aussi apprécié. Les futurs parents qui apprécient Loana n’apprécient pas tout à fait les mêmes prénoms que les parents qui sont fans de Quitterie, Amicie ou Guillemette.

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Mais comme on peut le constater, un groupe de prénoms, Louise, Alice, Rose… sont des prénoms souvent “appréciés aussi”, quel que soit le prénom de départ. Ils constituent des attracteurs de choix qu’un bon système de recommandation ne devrait pas proposer – ils sont déjà dans la tête des parents.

Chez les garçons, Gabriel, mais aussi Arthur et Adam forment un tel attracteur.

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http://namyboo.com présente les prénoms dans des “silos” : par genre et par thème. Le site ne proposera pas des prénoms turcs, par exemple, si l’internaute n’a pas présélectionné ce groupe de prénoms, sauf si, par hasard, quelques prénoms “turcs” se trouvent dans un autre groupe (par exemple le groupe des prénoms donnés à Paris). Il est évident que cela structure l’expression des préférences des internautes-futurs-parents (et donc les réseaux ici présentés, qui reflètent en partie ces silos).

Elle a du chien !

didierIl n’y a pas que les prénoms des bacheliers à étudier. Il y a aussi les prénoms des chiens. Certes ils révèlent, à première vue, moins de choses sur la structure sociale de notre monde. Mais ils sont loin d’être sans intérêt.

La revue Annales de démographie historique vient de publier un numéro thématique consacré à la nomination, et j’y figure avec un article, « Des prénoms qui ont du chien » que vous pourrez trouver sur le portail cairn.info ou en me contactant. Les autres articles du numéro valent la lecture : Cyril Grange y analyse l’évolution des choix des prénoms dans la bourgeoisie juive parisienne, Elie Haddad les stratégies des nobles en matières de noms de famille, Vincent Cousseau les noms donnés aux esclaves dans la Caraïbe.

Voici le résumé de l’article : À partir d’informations individuelles concernant un peu plus de 10 millions de chiens nés entre 1970 et 2012, cet article explore la nomination canine. En France, les « prénoms » donnés aux chiens sont à première vue bien différents de ceux qui sont donnés aux humains et semblent suivre des règles propres. Mais, dans de très nombreux cas, les prénoms donnés aux chiens et aux humains sont similaires, et quand les chiens reçoivent des prénoms humains, ils sont à la mode chez les chiens avant de l’être chez les humains : si frontières symboliques et frontières sociales il y a entre espèces, la « zone frontalière » n’est pas un « no man’s land », mais plutôt un « “dog-and-man’s” land ».

Les vicomtes… et les autres

Lundi, dans quelques jours (le 21 novembre), je présente à l’INED les premiers résultats d’une recherche sur la noblesse d’apparence. Dupont n’est pas du Pont :

En 1816, 100% des ambassadeurs français avaient un nom à particule, ils ne sont plus que 3% aujourd’hui. La présence d’une particule dans le nom de famille n’a jamais impliqué l’appartenance à la noblesse… et pourtant ces noms, au XIXe siècle, étaient surreprésentés au sommet de l’échelle sociale : la noblesse d’apparence avait l’apparence de la noblesse. À partir de l’analyse de listes nominatives variées (concernant le personnel politique, les anciens élèves de grandes écoles, les bacheliers, les électeurs…) cette communication étudie la lente disparition des positions sociales héritées de l’Ancien Régime, mais aussi leur rémanence (résidentielle, culturelle et politique) encore aujourd’hui. Car en 2017, Dupont (prénom Olivier) n’est toujours pas du Pont (prénoms Aymard, Sixte, Marie).

C’est à 11h30, en salle Sauvy, à l’INED.

Le petit remplacement : note sur la fécondité des nobles (d’apparence)

À la fin du XIXe siècle, les bébés à particule ne représentaient que 0,4% des naissances. À la fin du XXe siècle, 100 ans après, ils représentent 0,9% des naissances. Comment expliquer cela ? Une hypothèse, c’est de dire que les “de Souza” ont remplacé les “de Rochechouart”, et qu’on n’est même plus chez nous en France, hein !
Mais il semble que d’autres hypothèses moins farfelues soient envisageables, ma bonne dame, si seulement vous étiez moins xénophobe.
Je commence par retenir les noms de famille n’apparaissant qu’une seule fois dans les naissances de la fin du XIXe siècle : entre 1890 et 1914, ces familles n’ont produit qu’un seul bébé. J’examine ensuite combien de bébés sont produits vers 1980, en comparant les noms à particule et les autres noms. La méthode est grossière, mais elle permet probablement de comparer la fécondité des descendants de noms très rares, présents en France à la fin du XIXe siècle, à celle des personnes portant un tel nom rare à la fin du XIXe siècle.

Pour être plus précis : Prenons les familles qui n’ont qu’un seul enfant à la fin du XIXe siècle, qui ont moins de 5 enfants 25 ans après, moins de 17 50 ans après et moins de 64 75 ans après. C’est une manière de retenir principalement les familles qui n’augmentent pas grâce à l’immigration mais surtout par la fécondité naturelle (en produisant au maximum 4 enfants tous les 25 ans).
7732 familles “nobles” correspondent à ce cas. Lors de la dernière période, elles ont produit 8238 enfants, soit une croissance de 1,06.
Les familles non-nobles sont plus nombreuses. Mais en fin de période, elles n’ont plus que 0,81 enfant pour chaque enfant produit à la fin du XIXe siècle. (Pour repérer cela, et avoir une idée du rapport plus élevé des nobles d’apparence, je prends 3000 échantillons de non-nobles de même taille que la population des familles à particule d’un même niveau de rareté).

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De la même manière, comparons les familles qui, à la fin du XXe siècle, ont 2 enfants (puis moins de 9, moins de 33 et enfin moins de 129). Les “nobles” se retrouvent avec 1,6 enfants pour chaque enfant de la fin du XIXe, les non nobles avec seulement 1,3 enfants.
Un dernier exemple : les familles qui démarrent avec 3 enfants : si elles ont une particule, elles produisent en fin de période 1,9 enfant pour chaque enfant; les familles sans particules n’en produisent que 1,4. Avec 4 enfants : 1,9 pour les nobles, 1,4 pour les manants.

Dans tous les cas, les familles à particule présentes en France à la fin du XIXe siècle et très rares semblent avoir une fécondité plus importante que les familles sans particule. Ou alors elles arrivaient mieux à transmettre leurs noms (mais comment le feraient-elles ?). Est-ce parce qu’elles se trouvent, plus souvent, au sommet de l’échelle sociale et qu’elles disposent d’un patrimoine plus fourni ? Qu’elles sont plus souvent que de coutume catholiques ? Qu’elles connaissent une mortalité infantile moindre ?

Les grandes familles sont des familles nombreuses (du moins un peu plus nombreuses).

Un autre indice des différences de fécondité peut être calculé à partir de la proportion de noms qui disparaissent, qui cessent de produire des bébés.

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80% des noms sans particule très très rares à la fin du XIXe siècle ne produisent aucun bébé à la fin du XXe siècle. Ce n’est le cas que de 75% des noms à particule aussi rares. La différence est faible, mais elle signifie que les noms à particule très rares il y a 100 ans se maintiennent mieux sur la distance : et la comparaison entre nobles d’apparence et manants d’apparence est toujours au profit des gens à particule.

Note finale : n’étant pas démographe, il est fort possible que ma lecture et mon analyse du fichier des patronymes soit une hérésie.