Hétéro ?
Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire le billet publié dans Le Monde, dans le cahier « Science & Médecine » du mercredi 15 décembre 2016, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?
Pour écrire cette chronique, je me suis principalement appuyé sur l’ouvrage de Jane Ward, professeure à l’Université de Californie, Not Gay. Sex between Straight White Men. L’ouvrage repose sur un paradoxe : l’existence d’interactions sexuelles, génitales, entre hommes hétérosexuels. Je vous invite — si vous lisez l’anglais — à lire son livre.
Ward est loin d’être la seule à étudier ainsi l’hétérosexualité masculine. C’est ce que faisait en partie George Chauncey, dans Gay New YorkBud-Sex: Constructing Normative Masculinity among Rural Straight Men That Have Sex With Men».
Toutes ces études montrent par l’exemple que les frontières sociales et symboliques entre homosexualité et hétérosexualité donnent naissance à des pratiques de “boundary crossing” (de traversée des frontières), de “boundary blurring” (de floutage des frontières) et de “boundary brokering” (de négociation des frontières)…
En envoyant la chronique au journal, j’ai demandé un commentaire à Mathieu Trachman. Parce que sa lecture aide à mieux comprendre mon texte, je la reproduits ci-dessous
Tu prends la question des frontières pour monter en généralité, c’est une bonne idée, mais ensuite tu insistes plus sur les processus de catégorisation. La référence à l’actualité est tentante, elle tend sans doute à mettre en regard de situations plutôt différentes (frontières de l’espace public, frontières entre groupes sexuels,
rapport clivé à soi-même…). Par exemple, partir du triptyque pratique / attirance / identification et de ses non recoupements serait plus simple, mais moins accrocheur…D’une certaine manière, ce qui est premier, ce ne sont pas les frontières, c’est le soupçon d’homosexualité – ce qui permettrait de faire allusion implicitement à toutes les rumeurs circulant sur l’homosexualité de tel ou tel personnage public ?
Ces hommes jouent avec les catégories si tu veux, ils les reconduisent largement : j’insisterai plus sur le genre et la masculinité, dans un contexte où les pratiques sexuelles entre hommes sont spontanément codées comme une identité ou un désir profond. Et l’homosexualité ne se définit pas uniquement par des actes, une identification, c’est sans doute aussi des codes, une culture… Ce qui est aussi présent chez Chauncey.
Je parlerai moins d’excuses (ce qui pourrait laisser entendre qu’ils sont “en fait” gays ou qu’ils n’assument pas leurs désirs) que de justifications que le système sexuel et sexué impose, qu’ils le veuillent ou non. De plus, c’est difficile de saisir si la prolifération des catégories est un effet de ce système ou une manière plus juste et plus précise de saisir des identifications et des désirs.
Toutes ces remarques sont extrêmement pertinentes, notamment parce qu’elles pointent la complexité des catégories d’orientation sexuelle, faites de culture, de désirs, d’opportunités, de contraintes, d’identification, de pratiques, de genre… Mais en 3700 caractères (la taille de la chronique), il est était difficile de déployer toutes ces dimensions. D’où ce petit billet.
[yarpp]