L’écart d’âge entre conjoints
En France, l’écart d’âge entre conjoints (de sexes différents) est de 2 ans et demi. En moyenne, dans un couple, l’homme est 2,5 ans plus âgé que la femme.
Mais il y a une géographie de cet écart d’âge. En France métropolitaine, voici ce que cela donne, à partir du “Fichier détail individu” du Recensement 2014. L’intérêt du Fichier détail du recensement, c’est de pouvoir travailler sur près de 4,5 millions de couples (effectif non pondéré). Les zones sous la moyenne sont en bleu, les zones au dessus de la moyenne sont en rouge.
Du bassin minier au nord à la Charente, l’écart d’âge est faible. Dans le centre et en Corse, il a tendance à être plus élevé. Même chose en région parisienne et particulièrement en Seine Saint-Denis. On pourrait certainement trouver une explication culturaliste ou matérialiste : France du partage égalitaire et des petites fortunes à l’Ouest, formes d’héritages autrement constituées au Centre. Clanisme corse ? Mais il y a, pour un sociologue, d’autres explications.
On sait, par exemple, que l’écart d’âge est plus important pour les couples âgés que pour les jeunes couples. Il se pourrait donc que les variations de l’écart d’âge soient dûes au fait qu’à certains endroits de France habitent surtout des couples jeunes, et qu’à d’autres endroits, des couples plus âgés résident.
Dans la carte suivante, je “contrôle” par l’âge moyen du couple (c’est à dire la moyenne de l’âge de chaque conjoint), au niveau individuel. Puis je trace la carte des écarts par rapport à cette moyenne. Par exemple, dans les couples dont l’âge moyen est 35 ans, l’écart d’âge moyen est de 2,5 ans. Si l’écart constaté pour le couple n° 2 542 447 est de 3 ans, alors je considère qu’il est 0,5 an plus âgé (c’est le “résidu”). La carte suivante représente donc la moyenne des résidus par zone.
Ce contrôle par l’âge n’a pas tendance à atténuer les différences entre zones. Il semble avoir peu d’effet.
On va alors contrôler par la catégorie socio-professionnelle : car les femmes cadres ont des goûts en matière d’hommes que n’ont pas les femmes ouvrières ou agricultrices. De fait, les couples “cadres-cadres” ont un écart d’âge plus faible que les couples “ouvriers-ouvrières”. Et il se pourrait donc que les écarts d’âge moyens par zone soient dûs à la composition socioprofessionnelle de ces zones.
La carte suivante montre, par l’éclaircissement des coloris, que, en effet, le contrôle par la CS réduit les écarts. Une bonne partie des zones “très rouges” ou “très bleues” étaient de cette couleur en raison de la composition sociale.
Mais on sait aussi que les personnes qui ont un diplôme du supérieur n’ont pas les mêmes choix que les personnes qui n’ont pas de diplôme. On contrôle alors par ce niveau de diplôme. Là encore, on voit un effet :
Enfin il semble y avoir toujours une zone rouge en Seine Saint-Denis. L’on sait que c’est le département où la proportion d’immigrés est la plus importante, en France. Or les immigrés (c’est à dire les personnes nées étrangères à l’étranger) ont pu se marier avant d’arriver en France. De fait l’écart d’âge dans les couples immigrés est plus élevé (peut-être en raison d’un effet de sélection lors de la migration, peut-être en raison de la composition socioprofessionnelle de ce groupe). On va donc contrôler par l’âge moyen du couple, la CS des conjoints, le diplôme des conjoints et le fait d’être immigré ou non-immigré.
La carte s’éclaircit et “jaunit”, car de nombreuses zones bleues deviennent jaunes clair : il n’y a presque plus de différences entre régions françaises si la structure de la population est prise en compte. Quelques mois d’écart tout au plus.
Reste le cas de la Corse. Il y a visiblement, là, un goût pour l’écart d’âge qui ne s’explique pas par les variables utilisées ici.
3 commentaires
Un commentaire par Maxime (28/11/2017 à 12:41)
Pour le cas de la Corse, avec 37h/km2, 300’000h en tout et l’insularité, y aurait-il peut-être simplement moins de choix?
Un commentaire par Régis (30/11/2017 à 22:34)
La zone rouge se superpose à peu près à la diagonale du vide en analyse uni comme multivariée.
Avez-vous essayé de prendre en compte le taux d’emploi des femmes comme covariable?
Un commentaire par Marie (12/12/2017 à 19:45)
Il y a me semble-t-il un lien entre campagne pauvre (et la Corse en fait partie) et écart d’âge. Outre le fait que ces campagnes sont peuplées de vieux couples en plus grand nombre (avec donc un écart plus grand), ce sont aussi des zones marquées par le phénomène de déséquilibre femmes/hommes liées à l’exode rural des filles pour cause d’études, tandis qu’un nombre plus élevés de garçons vont rester sur place car ils occupent des emplois moins qualifiés dans l’agriculture, l’industrie et l’artisanat.
Ainsi nait le fameux célibat des agriculteurs, dont vous savez sans doute mieux que moi qu’il incarne une réalité plus complexe. Sans doute qu’un phénomène similaire existe dans les banlieues populaires, que les filles quittent plus facilement car elles réussissent mieux à l’école.
Or une population à fort déséquilibre démographique H/F est une population qui connaît, systématiquement, un écart important dans l’âge des couples, le sexe “abondant” se mariant tardivement avec un membre jeune du sexe “rare”. C’est encore vrai aujourd’hui, assez étonnamment.