L’honneur et le mérite
En France, si vous observez des groupes inégalement prestigieux, ou placés à des degrés différents dans une hiérarchie, vous observerez aussi que les membres de ces groupes n’ont pas la même probabilité d’avoir un nom à particule. Comme les noms à particule sont très rares en France (moins de 0,8% des personnes nées en France en sont dotés), il faut avoir des groupes de grande taille pour trouver des gens à particule. Ou alors il faut avoir des groupes que l’on peut rattacher aux classes dominantes, et l’on verra qu’au sein de ces groupes, les gens à particule constitue une sorte d’aristocratie, de paranoblesse.
Ici, je vais explorer la liste des personnes ayant reçu la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite entre 1990 et aujourd’hui. Soit environ 222 340 individus (une partie cumule les titres, et on les retrouve dans les deux listes). L’Ordre national du mérite est un ordre bâtard, de création récente (1963). La Légion d’honneur, elle, est doté du prestige de l’ancienneté. La proportion de gens à particule varie : 2,5% des «méritants» ont une particule, et c’est le cas de 3,6% des «légionnaires». Un rapport de 1 à 1.44 entre ces deux ordres, et surtout, une surreprésentation importante quand on la compare avec la population de la France. Il y a au minimum 4,5 fois plus de gens à particule chez les légionnaires que dans la population.
Ces différences entre ordres ne sont pas dues au hasard. Elles se répêtent chaque année, de manière systématique, comme le montre ce graphique:
Année après année, il y a toujours plus de récipiendaires à particule dans les listes de légionnaires que dans les listes de méritants. Encore aujourd’hui, dans la France contemporaine. (Et ce n’est pas du aux militaires recevant la Légion d’honneur, j’ai vérifié.)
La proportion de personnes à particule varie, au sein de ces ordres, de deux façons. Tout d’abord, plus on grimpe dans la hiérarchie locale, plus la proportion de gens à particule augmente.
11% des Grand’croix de la Légion d’honneur ont un nom à particule, ce n’est le cas que de 3,5% des simples “Chevaliers” (qui, contrairement à leur titre, ne sont que que de la piétaille). L’augmentation de la proportion de gens à particule avec les titres se repère aussi dans le cas de l’Ordre du mérite.
Pour devenir Grand’Croix, il faut d’abord être Grand Officier, et pour être Grand Officier il faut être Commandeur, etc… et il faut attendre un moment avant de pouvoir monter l’échelle. Les plus titrés sont donc les plus âgés, et les plus âgés dans l’Ordre. Entrer jeune a des effets sur la fin de carrière. C’est pourquoi il est fascinant de voir que, encore aujourd’hui dans la France contemporaine, la proportion de récipiendaire à particule est beaucoup plus élevée quand ces récipiendaires ont un faible nombre d’«années de service» :
Ce graphique ne concerne que les “Chevaliers” : 6% de celles et ceux qui sont nommés après juste 20 ans de service ont un nom à particule. La prime à la jeunesse est aussi clairement visible dans le cadre des entrées dans l’Ordre national du mérite. Voilà pourquoi il est fort probable que, dans quelques décennies encore, les Grand’Croix et Grand.e.s Officier.e.s auront toujours plus de noms à tiroir que les Chevaliers.
Notes : les données proviennent de Légifrance, par l’intermédiaire de Nathann Cohen
2 commentaires
Un commentaire par Régis (27/03/2018 à 11:28)
Les familles d’origine aristocratique ont souvent une tradition de carrière militaire ce qui peut expliquer la sur-représentation des nobles dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Il serait intéressant de pouvoir faire une analyse multivariée prenant en compte la profession.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (27/03/2018 à 11:47)
Comme je le précise dans le billet, j’ai calculé la proportion de particules parmi les militaires recevant la Légion. Elle n’est pas plus élevée que chez les civils.