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É. Dubreuil

Billet publié le 23/08/2022

Élisa Dubreuil est née en janvier 1874 à Iffendic, en Ille et Vilaine. Son père est laboureur. En 1901, la jeune femme aux yeux gris est domestique, et elle épouse François Delalande, né en 1872, cultivateur, 1m61, cheveux bruns et menton ovale. Ils vont habiter à Monterfil, et on les retrouve dans le recensement de 1901 (un petit ménage de deux personnes). En 1906 il accueillent un “enfant assisté”, Georges Roussard né en 1902. En 1911, le recensement indique qu’ils ont deux domestiques, Georges Roussard né en 1902 (l’enfant assisté est devenu domestique, à 9 ans), et Mathilde Orain, née en 1894 à Rennes.

François Delalande, que ses contemporaines jugent idiot, faible d’esprit ou avec « la tête un peu drôle », avait quand même été jugé « propre au service » militaire en 1893. En 1896 il reçoit un certificat de bonne conduite et passe dans l’armée de réserve, puis dans l’armée territoriale. Il est rappelé sous les drapeaux en août 1914, à quarante-deux ans. Il sert jusqu’à octobre 1915, mais dès mars 1915, il est évacué pour « débilité mentale », hospitalisé au Val de Grâce, puis dans divers hôpitaux, pour enfin être réformé en octobre 1915.

Il rentre alors dans son foyer, où, pendant plusieurs mois, Élisa Dubreuil, femme Delalande, a vécu sans lui.

En 1917, Élisa quitte le domicile conjugal en laissant un mot sur la table. Elle avait demandé, depuis un certain temps, à pouvoir porter « le costume masculin ». Les témoignages de l’époque la décrivent comme « grande, solidement bâtie » (elle fait d’ailleurs 1m66, elle est plus grande que son époux), dure à la tâche, contribuant fortement à la prospérité de la ferme. Les voisins disent aussi qu’elle a alors « la figure d’un homme, les bras et la force d’un homme. Entre nous, on en parlait. Mais, puisqu’ils s’entendaient bien tous les deux, François et elle, puisqu’ils vivaient tranquilles et heureux, pourquoi aurions-nous dit quelque chose. C’est leur affaire, à eux tout seuls, pas vrai. »

Au maire du village, pour justifier le droit de porter blouse et paletot, elle avait indiqué être un homme. Face à son refus, il [je vais genrer Élisa au masculin maintenant] avait demandé au docteur de Caze, médecin à Plélan, un examen. De Caze a beau indiquer qu’É. Dubreuil présente « tous les caractères du sexe masculin », le maire refuse : seuls les hommes ont le droit de porter blouse et paletot, et pour devenir homme, il faut un jugement du tribunal civil. Dubreuil demande donc au tribunal civil de Montfort une rectification de son état civil et un changement de prénom : Élie en lieu et place d’Élisa. L’audience a lieu le 20 juillet 1917, au cours de laquelle l’examen médical du docteur de Caze fait preuve : « ses organes sexuels, bien que peu développés, sont cependant complets ». Le 23, É. Dubreuil devient officiellement homme, sans obtenir toutefois le changement de son prénom.

Le mariage est ensuite annulé, sur demande de François Delalande, en raison de ce changement de sexe, par un autre jugement [texte complet du jugement ici].

Mais, devenu homme (et homme célibataire) en pleine guerre, É. Dubreuil est incorporé, dès août 1917, au 41e régiment d’infanterie, sous le prénom d’Élie. Il n’y reste pas longtemps : il est réformé dès le 30 août pour « atrophie testiculaire très prononcée avec ectopie à droite hypospadias avec pénis rudimentaire ».

François Delalande, devenu lui aussi célibataire, se remarie en avril 1918 avec la fille de la voisine, Célestine Salmon : elle a 27 ans, il en a 45, et leur union donne un fils, né dix mois plus tard, en janvier 1919. Il décèdera malheureusement l’année suivante. En 1921, François et Célestine ont un domestique. En 1936, le couple réside seul.

É. Dubreuil lui aussi se remarie, et ce mariage a même lieu deux semaines avant celui de son ex-époux. En avril 1918, il épouse, à Rennes, Adèle Orain, née en 1894 à Rennes. L’acte de mariage, c’est une particularité, souligne le prénom Élisa. Signe, sans doute, du refus de la mairie d’utiliser le prénom Élie sous lequel É. Dubreuil voulait être connu. Mais qui est Adèle, épouse Dubreuil ? Il est très probable que ce soit « Mathilde » Orain, l’ancienne domestique du couple Delalande-Dubreuil : seule une « Orain » naît à Rennes en 1894.

Quelques articles de journaux (ceux qui ont pour origine une dépèche de l’Agence radio), en 1917, invitent à conjoindre Mathilde et Adèle. « Leur bonne a mis au monde un enfant de père inconnu » (vers 1916, il aurait été conçu lors de l’absence de François Delalande) et certains journalistes écrivent qu’É. Dubreuil affirme être le père et vouloir l’annulation de son mariage pour « convoler avec sa bonne, qu’elle avait séduite alors qu’elle était sa patronne ». Ces articles datent de juin ou juillet 1917, avant même le jugement et le remariage. Mais je n’ai pas trouvé trace d’un enfant né, entre 1914 et 1917, de père inconnu et d’une mère nommé Adèle ou Mathilde Orain, dans les villages situés à proximité de Monterfil (ni à Rennes)… cet enfant existe-t-il vraiment ?
[Adèle Orain, née au 56 rue Saint Hélier en 1894 semble être prénommée Marie lors du recensement de 1896]

Je perds ensuite la trace du couple Dubreuil-Orain. Je ne les ai pas retrouvé dans le recensement de 1921. Le registre matricule d’Élie Dubreuil indique, si je lis bien, qu’il est « [.ill.] domestique chez Evain, cultivateur à Breteil », mais si j’ai retrouvé Evain dans les recensements, je n’ai pas trouvé Dubreuil.

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