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Changer de prénom à New York

En France, les changements de noms de famille et de prénoms font l’objet de deux procédures distinctes. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Et ce n’est pas la seule différence. Alors qu’en France il n’y a aucune publicité faite au changement de prénom, aux États-Unis, souvent, le changement de nom ou de prénom fait l’objet d’une “notice légale” publiée dans un journal local. Notice qui indique les références de l’ordonnance (consultable elle aussi), mais qui n’est pas publiée dans un “journal officiel” ni dans un organe administratif ou judiciaire, mais sur un support privé (au sens de non étatique), et souvent de circulation restreinte.
Cet élément seulement nous laisse entrevoir les différences de conception de ce qui relève de la “vie privée” ici et ce qui relève de la “privacy” là-bas. Différences de conceptions qui résultent de l’empilement historique de petites décisions solidifiées par un corpus juridique.

À New York, c’est le Irish Echo qui publie, en ce moment, la majorité des changements de prénom ayant fait l’objet d’une décision de justice. Comme on le constate ci-contre, de nombreux éléments sont rendus publics : outre les noms/prénoms de départ, on y trouve la date de naissance et l’adresse, que je ne me suis pas résolu à publier ici.
Ces “notices” mentionnent donc divers éléments de ce que l’on considère en France comme participant de l’état civil des personnes (date de naissance, nom, prénom, adresse, élément permettant l’identification individuelle). Mais le sexe n’y est pas. Ou plutôt, comme nous allons le voir, il y est indirectement.

On constatera d’abord que, comme en France, changer de prénom peut servir à se donner un nom/prénom plus en accord avec les formes majoritaires. Ici, Xiaojan devient Lily.
Mais on voit aussi d’autres choses, qui peuvent étonner. Leslie devient Tangerine, mais elle indique sur sa notice ses “aliases” : AKA, “also known as”, “connue aussi sous les noms de”. Car il existe, en plus des procédures judiciaires (dites “statutory“), la possibilité reconnue par la common law de changer de nom simplement en usant d’un autre nom, cet usage donnant droit à considérer comme légal le nouveau nom. La mention des noms d’usage dans la notice permet de relier ensemble les différentes identités, pour signaler que c’est bien elle, et elle-même, qui sont à considérer sous ce nom.

Les questions d’identité se posent parfois de manière très étrange lors de ces changements de prénoms. Ainsi, sur quelques 250 notices publiées récemment dans le Irish Echo, l’on trouve ces trois notices, par lesquelles des femmes, dont le prénom est “Female”, prennent un autre prénom.

On les comprend. Avoir comme prénom la mention directe de son sexe, c’est quand même autre chose que d’avoir un prénom genré qui n’est qu’indirectement mention d’un sexe. Je n’ai pas trouvé d’équivalent chez les mâles, mais mon échantillon est réduit.
A quoi est du ce prénom étrange ? Erreur de déclaration à la naissance, peut-être. Interversion malencontreuse de champs à remplir (mais le sexe est probablement une case à cocher). Ou alors remplissage automatique du prénom par le sexe quand les parents n’ont pas choisi de prénom (certains États fédérés n’obligent pas à déclarer de prénom à la naissance). Cela reste à creuser.
Les prénoms ont un genre, et cela se perçoit dans plusieurs notices, dans lesquelles apparaissent des personnes abandonnant un prénom fortement associé à un sexe — “Michael” — pour prendre un prénom probablement associé à l’autre — “Charisma”.

Cette manière de faire d’un nouveau prénom un prénom légal a toute une histoire : c’est à partir de la fin du XIXe siècle qu’en plus de la “common law” s’est mise en place la possibilité de faire appel à la justice pour changer de prénom. Car à ce moment-là déjà les “vêtements de papier” dont nous sommes tous affublés étaient de plus en plus tissés et cousus par l’État. Et déjà, il devenait difficile de faire plier des administrations à sa volonté de changer de prénom sans “preuve” que l’on était bien soi-même, même en cas de petite modification du soi.
Mais l’État n’a pas conquis, dans le cas étatsunien, l’entier monopole, confiant à des journaux locaux l’importante tâche de publicisation de l’identité privée. Mais le processus ne s’arrête pas là : comme on le constate sur le document suivant, une fois la notice publiée, le “clerk” du journal doit, devant un “notary public” dire sous serment que la notice a été publiée.

La copie notariée de la notice est ensuite “filed” et annexée à l’ordonnance.
En France, l’ensemble des papiers d’identité a une base, l’acte de naissance, source des autres papiers. Le changement de prénom fait l’objet d’une “mention marginale” dans l’acte. Aux Etats-Unis, l’acte de naissance n’a pas, apparemment, le même poids. Héritage, peut-être, du “Common law”, la réputation joue un rôle. D’où la publication, routinisée, des notices, dans des petits journaux… mais des journaux locaux, des journaux publiés dans le “County”, qui peuvent être lus par les voisins. Mais c’est alors un “Common law” encadré par le droit des tribunaux : la notice est un formulaire, la notice doit être ensuite notariée.

Logique de guichet

En France, changer de prénom passe par un avocat, la constitution d’un dossier, une audience devant une juge et un procureur. Aux États-Unis, le plus souvent, cela se passe devant un guichet.

Le guichet “Name change” dans la Civil Courthouse de Manhattan
 
Cette différence a des conséquences. Le travail de celui qui demande un changement de prénom (ou de nom), aux États-Unis, doit être facilité :

Poster présentant des informations concernant les formulaires “prêts-à-remplir”, Civil Courthouse de Manhattan
 
Dossier d’un côté (avec attestations, photocopie de papiers divers, requête rédigée par un avocat), formulaire de l’autre : d’un côté, la demande doit être soutenue par un discours sur soi, une narration, une exposition de soi, de l’autre pas de narration. Personnalisation et individualisation de la demande d’un côté, égalitarisme du formulaire de l’autre.
Il me semble qu’une comparaison est possible, au delà de ces différences marquées. Car la guichetière ne fait pas que recevoir la demande, elle entend l’histoire personnelle, redirige parfois, contrôle, précise : on pourrait appeler ce moment de passage à l’oral la “procédure cachée”.

Une morale d’état civil

Une “pensée” de Michel Foucault est souvent citée : «Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état civil ; elle régit nos papiers.» [L’archéologie du Savoir, Gallimard, Paris, 1969, p.28]
Il n’en dit pas plus, mais, comme nous allons le voir, c’est une pensée qui diffère de l’anarchisme revendiquant l’anonymat :

Foucault, né Paul-Michel, mais utilisant le prénom de Michel, devait bien saisir les difficultés d’échapper à cet état civil, qui nous dit de rester le même, et à la morale d’état civil, portée non seulement par les agents de l’Etat, mais par tout un chacun. La vérité des individus ne se situe peut-être pas tant dans leur sexualité que dans leur acte de naissance.
J’en veux pour illustration cette demande, faite par des parents il y a quelques années, à un tribunal de l’Est. Je vais citer — en l’anonymisant — quelques passage de la “requête” écrite par l’avocat des parents (qui cite lui-même une lettre rédigée par la mère) :

Dans leur lettre du 08/12/2005, mademoiselle B* et monsieur C* justifiaient leur demande (qui a été refusée par le Procureur de la République monsieur X, selon décision du 15/01/2006)
“Nous faisons appel à vous à notre fils Fédor C* est né le … 2005 à l’hôpital … mais lors de la déclaration de naissance au service d’état civil de la Mairie de Y* par son père Roberto C*, celui-ci n’a pas mentionné le deuxième et troisième prénom de notre fils. Cela m’a beaucoup affectée, car depuis le début de ma grossesse, nous avions décidé que le deuxième prénom serait celui de mon père: Johnny, qui est décédé en 2004 et que j’aime de tout mon coeur, puis troisième prénom celui de son grand-père paternel, Toussaint. Malheureusement on a certifié à mon concubin qu’il avait jusqu’à vendredi pour faire la déclaration de naissance, mais à la mairie l’officier d’état civil lui a dit que c’était trop tard, ce qui l’a perturbé, d’où cet oubli. D’autre part il n’a pas précisé l’accent sur la lettre “e” de Fédor et n’a pas précisé aussi ma profession “vaissellière”. Pour l’ensemble de ces raisons nous vous demandons la possibilité d’effectuer ces modifications sur l’état civil de notre fils.”

(… L’avocat poursuit ainsi …)

L’acte de naisance de l’enfant est également entaché d’une erreur matérielle en ce que la profession de la mère a été indiquée comme “sans profession” alors que cette dernière exerce la profession de “vaissellière”
Monsieur Roberto C* aurait du, sur ce point, préciser que la mère de l’enfant exerce la profession de vaissellière mais lorsque la question lui a été posée, il a indiqué qu’elle ne travaillait pas, alors qu’en fait mademoiselle B* était en congé de maternité (ce qui n’est pas la même chose que la mention “sans profession”). Là encore les mentions faites à l’état civil étant déclaratives, les erreurs ou omissions peuvent être rectifiées à la demande des parents, si ces demandes ne sont pas contraires à l’ordre public ou l’intérêt de l’enfant.
Tout acte à portée juridique peut être rectifié si la demande est légitime.
En l’espèce les parents de l’enfant Fédor souhaitent que leur fils porte les prénoms qu’ils ont choisis pour lui, avec le bon orthographe (sic).
Mademoiselle B* souhaite quant à elle que sont fils sache, à la lecture de l’acte de naissance, qu’elle travaillait aussi au moment de sa naissance, même si de fait elle était en arrêt lors de la déclaration aux services de l’état civil.

Il y a plusieurs choses dans cette demande. Il y a une demande que je trouve désormais “classique”, après en avoir vu plusieurs dizaines, d’adjonction des prénoms des ascendants, oubliés lors de la déclaration. Il y a une demande plus pointilleuse d’accentuation de la lettre “e” [en 2001, la cour d’appel de Montpellier précisait à des parents que le “i-accent-aigu” n’était pas possible en Français].
Et il y a enfin une demande qui révèle l’investissement émotionnel que des parents peuvent mettre, maintenant, dans des papiers, chargés de dire — malgré eux — l’histoire de la famille. L’acte de naissance n’est pas perçu comme un instrument, pour l’Etat, d’identification des personnes et des citoyens, il est vu comme un support narratif. Les juristes l’ont remarqué depuis une vingtaine d’années, car ils étaient peut-être les premiers surpris par ce qui leur apparaît parfois comme une aberration : “les caractères de la personnalité juridique jouent un rôle important dans la constitution du sentiment d’identité” [Gutman, Le sentiment d’identité. Étude de droit des personnes et de la famille, LGDJ, 2000, p.12]. L’identification (en tant que travail étatique) est utilisée pour construire un discours sur soi. D’autres juristes sont surpris par ces usages : elles s’aperçoivent que, pour beaucoup de non-juristes « l’état civil ne fait que raconter leur histoire personnelle » et n’est pas perçu comme la “preuve authentique de la situation juridique du sujet de droit” [Neirinck, C., 2008. L’État civil dans tous ses états., Paris: L.G.D.J., p.16]. Agnès Fine, anthropologue, l’indique aussi : « les juristes s’accordent à observer qu’il existe aujourd’hui une véritable mutation des fonctions de l’état civil. Alors que celui-ci n’était naguère envisagé que comme moyen de preuve de l’identité civile, il occupe désormais un rôle reconnu dans la constitution de l’identité psychologique » [Fine, A. 2008. États civils en questions. Papiers, identités, sentiment de soi., Paris: Éditions du CTHS, p.16].
La “morale d’état-civil” place la vérité de l’individu dans son état civil (et il doit donc lui correspondre), mais considère en même temps cet état civil comme adaptable à l’histoire (et à la vérité) des individus : il doit être assez souple pour être modifié, car « notre vie intime, notre intériorité profonde [n’échappe pas] au monde extérieur des actes officiels et des papiers » [Fine, op cit, p.42].

Nota :
Les règles concernant la mention de la profession sont explicitées dans “L’instruction générale relative à l’état civil”. On y voit comment certains groupes (les “officiers de réserve”, par exemple) ont réussi à faire plier l’état civil à leurs demandes.

Le titre et le grade ne doivent être indiqués que lorsqu’ils sont nécessaires pour désigner la profession effectivement exercée (ex. : docteur en médecine) ou pour la préciser (ex. : conseiller à la Cour de cassation). Toutefois, en vertu de l’article 14 de la loi du 1er décembre 1956, les officiers de réserve ont le droit de faire indiquer leur qualité dans les actes de l’état civil les concernant. Les intéressés doivent, lorsqu’ils demandent le bénéfice de ces dispositions, justifier de leur qualité par un document officiel.
La profession qui doit être indiquée s’entend non seulement de celle actuellement exercée par les intéressés, mais également de celle qu’ils exerçaient en dernier lieu avant de cesser leur activité professionnelle. Il convient, dans cette hypothèse, de préciser « ancien », « en retraite », ou « honoraire », ou en cas de chômage, de préciser « sans emploi ».
Lorsqu’une personne n’a jamais exercé une profession, il convient d’indiquer « sans profession ».

La défrancisation

Il est possible de franciser ses prénoms et son nom de famille en acquérant la nationalité française. C’est une procédure à la signification ambigüe : d’un côté elle permet à des citoyens de ne plus être perçus — à distance — comme des étrangers; de l’autre elle manifeste une sorte de “nationalisme onomastique” [on appelle “onomastique” la science des noms propres]. Dans les faits aussi, une certaine ambigüité demeure : c’est une procédure facultative… mais c’est la première question qui apparaît sur le formulaire de naturalisation.
Parfois, la francisation passe mal. Le nouveau nom, ou le nouveau prénom, n’est pas utilisé car il apparaît trop étranger à soi-même. Ou alors plusieurs “nationalismes onomastiques” entrent en conflit.

Je suis d’origine marocaine et j’ai changé mon nom suite à ma naturalisation fin 2005, donc j’ai traduit mon nom de naissance (proposition faite par le ministère des affaires étrangères), ce qui a donné le nom Castel, un nom tout à fait noble et joli.

Au fur à mesure, je rencontre des soucis à la fois en France et au Maroc et qui deviennent très lourds à gérer. En France, on me pose la question « êtes-vous mariée » et on me regarde de travers quand je dis non!. Etant une personne très réservée, je n’aime pas parler de ma vie privée, mais ce nom suscite la curiosité des gens qui n’arrêtent pas de me poser des questions. Même en cas de contrôle de routine par la police, je me retrouve gênée par leurs questions.

Au Maroc, le nom Castel est refusé par les autorités marocaines à partir du moment où vous êtes au Maroc, aucune possibilité d’acceptation d’un nom français. Donc à l’aéroport je me fais toujours embêter parce qu’on me demande la carte d’identité marocaine et non la française. Le consulat du Maroc ici a refusé également ce nom et on me traite d’avoir renié mon pays natal.

Il est vrai qu’au moment où j’ai changé de nom, je n’ai pas réfléchi aux conséquences et que cela allait me rendre malade. Je pensais que mon nom natal allait disparaître sur les papiers, mais je me suis rendue compte que ce nom est mentionnée sur mon acte de naissance. Aujourd’hui je suis au bord de la dépression à cause de ce double patronyme et cela fait 6 ans que je vis avec ça, je ne supporte plus cette situation et j’aimerais savoir si c’est possible en France de récupérer mon nom de naissance tout simplement pour retrouver la paix et la sérenité.

Ce texte (reçu par mail) est touchant : en changeant de nom de famille, Mme Castel se retrouve sous le soupçon de fausse identité en France (son corps ne ressemble pas à son identité de papier) ou de reniement au Maroc (où changer d’identité civile au profit de l’ancienne puissance coloniale semble mal perçu). Parce que ces deux pays associent, à des degrés divers, le nom à l’appartenance nationale, les individus se trouvent au coeurs de conflits qui leur échappent.

Si madame Castel avait francisé son prénom, par exemple de Samia en Virginie, il lui aurait été possible de dé-franciser son prénom en montrant que seul Samia a, depuis sa naturalisation, été utilisé, et qu’un double état-civil pose problème dans la vie quotidienne.

Mais la dé-francisation du nom de famille n’est pas possible : le “Service du Sceau au ministère de la justice”, qui s’occupe de ces changements de noms de famille, a développé une jurisprudence très restrictive qui interdit de prendre un “nom étranger”. Certains descendants de migrants d’Europe de l’Est, souvent juifs, qui avaient pris, après 1945, des noms de famille “francisés” cherchent aujourd’hui à reprendre ces noms d’origine. Un collectif, la force du nom, s’est constitué au cours des dernières années. Un DVD, “Et leur nom, ils l’ont changé”, a été produit, qui montre bien les différences entre générations, les plus âgés n’ayant pas l’investissement émotionnel de leurs enfants.

Sous sa véritable identité

Des sites comme facebook ou google+ insistent ou ont insisté pour que leurs utilisateurs s’identifient sous leur “véritable prénom”. De nombreuses raisons les poussent à agir ainsi : s’assurer de l’identité des utilisateurs permet sans doute plus de rentabilité… et permet aux autres utilisateurs de trouver “en ligne” les connaissances qu’ils ont “dans la vie réelle”.
Ces sites ne sont pas les seules institutions à exiger ainsi une et une seule “identité”. Le début du premier article de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794, et toujours en vigueur) est ainsi rédigé : “Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance”. Il y a loin de la loi à la pratique, et des désirs de google aux usages de l’internet : conférer une identité aux individus n’a jamais été simple.
Depuis 1794, diverses parades ont été inventées par les « citoyens » pour s’assurer une marge de manoeuvre face à l’identification étatique, et par les agents de l’État pour assurer une identification suffisante. Les cartes d’identité et les passeports sont ainsi devenus les supports de pseudonymes ou de noms d’usage, eux-mêmes soutenus par des “actes de notoriété”. Mais, au cours des dix dernières années, cela a été remis en cause. Prenons pour exemple l’extrait d’une requête en changement de prénom déposée récemment dans un tribunal. Mme NOMDEFAMILLE, depuis près de trente ans, utilise un autre prénom que celui qui a été inscrit sur son acte de naissance :

Le tribunal d’instance de XXX, par acte du … 1985, au vu des justificatifs produits et des témoins présents par devant lui “pour rendre hommage à la vérité” a dressé acte de notoriété de ce qu’elle est nommée “NNN”. La carte d’identité délivrée le … 1985 a fait l’objet de l’adjonction le … 1985 pour indiquer :
NOMDEFAMILLE dite “NNN”, prénom LLL
Elle est depuis connue professionnellement et personnellement sous les prénom et nom de NNN NOMDEFAMILLE et cette identité a été intégrée dans ses papiers d’identité et tous les documents de la vie quotidienne tant personnels qu’administratifs, en les ortographiant tantôt en majuscules, tantôt en minuscules. Sa carte d’identité a été renouvelée au nom de NOMDEFAMILLE dite NNN prénom LLL le … 1997. Son passeport a été établi le … 1992 au nom de NOMDEFAMILLE LLL dite NNN. Son passeport a été renouvelé le … 1998 au nom de NOMDEFAMILLE LLL dite NNN. Son passeport a été renouvelé le … 2002 au nom de NOMDEFAMILLE pseudo. NNN prénom LLL.
Par lettre du … 2009, la préfecture de Police de Paris a indiqué que le renouvellement d’un passeport avec le prénom de NNN était rejeté « a contrario de ce qui a été fait sur vos documents précédents », « l’état civil porté sur un titre d’identité devant être strictement conforme au document d’état civil », l’usage même prolongé ne pouvant conférer aucun droit. La préfecture de police lui rappelait, par ailleurs, la faculté de saisir le juge aux affaires familiales d’une demande fondée sur l’article 60 du code civil. Le 21 janvier 2010, madame NNN NOMDEFAMILLE a attiré l’attention de DEPUTEE, étant connue et identifiée dans son métier et la vie quotidienne comme NNN NOMDEFAMILLE. Laquelle a saisi la préfecture de police qui par lettre du … 2010 adressée à DEPUTEE a émis un nouveau rejet en se fondant sur la circulaire du 13 janvier 2010 sur les renouvellements des passeports selon laquelle les pseudonymes ne figurent pas sur les passeports et sur la circulaire du 10 janvier 2000 relative à la carte nationale d’identité autorisant l’insription du pseudonyme si la notoriété est confirmée par un usage constant, ininterrompu et sans équivoque.

Le cas de Mme NOMDEFAMILLE n’est pas isolé. La préfecture de police rechigne désormais à permettre l’usage de pseudonymes et de prénoms d’usage. [Je n’ai malheureusement pas retrouvé le texte complet de la circulaire du 13 janvier 2010, même avec son numéro NOR IOCD1001580C]. S’il suffisait d’une carte d’identité pour refaire une carte d’identité, le passage aux formes “sécurisées” a nécessité, à un moment, un retour à l’acte de naissance.
Il arrive donc à certaines personnes d’être identifiées par certaines branches de l’État comme “Delphine” (par exemple sur un permis de conduire, un diplôme du bac, une carte d’électeur…) et par d’autres comme “Nadine” (par exemple sur une carte d’identité). Conflit d’identité plutôt que conflit identitaire, mais qui pose quand même problème : la vie sociale repose souvent sur une identité fixe, solide.
Google+ a donc du souci à se faire : conférer aux individus une identité unique, même après deux siècles et plus d’incitations fortes de la part de l’État et de ses agents, n’est pas simple.

En catimini ?

En catimini, le coeur juridique de ma recherche actuelle, sur les changements de prénom, vient d’être modifié. Les réponses à la question “Comment changer de prénom ?” ne changent pas, mais les réponses à la question “Qu’est-il possible de changer ?” oui.
En effet, la « loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit », a un article 51 rédigé ainsi :

A la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

Jusqu’à présent, l’article 60 était rédigé ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction ou la suppression de prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Et maintenant ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction, la suppression ou la modification de l’ordre des prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Cela ne change pas grand chose, mais quand même toute une jurisprudence, résumée ainsi dans le Rep. civ Dalloz (article de Florence Laroche-Gisserot) :

L’interversion pure et simple de l’ordre des prénoms, bien que celle-ci ait été admise de façon indirecte (…), est problématique. La Cour de cassation y est peu favorable, le demandeur ayant la liberté de choisir comme prénom usuel n’importe lequel de ses prénoms et pouvant imposer ce choix à l’Administration (Cass 1re civ. 4 avr. 1991, Bull. civ. I, no 117, Defrénois 1991.941, obs. Massip), et les arrêts récents de cours d’appel y sont généralement opposés, d’autant plus que la loi du 8 janvier 1993 (C. civ., art. 57, al. 2, in fine) a confirmé cette faculté (…).

Je n’ai pas encore compris comment, concrètement, dans le processus d’élaboration de cette loi, cet article 51 en est venu à exister. Il apparaît dans une version de 2009 (Article 28 bis nouveau de la proposition de loi adoptée le 2 décembre 2009, Texte n°376 http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0376.pdf)… et avant cela dans un amendement (CL409, déposé le 13 novembre 2009 par le député Sébastien Huyghe) refusé par la commission examinant le texte.

Après rectification de l’amendement, une discussion avait eu lieu à l’Assemblée nationale en décembre 2009 concernant l’amendement suivant :

Amendement n° 37 (2ème rectification) présenté par M. Huyghe, Mme Rosso-Debord, M. Alain Cousin, M. Straumann, Mme de La Raudière, Mme Vautrin, Mme Pons, Mme Grosskost, M. Spagnou, M. Vitel, Mme Fort, M. Piron, M. Diard, M. Christ, M. Dord, M. Mariani, M. Loïc Bouvard, M. Chossy, M. Geoffroy et M. Couve.
Après l’article 28, insérer l’article suivant :
À la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

L’amendement avait été déposé le 27 novembre 2009 :

Il est aujourd’hui possible de modifier tous ses prénoms mais non d’en changer l’ordre sur l’acte de naissance, alors même que de nombreux Français souhaiteraient pouvoir modifier cet ordre sans pour autant changer de prénoms.
Une personne qui use au quotidien d’un autre prénom que celui qui est placé à la première place sur l’acte de naissance par l’officier d’État civil, que ce soit pour des raisons d’appréciation personnelle ou la conséquence d’une actualité dont elle n’est pas responsable, se voit contrainte dans toutes ses démarches administratives.
Cet amendement vise donc à permettre à toute personne faisant usage d’un autre prénom que celui qui lui a été attribué en premier lieu de mettre en adéquation sa situation administrative avec sa situation personnelle et professionnelle.
source : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/2095/209500037.asp

Voici comment l’amendement est discuté :

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 37 deuxième rectification.
M. Sébastien Huyghe. En modifiant l’article 60 du code civil, cet amendement vise à réparer une bizarrerie. En effet, il est aujourd’hui permis à une personne de supprimer l’un de ses prénoms ou de changer ceux-ci, mais pas d’en modifier l’ordre. Avec cet amendement, cela sera désormais possible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission?
M. Étienne Blanc, rapporteur . Initialement, la commission a émis un avis défavorable.
Elle a rappelé que l’utilisation du prénom d’usage constitue une solution simple qui permet déjà d’obtenir le résultat que recherche notre collègue. Ainsi la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 4 avril 1991, que le prénom d’usage s’imposait au tiers comme aux autorités publiques. En clair, il suffit d’utiliser son deuxième prénom et cet usage s’impose à tous.
Cependant, une jurisprudence considère effectivement qu’il est difficile d’institutionnaliser cet état de fait et de le transcrire dans les actes d’état-civil. En conséquence, après avoir réétudié l’amendement dans le détail, nous pensons que le dispositif proposé peut être acceptable. À titre personnel, le président de la commission des lois et moi-même émettons donc finalement un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Le Gouvernement est d’autant plus favorable à cet amendement que je peux personnellement témoigner, pour avoir été confronté à ce type de situation, que le problème se pose parfois. Autant le résoudre!
(L’amendement n° 37 deuxième rectification est adopté.)
source

Les personnes qui demandaient, jusqu’à présent, à l’inversion de leurs prénoms quand elles utilisaient le deuxième et souhaitaient le voir passer en premier, se voyaient répondre que tout prénom inscrit à l’état civil pouvait être pris comme prénom d’usage (article 57 du Code civil), et que la demande n’était pas recevable.
Depuis le 19 mai, ce n’est plus le cas. Jean, François, Dupont peut demander au Juge aux affaires familiales à ce que son identité civile devienne François, Jean, Dupont. Mais cette information n’a pas encore été largement diffusée : à en croire google, seuls les sites proposant le Code civil électronique parlent de cette “modification de l’ordre”.

La plurinomination

Les ethnologues de la France rurale, dans leurs travaux des années 1970, ont montré la survivance de pratiques de plurinomination [deux exemples : Segalen, M. [1980], Le nom caché. La dénomination dans le pays bigouden sud. L’Homme, 20[4], p.63-76. ou encore Zonabend, F. [1977], Pourquoi nommer ? (Les noms de personnes dans un village français : Minot-en–Châtillonais). Dans C. Lévi-Strauss, éd. L’Identité. Paris: Grasset, p. 257-279.]. « La mère Raymond, c’était la Michelle, mais son vrai nom c’était Simone. » Il semble qu’avec l’emprise croissante de l’administration “à distance” des individus, cette plurinomination se soit affaiblie. Il est plus simple de n’avoir qu’un seul prénom, sans avoir à répéter, constamment, que « non, certes je m’appelle Johnny, mais en fait, c’est Philippe. »
Mais si affaiblissement il y a eu, il n’y a pas eu disparition. En effet, il existe de nombreuses institutions, plus ou moins solides et cristallisées, qui disposent de leurs propres outils de nomination, souvent en tension avec les pratiques des institutions “branchées” sur l’Etat et l’état civil.
Décrivons-les un peu.

  • Il y a les institutions faibles liées à la vie en commun et à l’interconnaissance. Certains métiers donnent naissance à des surnoms plus ou moins stables [Hassoun, J.-P. [2000], Le surnom et ses usages sur les marchés à la crié du MATIF. Contrôle social, fluidité relationnelle et représentations collectives. Genèses, 41, p.5-40. ou l’étrange Gambetta, D. [2009], Codes of the Underworld. How Criminals Communicate, Princeton (New Jersey): Princeton University Press. pour les surnoms des maffiosi]. Certaines activités “en ligne” génèrent des appellations qui peuvent se déverser dans la vie hors ligne : l’interaction “in real life“, pour se stabliser, va nécessiter de s’accorder sur la “définition de la situation d’appellation” (une chose étrange, vécue lors d’un apéritif de sociologues sur twitter). La vie familiale produit, elle aussi, ses appellations diminutives.
    Mais passons, ce ne sont pas ces institutions qui m’intéressent ici.
  • Il existe en effet des institutions un peu plus solides, qui existent, de plus, en tension, plus ou moins fortes, avec l’Etat.

  • L’Eglise catholique romaine, en France, a longtemps lutté contre la dépossession révolutionnaire de l’état civil, par exemple en continuant un contrôle des prénoms proposés au baptême (un contrôle qui avait commencé avant, mais en opposition, alors, à des pratiques individuelles). Pour le début du XIXe siècle, la comparaison des états-civils, des registres de baptèmes et des listes nominatives de recensement permet de saisir la plurinomination. Il y a un texte intéressant de Dupâquier à ce sujet]. Pour les années les plus récentes, il faut s’appuyer sur des sources indirectes. Ici, ce seront quelques décisions de justices, choisies pour illustrer mon propos.

    CA toulouse, arrêt du 13/3/2001
    Georges, Jacques, Marie X*** souhaite que son prénom devienne “Georges-Henry” : « ses parents attestent que leur fils a toujours eu comme prénom usuel Henry, prénom qu’ils lui ont attribué à son baptême pour des raisons familiales ». Il a vécu, pendant quelques dizaines d’années, avec un prénom usuel qui n’était pas à l’état civil.

    CA besancon, arrêt du 3/11/2005 :
    “Mom”, née au Cambodge, est baptisée “Catherine” lors de sa conversion au catholicisme. Elle s’appuie sur ce baptême pour assurer sa demande de francisation du prénom.

    CA poitiers, arrêt du 5/9/1990 :
    Il s’agit ici d’une demande de changement de prénom d’une petite fille, qui s’appelle “Loan”. Ses parents, qui voulaient donner un prénom breton, s’aperçoivent peu après sa naissance que que ce prénom “est plutôt d’origine asiatique”… une sorte de vice caché, donc… Le baptême (par un prêtre orthodoxe) de l’enfant se fait sous le prénom “Anastasia” : les parents considèrent que “l’inadéquation d’un prénom à une conviction religieuse” constitue un intérêt légitime. Ils seront suivis par la Cour d’appel de Poitiers.

    Plusieurs autres affaires sont liées à des conversions à l’Islam, et à des prises de noms qualifiés de “coraniques” ou “musulmans”. Mais, pour de nombreuses raisons, les institutions locales de l’Islam sont moins solides que l’Eglise de Rome et les individus vont peiner à faire reconnaître la validité de certaines demandes.

  • Il existe enfin d’autres Etats, qui, par l’intermédiaire de leurs agents, cherchent à disposer du monopole de la prénomination. Certains individus “frontières”, disposant de deux nationalités, deviennent ainsi des points de tiraillement entre dispositifs monopolistiques. En pratique, les difficultés semblent être importantes avec le Maroc. Le Maroc, en effet, dispose d’une législation stricte sur les prénoms, qui doivent avoir un caractère marocain traditionnel (ceci étant une manière d’arabiser le stock onomastique, en partie berbère / kabyle, me signalait un commentateur).

    CA versailles, arrêt du 18/5/2000
    Les parents, nés au Maroc, avaient appelé leur fille (née en France à la fin des années 1990), “Gihanne”. Mais ce prénom est interdit au Maroc : une personne ainsi nommée, disent les parents, ne peut pas avoir d’état civil marocain.
    Le procureur écrit, lui, que “l’intérêt légitime au sens de l’article 60 du Code civil ne saurait s’étendre au respect des exigences d’une législation étrangère”.

    La tension entre la demande d’un autre Etat que la France concernant l’état civil d’une personne dotée de la nationalité française est ici patente. Favoriser la simplicité de vie de la personne en question, en lui permettant d’accorder ses états civils, passe derrière la volonté de maintenir un monopole sur la nomination.

  • La plurinomination existe donc toujours. Mais à la question “comment tu t’appelles”, on ne répond plus “ça dépend [de la situation]” [comme l’écrivent Fine, A. & Ouellette, F.-R. éd. [2005], Le Nom dans les sociétés occidentales contemporaines, Toulouse: Presses universitaires du Mirail. page 19]. La « morale d’état civil » mentionnée rapidement par Michel Foucault au tout début de l’Archéologie du savoir nous a presque tous convaincu qu’il n’existe qu’un seul prénom, celui de l’état civil. Cela rend la plurinomination problématique plus qu’inexistante, et transforme un problème d’identification en problème identitaire.

    Qu’est-ce qu’un prénom “français” ? suite

    Pour faciliter les francisations des prénoms au moment des naturalisations, le ministère de l’intérieur met à disposition une “liste indicative des prénoms français”.
    Cette liste est régulièrement mise à jour, et je dispose de deux listes distantes d’une dizaine d’années, probablement. [Pour plus de précisions, je vous renvoie à Qu’est-ce qu’un prénom “français” ? (première partie)]
    Il y a des prénoms abandonnés entre l’ancienne version et la nouvelle. 153 prénoms si mes comptes sont justes. Par exemple :

    Abel, Achille, Adolphe (sic), Alberte… Yvette, Yvonne

    Et des prénoms (57 d’après mes comptes) qui ne sont présents que dans la dernière version :

    Alizée, Ambre, Anaïs, Oriane, Erwan… Flavie, Mégane

    Il y a donc bien une mise à jour de cette liste. L’ancien état (en rouge ci dessous) reflète mieux les naissances du début du siècle, et moins bien que la nouvelle liste les naissances les plus récentes.

    Si l’on se concentre sur les prénoms abandonnés entre les deux listes, on remarque que ce sont surtout les prénoms les plus anciens qui l’ont été (comme Mariette ou Léandre).

    Mais le cycle de la mode fait, malheureusement, qu’ils ont tendance à revenir à la mode, dans certains secteurs de la société française. On le remarque un peu dans le graphique précédent : la courbe frémit à la hausse depuis 1970.
    L’évolution est plus étrange concernant les prénoms entrés récemment dans la liste des prénoms français. Ce sont certes des prénoms plus récents que les anciens (au sens où ils représentent mieux les naissances récentes), mais la mise à jour n’arrive pas à enrayer la perte rapide de pertinence de la liste au regard des naissances en France. Les nouveaux prénoms n’entrent pas assez vite.

    Qu’est-ce qu’un prénom « français »

    Il est possible de changer de prénom en prenant la nationalité française : c’est ce qui s’appelle la francisation. J’en ai déjà parlé.
    Au cours de la procédure, il est proposé au candidat à la naturalisation de prendre un nom ou un prénom “français”. Pour aider les personnes remplissant le formulaire CERFA 65-0054, il est précisé ceci :

    Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition. Tout prénom choisi dans cette liste sera donc accordé. Cependant, ce document n’est pas limitatif et les demandes particulières seront examiné au cas par cas.
    source : formulaire CERFA 65-0054

    Cette liste n’est pas évidente à trouver. Récemment, Abdellali Hajjat m’envoie une liste qui était en usage dans diverses préfectures il y a quelques années, en me signalant qu’à l’époque, cette liste ne restait pas seulement “indicative”, mais surtout “confidentielle”.

    Les choses ont changé depuis. Certaines préfectures, dont la Préfecture de police, donnent accès à cette liste, qui n’a plus pour titre “liste indicative”, mais “LISTE ALPHABÉTIQUE DES PRÉNOMS“.
    A l’étranger, certains consulats précisent la procédure :

    Ne sont admis que les noms et prénoms dont le caractère français est avéré. Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition à l’institut français de Taipei
    source : document du consulat français à Taipei

    Et d’autres sites diplomatiques précisent que cette liste peut se trouver sur l’intranet du ministère des affaires étrangères. Si l’on compare les différentes versions, il semble que cette liste soit mise à jour régulièrement. On trouve ainsi trace d’une mise à jour régulière dans une circulaire de 2000 :

    Le but poursuivi par la francisation est de faciliter la vie quotidienne des nouveaux Francais et leur integration dans la communaute nationale. Ainsi, ne sont admis que des noms et des prenoms dont le caractere francais est avere. A cet effet, la liste indicative des prenoms francais acceptes, adressee par la sous-direction des naturalisations aux tribunaux d’instance et consulats et mise а jour periodiquement, devra pouvoir etre consultée par le declarant.
    source : Circulaire DPM 2000-414 du 20 juillet 2000, je souligne.
    [le texte est identique dans la circulaire de 2005 qui remplace la circulaire de 2000.

    Parmi les révisions remarquables, « Baptistine », pourtant un très joli prénom, disparaît au cours de la deuxième moitié des années 2000. Ce prénom, soit a perdu sa dignité de “français”, soit, et c’est plus probable, n’est plus “couramment usité”. Je n’ai pas fait de comparaison plus précise, elle viendra en son temps.
    Mais à la lecture des différentes listes, il m’apparaissait que les prénoms semblaient un peu “vieillots” malgré le rafraîchissement régulier. Je passe sur le fait que certains prénoms sont proposés avec des variantes orthographiques étranges (Garence, ou Edgard, qui semblent moins “français” et moins “usités” que Garance ou Edgar). Dans la série des « S » on trouve ainsi Solange, Ségolène, Sylvain ou Sylviane… qui sont un peu datés.
    Ce sentiment est conforté par un petit traitement statistique. On peut affirmer, à partir du “fichier des prénoms” de l’INSEE, qu’il y a plus de 80% de chances qu’un français pris au hasard, s’il (ou elle) est né avant 1970, porte l’un des prénoms de la “liste des prénoms français”. Mais s’il est né en 2008, il n’y a plus que 30%.

    La liste des prénoms “français” est donc surtout la liste des prénoms portés par les vieux français : « Kévin », le prénom masculin à succès des années 1990, est absent de la liste, ainsi que de nombreux autres prénoms à la mode depuis une vingtaine d’années.
    Comment expliquer ceci ?
    Une première explication porterait sur l’âge des candidates à la francisation : elles ont souvent plus de 30 ans, donc autant leur proposer des prénoms adaptés à leur âge.
    Une deuxième explication a ma préférence. A mon avis, c’est un bel exemple d’inertie des choses écrites. J’imagine qu’une liste a été établie, il y a de cela quelques dizaines d’années, un peu de bric et de broc, par quelques fonctionnaires de la sous-direction des naturalisations, qui avaient peut-être accès au “top 50” des prénoms les plus donnés dans les années soixante. Cette liste a probablement circulé, de manière plus ou moins confidentielle pendant un moment, s’est stabilisée et a accédé à une certaine forme de publicité à la fin des années 1990, pour être ensuite périodiquement révisée. Mais les choses écrites ont une certaine “force” diraient les promoteurs de la performativité. Comment ôter, de quel droit ôter à un prénom “français” sa place, qui lui revient de droit, dans cette liste. Peut-on y insérer Yasmine ou Sabrina, prénom au succès non négligeable en France, ou même Inès, Emma, Jade ou Lola ? Et l’évolution des prénoms, le rythme de l’engouement et du dégoût, s’accélère aussi au même moment. Les enthousiasmes pour “Kévin” passent vite, au profit d’un enthousiasme aussi grand pour “Téo”.
     
    Note : le graphique précédent, lu par un fou, “prouverait” la démographie galopante des populations allogènes (qui donnent, nécessairement, à leurs enfants, des prénoms non-français). Il montre plutôt le décalage croissant entre une liste plus ou moins figée et les goûts des parents en matière de prénomination.
     
    Note 2 : de Abdellali Hajjat, vous pouvez lire l’article intéressant, autour d’une thématique proche, sur le défaut d’assimilation dans la procédure de naturalisation / acquisition de la nationalité française.

    L’Affaire Titeuf

    Fin 2009 Dominique et Isabelle ont donné à leur fils le prénom “Titeuf”.
    Le journal municipal de leur lieu de résidence en rend compte dans la rubrique “Etat civil, Naissances”. Les voisins de Titeuf sont Kara, Noa, Tiago, Flora, Logan ou Faustine. Dans la même ville, quelques mois plus tôt, est né un (ou une) Skyla… Et, vers 2008 et 2007, une (ou un) Briséis, une Séphyr-Bonnie, une Isaline et une Auxanne.

    Extrait du journal municipal de X*** :

    En donnant un prénom rare, très rare, à leur enfant, ces parents s’inscrivent dans plusieurs tendances sociales marquées et partagées par d’autres de nos concitoyens.

  • de plus en plus de parents donnent à leurs enfants des prénoms très rares, donnés une à deux fois par an sur tout le territoire français. D’après les données du “Fichier des prénoms” de l’INSEE de 2005, c’était, cette année-là, presque 7% des filles et 6% des garçons (soit un sur quinze environ) qui recevaient un prénom aussi rare.
  • Ils s’inscrivent aussi dans une tendance de très long terme, qui est de donner à son enfant un prénom ayant un pedigree littéraire : pensons aux “Virginie” (dont se plaignait, d’ailleurs, Bernardin de Saint-Pierre en fructidor an VI). Car Titeuf, en effet, est le nom d’un personnage de bande dessinée.
  • En choisissant ce prénom, enfin, ils participent pleinement au processus de libéralisation du choix rendu effectif depuis 1993 : depuis vingt ans, en effet, l’officier d’état civil n’a plus la possibilité d’empêcher les parents de choisir tel ou tel prénom. Avant 1993, l’on trouvait quelques dizaines de parents qui demandaient l’inscription d’un prénom refusé par l’officier d’état civil (58 demandes en 1991, 64 en 1992). Après 1993, comme le précise L’instruction générale relative à l’état civil de 1999 « l’officier de l’état civil qui reçoit une déclaration de naissance ne dispose plus du pouvoir d’appréciation sur la recevabilité des prénoms qu’il exerçait auparavant sous l’autorité du parquet. » Il peut toutefois informer le procureur de la République d’un prénom qui lui semble porter atteinte aux intérêts de l’enfant. Et le procureur agit, ou non.
  •  

    Dans le cas qui nous intéresse, fin 2009, le prénom “Titeuf” a inquiété l’officier de l’état civil. Il avait sans doute laissé passer Séphyr-Bonnie et Auxanne, Briséis et Skyla (je n’en trouve pas de trace judiciaire, du moins).

    M. Dominique *** et Mme Isabelle *** ont déclaré à l’officier d’état civil de la ville de l’Isle Adam la naissance de leur fils le ** ** 2009 auquel ils ont donné les prénoms de Titeuf, Grégory, Léo.

    Informé par le maire de la commune de l’Isle Adam, le procureur de la République a fait assigner [les parents] devant le juge aux affaires familiales de Pontoise qui, par jugement du 1er juin 2010, a ordonné la suppression du prénom Titeuf de l’acte de naissance n°711/2009 de Titeuf, Grégory, Léo *** né le ** ** 2009 figurant sur les registres d’état civil pour l’année 2009 de la commune de l’Isle Adam, dit que l’enfant portera désormais les prénoms Grégory, Léo, ordonné la transcription du jugement en marge des registres de l’état civil 2009 de la commune de l’Isle Adam ainsi que sur l’acte de naissance de l’enfant, condamné [les parents] aux dépens.

    Les parents ont fait appel. Dans la France contemporaine, il apparaît en effet choquant à des parents que le choix du prénom de leur enfant ne leur appartienne pas tout à fait. Mais pour résumer les choses très brièvement, le prénom est peut-être — avant d’être la propriété de la personne — une propriété de l’Etat, qui délègue dans certaines circonstances le pouvoir de prénommer. Ce que les juristes appellent l’ « immutabilité » du prénom — le fait qu’on ne puisse en changer — ne serait qu’une conséquence de ce qu’il appartienne à l’Etat. [Mais j’hésite à écrire les choses ainsi.]
    Il apparaît probablement encore plus choquant à des parents de comprendre que le prénom qu’ils ont donné peut non seulement disparaître, mais aussi être remplacé par d’autres, choisis par le juge (qui, ici, a pris comme premier prénom l’ancien deuxième prénom).

    En appel les parents :

    font valoir que la loi du 8 janvier 1993 a consacré la liberté du choix des parents en matière de prénom et leur a donné un droit à la création, que le choix du prénom d’un enfant relève de la vie privée garantie par la Convention européenne des droits de l’homme, qu’ils ont souhaité donner à leur enfant un prénom original, que le prénom de Titeuf, qui fait référence à un sympathique personnage de bande dessinée, n’est pas de nature à susciter des moqueries et n’est pas contraire à l’intérêt de leur enfant. Ils contestent toute connotation sexuelle en référence au ‘guide du zizi sexuel‘ et considèrent être victimes d’une véritable discrimination.

    Mais pour les juges, le prénom n’est “pas conforme à l’intérêt de l’enfant”. La Cour d’appel de Versailles écrit :

    Comme le relève avec pertinence le premier juge, le personnage de ‘Titeuf’ est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe; l’ouvrage intitulé ‘guide du zizi sexuel‘ est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l’ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision. Il s’agit d’un personnage caricatural, bien que plutôt sympathique, destiné à faire rire le public en raison de sa naïveté et des situations ridicules dans lesquelles il se retrouve.

    C’est donc à bon droit et par des motifs exacts et pertinents que le premier juge a considéré que le prénom Titeuf n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant au motif qu’il est de nature à attirer les moqueries tant de la part des enfants que des adultes en raison de la grande popularité du personnage en France depuis plusieurs années, et que l’association du prénom Titeuf au personnage de pré-adolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l’enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles.

    L’arrêt de la cour d’appel avait été repéré ici et ici.

     

    Si je lis bien, ce sont les risques de moquerie qui sont mis en avant. On sait, certes, que les adolescents sont sensibles aux moqueries (en raison de leur nom ou de leur prénom) (grâce à l’enquête “Histoire de vie” de l’INSEE). C’est peut-être pour cela que le prénom “Anakin“, pourtant celui d’un tueur fictif sans scrupules, est accepté par la justice (on ne se moque pas de Darth Vader sans conséquences néfastes). Depuis dix ans, il naît en moyenne 15 Anakin par an en France (seuls deux étaient nés avant 2000). La moquerie et son risque se trouvent donc au centre de plusieurs décisions. Certaines demandes de changement de prénom pour raison de moquerie réussissent (“Evariste” changé en “Bilbo” par exemple, CA Papeete, 12/2/2004). Des demandes de rectification initiées par des procureurs échouent : en 1999, un procureur avait voulu interdire à des parents d’appeler leur fils “Zébulon”, mais la cour d’appel, trouvant que ce prénom était “le fruit d’une réflexion approfondie et longuement murie de la part des parents”, avait autorisé ce prénom (CA Besançon 18/11/1999).

    L’ensemble des travaux sociologiques sur les prénoms montre bien qu’il n’y a pas de prénom neutre. Au niveau micro-sociologique, le prénom est un concentré des histoires parentales et des petites négociations ayant conduit à la fixation, à l’état civil, d’un prénom. Au niveau macro-sociologique, le prénom est le reflet d’une position sociale : ce qui apparaît ridicule aux yeux d’institutrices sera joli aux yeux d’un chauffeur, ce qui apparaît classique aux yeux d’un cadre moyen apparaîtra démodé aux yeux d’une juge.

    Mise à jour, 14/02/2011 : un arrêt de la cour de cassation rejette le pourvoi des parents.