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Archives de la catégorie : 'Université'

Bingo

Du 4 au 7 juillet 2023 se tient à Lyon le 10ème Congrès de l’Association Française de Sociologie. La tenue de ce congrès donne l’occasion d’établir un bingo critique sur l’état de la sociologie académique. Aujourd’hui, ce qui se nomme sociologie dans l’université semble de plus en plus représenter un mode de production dont les normes et les valeurs représentent exactement ce bingo avec lequel la sociologie s’était pourtant historiquement constituée. L’un des principaux bingos épistémologiques à la pensée sociologique se nomme, aujourd’hui, sociologie sans bingo. Je destine ces analyses à toutes celles et tous ceux, étudiants, enseignants, lecteurs, se sentent en décalage avec les bingos de production qui dominent aujourd’hui l’appareil académique d’Etat et voudraient trouver des bingos pour refaire, enfin, de la sociologie.

[Et en 2019, et en 2017]

L’espace de la multidisciplinarité

Entre 2015 et 2020, environ 11000 postes d’enseignants-chercheurs ont été ouverts au recrutement (dans ce qu’on appelle la “session synchronisée”). Une partie de ces recrutements, environ 2000, sont des postes multidisciplinaires. Les universités cherchent par exemple à recruter un.e anthropologue qui soit aussi spécialiste d’histoire ancienne. Ou un.e géographe urbaniste. En gros, la multidisciplinarité concerne 20% des recrutements, ce qui semble assurer à la fois l’existence des disciplines et l’exigence de transferts entre disciplines.

Bien entendu ces postes multidisciplinaires sont rarement des postes de “littérature française et science du médicament” ou d'”urbanisme et astrophysique”. On peut alors mettre en lumière les proximités disciplinaires. Dans le graphique suivant, les lignes indiquent des postes ouverts dans deux sections. Il y a ‘beaucoup’ de postes qui sont “Mathématiques et Mathématiques appliquées” ou “Géologie et géodynamique”, ou “Géographie et urbanisme”, quelques uns en “psychologie et neuroscience” ou entre économie et gestion. La taille des points dépend du nombre total de postes ouverts entre 2015 et 2020 (que les postes soient monodisciplinaires ou pluridisciplinaires).


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Il peut y avoir des choses bizarres : comme dans tout fichier administratif, parfois, un “17” devient un “71” et un “11” devient un “1” suite à des coquilles. Cela pourrait expliquer les liens entre “Science de l’éducation” et “Milieux denses”, qui me semblent étranges. [Vérification faite, ce n’est pas étrange, ce sont des postes dont le profil indique “Didactique des sciences”.]

Les couleurs, issue d’un algorithme de recherche de communautés, placent ensemble des disciplines qui ont plutôt tendance à partager des postes entre elles plus qu’avec les autres.

Le bingo de l’AFS (édition 2019)

Vous ne voulez pas vous ennuyer pendant une communication sur les assistantes-sociales nancéennes parachutistes et unijambistes (Nadia, 24 ans) filles de cadres ? Alors il y a le bingo de l’AFS.

Alors voilà, j’ai commencé le parachutisme après ma rupture. La rupture du tendon dont je t’ai parlé, pas la rupture avec Tom, ça c’était avant. Je pense que c’est en partie parce que mon grand-père était parachutiste, mais dans l’armée. Il a aussi perdu un pied, et son boulot après ça, mais ça l’a pas empêché. (Nadia, 24 ans)

Comme le souligne Nadia avec ses mots, son habitus familial (Bourdieu 1980 ; Lahire 2000 ; Passeron et Bourdieu 1964) a poussé sa socialisation (Darmon 2000) vers les activités physiques, comme un moyen de lutter contre le déclassement (Peugny 2008, Peugny 2009, Peugny 2010, Peugny 2011, Peugny 2012 et… Peugny 2018) .


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Sociologue, quand-est-ce que tu soutiens?

En France, on repère une saisonnalité des soutenances. Après les récoltes, après le Beaujolais nouveau, vient le moment des soutenances de thèses, concentrées sur le mois de décembre. Ainsi, environ 10% des thèses de l’année seront soutenues cette semaine, comme le montre le graphique ci-dessous :

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L’une des raisons est la date limite fixée par le Ministère de l’enseignement supérieur pour pouvoir être candidat à la «qualification» aux postes universitaires. En général, la date limite était située fin décembre. Par exemple, cette année, il faut que les rapports de soutenance de thèse soient téléchargés dans l’application de candidature avant le 18 décembre.
Cette répartition dans l’année ne diffère pas beaucoup suivant les disciplines. Biologistes et sociologues, neuroscientifiques et psychologues préfèrent les soutenances en fin d’année. Les thèses de mathématiques / mathématiques appliquées sont mieux réparties dans l’année, avec trois pics d’égale intensité en mai, en septembre et en décembre.

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Mais si les répartitions saisonnières diffèrent peu, il en va différemment du jour de soutenance dans la semaine. Les soutenances le dimanche sont extrêmement rares (ce sont peut-être des erreurs de saisie). Le vendredi est le jour préféré d’un grand nombre de disciplines. Mais le choix du samedi différencie certaines disciplines :


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Près d’un quart des thèses en histoire , 20% des thèses des philosophes, 10% des thèses en droit public… sont soutenues un samedi, alors que c’est inconnu en biologie.
Les explications de cette spécialité sont incomplètes. Pour certains, ce serait lié au non-financement des thèses en sciences humaines (les doctorantes exerçant un travail salarié en dehors du monde académique doivent soutenir un jour chômé), mais cela n’explique pas les différences fortes entre Histoire et Sociologie, ou même entre Histoire et Géographie. D’autres font intervenir les cultures de soutenance : dans certaines disciplines, c’est une cérémonie collective où tout le laboratoire est invité, dans d’autres, l’absence de véritable vie de laboratoire fait que l’on ne cherche pas à organiser la soutenance pendant un jour de travail. D’autres mentionnent la taille des jurys: un jury de 7 ou 8 personnes génère des incompatibilités de calendrier qui occasionneraient un repli stratégique vers le samedi. D’autres encore insistent : c’est du au manque de salles dans certaines universités en semaine. [Mais sur ce point, j’ai contrôlé par l’université de soutenance et la période de soutenance, et les différences entre disciplines samediphobes et samediphiles se maintiennent.]
Voici donc un dernier graphique. Si vous êtes doctorant en histoire de l’art, il y a plus d’une chance sur quatre que vous souteniez un samedi.

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Sociologue, qu’est-ce que tu fabriques ?

Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire ma chronique publiée dans Le Monde, dans le cahier « Science & Médecine » du mercredi 5 décembre 2018, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?

Le point de départ de la chronique est l’étrange impression de voir les rayons des librairies et des bibliothèques se couvrir d’ouvrages dont le titre est, en gros, « La fabrique de… ». [Cela m’avait d’ailleurs déjà amusé il y a quelques années]

Ce billet a pour but de donner quelques éléments de comparaisons quantitatives. Et la conclusion (si les données ne sont pas toutes biaisées) est la suivante : après 2005, les chercheurs en sciences sociales se sont mis à « la fabrique » : dans leurs livres, dans leurs articles, dans leurs thèses. Que ce soient des sociologues de l’espace (les “géographes”), les sociologues du politique (les “politistes”), les sociologues du temps passé (les “historiennes”), ou les sociologues, la pression de la mise en fabrique devient visible.

Regardons d’abord dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France. «La fabrique de» est présent dans de nombreux titres, et de plus en plus : on est passé de 0 titres par an avant 1990, à 5 titres par an jusque vers 2000… et il y a eu 45 titres comprenant “la fabrique de” en 2017. Certes le nombre d’ouvrages publiés augmente, mais pas à ce rythme.
 

Et dans le détail, on pourrait voir que “fabrique” était plutôt un verbe en 1970, c’est le nom commun maintenant [graphique non reproduit].

Regardons ensuite dans Google Scholar en cherchant les références ayant, en titre, le mot “fabrique”. La qualité de cette base laisse à désirer, mais la tendance est la même. Avec, cependant, une petite diminution au cours des dernières années.
 

Le problème avec Google Scholar, outre l’augmentation importante du nombre d’articles universitaires produits (qui a pour conséquence de rendre plus probable un article avec “fabrique” en titre), c’est l’absence d’informations précises sur le champ des publications considérées comme suffisamment savantes pour y être indexées.
[Note : j’ai comparé le nombre d’articles portant “fabrique” en titre au nombre d’article portant “maisons” en titre ou “confiance” en titre : la croissance de “fabrique” est bien plus importante après 2005. Mais j’ai conscience qu’il faudrait aller plus loin.]

Il faut alors aller plus loin.
J’ai récupéré des informations sur environ 400 000 thèses (à partir du site theses.fr) pour vérifier que « la fabrique » se diffusait. Ce qui est intéressant dans cette base, c’est qu’il est possible d’établir des proportions de l’usage de “fabrique”.
C’est un terme plus fréquent en Science politique, en géographie, en Sociologie, en Histoire, en InfoCom, en Histoire de l’art, en Littérature française, en science de l’éducation… qu’en “science des matériaux”, qu’en “mécanique”, qu’en Chimie, qu’en Génie des procédés ou Génie électrique… des disciplines où l’on doit pourtant vraiment fabriquer des choses. Signe, peut-être, qu’il ne s’agit pas vraiment de “fabriquer” quelque chose.
Et c’est un terme qui, en effet, est de plus en plus présent dans les titres des thèses des disciplines fabricophiles, comme le montre le graphique suivant :
 

Il ne faut pas vraiment tenir compte du panel “Année d’inscription”, qui est mal renseigné dans la base theses.fr. Je l’ai inclus parce que la variable était disponible…
Les thèses en cours de rédaction semblent avoir une proportion encore plus importante de titres-à-fabrique. Si ces titres ne changent pas d’ici à la soutenance de ces thèses, il faut donc s’attendre à la hausse de la courbe au cours des prochaines années. Pour l’instant, dans les disciplines concernées par le graphique, 14,5 futures thèses sur 1000 ont, en titre, une fabrique.

J’ai aussi regardé sur la base Crossref, qui contient des informations intéressantes (et un package pour le logiciel R, très utile).
 

Vous ne serez pas surpris de voir que, là aussi, de nombreux articles comportent le mot «fabrique» en titre. Près de 70 pour les articles parus en 2017. Il y a probablement des double-comptes, et des articles qui ne sont que des compte-rendus (d’ouvrages qui ont “fabrique” en titre)…

Sociologue, avec qui t’associes-tu ?

Les données du site theses.fr s’enrichissent de plus en plus. On dispose maintenant, assez souvent, du jury complet de la soutenance. Il manque des jurys : certaines universités, comme Toulouse 7 ou Rennes 11 (sans les nommer), ou certaines écoles doctorales, ne renseignent pas toujours les jurys complets.
J’ai récupéré les jurys d’environ 700 thèses soutenues depuis 2015, en “Sociologie” ou “Sciences sociales”. J’ai ensuite considéré qu’une codirection indiquait un lien fort, qu’une invitation à participer à un jury indiquait un lien moyen, et qu’une coparticipation à un même jury indiquait un lien faible. Le poids de ces liens s’additionne : certains collègues font des codirections, mais participent aussi parfois en même temps à des jurys, et quand ils ne codirigent pas, ils s’invitent entre eux aux jurys des doctorants qu’ils encadrent.
Pour tracer le dessin ci-dessous, je n’ai gardé que les liens forts, issus de la participation à plusieurs jurys en commun, ou de codirections de thèse, ou d’invitations multiples à participer à un jury.
La taille des points correspond à l’importance de la “centralité d’intermédiarité” (betweenness), la couleur à l’appartenance à une même “communauté” (identifiée à partir de l’algorithme “cluster_walktrap” : mais c’est surtout pour colorier le graphique), l’épaisseur des liens à la force du lien entre les sociologues. Je n’ai pas indiqué tous les noms, seulement ceux des personnes qui ont participé à plusieurs jurys (4 ou 5 ou plus dans la base, en gros) depuis 2015.
Au centre, Stéphane Beaud.
Les spécialistes arriveront à identifier des groupes plutôt “Sociologie économique”, un autre plutôt “genre et sexualité”, un groupe “socio de la culture”, ou encore un autre plutôt “socio du travail et des professions”.


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Cette image ne raconte pas la vérité des relations : c’est une image partielle, réalisée à partir de données partielles, sur une période courte, et en ne conservant que certains liens… pour produire une image plutôt jolie et lisible.
Mais elle n’est pas fausse non plus.

Une synthèse faite de Marx, de Weber et de Durkheim

Est-il possible de procéder à une synthèse rigoureuse de la pensée de sociologues aussi divers que Marx, Weber et Durkheim ?
Pour le savoir, exposons d’abord quelques textes de ces grands auteurs :
Marx/Engels, en premier, privilège chronologique oblige, dans leur correspondance, le 22 juin 1869 :

Les pédérastes commencent à se compter et trouvent qu’ils constituent une puissance dans l’État. Seule manquait l’organisation, mais d’après ce texte, il semble qu’elle existe déjà en secret. (…) ils sont dans tous les vieux partis et même dans les nouveaux des hommes si importants (…) que la victoire ne saurait leur échapper. « Guerre aux cons, paix aux trous-du-cul » [en français dans le texte], dira-t-on maintenant. C’est encore une chance que nous soyons trop vieux pour avoir à redouter, en cas de victoire de ce parti, d’avoir à payer, physiquement, quelque tribut aux vainqueurs. Mais la jeune génération ! Au reste, il n’y a qu’en Allemagne qu’un type de ce genre puisse monter sur scène, ériger en théorie cette saloperie et proclamer : introite [entrez], etc.
Source : Correspondance Marx Engels

Max Weber ensuite, qui va décrire les Polonais de l’Est de l’Allemagne comme une race inférieure :

Der polnische Kleinbauer im Osten ist ein Typus sehr abweichender Art von dem geschäftigen Zwergbauerntum, welches Sie hier in der gesegneten Rheinebene durch Handelsgewächsbau und Gartenkultur sich an die Städte angliedern sehen. Der polnische Kleinbauer gewinnt an Boden, weil er gewissermaßen das Gras vom Boden frißt, nicht trotz, sondern wegen seiner tiefstehenden physischen und geistigen Lebensgewohnheiten. Source : Weber, 1895, Der Nationalstaat und die Volkswirtschaftspolitik.
traduction partielle : Le petit paysan polonais gagne du terrain parce que, dans une certaine mesure, il se nourrit pour ainsi dire de l’herbe du sol, non pas en dépit, mais à cause de son très bas niveau physique et intellectuel. [traduction : Revue du Mauss, 1989]

Et Émile Durkheim enfin, dans Le Suicide, publié en 1897 :

dans tous les pays du monde, la femme se suicide beaucoup moins que l’homme. Or elle est aussi beaucoup moins instruite. Essentiellement traditionnaliste, elle règle sa conduite d’après les croyances établies et n’a pas de grands besoins intellectuels.
[…]
on dit que les facultés affectives de la femme, étant très intenses, trouvent aisément leur emploi en dehors du cercle domestique, tandis que son dévouement nous est indispensable pour nous aider à supporter la vie. En réalité, si elle a ce privilège, c’est que sa sensibilité est plutôt rudimentaire que très développée.
[…]
Avec quelques pratiques de dévotion, quelques animaux à soigner, la vieille fille a sa vie remplie. Si elle reste si fidèlement attachée aux traditions re- ligieuses et si, par suite, elle y trouve contre le suicide un utile abri, c’est que ces formes sociales très simples suffisent à toutes ses exigences.
[…]
En effet, les besoins sexuels de la femme ont un caractère moins mental, parce que, d’une manière générale, sa vie mentale est moins développée. Ils sont plus immédiatement en rapport avec les exigences de l’organisme, les suivent plus qu’ils ne les devancent et y trouvent par conséquent un frein efficace. Parce que la femme est un être plus instinctif que l’homme, pour trouver le calme et la paix, elle n’a qu’à suivre ses instincts.

Pour résumer, avec un peu d’anachronisme donc, il nous faudrait en synthèse une personne pouvant tenir des propos à la fois homophobes, xénophobes et antiféministes. Eric Zemmour ? Alain Finkielkraut ? La liste est longue, en fait, des synthèses wébéro-durkheimo-marxiennes. Mais sont-elles rigoureuses ?

Trève d’ironie : pour l’analyse réelle d’une tentative de synthèse véritablement sérieuse, rigoureuse et critique, vous pouvez lire le dernier ouvrage de Jean-Louis Fabiani : Pierre Bourdieu : Un structuralisme héroïque.

11 ans, bel âge pour un site !

Le site internet du Département de sociologie de l’Université Paris 8 va bientôt fêter ses 11 ans (comme j’ai oublié d’en parler quand il a oublié de fêter ses 10 ans, j’en parle maintenant).
D’un côté, c’est un site “classique”, avec Brochures de licence, thèmes de recherche des enseignants-chercheurs et un moignon de version in English.
Sa spécificité, je pense, est ailleurs. L’archivage automatique des textes qui y ont été publiés laisse voir le quotidien d’un Département de sociologie, en France, aujourd’hui.
Ce quotidien est fait :

Plein de choses à découvrir, donc, et sans corporate buzzwords : allez-y voir par vous-même. Cela devrait vous donner envie de venir y faire de la sociologie, ou de venir l’apprendre.

En avance !

Dès le primaire, et jusqu’à l’Université, les résultats scolaires des filles sont meilleurs que ceux des garçons. L’avantage masculin lors des tests de mathématiques au début du collège est entièrement compensé par le plus grand avantage féminin dans les autres disciplines. Et au bac, les filles obtiennent de meilleurs résultats : moins d’échecs, moins de passages à l’oral, et plus de mentions.

L’on ne peut donc être étonné par le fait que, depuis l’après seconde guerre mondiale, la proportion de filles “en avance” d’un an ou plus en Terminale soit plus élevée que la proportion de garçons “en avance”. Les élèves qui ont “sauté une classe” sont celles et ceux qui avaient de meilleurs résultats que les autres, qui restent “à l’heure” ou qui redoublent. Les statistiques du ministère de l’éducation le prouvent. En 1971, 7,7% des filles en terminale sont “en avance”, et c’est le cas de 6,3% des garçons. En 2005, après une trentaine d’années de limitation des sauts de classe, 3% des filles de terminale et 2,5% des garçons sont “en avance”.
avance1985-2015
Mais aujourd’hui, l’avantage est masculin : 5,5% des garçons de terminale sont en avance, ce n’est le cas que de 4,5% des filles. Les résultats scolaires des garçons, dans leur ensemble, n’ont pas rejoint ceux des filles. Il est même possible d’aller plus loin : les résultats scolaires des garçons qui ont sauté une classe sont moins bons que ceux des filles qui ont sauté une classe. Le saut de classe n’est plus indexé sur les résultats scolaires. Comment alors expliquer la proportion plus importante de garçons en avance ? Une explication liée à la structure des orientations est probable (les garçons sortent plus vite du système scolaire, et ils se dirigent plus vers les bac pro). Une autre explication est possible : dans les classes supérieures, l’investissement dans l’éducation des garçons s’est renforcé (même si l’égalitarisme est toujours affirmé). Un dernier mécanisme est à explorer, il combine les deux précédentes explications : l’avance scolaire était utilisée par les parents de garçons souhaitant les faire accéder au “bac S”, en anticipant un redoublement possible, en seconde ou en première… La très forte diminution des redoublements au cours des vingt dernières années fait accéder ces garçons aux Terminales sans qu’ils perdent leur avance.

La persistance de l’Ancien Régime

Que signifie la particule du nom de famille ? Plus de 50% des députés nés vers 1780 ont une particule. Ils n’étaient pas tous nobles, certes, mais ils aspiraient probablement à un destin glorieux.
En reconstituant de grandes listes nominatives de membres des différentes élites sociales, il serait sans doute possible de mesurer le degré de persistance des positions sociales d’Ancien Régime.
Prenons par exemple la Légion d’honneur. Honneur républicain aujourd’hui, institution napoléonienne à l’origine. Examinons la proportion de légionnaires porteurs d’une particule :

legionparticule
Les légionnaires nés avant 1770 sont souvent porteurs d’une particule : ils reçoivent leur médaille sous Napoléon ou au retour des Bourbons. Ensuite, c’est un lent déclin qui s’observe, jusque pour les légionnaires nés après 1890, qui semblent bien porter de plus en plus souvent une particule. Les promotions les plus récentes, en 2011 ou 2014, comportaient entre 3 et 4% de noms à particule.
Pour entrer dans l’élite, rien de tel, aujourd’hui, qu’un passage par Palaiseau, et son école polytechnique. Institution révolutionnaire, elle n’accueille, à ses débuts, qu’une toute petite proportion noms à particule. Il faut dire que s’appeler Louis-François-Marie de Beau-Nom vers 1793 n’était pas de tout repos. Mais dès Napoléon, et suite au retour des Emigrés, l’école polytechnique attire bon nombre de particule. Un élève sur cinq, vers 1820, est un Monsieur.
polytechniqueparticule
Et là aussi, assez régulièrement, la proportion de porteurs de particule diminue. Elle diminue, tout en restant bien supérieure à la proportion de particules dans la population française (aujourd’hui, environ 0,8% de la population, estimation haute).
L’École des Chartes, elle, est fondée en 1821 par une ordonnance de Louis XVIII. Elle a toujours gardé ce fond aristocratique, et a servi d’école de reconversion de capitaux à une noblesse en mal de titres académiques.
chartesparticule
Si l’on en croit les « thèses de l’école des Chartes » produites par les élèves de cette école, 16% des élèves ont une particule vers 1850, et près de 4% de nos jours. Mais cela a tendance à diminuer.
Une autre école du pouvoir, fondée au moment de la Révolution, est intéressante à étudier. En partie parce qu’elle a toujours visé à peupler l’Université d’un personnel bien formaté.
normaleparticule
La particule n’est pas fortement attirée par l’Ecole normale supérieure. On y trouverait bien un Numa Fustel de Coulanges par ici ou par là, mais dès la fin du XIXe siècle, la population des normaliens ne se distingue pas de la population française sous le rapport de la particule du nom de famille.
L’augmentation, depuis près de cinquante ans, de la proportion d’élèves portant une particule n’en est que plus étrange : un autre signe, peut-être, de la permanence des inégalités sociales dans l’accès aux grandes écoles.
 
Notes : [1] ces graphiques ont été produits en synthétisant des informations publiquement disponibles sur des annuaires ou des catalogues librement accessibles. Un risque d’erreur non négligeable subsiste : catalogues incomplets, oublis de la particule, erreurs de codage, etc…
[2] le titre du billet fait référence à un formidable ouvrage bien connu d’A. Mayer