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J’ai été interviewé la semaine dernière pour l’émission “Une semaine d’enfer”, sur France 4. Ce fut l’occasion de parler un peu de Sociologie des prénoms des humains, mais aussi des prénoms des chiens.

lien vers le reportage

J’avais aussi été interviewé, il y a quelques jours, pour une chronique sur France Info : chronique disponible ici

Animaux (varia)

Il y a quelques mois, j’écrivais quelques lignes sur le cimetière des chiens d’Asnières. Aurais-je attendu quelques mois que j’aurai pu améliorer ce que j’ai produit : un article de Bérénice Gaillemin, (Vivre et construire la mort des animaux) publié dans le numéro 2009-3 d’Ethnologie française vient se pencher sur la forme qu’ont pris, récemment, les tombes des animaux. C’est sur “le déploiement (…) d’un culte non contraignant” qu’insiste Gaillemin : « Malgré quelques interdits, le cimetière offre une grande liberté, notamment celle qui consiste à s’adresser aux morts via les épitaphes (…) Chacun peut désormais investir l’espace de ses propres références personnelles, réinventer l’hommage conventionnel aux défunts. »
Note : je n’ai pas trouvé d’informations synthétiques sur B. Gaillemin. Le « Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative » de Paris 10 ne permet visiblement pas à ses doctorants de disposer d’une page web.

*

« What do animals do all day ? » est un article de John Levi Martin, professeur de sociologie à l’université de Chicago. Ce n’est pas un article tout récent. Il date de 2000. Mais il est fort amusant. En s’appuyant sur l’analyse statistique d’un livre pour enfants, What do people do all day, JL Martin décrit les “relations socio-logiques entre espèces animales et emplois dans l’imagination populaire”. Voici l’une de ses conclusions, en image :
johnlevimartin-animals

What do animals do all day?: The division of labor, class bodies, and totemic thinking in the popular imagination [PDF], Poetics Volume 27, Issues 2-3, March 2000, Pages 195-231

Le cimetière des chiens

En 1898, une loi codifie les modes d’enterrement des animaux domestiques (à plus de 100 mètres des habitations, à plus d’un mètre sous terre). Cela semble avoir déclenché, en France, la création d’un cimetière pour chiens.

Cette loi avait un but hygiéniste, mais elle permettait aussi la “mise en objets” de changements de conception de l’animal domestique. Au cours du XIXe siècle se développe l’idée que le chien est un animal fidèle, au delà même de la mort de ses maîtres : des chiens sont décrits veillant la tombe de leur maître. Le chien devient l’un des symboles du deuil qui dure.
En même temps, les chiens en viennent à symboliser la vie domestique, la vie de famille : constance, compagnonage, confiance… permettent de décrire à la fois la vie domestique et les qualités du chien (qui a des vertus quasi-familiales).
Le chien devient peut-être alors véritablement un « animal domestique ».

Et sa mort est désormais vécue différemment. Mais comme les autres animaux, les chiens ne pouvaient (et ne peuvent toujours pas) être enterrés dans les cimetières pour humains : que les cimetières soient religieux ou laïcisés. La distance physique que l’Eglise (catholique) cherche à mettre entre hommes et bêtes est pour elle la conséquence de la distance entre deux ordres de la Création.

Des cimetières pour chiens furent alors créés.
 

Féminisme
Des femmes furent à l’avant-garde de la création des cimetières pour animaux. Des femmes bourgeoises, urbaines, qui s’identifiaient, émotionnellement, avec la souffrance animale, et critiquaient ainsi le matérialisme, la science (quand elles s’opposaient à la vivisection) et le pouvoir masculin.

A New York, nous apprend « Le Journal des débats » (3 avril 1896), « C’est une femme de bien qui a eu l’idée de cette pieuse entreprise ; elle a pensé que nous n’avions pas jusqu’ici assez d’égards pour la dépouille de nos fidèles amis : “Je suis, disait-elle à un reporter, de ceux qui croient que les chiens, les bons chiens, ont une âme” (…) ».
A Londres, le cimetière pour chiens de Hyde Park est aussi une création féminine, bien décryptée par Philipp Howell dans un article.

En France, Adrienne Neyrat fonde le journal L’Ami des bêtes à la fin de l’année 1898. C’est à l’époque une jeune femme (dont nous savons très peu de choses) qui s’est engagée avec la société protectrice des animaux pour une amélioration du travail de la fourrière parisienne (qui ramasse les chiens errants et les euthanasie). On retrouve “Mademoiselle Neyrat” dans un « Almanach féministe » de 1900, signe, peut-être, qu’elle appartenait à des réseaux à la fois féministes et de défense des animaux.

asnieres05Le cimetière des chiens d’Asnières a été créé au même moment (1899), par Marguerite Durand, l’une des organisatrices du féminisme fin-de-siècle en France et un “avocat cynophile” par ailleurs éditeur du mensuel “L’Ami des chiens” (à ne pas confondre avec “L’ami des bêtes). Durand elle-même ne dissociait pas ses activités féministes (son journal, La Fronde) et ses activités nécro-capitalistes. Son journal, La Fronde est associé au cimetière : par des publicités régulières, quasi-quotidiennes à certains moments, mais aussi en exposant les maquettes des premiers monuments funéraires dans le hall de ses bureaux (voir le Journal des débats, 04/02/1900).

Les liens entre ces cimetières et le féminisme sont encore peu élucidés, mais ils sont forts et probablement pas le fruit du hasard. Est-ce parce que ces animaux deviennent alors véritablement “domestiques” ? Est-ce parce qu’exiger une publicisation de cette “domesticité” dans l’espace public, par un cimetière, exigeait des compétences en affinité avec le féminisme alors en développement ?
Comment comprendre cette implication féministe dans les cimetières pour chiens ?

Une hypothèse serait que seules des femmes disposant d’un accès à l’espace public pouvaient avoir suffisamment de capitaux pour créer, dans l’espace public, une sorte d’extension de l’espace domestique, pour inscrire le souvenir d’un animal domestique dans un lieu public. Si l’entretien de la domesticité était, au XIXe siècle, confié principalement aux femmes, l’extension du deuil à l’espace public n’était possible qu’à travers certaines femmes.

Au delà des fondatrices, il semble que les utilisateurs de ces cimetières ont été, souvent, des utilisatrices. La majorité des animaux enterrés à Hyde Park l’étaient par des femmes d’après Ph. Howell.

 

Critiques et railleries
Il me semble nécessaire de réfléchir sur les critiques portées à ces cimetières. Et, plus spécifiquement, de réfléchir sur les railleries.

En voici quelques exemples :
asnieres02Dans un article de 1910 publié dans L’Echo du Centre, le journaliste Paul Eudel commence par « Ne riez pas. Cette nécropole existe, j’en reviens. »

S’il est avéré que l’enfouissement monumentalisé des animaux était une pratique féminine, alors les critiques, masculines, sont des rappel à l’ordre : les sentiments exprimés par des femmes doivent rester d’ordre privé :
La Presse, 17/10/1905, décrit ainsi une « nécropole pastiche où s’exhalent des plaintes dont la naïveté et l’excès de douleur portent irrésistiblement à la gaieté » (…) « c’est moins leur “compagnon” ou “leur meilleure amie” que dix ans de leur propre existence que ces gens pleurent là. »

Mais c’est du monde catholique romain que viennent les critiques les plus conséquentes. Le quotidien La Croix abonde en articles raillant le cimetière des chiens.

La Croix, 3/4/1907 : « Nous avons le cimetière des chiens à Asnières. Des toutous ont leur concession à perpétuité alors que de pauvres orphelins n’ont pas la consolation d’aller pleurer longtemps sur la tombe de leurs parents, enfouis dans la fosse commune. (…) L’Amouracherie du toutou est une des formes modernes de l’humaine stupidité et une grotesque déviation du sentiment. »

La Croix, 16/09/1938, dans un article intitulé : « L’adoration des bêtes » :

(…) cela ne justifie nullement le sentimentalisme (bêbête) (…) dont [les bêtes] sont parfois les bénéficiaires et jusqu’à un certain point les victimes (…). Etes-vous jamais allés au cimetière des chiens, près d’Asnières, dans une petite île charmante qui aurait mieux à faire que d’abriter les monuments d’une sottise dépravée ?
(…) Un autre bas-bleu va plus loin encore. En des vers héroïquement chevillés, il demande à Dieu de partager l’éternité de sa chatte disparue : “Plutôt que d’aller en paradis sans elle, je préfère la rejoindre en enfer pour toujours…” On n’en finirait pas de citer les horreurs et les folies qui s’entassent dans cette singulière nécropole.

La Croix, 13/08/1940 « Cynélatrie », par Paul de L’Isle :

(le fidèle serviteur) Honneur à toi ! Mais le petit chien-chien de luxe, le toutou, afffreux pékinois ou chien d’une autre râce abâtardie ! C’est un trait de notre génération de vaincus : le chien remplaçant, au foyer, l’enfant dont on ne veut pas (…) Le chien qui a son cimetière à Asnières, avec des tombes, des inscriptions, des fleurs, quel scandale !

Ici, le cimetière des chiens devient l’expression d’un “peuple de vaincus” (la date, aout 1940, est à considérer…)

L’un des angles de la critique s’appuie sur le caractère commercial du cimetière et l’inégalité qu’il entraîne.

Louis Michon, dans Le Correspondant, en 1902, écrit :

[les créateurs du cimetière des chiens d’Asnières] ne songent qu’au gain et à leurs profits personnels. Ne disaient-ils pas, en effet, en 1900, lorsqu’ils émirent les actions de la « Nécropole zoologique, qu’acheter leurs titres c’était faire tout à la fois une bonne action et une bonne affaire ? » Et c’est pour cela qu’ils font payer très cher au propriétaire de l’animal défunt le terrain qu’ils lui concèdent. Il y a, en effet, toute une catégorie de prix suivants que l’on veut enterrer la bête dans la fosse commune ou dans un caveau privé.
(…)
[et plus loin, p.1098] Il est très délicat d’apprécier à sa juste valeur la générosité des donateurs ; leur sensibilité affectée n’a souvent aucun rapport avec la vraie charité publique. Certains trouveront étrange que des animaux aient une si belle sépulture, alors que de pauvres vieux hommes, qui ont travaillé toute leur vie, sont enfouis dans la fosse commune sans le moindre souvenir, sans même une croix.

L’écrivain catholique Léon Bloy est sans doute le critique le plus dur. Dans Le sang du pauvre, il écrit :

(…) c’est une sensation plus que bizarre de visiter le Cimetière des chiens (…) Il va sans dire que c’est le cimetière des chiens riches, les chiens pauvres n’y ayant aucun droit. (…)
La monotonie des « regrets éternels » est un peu fatigante. La formule de fidélité, plus canine que les chiens eux-mêmes : « Je te pleurerai toujours et ne te remplacerai jamais » surabonde péniblement. Néanmoins le visiteur patient est récompensé. (…)
« Mimiss, sa mémère à son troune-niouniousse »
On est forcé de se demander si la sottise, décidément n’est pas plus haïssable que la méchanceté même. Je ne pense pas que le mépris des pauvres ait jamais pu être plus nettement, plus insolement déclaré (…) Il y a là des monuments qui ont coûté la subsistance de vingt familles. (…) Et ces regrets éternels, ces attendrissements lyriques des salauds et des salaudes qui ne donnneraient pas un centime à un de leurs frères mourant de faim !
[les photographies] presque toutes sont hideuses, en conformité probable avec les puantes âmes des maîtres ou des maîtresses.

 

Lutter contre la critique
asnieres04On peut alors comprendre une bonne partie de l’aménagement du cimetière comme une réponse aux critiques.
Le Journal des débats, 16/04/1900 : « une souscription est ouverte pour ériger un tombeau au chien de guerre Moustache », auquel l’armée napoléonienne a rendu des hommages lors de sa mort. [Note : c’est en 2006 qu’une plaque sera érigée en l’honneur de Moustache]

Le Figaro, 07/10/1909, rubrique de Henri Rochefort, au sujet d’un chien courageux, Deder. « Maintenant quelle décision prendrait le gouvernement si Deder, tombé au champ d’honneur, mourait des coups de coûteau auxquels il s’est si généreusement exposé ? Il serait inique de l’enterrer – selon l’expression familière – comme un chien. »

Le Figaro, 26/06/1920 au sujet d’un cheval ayant gagné plusieurs courses célèbres et s’étant cassé la jambe « Il avait encore un bel avenir devant lui, de brillants lauriers à cueillir, et il va reposer à Asnières dans le cimetière des chiens où une plaque rappellera ses hauts faits sur le turf »

La lutte contre la critique et les railleries mobilise plusieurs éléments :
asnieres03Elle souligne qu’il existe de « grands » chiens. Grands dans le monde civique comem les fameux saint-bernards ou les chiens militaires qui ont sauvé ou aidé des humains. Marguerite Durand semble en avoir été consciente : elle fera construire des monuments distinguant ces animaux (monument à « Barry », souscription pour le chien « moustache »). Grands dans la cité de la réputation, par association : les “chiens de célébrités” sont mentionnés. Certes leur célébrité « dérive » de celle de leurs maîtres, mais il échappent à la seule importance domestique, pour être connu au delà d’un cercle restreint.
Plus récemment, le cimetière a pris une nouvelle importance. Il est plus grand que la somme des petits êtres qui s’y trouvent. En 1987, la ville d’Asnières le rachète, et essaie depuis d’en faire une attraction touristique.

 
Spiritualité et religion
Ce cimetière propose une étrange absence de symboles religieux. Cette absence était explicitée dans des publicités pour le cimetière. Dans La Fronde peut-on lire :

« L’administration informe le public
1° Qu’elle ne permettra ni cérémonie, ni décoration ayant l’air de pasticher les inhumations humaines, ce qui serait manquer au respect dû aux morts ; les croix, notamment, sont rigoureusement interdites.

Et rappelée dans le règlement intérieur (dans les années vingt) :

Règlement du cimetière des chiens
(…) Art. 5 Tous emblèmes religieux et tous monuments affectant la forme des sépultures humaines sont absolument prohibés dans le cimetière zoologique. (…)

Cette clause est moquée par Léon Bloy :

Pour ce qui est de la “forme absolument prohibée des sépultures humaines”, tout ce qu’on peut en dire, c’est que cette clause est une bien jolie blague. Un myope, incapable de déchiffrer les inscriptions et non averti, pensera nécessairement qu’il est dans un cimetière, païen à coup sûr et fort bizarre, mais humain, et l’on ne voit pas ce qui pourrait l’en détromper.

C’est sans doute pour assurer une sorte de « neutralité » du cimetière face aux différentes religions que les symboles religieux sont interdits dès le début, à un moment historique où l’Etat, en France, constitue un espace appelé “laïc”. C’est aussi à replacer dans le contexte de lutte entre Eglise (catholique) et Etat, en France, à la fin du XIXe siècle (la loi de Séparation date de 1905) : il devait sembler important à Marguerite Durand de ne pas plus exciter une Eglise très combattante.

Mais le peu de références religieuses ouvre aussi un espace à des formes non orthodoxes de spiritualité, où les animaux ont des âmes, où le sentiment religieux peut se développer à l’extérieur des institutions de la chrétienté. Les contraintes sont toujours productrices ou génératrices, et pas uniquement répressives.

Pour comprendre la place que ces êtres morts occupent, il peut être intéressant de se pencher sur les épitaphes, les inscriptions sur les pierres tombales :
Pour l’ethnologue Guy Barbichon, l’affection est manifestée dans ces inscriptions, mais « les formes d’expression de cette affection se sont notablement transformées » : « d’une relation d’affection où s’exprime la différence entre l’humain aimant et l’animal aimé à une relation d’affection où s’exprime l’indifférenciation entre les deux êtres ». Il remarque le passage du « cher petit animal » (dont on parle à la troisième personne) au « petit chéri » auquel on parle directement, le passage de l’évocation indirecte d’un cher petit animal à la tendre interpellation d’un être chéri (l’égal de celui qui dit son affection).
Barbichon, toujours : « Il était, et il reste admis par nos cultures que des humains parlent à leurs morts. L’effacement de la frontière homme-animal a permis que la même pratique s’étende aux animaux disparus. »

 

Conclusion mineure
Ce cimetière nous dit des choses sur le statut moral des animaux dans notre société, sur l’évolution de ce statut au cours des deux derniers siècles.
Il nous dit aussi que, même si pour les sociologues, l’animal est hors du monde social considéré (il n’a ni état civil, ni catégorie socio professionnelle…), il n’en va pas de même pour une partie de la population.
 

Bibliographie
Howell, Philip. “A Place for the Animal Dead: Pets, Pet Cemeteries and Animal Ethics in Late Victorian Britain”, Ethics, Place and Environment , Vol . 5, No. 1, 5–22, 2002
Barbichon, Guy. “Les chiens meurent aussi”, Panoramiques, 1997, n°31, p.149-159
Documents sur Gallica
Dossier “Cimetière…”, Archives Marguerite Durand à la Bibliothèque Marguerite Durand

 
Ailleurs sur internet
The Pet Blog; le blog de Marie-Dominique Aeschlimann ; de belles photos sur JPG-magazine.

Les animaux ont-ils un prénom ?

sissy asnieres flick toucanradioDans La pensée sauvage Lévi-Strauss s’amuse, pendant de longues pages, à comprendre comment les Français nomment leurs animaux domestiques. Il s’étonne de ce qui lui apparaît comme un fait : l’on donne aux oiseaux des prénoms actuellement donnés aux humains, et pas aux chiens. Des « chiens, auxquels on ne donne pas de prénom humain sans provoquer un sentiment de malaise, sinon même un léger scandale », écrit l’anthropologue. « [N]ous leur affectons une série spéciale : Azor, Médor, Sultan, Fido, Diane (ce dernier, prénom humain sans doute, mais d’abord vu comme mythologique), etc., (…) presque tous des noms de théâtre formant une série parallèle à ceux que l’on porte dans la vie courante. »
Il semble que ces pages ont été lues avec une certaine rigueur par Sir Edmund Leach : chez les anglophones, “animal names rarely conform to the rules that Lévi-Strauss describes for them” (je cite Mary Phillips, “Proper Names and the Social Construction of Biography : The Negative Case of Laboratory Animals”). Sir Leach écrit même avec humour : «But supposing the English evidence doesn’t really fit ? Well, no matter, the English are an illogical lot of barbarians in any case.» (Leach, dans Claude Lévi-Strauss, Chicago, The University of Chicago Press, 1989; première édition : Penguin Books, 1970)

Et, en France, je ne connais pas de travaux portant sur la vérification empirique des hypothèses lévistraussiennes. Le dictionnaire des noms de chiens de Pierre Enckell (Médor, Pupuce, Mirza, Rintintin et les autres. Le dictionnaire des noms de chiens. Paris, Editions Mots et Cie) semble être assez lévistraussien dans la forme :

p.8 Pour que le chien soit perçu en tant qu’individu, il est en effet fondamental qu’il porte un nom propre. (…) Les chiens modernes, à l’instar des membres humains de leur famille, possèdent une personnalité et une identité bien déterminées. C’est là ce que notre ouvrage souhaite mettre en valeur.

Mais ces noms propres font le plus souvent partie d’une “série spéciale”.

Je ne connais qu’un travail universitaire, en fait, un article de Colette Méchin, Les enjeux de la nomination animale dans la société française contemporaine (Anthropozoologica, 2004, vol.39, n°1). Elle écrit que “dans la société contemporaine, les animaux de compagnie ont de plus en plus souvent des noms empruntés au corpus des prénoms humains“.
C’est ce qu’elle a remarqué au cours d’une enquête sur la prénomination. Je livre ici un extrait de l’article :

Nous [i.e. C. Méchin et une enquêtée] parlons de la manière dont ont été choisis les prénoms des enfants. Un caniche blanc vient en cours d’entretien troubler la discussion, alors elle enchaîne:
«C’est Naomie, comme Naomie Campbell. Parce que mon mari aime beaucoup la top-modèle noire… et alors lui, il a voulu une chienne et y savait pas comment l’appeler… en fait, on voulait pas de prénom de chien trop courant [un même souci d’originalité avait été mis en avant concernant les enfants] alors, il a dit: “J’adore Naomie Campbell, alors on va l’appeler Naomie!”, alors j’ai dit : “Tu vas pas app’ler Naomie un chien tout de même!” [un silence]… Après tout, c’est son chien… Il fait ce qu’il veut! Alors quand le vétérinaire nous écrit pour ses vaccins, il écrit Naomie P*! »
Puis, Magali entreprend une reconstitution de sa vie de propriétaire de chiens:
«J’ai eu aussi un bichon, il s’app’lait Nagui, comme le présentateur à la télé, il est mort d’une gastro. […] Ma mère, elle a Poupette! [une chienne] au départ on l’app’lait Cendrine, j’me souviens on lui avait donné un prénom féminin et bon après, on a dit: “Quand même c’est un chien!” Donc, après on l’a appelée Poupette… C’est vrai qu’y a des gens qui donnent beaucoup de noms de gens… Moi, je sais que mon oncle il a appelé son colley Virgile et après j’l’ai entendu comme nom d’un adulte: Virgile! Mais c’est un nom de chien, j’ai dit! »

Méchin parle, en conclusion, de “concurrence linguistique” entre hommes et animaux domestiques.

En devenant «familier» (au sens premier du terme: qui fait partie intégrante de la famille), l’animal acquiert les mêmes prérogatives que les personnes. Les mécanismes du choix de la nomination se retrouvent alors étrangement calqués sur ceux de la nomination de l’enfant nouveau-né: même minutie dans la recherche, même référence à une mémoire familiale aussi.

Il est donc possible, et cela pourrait, par exemple, faire l’objet de mémoires de recherche d’étudiants, que l’on comprenne certaines logiques de prénomination humaine en étudiant — par la bande — la nomination animale. Y a-t-il des étudiants ou des étudiantes en début de master de sociologie qui lisent ce blog ?

Note Illustration : toucanradio / flickr (cimetière pour chiens d’Asnières)
Note 2 : Je n’ai pas répondu à la question posée en titre du billet. Mais l’extrait de l’entretien : “quand le vétérinaire nous écrit pour ses vaccins, il écrit Naomie P*!” me laisse penser que le nom de famille est utilisé pour identifier les animaux domestiques. [Si des vétérinaires lisent ce blog… comment faites-vous ?]

Sociologie et prénoms, genre et animalité

Le seul intérêt du Carnet des Prénoms 2008 [PDF] du Figaro est la liste du “Top 20” des prénoms donnés par la bourgeoisie parisienne (et dans une moindre mesure française) en 2007 (dans le “Carnet du Jour”).
carnet des prénoms 2008
Le reste, c’est juste de la soupe astrologique ou numérologique.

Il existe de nombreux travaux sociologiques sur les prénoms, qu’ignore le “Carnet des prénoms” du Figaro. Il existe même quelques rares travaux sur les prénoms des animaux domestiques. “Gender Related Naming Practices: Similarities and Differences Between People and their Dogs” est, par exemple, un petit article rédigé par deux gynécologues à l’esprit curieux :

Both male and female dogs had names ending in letters and phonemes characteristic of their respective human male and female counterparts. Female dogs had more syllables in their names than male dogs and a higher percentage of male dogs had one syllable names.

Les deux auteurs ont étudié la proximité structurale des prénoms des Labradors et des humains (homo americanus). Aux USA, les prénoms féminins, par exemple, se terminent souvent par une voyelle (deux tiers des prénoms féminins), et les prénoms masculins par une consonne (les 3/4). “Since pets are treated as “almost human” in many American households, we hypothesized that the same gender-related naming practices used for humans would also be used for pets.” : puisque les animaux domestiques sont traités comme des quasihumains au sein des ménages américains, nous avons fait l’hypothèse que leur prénomination suivait les règles de genre des prénoms donnés aux humains, écrivent-ils. Et la structure se retrouve, en effet.
Il y a même plus : “seventeen percent of the female dog names and almost 10% of male dog names were among the 100 most popular baby names for 2005″… L’on retrouve, parmi les prénoms donnés aux Labradors et aux Labradores, des prénoms à la mode chez les humanoïdes (ou est-ce le contraire ?).

Il serait intéressant et amusant de faire la même chose en France. Je me demande si les compagnies d’assurance canine permettraient à un sociologue d’avoir un accès partiel à leur base de données…