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Le « Projet mentions », v 2.0

J’ai mis à jour et légèrement modifié le Projet mentions, qui présente, pour environ 3500 prénoms, les résultats au bac des personnes qui portaient ce prénom. Les données concernent les bacs de 2012 à 2020, et uniquement les bacs généraux et technologiques.
Les modifications sont tout d’abord cosmétiques : l’ancienne version était un peu grise, la nouvelle est colorée, et il y a maintenant quelques animations. Elles sont aussi techniques : l’ancienne version ne permettait pas de cliquer de prénom à prénom, et maintenant c’est possible. Si vous recherchez les résultats d’un prénom qui n’est pas dans la base, le site vous propose un prénom graphiquement proche. Le « Nuage des prénoms » est lui aussi cliquable. Et, en plus des « prénoms similaires » je propose aussi quelques prénoms qui ne sont pas dans le même regroupement de prénoms.
Enfin, j’indique, pour chaque prénom de la base du « Projet mentions » le nombre annuel de naissance de bébés portant ces prénoms, à partir du Fichier des prénoms de l’Insee : c’est une manière simple de se faire une idée de la situation du prénom au moment où les candidat·e·s au bac sont né·e·s. Prénoms en croissance ? prénom en déclin ?

 

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copie ecran projet mentions

 

Le prénom et la mention, édition 2019

Parce que la réussite scolaire et le choix des prénoms dépendent, en tendance, de l’origine sociale… les Éléonore et les Ryan n’ont pas obtenu la mention “Très bien” dans les mêmes proportions. Alors certes, il y a des Ryan avec mention Très bien et des Éléonore qui doivent passer l’oral de rattrapage, mais il y a beaucoup plus d’Éléonore avec mention que de Ryan avec mention.
 


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Le prénom en lui-même ne joue pas : les copies sont anonymes. Mais cette année, les résultats sont provisoires, car une partie des correcteurs étaient en grève. À ce que j’ai compris, certains jurys ont attribué des notes, parfois sur la base du contrôle continu. Alors là, oui, le prénom était connu. A-t-il pu jouer un rôle ? Il faudrait avoir une idée précise du nombre de notes qui ont du être attribuées “hors procédure habituelle”.
Globalement, ces résultats temporaires ressemblent très fortement à ceux des années précédentes. Je n’ai presque pas à changer ce que j’écrivais l’année dernière : « Entre l’année dernière et cette année, tous les candidats ou presque ont changé. Mais si les personnes ont changé, ce n’est pas le cas de leurs prénoms. Prenons les Juliette. Les Juliette qui ont passé le bac en 2019 ne sont pas celles qui ont passé le bac en 2018. Et même plus : les Juliette de 2018 n’ont pas les mêmes parents que les Juliette de 2019. Et pourtant leur nombre est presque le même (2100), et leur taux d’accès à la mention Très bien est identique (20%). En tant qu’individu, elles sont toutes différentes. En tant que groupe (du simple fait de partager un prénom) elles sont semblables. Les Juliette de 2019, comme celles de 2018, sont, en tant que groupe, et au regard du taux d’accès à la mention Très bien, identiques aux Juliette de 2017. »

Pour les années précédentes, voir l’édition 2018, 2017, ou en 2016 ou encore en 20152014,2013, 2012 ou 2011. Vous pouvez aussi lire Sociologie des prénoms (édition La Découverte) [sur amazon, dans une librairie indépendante].

Les prénoms et la mention, édition 2018

Entre l’année dernière et cette année, tous les candidats ou presque ont changé. Mais si les personnes ont changé, ce n’est pas le cas de leurs prénoms. Prenons les Juliette. Les Juliette qui ont passé le bac en 2017 ne sont pas celles qui ont passé le bac en 2018. Et même plus : les Juliette de 2017 n’ont pas les mêmes parents que les Juliette de 2018. Et pourtant leur nombre est presque le même (2200), et leur taux d’accès à la mention Très bien est identique (20%). En tant qu’individu, elles sont toutes différentes. En tant que groupe (du simple fait de partager un prénom) elles sont semblables. Les Juliette de 2018 sont, en tant que groupe, et au regard du taux d’accès à la mention Très bien, identiques aux Juliette de 2017.
Cette année, 25% des Garance (qui ont eu plus que 8 au bac général et technologique et qui ont autorisé la diffusion de leurs résultats) ont obtenu la mention Très bien. C’est le cas de 5% des Océane ou des Anthony. Les prénoms les plus donnés vers 2000 (quand ces bachelier.e.s sont né.e.s), Léa, Thomas et Camille, ont des taux moyens de proportion Très bien. Vous remarquerez aussi assez vite la plus grande excellence scolaire féminine : à la droite du graphique, on ne trouve que des prénoms féminins bourgeois (Garance, Apolline, Diane…). A gauche, ce sont surtout des prénoms masculins et de classes populaires (Steven, Ryan, Christopher, Allan).


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Pour les années précédentes, voir 2017, ou en 2016 ou encore en 20152014,2013, 2012 ou 2011. Vous pouvez aussi lire Sociologie des prénoms (édition La Découverte) [sur amazon, dans une librairie indépendante].

Les immigrés cadres

Dans l’ancien département de la Seine (Paris et sa banlieue proche), où résident les cadres ?
La carte suivante s’intéresse aux personnes non immigrées : dans les zones en rouge, la population active est composée de plus de 70% de cadres et de professions intermédiaires, dans les zones en bleu, de moins de 34%.


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On voit que Paris et l’Ouest ont une proportion importante de cadres et de professions intermédiaires.

Interessons-nous maintenant aux immigrés. La proportion de cadres et de professions intermédiaires dans la population active immigrée est plus faible. Mais grosso modo la distribution géographique ressemble à la précédente. Parmi les immigrés, il y a aussi plus de cadres à l’Ouest.

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Les distributions géographiques sont proches, mais pas semblables. On peut voir qu’il y a certaines zones où semblent résider relativement plus de cadres immigrés (en proportion du total des actifs immigrés) que de cadres non-immigrés (en proportion du total des actifs natifs). Par exemple des zones où, parmi les immigrés actifs, il y a 45% de cadres (ce qui est bien supérieur à la moyenne — chez les immigrés) et où il n’y a “que” 50% de cadres parmi les natifs actifs (ce qui serait inférieur à la moyenne — chez les natifs).
Il y a des lieux où les immigrés de classe sup sont plus fréquents qu’attendus (par comparaison avec les natifs de classe sup) — et des lieux où ils sont relativement moins fréquents. Ce sont des différences de différences. Des lieux où, finalement, les immigrés cadres s’installeront un peu moins fréquemment que les immigrés natifs (des lieux refusés) et des lieux où il y aura un peu plus d’installation par comparaison aux natifs (des lieux recherchés).

Pour tracer la carte suivante, j’ai lissé les données en prenant en compte les 4 plus proches voisins (en pondérant par la population des IRIS).


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Ces lieux : Anthony, Chatenay Malabry, Courbevoie et un morceau de Nanterre, mais aussi la zone frontière entre les 13e et 14e arrondissements.

Il s’agit de « différences de différences » : cette carte ne représente pas les zones où se trouvent beaucoup d’immigrés, mais où, après avoir pris en compte les différences et similitudes de distributions (géographique et statistique) entre les populations actives “natives” et “immigrées”, on repère un « résidu », des zones où l’on ne s’attendrait pas à voir “autant” ou “si peu” de cadres immigrés. … Mais il n’est pas certain qu’une telle carte soit très utile.

Monsieur de l’Isle

Certaines personnes, en France, possèdent un petit signe distinctif, une particule dans leur nom de famille : un “de”, un “du” ou un “d'”, voire un “des”. Moins d’un Français sur 100 en possède une.
Des indices variés laissent penser que cette particule est prestigieuse. Quand des personnes possèdent un nom à rallonge, de la forme “Coulmont de la Gastine”, un jeu identitaire est possible. Se définir publiquement comme “Coulmont” ou choisir au contraire “de la Gastine”, un beau nom de Vicomte. Il me semble que c’est souvent “de la Gastine” qui est utilisé au quotidien. Ainsi Philippe Le Jolis est-il connu sous le nom de Philippe de Villiers.
Mais peut-on trouver des preuves plus solides de ces prétentions à la distinction ?
Les demandes de changement de nom de famille, que publie chaque jour le Journal officiel, sont intéressantes. Elles sont nombreuses, mais surtout elles indiquent, du point de vue des demandeurs, une préférence. Molière l’écrivait déjà en 1662, il existe des particules de vanité :

« Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre
Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux. »

C’est que la quasi-totalité des nobles titrés, en France, ont un nom à particule. Et on estime à plus de 97% la proportion des adhérents de l’Association de la noblesse française possédant une particule. Si tous les nobles avaient des cheveux verts, ce signe, même partagé par d’autres personnes, non nobles, prendrait une signification particulière. Certaines personnes se coloreraient les cheveux en vert : «C’est parce qu’il y a des gens qui veulent à toute force entrer dans la noblesse que le mécanisme de la noblesse marche», écrivait Pierre Bourdieu. Car à la différence de la caste, fermée, la noblesse accepte, avec parcimonie, les prétendants.

Je n’ai pas trouvé de demandes d’abandon de nom à particule, mais j’ai trouvé, en quelques semaines, plusieurs dizaines de demandes visant à prendre une particule. De la même manière que Monsieur Cocu demande à devenir Cossu, que Madame Crotte demande à devenir Madame Crosse, l’on va trouver des Monsieur Lagrange voulant devenir “de la Grange”, ou souhaitant ajouter “du Roy” pour devenir “Lagrange du Roy”.

Voici une liste partielle de demandes récentes, pour lesquelles j’ai censuré certaines informations :

changementdenom-particule
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Modes bourgeoises

Chaque année, Le Figaro publie un palmarès des prénoms les plus fréquents dans les faire-parts de naissance du “Carnet du jour”. Formidable observatoire des convenances de la bourgeoisie parisienne et de la noblesse française.
Le Carnet des prénoms 2015 vient d’être publié. “Comment choisir le bon prénom ?”, et surtout “des prénoms chics, raffinés et charmants !” se demandent les rédacteurs de ce palmarès. Un palmarès, en effet, ce n’est pas qu’une compilation des actes passés, c’est parfois un guide pour les pratiques du futur.

Et l’on découvre l’appétence de certains et certaines pour Constance, Joséphine, Arthur ou Oscar.

carnet-prenoms-2015

L’on remarquera que, en 2015, alors que plus d’un tiers des filles, en France, naissent avec un prénom qui se termine en -A (Sarah, Léa, Nina…) ce n’est pas un goût bourgeois, qui préfère qu’un prénom féminin se termine avec les sons -S, -N, -D, -R, -Z, -X, -T, ou -L… ou -I, à la rigueur.

Le Carnet propose même, cette année, un retour en arrière de 20 ans et 10 ans, ce qui permet de repérer du changement dans la permanence :
carnet-1994-2004

Cela dit, si vous avez une particule (voire deux), ne choisissez pas dans cette liste. Choisissez « Amicie », qui est ce qu’Emma est aux hoi polloi.

amicie

 

Pour en savoir plus : Sociologie des prénoms (La Découverte, 2014)

La mention n’attend pas le nombre des années

Le monde scolaire valorise la précocité, c’est même peut-être un des autres noms de la classe sociale. Certains élèves “sautent”, tôt dans leur scolarité, une ou deux classes. Ce ne sont pas n’importe quels élèves, comme le montre Wilfried Lignier dans sa thèse, La petite noblesse de l’intelligence.
Sélectionnés dès l’enfance, ces élèves “en avance” (en avance sur leur classe d’âge) qui arrivent “en avance” au bac sont particulièrement adaptés aux épreuves.
Comme le montre le graphique suivant, ils obtiennent au minimum deux fois plus fréquemment la mention “Très bien” que celles et ceux qui sont “à l’heure” au bac, et 15 fois plus que celles et ceux qui ont un an de “retard”. [les données portent sur plus de 338000 élèves ayant obtenu 8 ou plus au bac en 2013]
mois-naissance
Graphique au format PDF, plus lisible

Il est intéressant de remarquer que la précocité se perçoit aussi mois après mois : celles et ceux qui sont nés en janvier 1995 et qui passent le bac en 2013 obtiennent moins de mention Très bien que ceux qui sont nés en décembre 1995. C’est probablement que les parents des enfants nés en janvier 1995 et qui souhaitaient maximiser le rendement de l’institution scolaire ont réussi à faire “sauter” un mois à leurs enfants, intégrés à la classe “1994”, et donc rendu précoces. La capacité des parents à imposer ces sauts diminue avec le nombre des mois : possible pour les “février”, difficile pour les “mai”, impossible, ou presque, pour les “décembre”.
Natura saltum non facit… mais le monde social institue des sauts.

Classes et réseaux

Max Weber commence par définir ce qu’il appelle une “situation de classe”, qui est associée à une “chance typique” résultant de l’accès à des biens et services permettant de se procurer des rentes ou des revenus. Puis il définit la classe sociale comme “l’ensemble de ces situations de classe à l’intérieur duquel un changement est aisément possible, pour une personne donnée, dans la succession des générations” [Economie et Société, Tome 1, Paris, Plon, 1995, coll. Pocket, p.391].
La traduction n’est pas simple, et je ne sais pas ce que Weber écrit dans la version originale. Mais il me semble que l’idée est ici de définir la classe sociale à partir de la mobilité des personnes entre “situations de classe”. C’est le flux entre situations, qui fait se rassembler les situations (et c’est ce rassemblement qui forme des “classes”) : une classe est ici un ensemble d’éléments presque équivalents du point de vue de la mobilité.
Le graphique suivant illustre ce que j’ai cru comprendre. Les points représentent des situations de classe (à partir d’une profession) et les flèches des passages intergénérationnels entre ces situations de classe. Plus le trait est épais, plus ces passages sont fréquents.

On peut tester l’idée à partir de nombreuses bases. Parce que j’avais l’enquête TRA sous la main (déjà explorée ici), voici ce qu’une exploration donne, pour le XIXe siècle. Les flèches indiquent que “les pères de telle profession ont souvent des fils de telle profession”. Les couleurs indiquent l’appartenance à une “communauté”, repérée par un algorithme (“walktrap.community”, avec igraph, dans R). [D’autres algorithmes auraient été possibles, mais je ne cherche pas ici à repérer le meilleur découpage.]

On repère bien, en violet, un gros groupe composé de domestiques, de journaliers, manoeuvres, sabotiers et bergers… Un deuxième groupe travaille la terre (fermiers, ouvrier agricole, laboureur) ou les frontières (marins, douaniers)… Les deux groupes verts regroupent des professions “mobiles” mais liées au travail agricole : l’occupation centrale étant “cultivateur” (CVR); et des professions plutôt commerciales immédiatement dérivées du travail de la terre (meunier, maréchal ferrant….) Le groupe bleu est doublement séparé du travail agricole (les professions fournissent des “outils d’outils” : tailleurs, marchand, menuisier, cordonnier, tonnelier) et contiennent des professions “nouvelles” (au XIXe) comme instituteur et employé. Un dernier groupe, en rose, contient les professions financières (rentiers, employés de commerce et négociants), qui fournissent les outils des outils des outils ?
La description n’est pas inutile… reste à savoir si ces “communautés” peuvent sérieusement être considérées comme des “classes”, ne serait-ce qu’au sens wébérien.
Pour aller plus loin, je recommande la lecture des billets de Pierre Mercklé, Réseaux sociaux contre classes sociales ou Les réseaux sociaux contre les classes sociales ? Pour en savoir un peu plus

Prénoms et bourgeoisie

Chaque année depuis… oh, au moins 1967 (mais surtout depuis la fin des années 1990), le Figaro publie un palmarès des prénoms à partir du “carnet”, c’est à dire les annonces de naissance publiées par les parents.
Voici un exemple d’annonce du “Figaro” :

Où un couple versaillais y annonce la naissance (et surtout le prénom) de leur sixième enfant. On remarquera le caractère rare de la plupart des prénoms (Aimery étant peut-être le moins rare).
Et ce sont des prénoms rares, même pour le Figaro, dont le palmarès est reproduit ici (source: Carnet des prénoms, 2013):

Mais : “Erminie” et “Aimery” se trouvaient dans une liste de prénoms recommandés par Le Figaro dans le “Carnet des prénoms 2012“. Ce carnet n’est peut-être pas qu’un reflet de ce qui se passe, il est peut-être aussi un guide pour le choix, quand plus aucune règle n’existe sinon celle — problématique — du goût parental.

Quand la bourgeoisie (et l’aristocratie) se met en scène, elle utilise aussi les prénoms. Vous trouverez sur le tumblr de la “ligue [parodique] des officiers d’état civil” une contrepartie “populaire” à ces choix bourgeois, publiée dans la presse locale.

Pour les années précédentes : 2011, la bourgeoisie par les prénoms, 2010, prénoms bourgeois, 2008…;

Prénoms et milieux sociaux

Le prénom identifie, certes, mais il classe aussi. Des parents de milieux sociaux différents donneront à leurs enfants des prénoms différents. Ainsi, les prénoms prennent une signification sociale : ils indiquent l’origine sociale des porteurs.

Mais les prénoms classent autrement : le sens que nous mettons dans les prénoms indique peut-être aussi bien nos origines ou notre milieu d’appartenance. Trouver le prénom X ou Y “joli” ou “agréable”, et le prénom Z ou W “moche” en dit beaucoup sur nos principes de classements, sur la manière dont on “is finding one’s way in social space“.

Ainsi le sketch suivant, parfois amusant, parfois énervant, pointe à la fois la connaissance bien distribuée de la fonction de classement des prénoms, le malaise qu’il y a à l’exposer en public, et la connivence que le partage de cette connaissance permet.

(Palmashow – Les prénoms)