Ce billet n’a qu’un intérêt local et il est destiné avant tout aux candidats aux postes de maître de conférences, qui doivent, pour être recrutés, envoyer aux universités un dossier comportant notamment un CV. [La procédure de recrutement est à la fois étalée dans le temps : il faut tout d’abord être “qualifié” par une ou plusieurs sections du Conseil National des Universités, ou CNU ; puis attendre la publication des postes au Journal officiel et finalement très rapide : il faut envoyer en quelques jours un grand nombre de dossiers aux universités afin d’obtenir une audition]
Mon élection récente à la “commission de spécialistes” du département de sociologie de Paris 8 m’a fait découvrir l’envers du processus de sélection : les rapporteurs n’ont que très peu de temps pour examiner les dossiers (qui sont réduits, heureusement à une liste de documents requis) et chaque élément permettant d’accélérer l’examen des dossiers est valorisé.
La rédaction des curriculum vitae est donc très importante : et c’est un CV spécifique qu’il faut produire pour ce recrutement, pas la reproduction d’un CV “passe-partout”. Le Journal Officiel précise — à chaque fois que les postes sont publiés — qu’il faut :
un curriculum vitae donnant une présentation analytique de la thèse, des travaux, ouvrages, articles, réalisations et activités en mentionnant les travaux qui seront adressés [si les candidats] sont convoqués pour l’audition ;
Sur la petite vingtaine de dossiers que je devais rapporter, un nombre étonnant faisait le contraire de ce qui est — dans l’optique d’un examinateur — évident. Tout d’abord, un seul mentionnait les “travaux qui seront adressés” en cas d’audition (alors que c’est précisé par écrit dans le JO… et c’est simple à faire : une petite liste en fin de CV…) : Ah, il y en a un-e qui suit ! a-t-on envie de dire. Mais qu’est-ce qui semble “évident” ? Quelques conseils :
1- n’utilisez d’acronymes ou de sigles que si vous les explicitez : UPMF (université Pierre Mendès France de Grenoble), “dans le cadre de l’UFR 8” (est-ce une UFR de sociologie, de sciences humaines, de gestion ???), “qualifié par la section 32 du CNU” (il y a une cinquantaine de sections au moins : à quoi correspond le n°32, ne pensez pas que le rapporteur les connaisse toutes par coeur). De même qu’est-ce que le CEMIM ? le GEDIPA ? l’UMR-CNRS 3578 ? Vous devez préciser.
Utilisez des agrafes, vérifiez l’orthographe.
N’utilisez pas de polices de caractères trop originales ou ésotériques ; et de police “sérieuse” n’en utilisez qu’une : la lecture doit être simple – évitez de tout écrire en police de taille 8, c’est trop petit. Evitez le soulignage (l’italique suffit, les caractères gras à la limite si cela apporte de la structure)
Vous avez été étudiant : dans quelle université : “1995- licence” ne suffit pas : département, diplôme, université (et pas seulement son nom, sa localisation et son pays peuvent être importants, please). Le CV doit être structuré : utilisez des titres, des indentations, des interlignes… (mais pas de petites “bullettes en 3D” genre powerpoint)
2- vous avez enseigné : alors indiquez le nombre d’heures totales pour chaque année, indiquez l’université, l’IUT, l’école… où vous avez enseigné, précisez les disciplines (sociologie ? sciences de l’éducation ? anthropologie), le titre du cours. Quelque chose comme “2004-2005, sociologie en licence” ne suffit pas.
Ne trichez pas : si vos fonctions d’ATER se sont terminées, ne prétendez pas que c’est votre “fonction actuelle”.
Soyez précis dans les statuts occupés : PRAG, ATER plein, demi-ATER, monitorat, vacations… (et quand vous les avez occupés : septembre 2003 – août 2005, c’est plus précis que 2003-2005).
3- vous avez “publié” : alors hiérarchisez. Une autopublication chez un certain éditeur a moins de poids qu’un bel article dans une revue de premier plan. Une étude du CNRS sur les revues centrales en sociologie est disponible (ce n’est pas un point de vue définitif et c’est une liste critiquée, mais c’est une bonne liste de revues scientifiques reconnues par la profession). Rien ne sert de lister une dizaine de “publications” si les rapports de recherche, le mémoire de maîtrise, un compte-rendu dans une petite revue mineure, et un article dans une bonne revue connue à comité de lecture… sont classés par ordre chronologique sans que l’on puisse distinguer le travail scientifique de la commande administrative. Comment hiérarchiser :
1- les ouvrages
2 ou 3- contributions à un ouvrage collectif (entrée dans un dictionnaire, chapitre dans un ouvrage de synthèse… idem)
ou alors 3 ou 2- articles dans une revue à comité de lecture (et évitez de considérer qu’une revue que vous avez montée avec l’un de vos camarades dispose de ce genre de comité)
4- actes de colloques
5- valorisation de la recherche, rapports de recherche…
Faites très attention au titre de la revue : j’ai vu des erreurs sur certains titres (une revue connue devient ainsi une feuille inconnue et le-la candidat-e passe au mieux pour une tête de linotte : rappelons donc ici que “Sociétés contemporaines” — une revue française de sociologie publiant principalement des dossiers thématiques –, “Sociologie et sociétés” — une revue canadienne –, “Actes de la recherche en sciences sociales”, “Archives de sciences sociales des religions”, “Education et Sociétés”… sont au pluriel en partie ou en totalité… alors que “Droit et société” est au singulier. Société est une revue canadienne dépendant de l’université du Québec à Montreal ; Sociétés est la revue maffesolienne française). Pourquoi ne pas penser à indiquer l’ISBN pour des revues au titre très très commun, et surtout commun à plusieurs revues ?
Quand vous hiérarchisez, vous montrez que vous connaissez les modes de classement, les “taxinomies indigènes” du monde auquel vous souhaitez être agrégé. Ne pas hiérarchiser laisse supposer un défaut de socialisation universitaire : cela vous dessert (pour prendre un exemple, c’est un peu comme un étudiant de maîtrise qui prendrait un manuel pour un ouvrage théorique… ça fait tache). Refuser d’objectiver les différences entre vos publications au prétexte d’un refus des conventions… n’est pas une stratégie gagnante ici.
Indiquez les pages de début et de fin de l’article (un article de 2 pages et un article de 50 pages n’auront pas le même “poids”).
N’inventez pas de publication, ça se voit trop. Ne mentionnez des articles “à paraître” que si vous donnez le titre de la revue où ils sont à paraître. Mieux : mentionnez le numéro et l’année en plus du titre de la revue où il paraîtra. Évitez de mentionner des articles “soumis” qui se trouveraient actuellement dans les limbes du comité de lecture ou en voie de réécriture avant acceptation : tout le monde peut soumettre des articles, ce n’est pas un critère de classement… Si vous voulez mentionner vos recherches en cours, il y a une rubrique pour cela.
4- Classé-e 1er ou 1ère au DEA, allocation de recherche, bourses de thèse… indiquez-le (et pas tout au bout d’une présentation détaillée, comme si c’était annexe). J’ai pu voir un dossier où une bourse internationale de recherche n’était mentionnée qu’en passant, le thème de la recherche jamais précisé alors que le candidat (la candidate?) avait obtenu cette bourse et que le thème avait des chances d’être en lien avec le poste auquel il/elle postulait… ce qui est fort dommage pour un dossier de candidature à un poste d’enseignant-chercheur. (Le problème venait du simple réemploi, sans mise à jour, d’un morceau de CV utilisé l’année précédente : un peu de bon sens, voyons !).
Vous faites partie d’un contrat de recherche (de l’Union européenne, d’un ministère quelconque…) : à quel titre ?
Vous avez obtenu une bourse d’un organisme quelconque (dont vous avez explicité le sigle, bien entendu) : quel était le montant de cette bourse, et portait-elle sur 3 mois, un an, trois ans ?
Un “post-doctorat”? notion floue en France : statut rémunéré ? non rémunéré ? dans quel cadre, quelles fonctions occupez-vous. Idem si c’est à l’étranger.
5- certain-e-s candidat-e-s sont présents sur internet : page sur leur laboratoire de rattachement, articles en ligne, communication à des colloques. Les rapporteurs ont rarement la possibilité matérielle d’y jeter un coup d’oeil et doivent de toute façon se contenter du dossier fourni : mais s’ils y jettent un coup d’oeil, il ne faudrait pas que les informations fournies par le dossier et celles que l’on trouve sur internet soient très différentes. Si un article est “à paraître” sur une page internet de 2003 et qu’il est toujours, fin 2005, “à paraître”, c’est un peu étrange. Contrôlez, dans la mesure du possible, ce qui est dit sur vous sur internet (surtout quand vous en êtes responsable)
6- en bref, le CV qu’on vous demande n’est pas une présentation embellie de vous-même — vous aurez à vous “vendre” lors de la constitution du dossier préalable à l’audition et lors de l’audition — mais bien plutôt une sorte de présentation objectivée (mentions au DEA par exemple — et même si l’inflation de très très honorables avec les félicitation de tout le jury à l’unanimité… en limite l’utilité pour la thèse il faut le mentionner — , nombre d’heures enseignées, articles sérieux, thèmes de recherche actuels).
7- “présentation analytique” est-il demandé dans le JO. Certains candidats — presque tous — préfèrent produire deux CV. L’un classique, plutôt sur le modèle d’une liste non rédigée. L’autre rédigé comme un projet de recherche. Parfois très long, très très “analytique”, très peu “présentation”, plutôt “dissertation” : gardez en tête que le rapporteur a peu de temps. Synthétique, c’est toujours mieux. Faites attention, si vous faites 2 CV, à y mettre les mêmes informations : si certaines ne sont mentionnées que dans un CV et pas dans l’autre, ça fait du travail en plus pour le rapporteur.
Dans la partie “analytique” du CV, on peut parfois lire des projets de recherche très construits, un peu sur le modèle administratif des “rapports quadriennaux” des laboratoires de recherche, où différentes équipes sont associées à différents “axes thématiques” (c’est le jargon)… C’est un peu étrange de retrouver cela presque identiquement dans le projet d’un individu, comme si la personne était un résumé du groupe-laboratoire et se diffractait, depuis un point administratif central, en axes thématiques. Soyez modestes dans les possibilités de vous diviser à l’extrême : vous aurez, si vous êtes retenus, à gérer certaines tâches administratives — emplois du temps, relations internationales, équivalences… — qui prendront du temps sur au moins trois des quatre “axes thématiques” très larges et très flous que vous proposez.
Faites attention aux thèmes de recherche que vous évoquez : la commission tiendra bien plus compte des recherches déjà avancées (visible à travers des participations à des séminaires de recherche ou des colloques) que des simples annonces de “projets” qui se trouveraient par miracle “en phase” avec le profil du poste.
L’examen des dossiers se fait suivant une grille de lecture (qui va varier suivant chaque université, mais qui va de toute façon s’appuyer sur les éléments les plus objectivés disponibles) qui doit permettre au rapporteur d’exposer de manière synthétique le candidat au cours d’une réunion… et il y a en général une centaine de candidats : si une bonne synthèse structurée est faite par le candidat… il y a de grande chances pour que le rapporteur produise une bonne synthèse structurée et convaincante du dossier… et donc mieux vous défendre.
J’ai essayé de proposer ici des conseils de bon sens, à partir du travail de rédaction de rapports que j’ai eu à faire en tant que membre d’une commission de spécialistes. Quand on est candidat — et je l’étais il y a peu — on ne réfléchit pas avec le rapporteur en tête : j’ai tenté ici de mettre en lumière les contraintes du travail de rapporteur et certaines des manières dont vous disposez pour alléger ces contraintes. Bien entendu ces choses ne sont pas requises explicitement et si vous voulez tout écrire en sigles incompréhensibles tout en laissant croire que votre maîtrise a autant de poids pour vous que votre article dans la RFS, allez-y…
Pour aller plus loin, vous consulterez :
Note aux candidats à la qualification (section “informatique” du CNU)
Fiche de la section 19 (sociologie, démographie) du CNU (avec conseils aux candidats)
Ces liens renvoient vers des conseils utiles lors de la phase de qualification, préalable à l’envoi des dossiers aux universités. D’autres conseils seraient les bienvenus : vous pouvez laisser des commentaires.
Marsyas, maître de conférences dans une université à l’Est de Paris commente :
Je n’ai qu’un conseil à rajouter : se faire relire si possible par un membre d’une commission de spécialistes dans sa discipline, et de préférence par quelqu’un d’autre que son patron de thèse qui ne peut être objectif. C’est évidemment indispensable pour la présentation orale mais j’en viens à penser que cela peut également être très utile pour le CV et la lettre de présentation de la candidature.
mise à jour : un texte de Régine Bercot : Le fonctionnement d’une commission de spécialistes sur le site de l’ASES (Association des sociologues enseignants du supérieur).
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