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Compter l’émancipation

L’émancipation des mineurs, qui leur donne les capacités civiles des majeurs, est une très ancienne catégorie du droit. Et depuis qu’il existe des statistiques judiciaires, on les compte.
Si on les compte, on peut faire des graphiques :
 

 

Ainsi, en 1841, le Compte général de l’administration de la justice civile et commerciale en France précise qu’un peu plus de 9000 actes d’émancipation ont été reçus par les juges de paix :

On peut donc, avec un peu de temps, récupérer, sur gallica, le nombre annuel d’émancipations entre 1841 et le milieu des années 1930. Ensuite c’est un peu plus compliqué… L’Annuaire statistique de la justice n’est pas numérisé, on les trouve à la Bibliothèque nationale. Mais pas tous : il faut aussi aller en chercher à la Bibliothèque de la chancellerie… En 1961 il n’y a plus que 4253 émancipations :

Les années récentes voient la disparition des annuaires statistiques, remplacés par des publications peu régulières, et beaucoup moins précises.

Pour plus d’information sur l’émancipation, et comprendre pourquoi on trouve un tel pic au tout début des années 1970, vous pouvez lire Des adultes en mode mineur. Enquête sur les procédures d’émancipation judiciaire.

Des adultes en mode mineur ?

Des adultes en mode mineurL’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) a publié fin décembre le rapport de l’enquête que j’ai menée avec Camille François (avec la participation de Gaële Gidrol-Mistral) : Des adultes en mode mineur. Enquête sur les procédures d’émancipation judiciaire.
Le rapport est en accès libre !

L’enquête montre qu’on peut distinguer aujourd’hui trois classes de trajectoires d’aspiration précoce aux capacités civiles des majeurs. Les émancipations certifiantes-moyennes qui vise l’acquisition de brevets et la certification d’examens professionnels. Les émancipations scolaires-bourgeoises liées à des stratégies scolaires internationales ou des départements d’outre-mer vers la métropole. Et des émancipations familiales-populaires qui apparaissent comme un instrument de régulation des trajectoires et des litiges familiaux.

Nous mettons ensuite en lumière l’existence d’un « effet tribunal » sur les jugements d’émancipation, dont les variations ne se résument pas aux différences de motifs des demandes. En situation d’incomplétude du droit — en lien avec l’absence de jurisprudence — les juges des tutelles transfèrent des normes juridiques secondaires et des dispositions professionnelles associées à leur trajectoire antérieure au sein du champ juridique, qui contribuent à la différenciation de leurs pratiques. L’attention portée aux usages du corps des mineurs, le recours aux notions extra-juridiques de « risque » et de « maturité », viennent combler cette incomplétude…
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Émilie Ambroisine Reine Delacour :
émancipatrice et émancipée ?

J’ai rencontré Émilie Delacour aux archives de Paris, au détour d’un dossier d’émancipation, en 1904.
Le 15 juin 1904, devant Edmond Hamelin, juge de paix du 16e arrondissement, Émilie Delacour (sans profession) déclare reconnaître Suzanne Anna Émilie Aimable Delacour et Adolphe Raoul Delacour comme sa fille naturelle et son fils naturel. Son fils a 18 ans, sa fille 17 ans, et immédiatement après les avoir reconnus, elle les émancipe, « ayant reconnu dans son fils et sa fille (…) la prudence et la capacité nécessaire pour gérer et administrer leurs biens et affaires ».
Et tout le monde signe, Émilie, Suzanne, Raoul, le juge et le greffier.

Ça aurait pu s’arrêter là, une demande d’émancipation comme il y en a régulièrement à l’époque. Mais on retrouve Émilie Delacour immédiatement dans la même liasse, toujours le 15 juin 1904, et toujours devant Edmond Hamelin, pour donner un curateur à ses enfants :

bien que par le fait de l’émancipation qui leur a été conférée par leur mère, ils soient aptes à faire tout actes d’administration, il est néanmoins certains autres actes, notamment ceux déterminés par les art. 480, 482 et suivants du Code Civil qu’un mineur, même émancipé, ne peut faire sans l’assistance d’un curateur

Et la désignation de ce curateur doit passer par un conseil de famille, qui est donc réuni au même moment. Ce conseil de famille est intéressant : aucun des membres n’est présenté comme directement apparenté à Suzanne Delacour. Ce sont des amis d’Émilie (qui n’est pas dans le conseil de famille, ayant émancipé ses enfants) : on y trouve par exemple un Paul Merlin, douanier à Saint-Denis, et un Paul Lissac, pharmacien à Montrouge (on reviendra sur Lissac plus loin).
Le conseil de famille désigne Émilie Delacour comme curateur de ses enfants.
 
Et là, vous vous dites : « Non mais quoi ? On a une mère qui n’a pas reconnu ses enfants à la naissance, et qui les reconnaît juste pour pouvoir les émanciper, et qui se fait nommer curateur des enfants qu’elle vient d’émanciper ? J’arrête tout de suite de lire ce billet de blog…»
Non ! surtout pas. Ça devient intéressant rapidement.
Le même 15 juin, immédiatement, et toujours devant le juge Hamelin, comparaît Suzanne Delacour, assistée de sa mère et curatrice (mais sans Raoul). Ces dernières déclarent que « M. Pierre Henri Même, commis principal à la Caisse des dépots et consignations, demeurant à Paris, rue Chardon Lagache n°98, est décédé en son domicile le vingt-sept mai dernier ».
Et elles donnent aussi un extrait du testament de Pierre Henri Même :

Oh ! Pierre-Henri donne ses « valeurs mobilières » en héritage à sa compagne depuis de longues années et à la « fille de sa compagne » (qu’il ne désigne pas comme sa fille à lui, mais sans mentionner Raoul, à qui il ne donne rien). Je ne sais pas (du moins pas encore) à qui Pierre-Henri a donné ses « valeurs immobilières » s’il en avait. Une rente de 1800 francs par an, c’est, à l’époque, presque le double du salaire ouvrier.

 

Mais qui est Émilie Ambroisine Reine Delacour ?
Elle est née à Paris le 20 février 1866, dans le 18e arrondissement, “Cité de la Chapelle”, d’un père « employé » et d’une mère « sans profession », de 19 ans, nommée Reine Pavot. Ce prénom, Reine, n’est donc pas un jeu de mot avec le nom de famille, Delacour.
À la naissance de son fils aîné, en 1885 dans le 18e arrondissement, elle a à peine 20 ans, elle est « couturière », et « Adolphe Raoul », ce fils, est né « de père non dénommé ». Elle habite Villa des Poissonniers. Moins de deux ans après, à la naissance de Suzanne Anna Émilie Aimable, l’acte de naissance indique qu’elle a 24 ans (?), qu’elle est « sans profession » et qu’elle habite rue d’Orsel, toujours dans le 18e arrondissement. Suzanne est aussi née « de père non dénommé ». Elle porte l’un des prénoms de sa tante. Et on verra que « Aimable » ne semble pas avoir été choisi au hasard.

Je ne sais pas comment, 20 ans plus tard, Émilie se retrouve héritière d’un « commis principal », résidant dans le 16e arrondissement.

Et cet héritage pose un petit problème : lors des opérations liées à la succession, « il y aura opposition d’intérêts entre la mère et la fille » et il faut donner un curateur ad hoc à Suzanne.
D’où la réunion d’un nouveau conseil de famille, toujours le 15 juin 1904. Qui nomme l’un de ses membres, Paul Lissac (pharmacien à Montrouge) curateur ad hoc de Suzanne Delacour.
Deux mois plus tard, le 17 août 1904, un dernier conseil de famille mène à la renonciation, pour Suzanne, de la succession Même. L’héritage, de 34000 francs, n’était pas suffisant pour assurer la rente de 1800 francs prévue pour Émilie Delacour. (34000 francs, c’est environ 30 ans de salaire ouvrier de 1905).

 

Un mot sur Paul Lissac, ce pharmacien présent au conseil de famille. C’est l’époux, depuis 1902, de la sœur d’Émilie, Émilienne Constance Susanne, née en 1868. Sur l’acte de mariage de Paul Lissac, un des témoins est « Henri Même », présenté comme « beau-frère ».

 

Suzanne Anna Émilie Aimable Delacour épouse Marie-Auguste-Fernand Geoffroy deux ans plus tard, en octobre 1906, à vingt ans. L’acte de mariage, et c’est intéressant, la présente comme “fille mineure” : l’émancipation a été oubliée… Fernand, 25 ans, est « aide géomètre » de la Ville de Paris. Au moment du mariage la mère de Fernand est « employée de commerce », mais lors de sa naissance, elle était « domestique ». Lui aussi est né « de père non dénommé ». Suzanne et Émilie habitent ensemble, rue Lemercier, dans le 17e arrondissement. Un changement : Émilie Delacour n’est plus « sans profession », elle est artiste peintre. L’héritage reçu en 1904 lui aurait-elle permis d’entrer dans cette profession ?

Parmi les témoins du mariage on retrouve Paul Merlin (rentier) et Paul Lissac (pharmacien à Montrouge), déjà présent dans les conseils de famille (mais ici, Paul Lissac est qualifié d’«oncle» d’Émilie). On trouve aussi Aimable Berode, 46 ans, capitaine d’infanterie et chevalier de la légion d’honneur. Un homme qui a l’âge d’être le père de la mariée, et qui porte le même prénom… Hmmm, c’est intéressant… (il est marié)

En 1907, trois ans après le décès de Pierre-Henri Même, avec qui elle avait vécu « de nombreuses années », Émilie, qui a alors 41 ans, épouse Abraham Félix Alexandre Leleu. Leleu, 35 ans, fils d’instituteur, est « artiste peintre et lithographe », il réside rue Visconti dans le 6e arrondissement. Émilie, qui est aussi présentée comme « artiste peintre », habite rue de la Convention, dans le 15e arrondissement. Les témoins du mariage sont Paul Merlin, Paul Lissac (ici « beau-frère » d’Émilie), Auguste Pidoux (qui était déjà dans le conseil de famille de 1904), et Fernand Geoffroy, l’époux de sa fille Suzanne.

En septembre 1910, c’est au tour de Raoul Delacour de se marier. Raoul, 1m81, blond aux yeux bleus, avec un nez “fort”, a peut-être déjà un début de calvitie. Il a 25 ans, il est « employé de banque », il habite rue de la Convention, à proximité de sa mère. il épouse Estelle Félicia Bouisset, 19 ans, sans profession. C’est la fille d’un « artiste peintre chevalier de la Légion d’honneur », qui habite rue de Tolbiac (13e arr.), Firmin Bouisset. Les témoins du mariage sont Alexandre Leleu (le marie d’Émilie), Abel Mignon (graveur, chevalier de la légion d’honneur), Camille Guy (gouverneur de la Guinée, chevalier de la Légion d’honneur), Louis Trinquier « professeur de dessin au Ministère de la guerre » et chevalier de la légion d’honneur. Aux titres ronflants que portent les témoins, Raoul semble faire un beau mariage.

Mais quelques mois plus tard, le 21 janvier 1911, Émilie décède, à 45 ans. Un an après, en février 1912, Alexandre Félix Leleu, qui habite désormais rue des Eaux, dans le 16e arr, épouse Charlotte Elizabeth Moorhouse, 45 ans, sans profession (née à New York, père représentant de commerce, et assez riche). Leleu décède en 1937 : il aura connu une carrière honorable d’artiste, on trouve par exemple une médaille à son effigie, des mentions variées dans La revue des artistes et La revue septentrionale.

Fernand Geoffroy, l’époux de Suzanne, meurt sur le front au début de la première guerre mondiale, le 1er octobre 1914. Ils n’ont probablement pas eu d’enfants. Suzanne, qui ne se remariera pas, décède en octobre 1975.

Raoul Delacour revient vivant de la guerre. Il est démobilisé en mars 1919. Mais son retour ne semble pas être très heureux. Le 3 juin 1919 il divorce. En août 1922 il épouse Berthe Huber, sans profession, avec qui il habite déjà (rue Vasco de Gama). Les témoins sont deux « mécaniciens » (c’est un cran en moins que les chevaliers de la légion d’honneur de son précédent mariage). Ils divorcent en 1935. Entre temps, Raoul avait été condamné, en novembre 1922, à six mois de prison pour port illégal de décoration et altération d’état civil. Puis en juillet 1933, à six mois d’emprisonnement pour abus de confiance. Je perds sa trace à Bordeaux en 1937.

J’ai essayé de reconstituer une partie des relations amicales et familiales d’Émilie Delacour ici.

Découpages incongrus

Maintenant que l’Institut géographique national a libéré ses données, on dispose des découpages géographiques à des échelles très fines : IRIS ou communes, par exemple.
Mais parfois, on a besoin d’un autre découpage de la France, parce que les données sont disponibles à une autre échelle, celle des ressorts des tribunaux judiciaires par exemple, ou un mélange de départements, régions, EPCI…

Commençons par les tribunaux. On trouve, sur le site de l’observatoire des territoires le tribunal de rattachement de toutes les communes françaises. On peut donc, à partir du fichier “ADMIN EXPRESS” de l’IGN, faire la jointure entre communes et tribunal, pour dessiner la carte des ressorts des 164 tribunaux.

La carte des ressorts des tribunaux :

que l’on peut relier à des données (comme la durée moyenne des affaires) :

Et maintenant le recensement. L’insee met à disposition, en accès libre, les fichiers détail du recensement. Il existe un fichier avec les individus localisés à la région, fichier proposant des variables avec des modalités très fines, comme la profession détaillée. Le titre du fichier est légèrement trompeur, car les individus sont localisés à l’échelle de la région pour les régions peu peuplées, mais aussi à l’échelle du département, pour les départements de plus de 700 000 personnes, et à l’échelle de l’EPCI (pour Paris, Marseille, Lille, Lyon, Bordeaux et Toulouse). Cela donne un découpage un peu incongru de la France, que voici :

Comme vous pouvez le constater, on trouve les départements peuplés de la Bretagne, des grosses métropoles, et de larges régions un peu plus vides.

Ce découpage n’est pas inutile. Voici, par exemple, une cartographie de la part d’immigré.e.s parmi les hommes et femmes de ménage auprès des particuliers :

Je vais essayer de mettre le code permettant de générer ces cartes sur github.

Combien y a-t-il de changements de prénoms en France ?

Jusqu’à 2017, pour changer de prénom, il fallait passer devant un.e juge. Le nombre de changements de prénom était ainsi comptabilisé par le Ministère de la justice. L’annuaire statistique de la Justice indique ainsi entre 2800 et 2900 changements de prénoms en 2014 et 2015. Mais 155 en 2017 et 149 en 2018.
C’est parce qu’à partir de 2017, le changement de prénom a été déjudiciarisé, et qu’il faut maintenant déposer un dossier au bureau de l’état civil de la commune de résidence (ou de naissance). Il devrait donc y avoir plus de changements de prénoms en 2018 qu’en 2015. Comme c’est un acte d’état civil, je pensais que l’INSEE colligeait les décisions des services d’état civil. Mais voici ce que l’Institut me répond :

L’Insee ne produit pas de statistiques sur les changements de prénoms. Vous pouvez toutefois toujours consulter ces données sur le site statistique du ministère de la justice.

Mais comme on l’a vu, le ministère de la justice ne compte plus les changements de prénom. Il y a 35000 communes environ en France, et sans comptabilisation centralisée, il est difficile de savoir combien il y a de changements de prénom “nouveau régime”. On va essayer de s’en faire une idée.
J’ai contacté les services de l’état civil parisien. Il y a eu environ 860 changements de prénoms en 2017 et autant en 2018. Comme la population parisienne représente environ 3% de la population française, cela voudrait dire qu’il y aurait eu — si la propension des parisiens et parisiennes à changer de prénom est semblable à celle du reste de la population française — environ 26 000 changements de prénom par an depuis 2017. Ca semble beaucoup. À Lyon, il y a eu entre 150 et 170 changements de prénoms en 2018 et 2019. Si l’on fait le même calcul, on tombe sur environ 21 000 changements de prénom.
En trouvant, au hasard de data.gouv.fr, le nombre de changements de prénoms à Antibes, Nemours, Angers, Lorient… et en faisant le même calcul, on tombe sur des chiffres qui varient entre 11 000 et 26 000 changements de prénoms par an. A comparer avec les 2800 de 2015 et 2016, ça serait une grosse augmentation.

Heureusement j’ai une autre source de données. Dans le cadre de l’enquête que j’avais menée sur les changements de prénom, au début des années 2010, j’avais eu communication du nombre annuel de changement de prénom par tribunal de grande instance, en France. Il y avait ainsi entre 250 et 300 changements de prénom au TGI de Paris, moins de 100 au TGI de Lyon, etc… Comme on peut le constater, Paris ne concentrait pas 3% des changements de prénom, mais environ 10% d’entre eux. Même chose pour Lyon, qui concentrait une proportion plus importante que ce que sa population laissait penser. En gros, on peut donc penser que le nombre de changements de prénoms, en 2018, est entre 2 et 3,5 fois plus élevé que le nombre de changements de prénoms de 2014 ou 2015.

Les autres TGI (Lorient, Angers…) traitent des affaires qui s’étendent au delà des frontières communales : leur ressort dépasse la commune. Or il y a en 2018 puis en 2019 entre 2 et 4 fois plus de changements de prénoms à Angers et Lorient que ce qui était traité annuellement par les TGI de Lorient ou d’Angers.

Il doit donc y avoir entre 6000 et 9000 changements de prénom par an en France depuis 2017, et non plus 2800. C’est une belle augmentation… mais les sources sont limitées (Paris, Lyon et quelques autres villes).

 
Pour en savoir plus, vous pouvez lire Changer de prénom (P.U.L. 2016).

 
Mise à jour : J’ai reçu le nombre de changements de prénoms à Marseille (240 par an au lieu de 60 pour tout le TGI de Marseille, soit 4 fois plus) et à Toulouse (entre 170 et 270 par an au lieu de 50 environ pour le TGI de Toulouse, soit 3 à 5 fois plus). Ça ne change pas les ordres de grandeur, mais ça le tire vers le haut. Il doit y avoir près de 10 000 changements de prénom par an en France aujourd’hui.

Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom

changer-prenom-couv-petitIl y a quelques semaines sortait Changer de prénom (PUL, 2016), le fruit d’une enquête sur la procédure en changement de prénom. Je décris, dans ce livre, une tendance ancienne à la libéralisation qui soutient ce qui peut se comprendre comme un droit à devenir soi-même. Ainsi, la quasi totalité des demandes adressées aux juges aux affaires familiales étaient acceptées, mais après un examen pouvant prendre plusieurs mois, et, très souvent, une audience devant juge, procureur et greffière.
Le gouvernement a proposé une modification de l’article 60 du code civil venant conclure cette tendance à la libéralisation : “Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom.” Et cette demande est acceptée, sauf si l’officier pense que la demande ne revêt pas un intérêt légitime : il saisit alors le procureur de la République, qui se penche à son tour sur la question, et qui peut s’opposer au changement.
Au cours de mon enquête, les oppositions des procureurs étaient rares. Ils émettent parfois des avis réservés, rarement des oppositions totales.
Interventions télévisées sur ce sujet :

Changer de prénom, interview dans Libération

Aujourd’hui dans Libération, une interview au sujet de Changer de prénom (Presses universitaires de Lyon) :
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Baptiste Coulmont : «Changer de prénom a très souvent un lien avec l’identité nationale»

Les changements de prénom ne sont pas nombreux, moins de 3000 par an en France, mais ils révèlent notre rapport contemporains aux catégories d’État, comme l’état civil, qui structurent notre identité publique. On ne change pas de prénom “par hasard”, pas plus qu’on accepte facilement de devoir en changer :

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Marion refuse de changer de prénom, son employeur la vire

(même si, dans le monde des centres d’appel délocalisés et externalisés, « Julie », « Romain » et « Nathalie » sont souvent des prénoms d’emprunts).

Son prénom : en changer

changer-prenom-couv-petitJe suis très heureux d’annoncer la publication prochaine de Changer de prénom, aux Presses universitaires de Lyon.
Des informations plus précises (sommaire, documents annexes) seront mis en ligne sur une page dédiée à Changer de prénom.
Voilà qui vient, temporairement, conclure une plongée dans le droit et quelques tribunaux de grande instance, dans les greffes et dans les salles d’audience. Une plongée, surtout, dans des dossiers très riches, qui recèlent de petites biographies justificatrices, des papiers, des actes, des attestations et des témoignages. Ces dossiers constituent l’interface sur laquelle se négocie une revendication individuelle d’authenticité (“Je ne suis pas Johnny, je suis Jehan”) et une authentification institutionnelle (“M. Johnny est autorisé à adjoindre Jehan…”).

Changer de prénom, c’est chercher à « devenir soi-même » (ou redevenir soi-même). De nombreux travaux ont pointé les injonctions contemporaines à être authentique sans insister sur les outils aux mains des personnes cherchant à fabriquer leur authenticité. Pour le dire autrement : changer de prénom n’est pas seulement répondre à la question « qui suis-je ? » (à la question de l’identité ou de l’identification étatique), mais c’est aussi répondre à la question de l’authenticité : « qui suis-je en vérité ? ». Identité et authenticité sont en tension dans les dossiers judiciaires.

Informations complémentaires ici : Changer de prénom

Quelques idées de cadeaux

En 1896 Charles Delbret, dit Claverie, est entendu par un juge, Monsieur Espinas. Claverie, en effet, ne vendait pas que des Bas élastiques pour varices, mais aussi des Appareils spéciaux pour l’usage intime des deux sexes. Et ça, ça pouvait parfois poser quelques petits problèmes, que la justice était chargée de résoudre.
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Et il éditait un catalogue. L’on y trouve quelques idées de cadeaux (pour elle comme pour lui, car, en 1896 déjà, les cadeaux étaient genrés).
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ou encore
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Je comprends qu’il soit difficile, à quelques jours de Noël, de commander par correspondance de tels jouets. Mais le magasin est ouvert ! (Même les dimanches et fêtes, car en 1896, on était socialiste moderne : pas de vacances, pas de congés payés, pas de sécurité sociale…)
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Et n’ayez pas peur, les “clients répondant à un sentiment fort compréhensible désir[a]nt ne pas être vus en rentrant chez nous” ont la possibilité d’utiliser une “entrée particulière”.
Les vitrines du magasin, en effet, suscitaient parfois l’amusement des passants, comme l’indique ce rapport de surveillance policière : « à différentes reprises on a pu constater que des passants s’arrêtaient devant sa porte et se montraient en riant des articles spéciaux en caoutchouc et en baudruche d’un usage trop intime pour être publiquement exhibés. »
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Des articles spéciaux en caoutchouc ? Comme ceux-ci peut-être : des “excitateurs”…
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Décidément, nos arrières-arrières-grands-parents avaient le choix au moment de Noël.
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S’il est compliqué de se déplacer jusqu’en 1896, il est toujours possible, aujourd’hui, de visiter la Maison Claverie, toujours située au 234 Faubourg Saint Martin.
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Source : Archives de Paris, D2U6 110, Delbret. C’est le travail de Maxence Rodemacq (L’industrie de l’obscénité. Commerce pornographique et culture de masse à Paris (1855 – 1930), Univ. Paris 1, dit. Kalifa) qui m’a dirigé vers ce dossier de procédure.

Une fontaine de jouvence

names-smallNames, une revue d’onomastique, vient de publier un article sur les changements de prénom en France. Un article court, qui développe une idée simple : les changements de prénom, même s’ils impliquent très très souvent des descendants de migrants, ne sont pas que des manifestation d’un rapport aux identités nationales. Très souvent, celles et ceux qui changent de prénom prennent un prénom plus jeune : Mauricette devient Léa.
Les travaux de Besnard, Desplanques et Grange ont montré la relation qui existe entre “avance temporelle” sur la mode et position sociale : cadres, professions des arts et du spectacle, bourgeoisie du Bottin mondain choisissent des prénoms en avance sur la mode plus souvent que d’autres milieux sociaux. Prendre un prénom “plus jeune” revient alors souvent à prendre un prénom en avance sur le pic de la mode (du moins par rapport au moment de la naissance).
Mais les demandeurs n’explicitent jamais cette demande de rajeunissement : elle n’apparaît ni à l’audience, ni dans les requêtes (rédigées par les avocats). Elle apparaît parfois dans certaines attestations, écrites par les amis, mais uniquement dans quelques cas (ceux des prénoms féminin en —ette, explicitement décrits comme anciens et démodés). C’est la simple agrégation statistique (sur plusieurs centaines de cas) qui fait apparaître ce fait social : changer de prénom, c’est se baigner dans la fontaine de jouvence, mais sans jamais le dire.
L’article : Baptiste Coulmont. “Changing One’s First Name in France: A Fountain of Youth ?” Names. 2014, 62(3), 137-146, DOI : 10.1179/0027773814Z.00000000080