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Motivé par la procuration

L’Enquête électorale française 2017 (ENEF 2017) est enfin disponible. 20 vagues, depuis la veille des élections régionales de 2015 jusqu’au lendemain des élections législatives de 2017, permettent de suivre un panel d’environ 15 000 personnes. J’avais proposé, en 2017, une question sur le vote par procuration, et j’avais pu faire une analyse rapide, mais je n’avais pas eu accès aux autres vagues ni à la totalité des variables.
Une question particulièrement m’intéressait: est-ce que l’intérêt pour l’élection présidentielle augmente quand on reçoit la procuration d’un proche ? Dans les graphiques suivants, j’examine les variations du score d’intérêt pour l’élection, au cours des vagues 12, 13 et 14, juste avant le second tour de l’élection présidentielle de 2017. Les personnes enquêtées devaient répondre à la question suivante : «Sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifie aucun intérêt et 10 signifie énormément d’intérêt, quel est votre niveau d’intérêt pour la prochaine élection présidentielle ?». Le niveau moyen est très élevé. En mars, il est de 8/10 environ pour celles et ceux qui vont voter sans procuration, et sans être mandataire. Il est de 8,6/10 pour celles et ceux qui ont reçu une procuration.
Et, signe de l’intensité électorale, il augmente jusqu’au scrutin.

Est-il possible de voir que les mandataires voient leur niveau d’intérêt augmenter quand ils/elles reçoivent une procuration? Problème : ils/elles déclarent déjà souvent le niveau maximal d’intérêt. Et c’est probablement pour ça qu’on leur donne une procuration, ce sont des fanatiques des opérations électorales. Dans le graphique suivant, j’ai donc calculé la proportion de l’évolution possible qu’on observait entre les vagues 12 et 14. Il n’est pas possible d’avoir un score moyen supérieur à 10/10. Tout ce qui peut arriver aux mandataires, c’est de passer de 8,6 à 10/10, soit une hausse de 1,4 sur l’échelle d’intérêt. Et pour celles et ceux qui votent directement, c’est 2 points.
Les mandataires passent de 8,6 à 8,87 : cette augmentation correspond à 19% de ce qui est possible. Les personnes qui votent directement passent de 8 à 8,31, une augmentation qui correspond à 15,5% de ce qui serait possible. Les personnes qui donnent leur vote à quelqu’un d’autre, passent de 8,08 à 8,55, soit une augmentation qui correspond à 24,5% de ce qui est possible.
C’est donc le niveau d’intérêt des mandant·e·s qui augmente le plus.

Tant pis pour mon hypothèse de départ.

La procuration en 2022 : répartition communale

L’Insee a rendu public, sur le site Statistiques locales, le nombre et la fréquence des procurations en 2022, au niveau communal.
Voici donc une carte montrant, pour la France métropolitaine, le « taux de procurations » en 2022 :

La procuration est plus fréquente dans l’Ouest parisien (des villes riches comme Neuilly ou Versailles), dans les métropoles régionales (Nantes, Rennes, Lyon), dans les zones de montagne (où l’on trouve par ailleurs des inscrits qui n’y résident pas), la Corse mais aussi les villes et villages du littoral de la Manche et de l’Atlantique (zones de résidences secondaires).

Les prénoms des élus

Il y a, en 2022, environ 502 000 élus dans les différents conseils municipaux en France. Le répertoire national des élus est téléchargeable sur data.gouv.fr. Les prénoms les plus fréquents sont Jean, Marie, Philippe, Michel…
Mais ces prénoms sont aussi fréquents dans la population française non élue. Quels sont donc les prénoms qui sont sur-représentés chez les élus ?

Voici le raisonnement que j’ai suivi : j’ai comparé les prénoms des élus avec les prénoms des personnes nées en France, à partir du Fichier des prénoms, de l’Insee. Je vais présenter les résultats sous la forme d’un graphique qui compare la distribution des prénoms dans le Répertoire national des élus avec la distribution du Fichier des prénoms. Voici un graphique explicatif :
 

Vous remarquerez que les échelles sont logarithmiques.

Première comparaison

Je commence par comparer la population des élus et élues avec la population née en France depuis 1900 à partir du Fichier des prénoms. S’il y a 1,2% des naissances qui sont des naissances de bébés prénommés Zygloub et qu’il y a 2,4% de Zygloub parmi les élus, alors Zygloub est 2 fois plus présent chez les élus que ce qui est attendu (2 = 2,4 / 1,2).

Apparemment, il y a “trop” de Didier et de Régis parmi les élus, et “pas assez” de Jeannine, de Mohamed et de Thérèse. Quatre fois moins de Louis qu’attendu, et trois fois plus d’Hervé.
Mais on a tout de suite un problème : la population des élus municipaux compte moins de femmes que la population française, ce qui va se refléter sur la position des prénoms sur ce graphique. Je vais donc faire une deuxième comparaison, en tenant compte de la part des femmes parmi les élu·e·s.

Deuxième comparaison

Cela ne change pas grand chose, mais on voit des prénoms comme Justine ou Marie se rapprocher d’un rapport d’égalité :
 

Et de l’autre côté du graphique, les prénoms masculins sur-représentés apparaissent moins sur-représentés (étant donné que les hommes constituent la majorité des élus).

Troisième comparaison

On peut aller plus loin : les élus municipaux sont principalement des élus de toutes petites communes. Et à Paris, par exemple, il y a peu d’élus municipaux par comparaison avec la population. Quand on compare les prénoms de la population à ceux des élus, on peut le faire sur une base départementale : s’il y a peu de Samira en Corrèze, il y aura sans doute peu d’élues nommées Samira (même si, dans le Nord, il va naitre plus de Samira).

Dans le graphique suivant, je contrôle donc par les naissances départementales :


 
Peu de changements, là aussi. Mais quand même : si les Mohamed étaient quatre fois moins fréquents qu’attendus quand on ne prenait pas en compte les départements, ils ne sont plus que 2,5 fois moins fréquents qu’attendus.

Quatrième comparaison

Il faut donc probablement contrôler par le sexe et le département, comme je le propose ci-dessous :


 
Bof, non ? Ça ne conduit pas à une modification radicale des sur- et sous-représentations. C’est probablement parce que j’ai oublié que les élus n’avaient pas 110 ans, et qu’ils n’avaient pas 10 ans non plus.

Cinquième comparaison

Il faut donc, bien entendu, contrôler par l’année de naissance. Et cela d’autant plus que les prénoms connaissent souvent une période – plutôt courte – pendant laquelle ils sont beaucoup donnés. Si les Jeannine sont peu présentes parmi les élus, c’est parce qu’elles sont en grande partie déjà décédées.

Dans le graphique suivant, je prend donc en compte la distribution par âge de la population des élus.


 
Ah, là il y a du changement. Une bonne partie des prénoms se retrouvent à proximité du rapport d’égalité entre le nombre d’élus et le nombre attendu d’élus. Mais ne peut-on pas aussi prendre en compte le sexe et le département ?

Sixième comparaison

Oh que si : dans le dernier graphique, je montre les résultats d’un calcul prenant en compte l’année de naissance, le sexe et le département d’élection des élu·e·s :

La “boule” centrale s’est encore rétrécie : on prévoie assez bien combien il y a aura de Céline élues si l’on connaît la distribution par âge, sexe et départements de la population des élues. Il reste quelques prénoms que ces variables expliquent mal : Bertrand, Armelle, Bénédicte, Etienne, Benoît, Hugues et Hubert se retrouvent trop souvent parmi les élus. Est-ce un signe que ces prénoms sont attachés à des personnes disposant de ressources sociales plus importantes ? De l’autre côté, on trouve des prénoms symétriques : Tony, Kevin, Sabrina, Nadia, Jonathan, Jessica… que l’on devrait retrouver plus souvent chez les élus.

Et Mohamed et Karim : même en tenant compte de l’âge des élus, de leur département d’élection, de leur sexe… il y a “trop peu” de Mohamed et de Karim parmi les élus municipaux. Pour quelles raisons ? Peut-être l’utilisation d’un autre prénom au quotidien et une candidature sous un autre prénom que le prénom de naissance (comme le firent ou le font Marie-Ségolène “Ségolène” Royal, Marion-Anne “Marine” Le Pen et tant d’autres). Peut-être qu’il faudrait prendre en compte une échelle plus fine que le département ? Ou peut-être qu’on trouverait d’autres raisons si on cherchait un peu.

Notes :

  1. J’ai transformé les prénoms composés : Anne-Marie est Anne, Jean-Philippe est Jean…
  2. J’ai asciifié les prénoms : ils n’ont plus aucun accent ni cédilles
  3. C’est un peu stupide de prendre en compte les naissances départementales pour estimer une proportion attendue, comme si les élus étaient nés là où ils sont élus
  4. Et en plus, avec la fin du département de la Seine en 1968, les codages bizarres de l’Outre-Mer, je ne suis pas certain de ne pas avoir été trop rapide parfois
  5. J’ai sans doute fait des erreurs, mais si vous voulez les corriger, le code est sur github

En cas d’absence : la procuration

La Revue française de science politique vient de publier «In absentia. Le vote par procuration, une participation électorale à distance?» un article dans lequel, à partir des données de l’Enquête participation électorale 2017 (Insee), j’étudie le recours inégal à la procuration, lors de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2017.

Cette modalité de vote accroît les inégalités de participation. Tout d’abord parce que c’est une modalité complexe, qui demande du temps et une familiarité avec les procédures administratives dérogatoires, et que les individus dont les ressources sociales (temps, niveau de vie, diplôme, profession…) sont limitées y ont peu recours. Mais aussi parce que donner sa voix à un truchement de confiance nécessite un réseau de relation mobilisable (et mobilisable électoralement) : et là, il semble bien que si les personnes les plus dotées en ressources arrivent à mobiliser leur réseau à distance, ce n’est pas le cas des moins dotés. Suite à un déménagement, les cadres multiplient le recours à la procuration, alors que les ouvriers — qui votaient déjà peu par procuration — voient leur recours à la procuration divisé par trois.
J’ai essayé de développer aussi un autre thème dans l’article — c’est le point d’interrogation final. Le vote par procuration est certes une modalité fréquente dans les classes supérieures, mais c’est une forme de délégation. Que se passe-t-il finalement quand l’habitude est prise, jeune, de déléguer son vote — à ses parents ? Est-ce que cela se convertit en vote physique — avec déplacement au bureau de vote — plus tard, ou est-ce une première étape vers un désengagement bourgeois, un vote à distance qui deviendrait, au fil du temps, une distance au vote, une abstention ?
L’article est disponible sur cairn.info, et d’autres informations le sont sur la page du site consacrée à l’article

L’évolution de l’abstention à Paris, 2014-2020

Le premier tour des élections municipales s’est déroulé dans un contexte de pandémie, qui n’a pas incité à la participation électorale. Le taux d’abstention en 2020 est donc beaucoup plus élevé que le taux d’abstention observé en 2014, comme les deux cartes suivantes permettent de le voir :



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En prenant la même discrétisation (le même découpage de couleurs) on remarque que l’abstention augmente de manière globale : tout se décale vers le rouge et les zones participationnistes, bleu-foncées, disparaissent. La géographie générale n’est pas bouleversée : ce sont bien dans les quartiers d’habitat populaire, à Paris, que l’abstention reste la plus élevée, en 2014 comme en 2020. Mais la hausse de l’abstention n’est quand même pas semblable partout.

La carte suivante montre le différentiel entre 2014 et 2020 : plus la couleur est sombre, plus la hause de l’abstention a été forte. J’ai été confronté à un petit problème : les frontières des bureaux de vote ont changé entre 2014 et 2020. Certains bureaux ont été scindés en plusieurs bureaux (une trentaine), d’autres ont vu leurs bordure se décaler d’une rue ici, d’un pâté de maison là. J’ai préféré donc passer à un carroyage. J’ai découpé Paris en 2800 petites zones et j’ai affecté à ces zones une moyenne interpolée de l’abstention en 2014, de l’abstention en 2020 puis j’ai calculé la différence.

C’est surtout dans le sud de Paris (bas du 16e, 15e, 14e, 13e, 5e et 12e) que la hausse de l’abstention a été élevée.

Mais est-il possible de savoir un peu plus précisément qui s’est abstenu ? Peut-être les plus âgés, particulièrement soumis à un risque de développer les formes graves de Covid19. Je vais m’appuyer sur la composition par âge des bureaux de vote pour explorer la relation entre classes d’âge et abstention.

Les graphiques suivants comparent les bureaux de vote de 2014 et ceux de 2020 (sans essayer de s’assurer de la correspondance des frontières, avec tous les problèmes que cela pose donc). On peut voir que dans les bureaux de votes où la proportion de plus de 53 ans est élevée (les deux derniers panels), alors la hausse de l’abstention est, en tendance, plus élevée que dans les bureaux où ces plus de 53 ans sont en proportion plus faible. Mais il s’agit de corrélation écologique : on ne peut pas savoir si ce sont les personnes âgées des bureaux où il y a relativement plus de personnes âgées qui se sont abstenues, ou si ce sont les plus jeunes des bureaux “âgés” qui se sont abstenus… et les différences sont faibles.

Les dessous d’une carte

Qu’ai-je du faire pour tracer cette carte, que l’on trouve dans le billet écrit avec Lucie Bargel et intitulé « À la campagne, la victoire est en ville », sur le blog Terrains de campagne

D’abord, que représente-t-elle ? Les zones où il y a plus d’inscrit.e.s sur les listes électorales que de résident.e.s français.es majeur.e.s.

Il faut d’abord récupérer les résultats électoraux à l’échelle des communes. Par exemple, les résultats de la présidentielle de 2012. Ces listes indiquent, pour chaque commune, combien il y a d’inscrits sur les listes, ce qui est essentiel pour pouvoir calculer, par exemple, un taux d’abstention.
Il faut ensuite récupérer les Fichiers détails du recensement 2012 (fichier « individus localisés au canton-ou-ville »), car ces fichiers permettent de sélectionner les Français majeurs (les individus recensés, de nationalité française, et âgés de 18 ans ou plus en 2012). Les résultats du recensement agrégés à l’échelle des communes, que l’on trouve facilement sans avoir de calcul à faire n’indiquent pas si les personnes majeures sont de nationalité française.
Et on rapproche les deux bases : Inscrits et Résidents.
Mais : la géographie du recensement de l’année N est celle de l’année N+2. Par exemple, si la commune de Triffoulli a été fusionnée avec la commune des Oies en 2012 ou 2013, les résultats du recensement sont diffusés pour la nouvelle commune de Triffoulli – Les Oies.
Il faut donc faire passer la base Inscrits de la géographie 2012 à la géographie 2014.
De plus, les résultats du recensement sont diffusés non pas toujours à l’échelle des communes, mais à celle du “Canton-ou-Ville” (à la géographie N+2). Il faut donc associer à chaque commune du fichier des Inscrits le Canton-ou-Ville dans lequel elle se trouve.
Et là, on peut faire la jointure des deux bases et calculer un ratio Inscrits/Résidents-français-majeurs.

Et ça ne suffit pas : il faut aussi transformer le fonds de carte “Geofla communes” (2014) en fusionnant les polygones des communes qui appartiennent aux mêmes “cantons-ou-villes”. Maintenant, on peut associer le ratio calculé précédemment à la carte.

La carte que l’on ferait pour l’année 2012 révèlerait une géographie intéressante. La sur-inscription est fréquente dans les petites villes de plateau et de montagne, et dans une série de villages du littoral. Mais… les enquêtes annuelles de recensement ont lieu tous les cinq ans, avec une méthode particulière pour les petites villes. Est-ce que la carte ne serait pas une illusion ?
C’est pour cela que j’ai souhaité m’assurer de la stabilité de cette géographie sur plusieurs années, plusieurs recensements, des élections différentes. La distribution géographique est stable. Il reste à l’analyser.

Pour aller plus loin : « À la campagne, la victoire est en ville », sur le blog Terrains de campagne

Appariements politiques : la procuration sur internet

La fréquence du vote par procuration augmente depuis une bonne vingtaine d’années. Certains ont pris l’habitude de partir en week-end et de donner leur voix à un ou une mandataire. Mais ces individus mobiles n’ont parfois ni famille ni amis inscrits dans la même commune. Et donner à un inconnu pose problème : il faut révéler son opinion politique.
Les partis politiques ont donc mis en place, depuis quelques années, des dispositifs d’appariement entre mandant (celui ou celle qui ne peut voter directement) et mandataire (celui ou celle qui porte la procuration).
Voici ce que propose le site de la France insoumise (le parti mélanchoniste) : « Si vous ne trouvez personne dans votre entourage, remplissez ce formulaire… »

« En marche », le parti macroniste, propose aussi à des mandataires de se porter volontaire pour recevoir la procuration d’un macroniste sans famille, sans ami, sans entourage :

Mais autant il est plus simple de recueillir la voix d’un mandant et de la confier à un militant, autant il est plus complexe de recevoir les offres de bons offices d’inconnus souhaitant, par bonté de cœur, porter un deuxième bulletin de vote. D’où la procédure de contrôle ajoutée au formulaire : « Quel marcheur vous a invité à devenir mandataire ? » (un «marcheur», c’est le petit nom que les militants macronistes se donnent).
Même chose avec le dispositif d’aide à la procuration du «Rassemblement national» (qui s’avère être, en fait, le Front national sous un faux-nez) :

« Si vous n’êtes pas adhérent au Rassemblement national, indiquez-nous qui vous a invité à devenir mandataire ? ». Quand on n’a pas confiance, on n’a pas confiance : ce qui était “facultatif” chez les macronistes devient nécessaire chez les lepénistes.

Lutte Ouvrière ne promet rien (seul le Grand Soir est promis, pas le mandataire). « Nous ferons notre possible », écrivent-ils.

Deux partis politiques se distinguent dans leurs pratiques. « Les Républicains » (le nouveau nom de l’«UMP» qui était lui-même le nouveau nom du «RPR»), vous propose, si vous n’avez pas d’amis et que vous voulez voter à droite, de laisser vos coordonnées directement à google :

Pourquoi pas ? Je trouve que “google forms”, ça ne fait pas très professionnel (mais passons…). Que deviendront les données ainsi recueillies ?
L’autre parti qui utilise google, c’est le parti socialiste (sous le nom de «Envie d’Europe») :

Là encore, il me semble que cette exportation de données privées, concernant une opinion politique, pose problème.
Les Verts, eux, utilisent les services de “typeform” (une entreprise espagnole), je vous passe la copie d’écran. Et il faut que je signale, quand même, que je ne sais pas à quels prestataires font appel les autres partis (sous l’apparence d’une gestion entièrement en interne, c’est peut être un serveur amazon ou google qui est utilisé pour stocker les données).

Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin, certains partis politiques ont mis sur github le code source des dispositifs d’appariement entre mandant et mandataires :
https://github.com/lafranceinsoumise/procurations et
https://github.com/jbdebiasio/procuration-macron.fr (mais je ne sais pas si ces repos github sont les dernières versions utilisées pour les européennes).

Drôles de couples : l’écart d’âge dans la procuration électorale

Pour faire une procuration, il faut deux personnes. Une mandante, la personne qui ne peut se déplacer le jour du scrutin dans son bureau de vote, et une mandataire, la personne qui se déplacera pour voter au nom de sa mandante. Comme dans tous les couples, il existe un écart d’âge. Regardons cet écart en 2017, au moment des scrutins présidentiels et législatifs.

Par exemple, dans les huitième et seizième arrondissement de Paris (du moins dans deux bureaux de vote de ces arrondissements), ce sont plutôt des jeunes électrices et électeurs qui donnent leur voix à des vieux. Le graphique suivant illustre cela : la zone vert-jaune est la zone de plus forte densité des couples mandant-mandataire (l’année de naissance du mandant est en abscisses, l’année de naissance de la mandataire en ordonnées). Il s’agit de jeunes électeurs (nés dans les années 1990) qui sont absents le jour du scrutin. Ils ont donné procuration à des personnes (nées dans la deuxième moitié des années 1950). C’est probablement à leurs parents qu’ils ont donné leur voix. Les zones blanches sont des zones où les couples mandant-mandataire sont rares. Les zones de même couleur représentent des zones de densité moyenne égale (le tout se lit un peu comme des lignes de niveau sur une carte géographique).

Comme le graphique le montre, le cas inverse, où des vieux donnent à des jeunes, est plus rare. Il existe : certains parents du 16e arrondissement donnent procuration à leurs enfants, mais c’est moins fréquent.
Enfin on voit une zone diagonale, où les procurations s’effectuent entre personnes qui ont à peu près le même âge. Entre amis du même âge. Entre frère et sœur, entre conjoints.

Dans les 10e, 5e et 18e arrondissements, la structure des couples est un peu différente. Il y a relativement peu de transferts de voix entre jeunes et leurs parents (la zone est mauve). Il y a en revanche une concentration très forte de transferts entre personnes du même âge, et surtout entre jeunes du même âge. Enfin… jeunes… la zone la plus dense est constituée de personnes nées dans les années 1980 (qui ont donc une bonne trentaine d’années en 2017).

Pourquoi donc ne donnent-ils pas à leurs parents, ces jeunes ? Pourquoi ne font-ils pas comme dans le 16e arrondissement ?
Les données dont je dispose ne permettent pas de donner des réponses satisfaisantes. Il me semble qu’il faut faire intervenir le lieu de résidence habituelle des électeurs : les jeunes du 16e arrondissement qui donnent procuration à leur parent n’habitent peut-être plus dans le 16e (ils sont étudiants, stagiaires, expatriés…). Et les résidents “vingtenaires” du 18e, au contraire, n’y votent pas (ils continuent à voter “chez leurs parents”, en province ou en banlieue… ou dans le 16e arrondissement). Les jeunes trentenaires du 18e arrondissement, eux, y résident et y votent, mais leurs parents ne s’y trouvent pas : ils ne peuvent leur donner procuration… alors même qu’il s’agit d’un groupe très mobile, qui préfère passer ses longs week-end de mai (avec les ponts) en dehors de Paris.

Et dans tous les cas, il y a peu de vieux qui donnent à des jeunes. Pour des raisons structurelles : la génération des enfants ne réside plus là où habitent les parents. Mais peut-être aussi pour des raisons liées au contrôle de son vote : on ne donne pas tout pouvoir à plus jeune que soit. Peut-être enfin parce que l’on donne à plus mobilisé (politiquement) que soi, et que les plus âgés (jusqu’à un certain âge) sont, en moyenne, plus participationnistes que les plus jeunes.

 

Notes :

  1. J’ai aussi “contrôlé” par la structure par âge des différents bureaux de vote, en comparant les procurations observées avec la matrice d’indépendance des procurations qui auraient eu lieu si ces procurations étaient réalisées au hasard. La sous-représentation des couples “vieux–>jeunes” n’est pas due à la structure par âge des bureaux.
  2. Les données utilisées ici proviennent pour partie de mes propres recherches (sans financement), pour partie de données collectées dans le cadre de l’ANR Alcov, et pour partie d’une recherche financée par l’Université Paris-Lumière.

Gauche parisienne

Dans le graphique suivant, j’ai calculé la proportion des suffrages exprimés qui se sont portés sur des listes ou des candidats de gauche (extrême-gauche exclue), à Paris, entre 2001 et 2017, lors des premiers tours des élections.


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On repère, dans tous les arrondissements, des effets de période : en 2007, le vote de gauche est particulièrement faible au premier tour de la présidentielle. Et quelque chose d’identique arrive en 2017 (où, quand même, il n’était pas possible de classer le candidat Emmanuel Macron parmi les candidats de gauche).
On repère aussi assez bien les grandes différences entre arrondissements. À peine 20% des voix (les bonnes années) se portent sur des candidats ou des listes de gauche dans le 16e arrondissement. C’est souvent plus de 60% des voix dans le 20e arrondissement.
Et la tendance, globalement, est à la baisse : Paris vote, année après année, un peu plus à droite. Mais il n’est probablement pas judicieux de faire commencer la série en 2001, l’année de la victoire de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris.

Il est possible, assez simplement, de “neutraliser” les effets de période en regardant, pour chaque arrondissement, l’écart à la moyenne parisienne. Dans certains arrondissements, l’on vote deux fois moins pour la gauche que la moyenne parisienne (par exemple 20% quand la moyenne est à 40%). Dans d’autres, on vote autant ou plus. Cette comparaison à la moyenne donne le graphique suivant :


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La comparaison avec la moyenne linéarise presque totalement les scores : le 12e arrondissement vote tout le temps comme la moyenne parisienne.[jwplayer mediaid=”8814″]

On voit alors émerger une tendance intéressante. Un accroissement des écarts : dans les 6e, 7e, 8e, 16e, la tendance à la diminution des votes de gauche est plus forte que la tendance parisienne moyenne. Et au contraire, les 18e, 19e, 20e, tout en voyant faiblement diminuer ou se maintenir la part des votes de gauche, voient une chute plus faible que la moyenne. Ils apparaissent d’autant plus à gauche que le reste des Parisiens y apportent moins leurs suffrages.

Toujours pas de chrysanthèmes

Je suis heureux de voir la publication d’un article écrit avec Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, dans la Revue française de sciences politiques : « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale ».
Cet article s’appuie sur les données de l’Enquête Participation Électorale 2017 de l’INSEE. Avec les coordinatrices de cette enquête, à l’INSEE, Jean-Yves, Céline et moi avons constitué un petit groupe scientifique, qui s’est réuni en 2016 et 2017, et qui avait quelques buts. Améliorer la prise en compte du comportement électoral des électeurs qui ne sont pas inscrits là où ils habitent, car les enquêtes précédentes, en enlevant un peu trop de toutes petites communes à l’échantillon, avait éliminé un peu trop de personnes inscrites-ailleurs. Et repérer les votes par procuration (à partir des informations contenues dans les listes d’émargement).
L’article publié aujourd’hui s’intéresse plus précisément à l’accentuation des écarts de participation entre le bas et le haut de l’échelle sociale, entre les deux tours de la présidentielle et les élections législatives. L’abstention a augmenté, mais sans que les écarts de participation entre catégories sociales se réduisent.
Le résumé :

En prenant appui sur l’Enquête participation électorale 2017 de l’Insee, donc sur des données d’une particulière solidité qui échappent au biais de sélection, d’auto-sélection et de déclaration, les auteurs montrent que la hausse de l’abstention enregistrée au cours de la séquence électorale 2017 – réelle mais contenue à la présidentielle, spectaculaire pour les législatives – n’est pas porteuse d’un processus d’égalisation des citoyens devant le vote. Au contraire, les inégalités socio-démographiques de participation n’ont fait que s’accroître au cours de la dernière décennie. Elles sont en premier lieu la conséquence des inégalités de scolarisation. La pertinence du modèle sociologique d’explication de la participation s’en trouve largement confirmée.

Les politistes l’auront remarqué, le titre de notre article fait référence à un article classique de Nonna Mayer :
Nonna Mayer, « Pas de chrysanthème pour les variables sociologiques », in Élisabeth Dupoirier et Gérard Grunberg (dir.), Mars 1986 : la drôle de défaite de la gauche, Paris, PUF « Recherches politiques », 1986, p. 149-165

J’en profite pour signaler aussi un autre travail lié à l’étude de la présidentielle de 2017 : la comparaison de l’échantillon d’un sondage “sortie des urnes” avec les informations que donnent les listes d’émargement et les résultats des bureaux de vote dans lesquels les questionnaires ont été passés : Le cens trouvé : examen d’un questionnaire sortie des urnes sur le blog de l’ANR ALCOV.