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Actualité de l’érouv

La “commission burqa” de l’Assemblée nationale a auditionné le mois dernier Caroline Fourest. Au cours de sa prise de parole, elle a mentionné les erouvim, un sujet qui me tient à coeur, ayant écrit quelques lignes à leur sujet : dans la revue en ligne Espace-Temps.net « Fin de l’érouve » et sur mon blog (au sujet d’alpinistes, ou de la mairie de Saint-Brice). Le sujet me tient tellement à coeur que, quand je visite une ville américaine, j’y cherche les érouvim. C’est difficile, car un érouve, c’est invisible : c’est un long fil de nylon tendu au sommet de pylônes. Mais alors, pourquoi est-ce un objet bon à controverser ?
Ecoutons Caroline Fourest :

Le devoir de préserver le vivre-ensemble et l’ordre public nécessite également de s’opposer aux demandes particularistes, formulées au nom du religieux – ce qui ne concerne pas qu’une seule religion ou qu’une seule dérive sectaire –, qui tendent à mettre en péril la sécurité collective et qui se multiplient.
Je pense notamment à une demande présentée par une communauté juive ultra-orthodoxe à la municipalité d’Outremont, au Québec. Il s’agissait d’installer dans la ville un érouv, clôture symbolique démarquant l’espace urbain dans lequel les observants du shabbat peuvent se déplacer. Le conseil municipal a rejeté la demande, la considérant comme incompatible avec la notion de voie publique. Mais la Cour supérieure du Québec, invoquant la liberté de religion et l’obligation d’ « accommodement raisonnable », a autorisé l’installation de l’érouv. Une demande similaire a été formulée en France, à Garges-lès-Gonesse. La communauté juive qui y réside demandait non seulement la mise en place d’un érouv, mais également la neutralisation des codes électriques à l’entrée des immeubles pendant le shabbat. Il faut imaginer ce qu’une telle demande impliquerait : savoir qui est juif pratiquant et dans quel immeuble, gérer les conflits qui ne manqueraient pas de naître entre les pratiquants et leurs voisins à qui l’on a débranché le code pour des raisons religieuses, dans le cas d’un cambriolage, voire même regrouper les juifs pratiquants dans des immeubles qui ne seront pas protégés électriquement, etc. Heureusement, en France, aucun tribunal n’a accepté l’accommodement raisonnable admis au Canada.
source

Vou pouvez aussi voir l’audition de C. Fourest (video, dailymotion).
Je n’ai pas entendu parler de l’affaire de Gonesse (je ne connaissais que celle de Saint-Brice, en 2006). Mais il me semble bien que l’érection d’erouvim est en développement en France : elle l’est au Canada, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. J’ai ainsi reçu, l’année dernière, ce mail en réaction à mon article sur les guerres hassidiques à Borough Park (Brooklyn, NY) :

---------- Message transféré ----------
De : ****** < * ******@wanadoo.fr>
Date : 29 mai 2008 14:50
Objet : Baptiste Coulmont • Fin de l’Ã(c)rouve.

Bonjour

je suis président du conseil syndical d'une copropriété
oü il y a des juifs qui voudraient faire un erouve je 
voudrais savoir comment faire un erouve 
selon le hallah.

Merci.

Malheureusement, malgré mes réponses, ce président de syndic n’a pas voulu m’en dire plus. J’aurai bien aimé savoir où était construit cet érouve d’immeuble, cela m’aurait permis de comparer avec les érouvim “municipaux”, qui sont souvent à l’origine de conflits internes au judaïsme (ou externes, comme dans les cas mentionnés par C. Fourest).

Not a joke : an Eruv on the Kilimanjaro

Imagine three American Orthodox Jews climbing Mount Kilimanjaro (no… this is not the beginning of a joke).

Shabbat presented our greatest halachic challenges. Firstly, we needed to build an eruv so that we would be able to carry in the small area around our tents. At first glance, our campsite appeared to be surrounded by a natural eruv –a combination of natural wall formations, embankments and Mawenzi Peak. However, we could not be certain that all these borders qualified as a halachic partition. Instead, we positioned our three tents to form a semi-circle and set up a tzurat hapesach, or doorframe, using a fishing line and poles. Thus, we created a small, enclosed “courtyard,” enabling us to carry between the tents and to daven, eat and learn outside. We tied clothing onto the fishing line so it would be visible at night to the porters and made sure that it didn’t sag more than three tefachim, which would disqualify it as an eruv.
source

What’s an eruv ? An eruv is a “mechanism that transforms an enclosed shared living area (e.g. a courtyard) into a common one”, and within this new common area, one can be an observant Jew and carry small objects during shabbat.
Halachic mountaineering ? It combines two very different aspects of contemporary life. On the one hand, mountaineering can be considered a way toward “self-accomplishment”. The ideal mountaineer has to go beyond herself (beyond her own strength, her own will, etc.) to reach the summit… Reaching the highest point is not a goal in itself : its purpose is to reveal the mountaineer’s real self.
On the other hand, the contemporary observance of Halacha is an identity support. The Jewish law is used consciously and reflexively to permanently sustain a religious personal identity in everyday life. The Eruv is then paramount : it materializes a symbolic space where one can be jewish and enjoy the practicalities of modern life. [For other eruvim implementation, see here, or there…]
Note : This short and unfinished note on the combination of individual self accomplishment and social identity management was inspired by Wayne H. Brekhus’ study of gay suburbanites, Peacocks, Chamelons, Centaurs (U. of Chicago Press, 2003).

L’Erouv de Saint-Brice

Un article d’une Agence de presse israélienne datée du 15 janvier 2006 attira récemment mon regard :
Une première en France : Un « Erouv » bientôt installé à Saint Brice !

à l’instar de Philadelphie dont le Maire John Street a signé l’accord pour que sa ville ait son propre « Erouv », une petite localité de la banlieue Nord de Paris, située entre Sarcelles-le- village et Montmorency, un petit bourg d’environ 13 000 habitants dénommé Saint Brice vient, par la voix de son Maire Alain Lorrand, d’accepter l’installation d’un « Erouv » dans la ville.
[…]
Cet évènement exceptionnel et unique en France, est dû à l’obstination d’un Président de Communauté, François Sitruk, de son rabbin Joseph Touitou et de son équipe, qui mettent tout en œuvre pour réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés.

Qu’est-ce qu’un érouv (parfois translittéré érouve) ? C’est un un dispositif talmudique qui permet de transformer un espace public en extension d’un espace privé où il est permis aux juifs orthodoxes de porter certaines choses (clefs, livres…) ou d’utiliser certains objets (fauteuil roulant…). A New York et à Montreal, et ailleurs aussi, l’installation d’érouvim a causé de nombreuses polémiques : voir ce billet, et cet autre billet.

Assez rapidement, la presse locale (notamment La Gazette du Val d’Oise) mentionne cette innovation (il n’y a pas d’érouvim urbains en France à part à Strasbourg). Le Parisien, dans son édition du Val d’Oise, mentionne aussi ce qui devient rapidement une affaire :

La ville entourée d’un fil pour le shabbat ?
Emeline Cazi
ET SI Saint-Brice était ceint d’un fil de nylon pour faciliter la vie des familles juives le jour du shabbat ? La communauté juive de la ville envisage sérieusement la question. […] Une mère d’enfant en bas âge reste chez elle faute de pouvoir pousser le landau. Tendre un fil de pêche autour de la commune pour créer un « erouv » (du nom de l’espace clos ainsi formé) permettrait aux juifs de se retrouver dans un domaine privé et donc de circuler librement. « Il n’est pas question de créer un ghetto ou d’élever une muraille autour de la ville, précise d’emblée François Sitruk, président de la communauté juive de Saint-Brice et premier vice-président du consistoire, mais de tirer un fil entre les poteaux électriques. »
Les autorités religieuses se penchent sérieusement sur le sujet.
Rien n’est fait, rien ne sera peut-être jamais fait mais la question est soulevée et les autorités religieuses se penchent sérieusement sur le sujet. Pas plus tard que la semaine dernière, deux grands rabbins du tribunal rabbinique parcouraient Saint-Brice pour en étudier la faisabilité. François Sitruk et le rabbin Touitou attendent l’avis du rabbinat avant d’en faire la demande officielle au maire.
[…]
« Mais c’est loin d’être fait, tempère le maire, Alain Lorand. La question m’a été posée au cours d’une discussion privée. J’ai répondu pourquoi pas si cela peut faciliter la vie des familles. Mais vu les débats que cela suscite… » Les réactions sur Internet sont vives, les propos parfois virulents. Les uns criant au scandale, les autres répliquant « qu’après tout cela ne dérange personne ».
[…]
De l’autre côté de la nationale, à Sarcelles, là où vit l’une des plus importantes communautés juives d’Ile-de-France, on observe l’avancée du dossier avec attention. Car certains imaginent déjà un « erouv » autour du Grand Ensemble.

Le site antireligieux atheisme.org s’en fait l’écho :

maginons une microsociété où une des règles de vie consiste, certains jours, à ne pas transporter des objets depuis son domicile vers le domicile public ou l’inverse. Interdit, c’est comme ça et on ne discute pas. La mesure est, on le comprend bien, fort handicapante et certains plus malins que d’autres ont, avec une autorité empreinte d’un mysticisme obscur, inventé un stratagème pour s’en affranchir : il suffit de délimiter un espace avec des poteaux d’au moins quarante centimètres et de les relier, à leur sommet, par un fil métallique.

On remarque assez facilement l’embarras des atheistes.orgs, qui considèrent apparemment que “Saint Brice” est OK, mais qui considèrent l’érouv non pas comme un affaiblissement religieux, mais comme un redoublement pervers de la croyance. Au contraire, des Juifs très orthodoxes vont pouvoir considérer l’érouv comme un affaiblissement impossible des contraintes de vie réglée que demande la Halakha (c’est ce qu’on observe à New York notamment, où le principal conflit est inter-juif, entre les partisans d’érouvims synagogaux et leurs opposants).

Des athées militants, l’on passe rapidement, sur internet, à des sites de presse alternative mais aussi à un site pas vraiment philo-juif (http://quibla.net/protocoles2006/protocoles-erouv.htm), qui, dans une rubrique intitulée les “Protocoles des Fous de Sion” déclare qu’ “une muncipalité française du Val d’Oise (département 95) vient de déclarer que son territoire est sous Erouv : désormais les 13 000 habitants vivent sous une loi juive, alors qu’il n’y a que 700 familles juives dans la commune. Et la laïcité, dans tout ça ? Imaginons un peu la réaction que susciterait une décision de proclamer une commune française comme appartenant à Dar El islam !”

Face à cela, et probablement à d’autres prises de parole, le maire de Saint-Brice s’oppose finalement à l’érection de l’érouv local (en ouverture d’un conseil municipal) :

Mr le Maire tient à faire une déclaration concernant le Erouv qui a fait l’objet d’un article dans la presse avant d’aborder l’ordre du jour du conseil municipal. Il tient à démentir les propos du journaliste qui s’était avancé à dire qu’un Erouv serait installé à Saint Brice. Il explique historiquement que, dans la religion juive, des remparts (Erouv) entouraient les villes de l’antiquité. Dans le cas présent, un fil qui entourerait une ville rendrait l’espace qui est à l’intérieur clos, par conséquent permettrait aux personnes de la communauté juive de circuler librement, et notamment de porter les enfants durant Shabbat. Etant donné les problèmes communautaires actuels, le Maire déclare qu’il n’y aura pas de Erouv à Saint Brice.
source : http://www.saintbrice95.fr/ville/archives/2006/cr230206.pdf

Et dans le journal municipal, intitulé Saint-Brice, d’avril 2006, l’on peut lire :

Le maire vous informe
Lors du dernier Conseil Municipal, j’ai précisé sans équivoque qu’il n’y aurait pas de érouv (fil entourant la ville) à Saint-Brice.
Le Maire.

La journaliste Emeline Cazi, dans Le Parisien du 4 mars 2006, conclue alors l’affaire :

au vu des mails reçus, des courriers d’habitants menaçant de déménager, le maire [Alain Lorand] a coupé court à toute discussion. Hostile « à toute zizanie et aux guerres de clans », François Sitruk [“président de la communauté juive”] regrette la tournure prise par le débat. « On ne cherchait pas à gêner qui que ce soit, répète-t-il. Qui aurait été gêné par un fil de nylon accroché aux poteaux électriques, à la même hauteur que les fils de téléphone ? » Il l’avait annoncé dès le début, il s’en tiendra « à l’avis des élus de la République ».

M. Sitruk devait d’autant plus s’en tenir à la décision des autorités civiles que la validité (religieuse) d’un erouv repose sur l’accord des autorités (séculières), et qu’un acte officiel est nécessaire. (Voici un exemple d’acte officiel, la proclamation (sans valeur juridique) du président d’un comté américain autorisant la construction d’un eruv autour de l’université du Maryland.

L’érouv de Saint-Brice est donc la première affaire récente et signale, sans doute, une volonté de visibilité publique plus grande de la part, sinon d’une communauté dans son entier, du moins de certains leaders. Il y avait des érouvim [à vérifier toutefois, je ne m’appuie pas sur des sources sûres] dans les grandes villes françaises, et notamment Paris, avant la Seconde Guerre mondiale et la collaboration des autorités françaises avec le régime nazi. L’érection de nouveaux érouvim pourrait donc être comprise comme une sorte de retour à un ordre républicain (déjà en régime de séparation). Mais je doute que ce soit de cette manière que seront comprises les futures tentatives d’érouvisation.
Ces tentatives seront très intéressantes à suivre. Non seulement parce que les polémiques sont de beaux objets sociologiques, mais aussi parce que les frontières des érouvim permettent une sorte de visualisation des frontières que se donne une communauté religieuse. Comme ici cet erouv du Queens (un quartier de New York) :

L’erouv est signalé en orange.

Sur Saint Brice, le saint et évêque, voir Wikipedia.

Espaces, Temps et érouvim

Le numéro de novembre d’EspacesTemps.net propose un petit article sur les erouvim. Les lecteurs de ce blog y retrouveront — de manière plus synthétique — des thèmes déjà traités ici et . Mon article commence ainsi:

« Fin de l’érouve »
Nous sommes à New York, quelques kilomètres à peine au nord de Little Odessa, plus précisément à Borough Park, en plein milieu de Brooklyn, très exactement sur l’avenue F, entre Dahill Road et McDonald Avenue. La précision s’impose : de l’autre côté du panneau, la hallacha, la loi juive, interdit théoriquement au juif pratiquant de porter ses clés ou d’utiliser une poussette pendant le chabbat. De ce côté-ci, tout va bien : nous sommes à l’intérieur de l’enceinte dessinée par un érouve.

Pour lire la suite…

Eruv, eruvim (2)

L’eruv (voir mon blog précédent) apparaît comme un outil très utile pour diminuer certains des coûts associés à une pratique rigoureuse du judaïsme. Divers mouvements associés au judaïsme orthodoxe insistant sur une pratique conforme aux Ecritures, tout en cherchant une accommodation avec des pratiques contemporaines, vont alors s’emparer de l’eruv. L’érouve permet d’utiliser une poussette ou une chaise roulante pour aller à la synagogue, par exemple. Il élargit ainsi la marge de manoeuvre des personnes observant shabbat.
C’est peut-être pour cela qu’il est utilisé par les éclaireurs israélites de France: ce document (pdf) peut être un peu trop folklorique, un exemplaire des “Cahiers de la formation” du mouvement des Eclaireuses et eclaireurs israélites de France présente la meilleure manière, pour des scouts juifs, de construire un eruv. C’est peut-être aussi pour cette même raison que les opposants les plus virulents aux erouvim se trouvent à l’intérieur même des communautés orthodoxes: certains refusent toute relaxation des règles littérales.

Mais l’érouv apparait souvent, quand il est établi en ville autour d’un quartier, comme l’imposition d’une forme de sacré “fondamentaliste”, ne respectant pas la neutralité religieuse de l’espace public, même si, en pratique, un eruv est tout bonnement invisible. C’est de cette manière que les opposants à l’érouv d’Outremont, un quartier de Montreal (voir Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49), se sont opposés, pendant plusieurs années, à l’érection d’une telle bordure sacrée. C’est aussi un peu de cette manière qu’aux Etats-Unis, des actions en justice ont été intentées quand des eruvim utilisaient du matériel urbain (poteaux électriques ou téléphoniques, lampadaires…) comme supports (une action récente, Tenafly Eruv Association v. Borough of Tenafly, 309 F.3d 144 décision du 3e circuit de 2002, analysée avec d’autres par Schlaff, Shira J. “Using an Eruv to Untangle the Boundaries of the Supreme Court’s Religion-Clause Jurisprudence” (PDF),5 U. Pa. J. Const. L. 831 (2002 – 2003)). Ce matériel urbain est, pour ce que j’ai pu constater récemment à New York, souvent utilisé, souvent pour des fils, plus rarement pour des indications.
Eruv New York Boro Park
(Je suis allé sur les lieux où avait été prise la photo que j’ai utilisée dans mon précédent blog sur les eruvim: ce rare panneau aurait pu être un canular bien forgé, il n’en est rien).

Pour le sociologue intéressé par les manifestations spatiales de la religion, l’eruv est pain béni: les cartes dressées par les synagogues ou les associations permettent de repérer — quand elles sont mises en série dans le temps comme le font Vincent et Warf (Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51) pour l’eruv Haredi de Jerusalem entre 1962 et 2001 — l’extension ou le rétrécissement de ce qui est hallachiquement un espace privé.

Eruv, eruvim (1)

Au cours de mes recherches, qui portent en partie sur les manifestations publiques des religions, notamment leurs manifestations spatiales, je suis tombé sur les eruvim, qui transforment l’espace public en espace domestique.
Un eruv (pluriel : eruvim ou eruvin; parfois translittéré erouv ou erouve, voir eiruv ou eiriv, ערוב ? העירוב ?) est une enceinte continue autour d’une ville ou d’un quartier, qui permet le transport d’objets au cours du shabbat (transport interdit aux juifs orthodoxes). Les définitions opératoires proposées par divers universitaires insistent alors sur la conversion de la nature de l’espace réalisé par l’eruv:

a device by which an area that is not a private domaine is halachically converted into one
Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51

ou

Eruvin, meaning literally ‘mixture’ or ‘mingling’, are Talmudic devices designed to convert public (…) space into private ownership. By reclassifying space, restrictions on the ‘carrying’ (in a legalistic sense) of items such as walking sticks, wheelchairs and prams are removed, thus giving a freedom to people who would otherwise be trapped in their homes over the Sabbath.
Oliver Valins, “Institutionalised religion: sacred texts and Jewish spatial practice” Geoforum Volume: 31, Issue: 4 November, 2000 pp. 575-586

Une dernière définition se concentre moins sur la conversion de l’espace que sur la relaxation des restrictions.

(…) an eruv, or a symbolic extension of the walls of a Jewish home into the public domain. According to rabbinical law, an eruv relaxes certain stringent restrictions against carrying and pushing objects outside the home on the Sabbath and other holy days.
Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49

Ces trois définitions ont de plus ceci en commun qu’elles insistent sur le caractère légaliste de l’eruv: ce n’est pas parce que l’eruv est béni, sacré ou autrement “religieux” qu’il possède ses qualités, mais parce qu’il est la conséquence de décisions de droit juif (la halacha, הלכה). Cette nature juridique, et le caractère très controversé de cette création, fait de l’eruv une forme très intéressante à étudier.
Les principales villes occidentales sont dotées d’un eruv voire de plusieurs eruvim : Sydney en Australie, Londres… (google images donne une foule de cartes).
Un eruv est, symboliquement, un seuil. Il s’agit donc, pour former un eruv, de relier entre eux, afin de former une enceinte “close”, des “seuils”. Une vieille muraille peut faire un bon support, mais ce sont surtout des pilônes, des poteaux électriques… qui sont utilisés, et reliés entre eux par des fils. Mais ces fils, afin de constituer un seuil au regard de la halakha, doivent passer par le sommet du poteau, d’où l’invention du “Teichman Adapter” (l’adaptateur Teichman pour pylônes et poteaux). Le Teichman est pratiquement invisible du sol, et le fil qui relie les deux pilônes l’est tout autant.
Les frontières eruviques sont alors vérifiées le plus souvent possible par les rabins “gardiens” de l’eruv attaché à leur synagogue, et l’état de l’eruv est affiché : le site web de l’eruv de Boston propose un numéro de telephone auquel se tenir au courant, le statut de l’eruv de Denver dans le Colorado est rendu public de manière automatique…
Mais comme tout est affaire de frontière, et que l’eruv est quasi-invisible, il arrive que soient précisées les fins d’eruv, comme le montre cette image (prise à shalomnewyork.com):
Eiruv, ShalomNewYork, Boro Park, Brooklyn
(au croisement de l’avenue F et de McDonald’s avenue à Borough Park, Brooklyn)