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Présidentielles : les parrainages à particule

Si la particule du nom de famille (de, du, d’ ou des) ne voulait rien dire, alors les gens à particule auraient la même distribution sociale que les gens sans particule. Monsieur Dupont et monsieur du Pont seraient équivalents.
J’ai pu montrer, dans Dupont n’est pas du Pont (Histoire & mesure, 2019), que, précisément, Dupont n’est pas du Pont.
On peut en trouver une nouvelle illustration dans ce graphique, qui présente la proportion des « parrainages » (ou « présentations ») des candidats et candidates, aux élections présidentielles, depuis 1981. Soit 41 ans, huit élections, 56 candidats, et plus de 60 700 parrainages et marrainages.

Comme on peut le constater, c’est un gradient gauche-droite qui se révèle dans la distribution des « parrainages à particule ». Statistiquement, la chose est intéressante : il y a peu d’élus à particule, environ 1%, et les parrainages sont peu nombreux (entre 500 et 2000). Il ne suffirait que de quelques parrainages à particule en plus ici ou là pour faire basculer un.e candidat.e du bas en haut de cette liste. Mais ce n’est pas ce que l’on observe…

 

Pour comprendre dans quelles recherches s’inscrit ce graphique, vous pouvez lire Dupont n’est pas du Pont.

Sarkozy, Le Pen, la présidentielle

Les relations entre préférences partisanes ne sont pas simples. Voyons par exemple ce qui se passe entre le premier et le deuxième tour des présidentielles de 2007. Le graphique suivant essaye de mettre en relation trois choses. Chaque point représente une commune. La couleur du point est fonction de la proportion de votes que reçut Le Pen au premier tour des présidentielles de 2007. L’abscisse des points correspond à la participation au 2e tour (la proportion de votes exprimés parmi les inscrits). L’ordonnée correspond à la proportion des votes des inscrits que reçut Sarkozy au 2e tour.

Les communes qui avaient “beaucoup” voté pour Le Pen (en bleu) se trouvent être, au 2e tour, des communes avec une participation plutôt faible, mais avec un vote pour Sarkozy plutôt fort. À l’inverse les communes “rouges” se trouvent être relativement plus participantes, mais votant plutôt faiblement pour Sarkozy.
Ce graphique considère que les communes sont toutes équivalentes : j’aurai pu — mais le devai-je — ajouter une quatrième variable, et faire varier la taille des points en fonction de la taille de la commune.

Carrières de députés

Il s’agit ici d’explorer un peu qui sont nos députés (et il s’agit de le faire aujourd’hui en accompagnement du congrès de l’AFSP). J’ai proposé à une collègue, Catherine Achin (qui avait commencé à le faire), de récupérer, sur le site de l’Assemblée nationale, des informations biographiques sur les 577 députés. Le site de l’A.N. est suffisamment bien fait pour que, avec le package XML, on puisse demander à R d’aspirer tout seul certaines informations. (Encore merci à François Guillem d’avoir mis en ligne son tutoriel et répondu à mes questions).
Professeure Achin ne s’intéressait pas seulement aux caractéristiques actuelles des députés, mais à leur carrière. Comment sont-ils arrivés où ils en sont aujourd’hui ? Car l’on devient député à un âge fort avancé : l’âge à la première élection réussie est de 46 ans en moyenne. Ils ont du faire autre chose avant, mais quoi donc ?
Plus de 95% des députés au moment de leur élection, avaient déjà été détenteurs d’un mandat local : ce sont visiblement des professionnels de la politique. Les 5% restants, qui n’indiquent pas, sur le site de l’assemblée nationale, avoir déjà été élus, sont en partie des petits cachottiers, comme Edwige Antier (élue dès 1977 en Nouvelle Calédonie, puis en 2001 à Paris). Dans les paragraphes qui suivent, je n’étudie pas le cumul des mandats, mais la présence, ou non, avant dans la carrière, d’autres mandats (qui sont peut-être terminés).

Voici les séquences de carrière les plus fréquentes
C-M-G-D (d’abord conseiller municipal, puis maire, puis conseiller général, puis député) : 58 députés
C-D : de conseiller municipal à député : 49 députés
C-M-D de conseiller municipal à maire, à député : 43 députés

Toutes les carrières ne se terminent pas par “D” (Députés), certains se lançant aussi dans des carrières locales après la députation. R, ici, signifie membre d’un conseil régional.

Ne se trouvent, dessous, que les successions de mandats les plus fréquentes, car avec les permutations possibles G-D-R-M et autres… il y a une centaine de séquences possibles

C-M-G-D	58
C-D     49
C-M-D   43
D       29
C-G-D	26
C-G-M-D	22
C-R-D	22
G-C-M-D	20
C-M-R-D	19
G-C-D	14
C-M-G-R-D 12
R-D	12
C-D-M	11
D-C-M	9
D-R	8

… etc…

Voici une autre représentation. Les députés (chaque ligne correspond à un°e député°e) sont classés en fonction de l’année de leur premier mandat électif. Nous n’étudions ici que les mandats municipaux (conseillers, ici M, et maires, ici MA). Les carrières “toutes vertes” (uniquement député) sont rares : ceux qui commencent députés acquièrent rapidement un mandat municipal. Un député, ici, finit “bleu” ou “marron” (il a, à un moment de sa carrière, un mandat municipal), et commence “jaune” ou “rouge” (conseiller municipal ou maire).

Une conclusion ? La carrière locale est toujours bien intéressante. Et les députés hostiles au cumul des mandats, quand un mandat local s’ouvre à eux, ne résistent pas souvent.

L’idée que j’avais au départ, avec toutes ces données, était de faire de l'”analyse de séquence” (pour en savoir encore plus il existe cet article par Laurent Lesnard et Thibaut de Saint Pol, Introduction aux méthodes d’appariement optimal (Optimal Matching Analysis). J’ai d’ailleurs utilisé, avec R, le package TraMineR. Mais cela n’a d’intérêt que pour un connaisseur de la vie politique française et, surtout, les données “brutes” extraites directement du site de l’A.N. nécessitent un nettoyage. Je reviendrai peut-être sur ces données un jour. [d’ici là, les voici deputes-20110831.zip]

Les âges de la vie

En 2006, la répartition par âge des titulaires du département de sociologie de l’université Paris 8 était celle-ci. 8 collègues étaient nés entre 1940 et 1944, et une seule après 1974.
ages-2006

En 2009 c’est celle-ci [attention, les échelles ne correspondent pas] :
ages-2009

Nous avons connu de nombreux départs à la retraite (de certains Vincennois historiques) et quelques personnes ont muté dans d’autres universités. Le résultat final des différentes stratégies individuelles de recrutement donne un rajeunissement du département.
A nuancer toutefois : en 2006 l’année de naissance médiane était 1955. L’année de naissance médiane, aujourd’hui, est 1960. La moitié des collègues (titulaires) a plus de cinquante ans et le département de sociologie possède donc une grande expérience cumulée.
(Si des collègues pouvaient m’envoyer des données similaires pour des départements comparables, comme Nantes, Lille, Lyon, Toulouse… on pourrait comparer.)

Les réseaux du CAC 40

Comment s’organise le capitalisme français ? Si l’on prend la composition des conseils d’administration des entreprises du CAC 40, trouverait-on… trouverait-on quoi ?
Comme je n’ai pas trouvé facilement de belle image sur internet, j’ai cherché la composition de ces conseils, je suis tombé sur des données datant de 2005 [Mise à jour : les données proviennent de l’Opesc, j’aurais du l’écrire tout de suite. Voir aussi la mise à jour en bas], et après nettoyage, mon vaillant R (et son mignon, le “package sna”) ont fait le reste. Voici ce que cela donne.
Chaque rond rouge est une personne (Bébéar, Fourtou…) et chaque losange bleu une compagnie du CAC 40 (Axa, Accor…). Un trait noir qui relie un point rouge à un losange bleu signifie que le point rouge est membre du CA (ou du CS) de cette compagnie.
C’est un petit monde…
cac40
téléchargez le graphe au format PDF

Un petit zoom :
cac40zoom
Si quelqu’un me trouve des données plus récentes, 2008 ou 2009, ça m’intéresse [j’ai bien peur d’avoir attrapé la grippe réticulaire et de vouloir tout transformer en réseau].
Note : Je n’ai pas eu le temps de faire les recherches bibliographiques, mais je sais que l’étude des liens croisés qui unissent les boards sont assez nombreuses. N’hésitez pas à les indiquer en commentaire…

Mise à jour : En visitant le site de l’Opesc je découvre aujourd’hui qu’un grand nombre de graphiques sont disponibles, dont le réseau des patrons en 2007. [Lors de ma précédente visite, je n’avais consulté que les annuaires.]

Structure sociale et prénoms à la mode

Dans “Les enfants de Michel et Martine Dupont s’appellent Nicolas et Céline”, de Guy Desplanques, (Economie et statistique, 1986, n°184, pp. 63-83) on trouve un fort beau graphique.
En s’appuyant sur l’Enquête Emploi de l’INSEE, Desplanques essaie de comprendre comment les prénoms à la mode circulent dans l’espace social.
Le graphique est reproduit ci-dessous (car une partie de mon travail, c’est aussi de la science froide, la reproduction de résultats déjà solides).

Prenons les 10 prénoms féminins les plus donnés entre 1965 et 1969 et regardons comment les différentes catégories socio-professionnelles les ont utilisés. Ce qui frappe tout d’abord, c’est que toutes les catégories semblent surfer sur la même vague. Mais une lecture en détail montre que les comportement sont légèrement différenciés dans le temps.
Vers 1950, 10% des bébés filles de cadres (la CSP n°3 dans la nomenclature à 6 postes) reçoivent un prénom qui sera à la mode (c’est à dire dans les 10 prénoms les plus fréquents) 15 ans plus tard. Les filles des artisans et professions intermédiaires (CSP n°2 et 4) sont environ 3% à recevoir de tels prénoms. Et ce n’est qu’en 1960 que les filles d’agriculteurs recevront à une telle fréquence (environ 10%) ces prénoms.

Rplot-enqueteemploi

Il arrive un moment, vers 1960, où ces “prénoms presque à la mode” qui étaient auparavant des “prénoms de cadres” deviennent plus fréquents parmi les filles de “professions intermédiaires” et celles des “indépendants” : l’engouement des cadres décélère… Peut-être parce que ces prénoms sont jugés trop peu distinctifs, les cadres commencent à abandonner ces prénoms quelques années avant les autres catégories socio-professionnelles.

Le graphique précédent offre une image instantanée… et peut-être que le comportement des cadres et des professions intermédiaires fut différent à d’autres moments. Peut-être que les prénoms à la mode entre 1965 et 1969 avaient ceci de spécifique qu’ils furent lancés par les cadres à la consommation de l’ensemble du corps social.

Nous sommes rassurés (enfin, je le suis) en regardant le graphique suivant. Nous avons pris ici les 10 prénoms féminins les plus fréquemment donnés entre 1960 et 1964 : les courbes évoluent de la même manière. Les cadres commencent à donner ces prénoms avant les autres catégories socio-professionnelles… et les abandonnent quand les “professions intermédiaires” les utilisent plus fréquemment qu’eux. Les agriculteurs, eux, continuent à donner ces prénoms après que les autres CSP ont commencé à ne plus les utiliser pour leurs filles.

Rplot-enqueteemploi60-64

On peut comparer plus systématiquement, par exemple entre 1900 et 1975. L’animation suivante est construite ainsi : pour chaque année entre 1900 et 1975, j’ai retenu les 20 prénoms les plus donnés aux filles et j’ai construit la courbe de la fréquence d’usage, par catégorie socio-professionnelle. Pour diverses raisons (codage des prénoms composés, effectifs faibles, problèmes liés à l’utilisation des CSP pour le début du XXe siècle…) je n’accorde pas trop de crédit aux courbes d’avant 1945. Mais pour l’après 45… : le phénomène repéré pour les années soixante fonctionne. Les cadres semblent “lancer” la mode.

[flashvideo file=”https://coulmont.com/blog/fichiers/2009/cspprenoms.flv” width=320 height=240 /]

[Note : j’ai réalisé cette animation trop rapidement : l’échelle des abscisses devrait commencer à 1900 et se terminer vers 1975, et une date “mouvante” devrait être présentée.]

Une question au moins se pose après ces graphiques : Entre 1945 et 1975, les décalages entre catégories sociales ne sont que de quelques années. Si l’on prend le seuil de 10% [i.e. la date à laquelle 10% des bébés filles d’une catégorie sociale reçoivent les prénoms à la mode considérés], on s’aperçoit que 10 ans environ séparent les cadres des agriculteurs… mais à peine deux ou trois ans séparent les cadres des professions intermédiaires. Sans information supplémentaire, deux explications sont possibles : 1- les cadres “lancent” une mode qui est ensuite reprise par d’autres catégories sociales… ou 2- la source des prénoms est ailleurs, elle est la même pour toutes les CSP, qui assimilent les prénoms plus ou moins rapidement, mais sans “imitation”. [L’explication n°2 est soutenue par l’américain Stanley Lieberson.]

Références : Guy Desplanques, “Les enfants de Michel et Martine Dupont s’appellent Nicolas et Céline”, (Economie et statistique, 1986, n°184, pp. 63-83)

Espace social

Les sociologues ont l’habitude de proposer des représentations synthétiques de la société, présentant souvent des analogies avec la cartographie. L’expression d’espace social vient renforcer ces représentations. Pyramides, “modèle du feu de camp”, échelles… positionnent les groupes sociaux relativement les uns aux autres, la proximité spatiale entre groupes — sur la feuille de papier — représentant une proximité sociale.
L’espace social le plus connu — des sociologues de ma génération — est sans doute l’espace bourdieusien, structuré autour de deux formes de capitaux, le capital culturel et le capital économique. Les analyses factorielles ponctuant — par exemple — Homo Academicus en sont l’illustration typique. Mais ces expressions savantes sont-elles celles des étudiants ?
L’un de mes collègues, Charles Soulié, a pris l’habitude de demander aux étudiants, en début d’année, de dessiner la société : “Si vous aviez à dessiner la société, quelle figure feriez-vous ? Pouvez-vous la dessiner, puis y placer votre famille ?” J’ai repris cette question avec enthousiasme cette année, pour une classe de première année de Licence de sociologie, à l’université Paris 8.
Dessiner la société
Le premier dessin est complexe. Il est expliqué ainsi par son dessinateur : “Au centre l’idée de nation, et, gravitant autour, les personnes qui vivent dans ce pays et ayant des interactions plus ou moins importantes”. La sociologie proposée est réticulaire, mais laisse une place à une “canopée” macrosociale, un horizon des valeurs (ici la nation, mais probablement sans aucune visée nationaliste). Granovetter + Luckmann/Berger.
Immédiatement à droite : plusieurs nuages… “La société est vaste et hétérogène” écrit son auteur. Aucun principe ne semble la structurer.
En dessous, le triangle découpé propose une description classique d’une société hiérarchisée, et, si l’on suppose que les aires sont proportionnelles à la population… l’idée que les classes ou milieux populaires sont plus nombreux que les élites. Comment l’auteur explicite son dessin : “La société est constituée de personnes intégrées et d’autres moins, de personnes “riches” [guillemets dans le texte] et d’autres moins. Les riches et très bien intégrés se situeraient en haut”… Plusieurs principes de structuration dans ce dessin… qui luttent pour entrer dans la pyramide.
Sous la pyramide, un arbre : “ses branches qui montent au ciel peuvent bien représenter les élites de notre société. Puis le tronc, la classe moyenne. Et enfin les racines que l’on entrevoit parfois, la classe ouvrière”.
Dernier dessin, en bas à gauche : “la société est composée de groupes d’individus, avec certains exclus”. Les exclus sont situés hors des frontières du nuage de point.
Cette cartographie sociale m’aide à saisir que les descriptions hiérarchiques et relationnelles entre groupes sociaux ou “professions et catégories socioprofessionnelles” sont peu connues… alors qu’elles me paraissent naturelles.

Ailleurs: Les Cartes mentales d’un professeur de lycée (géographie). Une Carte des grèves sur EspacesTemps.net. Dans la revue Mappemonde : Cartes mentales du bassin de Genève.
Mise à jour : un passage en revue des représentations graphique de l’espace social chez SOS S.E.S.