Il y avait, dans Le Monde, un article sur les “campus cinq étoiles” de certaines universités américaines. C’est assez simple de faire un article sur les Etats-Unis… c’est apparemment plus compliqué de faire un article sur une université française. En tout cas, l’université dans laquelle je travaille n’a pas encore eu les mêmes honneurs. Mais un journaliste de France 24 s’est déplacé French university professors decry a failing system et en français ici. Le directeur du département de philosophie y décrit les “trois salles de classe défraîchies, dont deux sans fenêtres” qui sont affectées à l’enseignement en philo.
Pour aider d’autres journalistes, voici un petit état des lieux.
Commençons par l’organisation de la scolarité : nous bénéficions, dans l’université où je travaille, depuis plus de deux ans, d’un logiciel, “apogée”. Ce logiciel ne fonctionne pas. Pas du tout. Et l’organisme qui a créé ce logiciel, l’AMUE, le rend obsolète en cherchant à en créer un autre. Du coup : l’AMUE n’assure plus le suivi technique, à ce que j’ai compris (ce qui inquiète certains présidents d’université).
Donc, pour me répéter, mais certains ont du mal à l’entendre, Apogée ne fonctionne pas du tout. Un “pré-audit”, plus de deux ans après l’installation, est en cours. Sur twitter, l’un des membres du cabinet de la Présidence me demande d’être juste : deux “groupes de travail” ont été créés. Reste que, au quotidien, rien ne marche. Mais soyons juste : deux groupes de travail ont été créés.
Voici un document, qui, sur onze pages, décrit les problèmes dans un seul département, le département de sociologie.
Etat des lieux “apogée”, département de sociologie, novembre 2012 [pdf]
• Des jurys paralysés, réduits à naviguer à vue et à éponger les erreurs
– Impossibilité de tenir le jury en février 2011.
– Jurys paralysés en juin et septembre 2011 : président et membres mobilisés plusieurs jours jusqu’à 21h ; diplômes délivrés contenant de nombreuses erreurs
– Nouvelle impossibilité de tenir le jury en février 2012 en raison d’une modélisation non terminée.
– Jury de juin 2012 paralysé : 25 licences délivrées manuellement ; aucun passage traité.
– 242 mails d’étudiants entre fin juillet et mi novembre 2012 identifiant chacun entre 1 et 6 erreurs, soit autour de 750 problèmes à traiter manuellement, par le secrétariat, les responsables de formation, de jury et la cellule Apogée.
– Jury de septembre 2012 paralysé : voir « Liste non exhaustive des problèmes Apogée » ; production d’attestations de passage manuscrites.
Une collègue, dans un autre département, s’est amusée à composer les “Œuvres complètes” d’apogée [pdf], à mettre bout à bout les mails reçus au sujet d’apogée. La lecture de ce document est aussi édifiante.
De fait se sont mis en place, dans toute l’université, des procédures parallèles à apogée, pour pouvoir assurer le suivi de la scolarité des étudiantes. C’est principalement en recourant à des “fichiers Excel” bricolés, département par département, que l’on arrive à travailler, c’est à dire — pour faire bref — pouvoir assurer à tel étudiant que oui (ou non) il est diplômé (ou ne l’est pas, pour telle ou telle raison).
Mais l’on me signale que deux groupes de travail ont été créés.
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Je ne sais pas s’il y a un groupe de travail sur les toilettes universitaires (j’attends que l’on me renseigne sur ce point). Peut-être bien que l’achat ou la location de locaux dans “Paris intra muros” pour héberger le quartier-général du PRES-Paris-Lumière pourrait être doté d’un ordre de priorité plus élevé (mais je fais ici du mauvais esprit).
Historiquement, et surtout à partir du XIXe siècle, l’accès aux toilettes publiques et semi-publiques a été perçu comme un moyen de favoriser ou de restreindre les mouvements de certaines populations. Les résistances à la construction de toilettes publiques pour les femmes dans l’Angleterre victorienne sont bien connues (Wilson 1991). Combinées avec la montée de l’hygiénisme (qui conduit à rendre délictueux d’uriner ou de déféquer dans l’espace public), l’absence de toilettes publiques visait à restreindre l’accès des femmes à ce même espace public (Kogan 2010).
L’accès des travailleurs à des sanitaires permettant le respect de leur dignité fut aussi au centre de luttes aujourd’hui oubliées. Un seul exemple, le transport des migrants au début du XXe sicècle (Douki 2011) : l’un des combats de mouvements de défense des migrants étaient que ces populations pauvres et migrantes puissent bénéficier de meilleures conditions de transport pendant leur long voyage en bateau vers l’Amérique; évidemment la question des toilettes décentes et nombreuses étaient déjà posée, comme un moyen élémentaire pour rendre le transport plus sûr (faire baisser les risques de contagion) et aussi pour « humaniser » les conditions de transport.
Se joue-t-il quelque chose du même ordre dans l’université dans laquelle je travaille ?
Aujourd’hui, malgré leur mobilisation, les ouvriers de la “cellule logistique”, du “service technique immobilier” ou de l’entretien ne peuvent plus assurer le bon fonctionnement de ces toilettes. Ils ne sont pas assez nombreux, et ils se retrouvent face à une situation qui dégénère plus vite qu’il n’est possible de l’améliorer.
Un exemple : le bidouillage de verrous (dans les toilettes du bâtiment C)
Une conséquence néfaste de cela, c’est la privatisation des toilettes. Un peu comme dans le monde capitaliste, où se déploient des modes privés d’appropriation du profit, la lutte des classes se déploie, dans mon université, autour de l’appropriation de l’hygiène (un bien commun, produit collectif, mais disponible pour certains seulement). Celles et ceux qui le peuvent installent donc des verrous, des panneaux, des interdits. [Ceci dit, l’appropriation de l’espace collectif semble être, localement, une forme ancienne : Gérard G*, “l’homme au slip”, monopolise une salle de cours à lui seul.]
Cette privatisation a pour effet de faire “refluer” les étudiants et étudiantes vers les quelques toilettes encore disponibles… qui se retrouvent sur-exploitées et qui ne peuvent visiblement pas gérer de tels “flux”.
Ces difficultés ne touchent pas que les toilettes en elles-mêmes : il semble que la surexploitation conduise à la destruction des plomberies-mêmes.
Nous recevions ainsi, le 1er octobre 2012, le mail suivant, adressé à “allp8”, qui indique la gravité de la situation :
Madame, Monsieur,
Suite à un incident technique sur les évacuations des sanitaires au bâtiment A (sous-sol), et afin de permettre une intervention rapide et dans de bonnes conditions d’hygiène, nous sommes dans l’obligation de fermer les toilettes du bâtiment A (plots B/C/D) pendant toute la journée du 2 octobre.
Les sanitaires qui restent en fonctionnement sont les suivants :
sanitaires côté Animathèque,
côté l’UFR Arts du rez-de-chaussée au 2ème,
les toilettes SPTE, Recherche,
les toilettes côté Arts Plastiques, MITSIC, ATI,
ainsi que le bâtiment G et L (amphi X/Y).
Merci de votre compréhension.
Le service technique immobilier
Cela conduit, parfois, à déboulonner les urinoirs, pour éviter qu’ils ne soient bouchés en permanence. Le principe (capitaliste?) “Pas de bras, pas de chocolat” s’appliquant ici à autre chose.
J’aimerais bien pouvoir écrire au CHSCT (le comité hygiène, sécurité et conditions de travail) de mon université, mais impossible de trouver, sur le site internet de l’université, sa composition ou son adresse.
Ces conditions de travail difficiles rendent d’autant plus agréable la collégialité: malgré l’absence de toilettes dignes, malgré l’absence de logiciel permettant d’organiser les études… il n’est pas désagréable d’y travailler.
Bibliographie :
Douki, Caroline. 2011. « Protection sociale et mobilité transatlantique : les migrants italiens au début du XXe siècle ». Annales. Histoire, Sciences Sociales 66(2):375-410.
Kogan, Terry S. 2010. « Sex Separation. The Cure-All for Victorian Social Anxiety ». P. 145-164 in Toilet. Public Restroom and the Politics of Sharing. New York (Etats-Unis): New York University Press.
Wilson, Elizabeth. 1991. The Sphinx in the City: Urban Life, The control of Disorder, and Women. Berkeley (Californie): University of California Press.