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Le goût de l’archive

Il y a plusieurs décennies, mon grand-père avait emprunté au curé de son village, ou au maire, quelques vieux registres où se trouvaient des Coulmont :

Ces registres sont probablement restés un moment sur son bureau, puis dans une armoire. Il en a extrait une page, qui contenait en effet un Coulmont, qu’il avait encadré. Pas besoin de les arracher : ces vieux registres étaient parfois en bien mauvais état.

Sur ces pages, des bouts de vie. Pas que des Coulmont, mais aussi des Poutrain, et bien d’autres… Des noms qui étaient probablement ceux de ses voisins ou de ses cousins.

La preuve qu’on était bien d’ici, et d’ici depuis longtemps, très longtemps. Il n’a jamais construit d’arbre généalogique. Peut-être parce que sa mère était née illégitime, et que, peut-être, ça se savait encore et qu’un arbre l’aurait bien indiqué. Que sa mère était la deuxième épouse de son père… Remonter à 1664, ça permettait de sauter par dessus l’histoire récente.

Ces registres, ainsi que la page encadrée qui prouvait l’ancienneté des Coulmont, leur droit à se dire d’ici, mon père en a hérité.

Il lui était difficile de s’en détacher : que faire de ces gros livres un peu encombrants, quand même. Des registres qui étaient juste les registres de son père, qui ne servaient plus à dire grand chose, depuis que, de déménagements en déménagements, l’ici avait changé, et que, si on avait un jour été de là-bas, ce là-bas était loin.

Mais fallait-il en hériter à mon tour ? Mon goût de l’archive est autre. J’ai le goût des Archives.

Or, le site des archives départementales indiquait quelques manques… Peut-être que le moment était venu que les Coulmont de mes registres rejoignent les Coulmont des autres registres.

[Photographies : Run]

Bingo

Du 4 au 7 juillet 2023 se tient à Lyon le 10ème Congrès de l’Association Française de Sociologie. La tenue de ce congrès donne l’occasion d’établir un bingo critique sur l’état de la sociologie académique. Aujourd’hui, ce qui se nomme sociologie dans l’université semble de plus en plus représenter un mode de production dont les normes et les valeurs représentent exactement ce bingo avec lequel la sociologie s’était pourtant historiquement constituée. L’un des principaux bingos épistémologiques à la pensée sociologique se nomme, aujourd’hui, sociologie sans bingo. Je destine ces analyses à toutes celles et tous ceux, étudiants, enseignants, lecteurs, se sentent en décalage avec les bingos de production qui dominent aujourd’hui l’appareil académique d’Etat et voudraient trouver des bingos pour refaire, enfin, de la sociologie.

[Et en 2019, et en 2017]

Victoire France

Le treize octobre mil neuf cent quinze, onze heures du matin, Louis Jardin, quarante quatre ans, Commissaire spécial de Police à la Gare de l’Est, demeurant 81 rue Madame, nous a déclaré qu’hier à huit heures cinquante cinq minutes du matin, un enfant du sexe féminin paraissant âgé de six semaines environ a été abandonné à la Gare de l’Est dans la salle des Pas Perdus et qu’il a été dressé par lui de cet abandon le procès verbal dont la teneur suit :

L’an mil neuf cent quinze le douze octobre à neuf heures quarantes minutes du matin. Devant nous, Louis Jardin commissaire spécial de Police plus spécialement chargé de la Gare de l’Est, officier de police judiciaire auxciliaire de Monsieur e Procureur de la République, s’est présentée Mademoiselle Nébout Alice, âgée de vingt sept ans, sténographe, demeurant 144 route de Saint-Leu à Montmorency, Seine et Oise, qui, pressée de prendre le train, nous a fait verbalement la déclaration suivante et en présence du Gardien de la Paix Vallée Georges 28 ans, du dixième arrondissement:

Ce matin j’étais assise sur un banc dans la salle des Pas Perdus de la Gare de l’Est et à côté de moi se trouvait une dame paraissant âgée de 22 à 25 ans, brune, teint coloré et vêtue de deuil, portant un bébé dans ses bras. Un moment donné, cet enfant s’étant mis à crier, je dis à cette dame

Votre bébé doit avoir faim

Elle répondit négativement en ajoutant que son lait était aigre et en me priant de lui garder son enfant le temps strictement nécessaire pour aller chercher du lait. Ayant acquiescé à sa demande, elle m’a remis son enfant, lui laissant sa tétine dans la bouche, puis emportant la bouteille elle disparut. Il était à ce moment là 8h55. Or à 9h45 étant obligée de partir pour prendre mon train et ne voyant pas revenir cette dame, j’ai cru comprendre que cette dernière avait eu recours à ce subterfuge dans le but de se débarrasser de son enfant. J’en ai avisé le gardien de la paix ici présent et lui confiant cet enfant, je l’ai prié de le porter à votre commissariat.

Je regrette de ne pouvoir vous donner d’autres détails sur cette mauvaise mère que je ne connais d’ailleurs pas et avec laquelle je n’ai échangé aucune conversation autre que ce que je viens de vous dire.
Signé: Jardin.

De même suite sommes mis en présence d’un enfant de sexe féminin, paraissant âgé de un mois à six semaines, vêtu chemise, une brassière rose et blanc, un linge, une couche, le tout sans marque. il était enveloppé dans un fichu de laine noire dans lequel il a été trouvé un ticket de Métropolitain (2e classe, aller et retour, pris à la station du Père-Lachaise)
Signé: Jardin.

En raison des soins qu’exige le jeune âge de cet enfant, nous l’avons fait conduire immédiatement à l’hospice des enfants assistés, 14 rue Denfert-Rochereau, par Mme Ragot, infirmière, attachée à la Cantine Militaire de la Gare de l’Est, avec un rapport pour le Directeur de cet Etablissement, signé Jardin.

De tout quoi nous avons dressé le présent pour être transmis à Monsieur le Maire du 10e arrondissement aux fins la rédaction de l’acte d’état civil. Clos à Paris les jours mois et heure que dessus. Le commissaire spécial de Police, adjoint à la Gare de l’Est. Signé : Jardin

Nous avons donné à cet enfant les noms de Victoire France.

En présence de Georges Vallée, gardin de la paix, 7 Boulevard de Calais et de Félix Muret, 72 faubourg Saint Martin.

Sources : Archives de Paris, État civil, Actes de naissance, 10e arrondissement, 1915, 10N428, acte n°3344, 13 octobre 1915 en ligne (vue 6)

[Illustrations : DALLE2]

mise à jour : Victoire France décède le 4 janvier 1916 à Chatillon.

Un petit rapport sur les prénoms (2022)

L’Insee publie maintenant en accès libre, chaque année en juin ou juillet, un « Fichier des prénoms » donnant, depuis 1900, le nombre de bébés ayant reçu tel ou tel prénom. Voici donc un petit rapport sur les prénoms (2022, pdf) à télécharger…

…Ou alors à générer vous-même, à partir du code source publié sur github : le document pdf (texte et graphique) est créé avec le logiciel R.

La question privée

L’Annuaire de l’éducation, ce sont des informations sur près de 70 000 établissements scolaires et administrations diverses de l’Éducation nationale. Il est en ligne sur data.gouv.fr.
Les établissements sont géolocalisés, et on dispose de leur statut (public, privé) et du nombre d’élèves.
On peut alors tracer assez rapidement une carte, comme celle-ci :

Les proportions ne doivent pas être totalement fausses : on retrouve bien la géographie connue de l’implantation des écoles privées en France.

Les établissements scolaires ont un nom, et ces noms varient en fonction du statut.

Le tout a été réalisé avec R, et le code est sur github : 2021-annuaire-education-github.R (parce que science ouverte, données libres, partage de code).

11 septembre, 20 ans

in memoriamCette vue de Wooster St. a été prise depuis l’appartement 6K, du 3, Washington Sq. Village où j’ai passé quelques années passionnantes. La photo avait été prise quelques mois avant le 11 septembre 2001, c’était la vue depuis ma chambre et mon salon. Une bien belle vue, dans un très joli quartier. J’y suis repassé il y a quelques années déjà : le quartier s’est — encore plus — enrichi, Soho — la rue qu’on voit partir vers le sud — qui gardait un peu de boue et de graisse en 2000 (quand on cherchait bien) n’en a plus du tout.

La nuit, ça donnait ça : au premier plan, des tours dessinées par Ieoh Ming Pei et James Ingo Freed (de beaux espaces intérieurs, un peu moins jolies à contempler de l’extérieur), et à l’arrière plan le World Trade Center.

Il y a dix ans, j’avais écrit ceci : Mon 11 septembre. Et comme ce blog n’est que rarement consacré à l’introspection, je n’ai pas grand chose de plus à dire. J’ai quand même l’impression qu’il y a eu un avant et un après.

La spirale de Du Bois

Dans un cours de visualisation des données (une introduction à {ggplot}), j’ai rapidement présenté quelques graphiques réalisés par le sociologue W.E.B Du Bois pour l’exposition universelle de Paris en 1900. Si vous ne connaissez pas ces graphiques et le contexte de leur création, regardez cette série d’articles : W. E. B. Du Bois’ staggering Data Visualizations are as powerful today as they were in 1900.
Une étudiante m’a demandé s’il était facile de reproduire ces graphiques avec R. On trouve des réplications de ces graphiques réalisées avec R :

Mais je n’ai pas trouvé de réplication de ce graphique :


Daniel Murray collection (Library of Congress).

Alors je me suis mis au travail, et voici le résultat :

(J’ai déposé le code sur github)

Une lente décroissance

Le graphique suivant est une manière de représenter la première vague de décès de la covid19.

Certains pays ont atteint et dépassé un pic de décès. Mais il semble bien que la décroissance soit plus lente que l’augmentation. On peut le voir pout l’Italie, l’Espagne, la France… La courbe n’est pas symétrique.

Cela se voit moins quand on trace tous les pays sur le même graphique.

Je me suis donc amusé à centrer et réduire les vagues. C’est à dire à les aligner sur un maximum de 1 (la courbe atteint la valeur 1 le jour du maximum de décès) :

Et à caler toutes les courbes sur le jour du maximum, pour les synchroniser :

Si on trace ensuite la courbe moyenne, on peut remarquer qu’en effet (quand on considère que chaque pays a le même poids), la décroissance est plus lente que la croissance :

Et en vidéo, ça donne ceci :

Dataconfinement (1) : la chute

Confinement ou pas, les différents compteurs, de voitures, de vélos, d’avion, de gigaoctets, et les différents capteurs (de pollution), continuent de compter et de capter (quand ils ne tombent pas en panne). Parfois des groupes organisent la mise en ligne des comptages (comme le font les animateurs de l’OpenSky Network. À partir de ces comptages, on peut repérer la diminution importante du nombre d’avions décollant ou atterrissant dans les aéroports de la métropole :
 

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Si on s’intéresse à son bilan carbon et aux vélos, moins polluants, on trouvera sur OpenData Paris les résultats des sites de comptage de vélo, mis à jour quotidiennement, apparemment de manière automatique :
 

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On voit que le trafic vélo était important en janvier, moment de grève à la RATP et à la SNCF contre la réforme des retraites. On peut constater la sévérité du confinement, qui réduit à presque rien la circulation à deux roues. Une légère tendance à la hausse s’observe entre fin mars et fin avril.

 

Les voitures (et les camions, les bus…) sont comptées elles aussi. Mais le fichier n’est mis à jour que mensuellement. Le graphique ci-dessous (que je mettrai peut-être à jour plus tard) s’arrête donc début avril [Il est maintenant mis à jour]. Là aussi l’ordre de confinement a fait chuter la circulation motorisée, à Paris : le maximum du trafic routier de jour n’atteint pas le minimum du trafic de nuit.
 

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Il en va de même pour le volume des données échangées sur le réseau wifi public de Paris. Sans pouvoir se rendre en bibliothèque ou dans un lieu public municipal, ce réseau est inaccessible (sauf aux personnes qui habitent juste à côté de la bibliothèque et qui peuvent se connecter). Là aussi, le fichier est mis à jour mensuellement. On ne repère donc ici que les débuts du confinement. [Mis à jour : on a maintenant les données jusqu’à début mai 2020]
 


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Tout ça a-t-il fait chuter la pollution ? Moins que ce que je pensais. Les capteurs d’AirParif (le réseau de surveillance de la pollution en Ile de France) continuent de sniffer du NOX :
 

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Le bingo de l’AFS (édition 2019)

Vous ne voulez pas vous ennuyer pendant une communication sur les assistantes-sociales nancéennes parachutistes et unijambistes (Nadia, 24 ans) filles de cadres ? Alors il y a le bingo de l’AFS.

Alors voilà, j’ai commencé le parachutisme après ma rupture. La rupture du tendon dont je t’ai parlé, pas la rupture avec Tom, ça c’était avant. Je pense que c’est en partie parce que mon grand-père était parachutiste, mais dans l’armée. Il a aussi perdu un pied, et son boulot après ça, mais ça l’a pas empêché. (Nadia, 24 ans)

Comme le souligne Nadia avec ses mots, son habitus familial (Bourdieu 1980 ; Lahire 2000 ; Passeron et Bourdieu 1964) a poussé sa socialisation (Darmon 2000) vers les activités physiques, comme un moyen de lutter contre le déclassement (Peugny 2008, Peugny 2009, Peugny 2010, Peugny 2011, Peugny 2012 et… Peugny 2018) .


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