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Tenir le haut de l’affiche : les données

La Revue française de sociologie vient de publier mon article « Tenir le haut de l’affiche: analyse structurale des prétentions au charisme ».
L’article repose sur l’analyse statistique de 200 affiches pour des événements religieux organisés par des églises évangéliques liées aux migrations africaines (églises noires, ou “d’expression africaine”, ou “africaines”), en banlieue parisienne. [résumé de l’article]

Je mets à disposition des personnes intéressées les documents sur lesquels je me suis appuyé (et même un peu plus) dans cette collection d’environ 220 affiches dont celle-ci :
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Par ailleurs l’article avait été préparé par des réflexions intermédiaires, publiées sur ce blog, où j’indique comment savoir quand s’arrêter, et où je parle des acteurs importants, des réseaux aléatoires, de la statistique, des jeux d’échelles, des cartes, et une description des affiches (et une description des dispositifs anti-affichage).
L’on trouve aussi sur hal-shs une version un peu ancienne de mes réflexions : Capitals and networks : a sociology of Paris’ black churches (en anglais plein de fautes).

Comme vous pourrez le constater donc, cet article est le fruit d’une slow science. J’ai mis un peu plus de trois ans à rassembler le matériel qui a servi de base à l’article, patiemment, semaine après semaine : aucun corpus n’existait, il a fallu le constituer. Et ensuite il a fallu passer des heures à coder les affiches pour les faire “entrer” dans une base de données. Ah comme je jalouse les sociologues-en-chambre, qui n’ont comme seul corpus que leurs états d’âme (ce qui leur permet parfois de “produire”, bon an, mal an, un livre régulièrement).
L’article lui-même a mis deux ans à émerger : il fallait, pour le rédiger, me familiariser avec les outils de la sociologie des réseaux et avec l’ethnographie du pentecôtisme des migrants africains, deux choses que je ne connaissais pas. Et ici je jalouse les belles plumes de certains sociologues-en-chambre…
Le tout a donc pris cinq ans, c’est dire combien je suis heureux de cette publication.
Cette recherche fut, pendant ces cinq années, mon “travail à côté” : mes recherches principales étaient consacrées à la socio-histoire de la pornographie d’un côté et à la sociologie des prénoms (et aux changements de prénoms) de l’autre. J’ai apprécié l’absence d’intersection entre ces trois thèmes, qui rend difficile l’importation paresseuse de schèmes explicatifs (car il faut alors travailler à l’importation). J’ai apprécié la liberté qu’offrait le caractère marginal et non financé de cette recherche, y compris dans l’emploi de mon temps : recherche non financée, qui ne faisait l’objet d’aucune obligation institutionnelle, son rythme n’était dicté que par les possibilités de découverte. S’il n’y avait rien eu à découvrir, je n’aurai rien écrit.

De quels prénoms le vôtre est proche ?

Le mini-site coulmont.com/bac/ a été mis à jour, avec les données de 2012 et de 2013. Il comporte deux parties pour l’instant distinctes :

  1. un formulaire qui permet de dresser la liste des prénoms qui ont le même profil de résultats au bac : la base comporte 1186 prénoms différents
  2. un “nuage des prénoms” construit avec la proportion de mentions “très bien” en abscisses, les effectifs en ordonnées. Il est possible de sélectionner le nuage correspondant au bac 2013 ou le nuage correspondant au bac 2012

Les deux parties permettent de repérer des proximités entre prénoms, soit par un parcours dans le nuage, soit au moyen d’un formulaire… Allez vérifier sur coulmont.com/bac/.

Ce “mini site” est une “soupe” de techniques différentes : du simple css+html (Bootstrap), du php, du javascript (d3.js et “google charts”). J’ai l’impression que cela peut exploser à n’importe quel moment… et j’ai atteint ici mes limites de programmeur.

Homologie structurale

La collection Que Sais-je? ressemble parfois aux couvertures du Point, ou à celle de l’Express

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La lutte des graffs

Depuis quelques temps, un artiste multiplie ces dessins :

(voir aussi ici)
et il décline ces dessins en pendentifs et t-shirt (le « street-art » n’est pas directement rentable, mais il est rentabilisable).
Ces dessins sont devenus l’objet d’une lutte, non pas des services de nettoyage de la ville de Paris — qui, j’imagine, n’apprécient pas trop les graffitis — mais d’un groupe de riposte féministe :

[cette] imagerie […] nous semble dangereuse car sacralisant l’image du fœtus. Son dessin confond très clairement fœtus et bébé («areuuh», vraiment ?) et le discours qui accompagne son œuvre semble présenter le fœtus comme symbole qui dépasserait la question du choix des femmes

Ce groupe utilise donc les foetus-de-trottoir comme support matériel de leurs revendications :

Une cartographie des foetus est disponible, qui vous permet de trouver votre foetus à graffiter (c’est le côté “open-data” du féminisme 2.0)
J’appelle ça la lutte des graffs.

Les combinaisons du cœur

Le style télégraphique des annonces matrimoniales publiées par le Chasseur français à la fin des années quarante ouvre la porte d’un monde perdu.

François de Singly, dans un texte célèbre Les manœuvres de séduction (RFS, 1983), avait analysé un corpus de 645 annonces (datant de la fin des années 1970).
Un autre article, que je ne connais pas “Images de la femme et du mari, les annonces de mariage du Chasseur français (RHMC, 1980).

Et sur internet : ilovebanco (avec quelques pages scannées); ici aussi; des annonces de 1924

Prendre une veste

Si je continue à passer à la télé, il va falloir acheter une autre veste :

(Penser aussi à élargir la palette de couleur des chemises)

À Amiens aussi, on a nos prophètes

Joël Gombin m’indique aujourd’hui sur twitter que les églises évangéliques “africaines” se trouvent aussi à Amiens. Il en veut pour preuve l’affiche suivante :

Affiche qui ne dépareillerait pas à Paris : on y retrouve les mêmes ingrédients (hommes en costumes, micro, “conférence”, mention d’une divinité…).
Mais que vont-ils faire à Amiens, ces pasteurs ? La population de cette ville de 130 000 habitants est-elle suffisante pour faire vivre une église à la fois protestante et en lien avec les migrations congolaises ou ivoiriennes ?
L’affiche qu’a trouvée Joël n’est pas isolée. Des tentatives d’installation ont même lieu dans des villes beaucoup plus petites. Noyon, 14 000 habitants, a vu l’arrivée de l’Eglise évangélique “Jésus-Christ le Rédempteur” l’année dernière.

Si les églises “africaines” sont surtout concentrées en banlieue nord de Paris (comme on peut le constater en lisant la thèse de Frédéric Dejean ou sur mon blog), l’expansion vers le Nord est rapide. Peut-être parce que l’immigration africaine, elle aussi, s’est déployée vers le Nord et que l’offre suit la demande. Peut-être aussi parce que la concurrence entre pasteurs-prophètes est tellement forte en région parisienne que le salut, pour un entrepreneur, se trouve là où elle est moins forte, voire inexistante : l’offre précède la demande. Peut-être enfin que s’installer entre Paris et Bruxelles (deux pôles importants pour ces églises) est associé à quelques avantages “transnationaux” (s’associer, par exemple, comme dans l’affiche d’Amiens, à des pasteurs parisiens d’un côté, bruxellois de l’autre).

Quartier d’artistes anonymes, suite

J’habite un quartier d’artistes anonymes, qui n’ont peut-être pas assez d’argent pour s’acheter des toiles. Elles dessinent donc sur les murs. Dans d’autres quartiers, ce sont des spermatozoïdes qui avaient envahi l’espace public. Ils ne sont pas arrivés jusqu’ici, peut-être effrayés par le Angry Cupcake qui attend à côté de l’arrêt du bus 60.
Un groupe anonyme colle des poissons, des mollusques et des cnidaires dans la rue de la Villette. Ils étaient probablement plusieurs, car de grands murs ont été couverts de petits poissons.

Mais l’artiste la plus persistante est sans doute l’auteure des graffitis au pochoir que vous trouverez ci-dessous. Persistante, car elle en produit de nouveaux presque chaque semaine. [Voir aussi ici]. Un message semble se dessiner au fur et à mesure que les pochoirs s’accumulent.
Quel message ? Elle cite le Rimbaud du Bal des pendus, elle a donc des lettres, même si Mallarmé eût été de meilleur goût. Rimbaud, c’est sans doute pour le côté rrrrrebelle. Ou alors la citation est un clin d’oeil : “Hop, qu’on ne sache plus si c’est bataille ou danse”, qu’on ne sache plus si les revendications sont sérieuses ou malicieuses.

Le thème central semble être l’autonomie sexuelle. Ni Dieu ni mec d’un côté. Un mec dans mon pieu, pas dans ma peau, de l’autre. L’un des graffitus (graffitum ?) a d’ailleurs été commenté par un homme (mâle) signifiant, assez violemment, son opposition, message qui a, en retour, été biffé par l’auteure [non photographié].

L’autonomie sexuelle s’affirme aussi dans un langage cru et direct : on croirait lire du Marie-Hélène Bourcier ou du Beatriz Preciado. “Il pleut, elles mouillent, faudrait pas que ça rouille”, “14 juillet dans ta chatte” ou “Hiroshima dans ta [image de Felis silvestris catus]”

A cela s’ajoute des messages inspirés peut-être du “développement personnel” ou d’une forme de “coaching”. Il s’agit ici d’exprimer son bonheur (“Parfois, je suis tellement heureuse que je pourrai mourir sur le champ”, “Love you” ou “You make me dance” — on sait donc que c’est danse, et non pas bataille), ou de donner des conseils face à une rupture amoureuse (“Prends de la hauteur”).

Est-elle végétarienne ? Un poulet d’élevage, mort, nous signifie “J’ai fait de la batterie”. Ou alors, peut-être bien, n’apprécie-t-elle pas les batteurs (leur préférant les bassistes ?).

Récemment, un (une?) nouvel-le artiste oooh-tellement-subversif a fait son apparition. J.G. colle des affiches représentant un sexe féminin, avec le message suivant “Regardez-moi dans les yeux” (lien vers une photo de l’affiche : Cliquez (NSFW)). J’avoue ne pas encore comprendre le message (qui reprend un slogan publicitaire) ni l’affiche (qui ressemble à une vieille publicité Benetton). L’auteur, à la différence des artistes anonymes du quartier, appose des initiales à son oeuvre. La démarche est peut-être différente.

Identification et exposition

Les graffitis sont partiellement en voie de patrimonialisation. On pourrait transformer une série d’anecdotes en corpus : 1- Des livres racontent les grandes heures des graffiteurs d’y il a trente ans. 2- Certains revendiquent pour leurs oeuvres l’étiquette de street art, et si c’est de l’art, c’est pour les musées. 3- De rares personnes accèdent au statut de “grand”, d’autres restent encore anonymes.
Mais parfois les dessins faits sur les murs peuvent dorénavant être attachés à des noms : les taggueurs avaient une signature, ils ont maintenant un corps, susceptible d’identification.
Or les instances d’identification, dans le monde contemporain, sont en concurrence, parfois. Les unes parient sur l’unicité, support de la grandeur géniale :

To the Los Angeles Museum of Contemporary Art, Revok is a renowned artist whose bright, sprawling work is worthy of display in its latest exhibit.

Les autres parient sur l’identité, qui permet de rattacher un corps à une trace :

To the Los Angeles County Sheriff’s Department, Revok is Jason Williams, also known as inmate No. 2714221.

Un article récent du Wall Street Journal s’amuse à poursuivre la concurrence entre musées et polices. Les premiers, en arrachant les tags de l’anonymat, participent à l’identification d’artistes… qui sont encore, dans l’état actuel des choses, soumis aux formes disciplinaires propres à la police.

“This is really the first time in the history of law enforcement that we’re making significant gains on identifying who the [graffiti] taggers are, and building a case against them,” says Lt. Vince Carter, who heads the sheriff’s graffiti unit. “We’re in this war against graffiti and we’re doing everything to stop it.”
In years past, authorities usually didn’t go out of their way to prosecute the artists, most of whom use pseudonyms to protect their identities.
Now, law-enforcement officials in major cities around the country are sharing information, creating catalogs of graffiti work by artist.

La joie policière : réussir à identifier les taggueurs. La joie muséale : réussir une belle exposition de taggueurs (mais juste des “meilleurs”, ceux dont le nom est remarquable). Il semble donc bien que le chemin vers l’état de “grand” passe désormais par la case prison (au sens du monopoly aussi, avec des amendes forfaitaires). Oh ! ironie que cette validation institutionnelle du charisme…
P.S. : si vous pouviez m’aider à identifier les artistes du coin, je vous serais reconnaissant.

La variété des productions culturelles

Deux fois par semaine, je fais le tour du quartier Château Rouge, juste au Nord de Barbès, pour y recueillir les affiches des églises évangéliques et pentecôtistes “noires” ou “africaines”. L’affichage sauvage est répandu dans quelques rues, autour de la station de métro. Les afficheurs se livrent à une concurrence permanente pour l’espace des murs aveugles et des barrières de chantier (d’autres gestionnaires d’espace s’y opposent). On voit, sur la photo ci-contre, un “Messager de Dieu” dire “Sans toi, je ne suis rien” mais aussi une affiche politique “Kabila dégage”, ainsi qu’une comédie, “Le string qui tue“.
Mais aujourd’hui, j’ai aussi trouvé l’indice d’une production culturelle moins légitime :
Il s’agit de publicité pour un film pornographique qui propose des scènes “dans des arbres”, et qui n’a rien à envier aux couvertures de “Hot Vidéo” qui parsèment les vitrines des vendeurs de journaux. Le messager de Dieu aura fort à faire pour lutter contre le messager de la luxure.
Je ne connais pas de travaux ethnographiques portant sur la pornographie “africaine” (ses marchés, ses modes de diffusion, ses formes de “captation” de ce que les vidéastes pensent être les fantasmes rentables…). Il semble cependant, d’après divers indices, que certaines formes de régulation par les “bonnes moeurs” ne fonctionnent plus très bien. J’avais été en contact avec des personnes cherchant à ouvrir des sex-shops en Afrique. Dans un site consacré au Cameroun, on peut lire qu’après une descente de police, les DVD reviennent à Youndé… Et, récemment, dans les Inrockuptibles un petit article donnaient quelques informations.
Sur l’affiche de Château-Rouge, aucun lieu de vente précis n’est indiqué. Juste “Château Rouge” : les petits revendeurs à la sauvette, qui proposent, sur des étals en carton, de fausses montres, des légumes exotiques ou des DVD, doivent parfois proposer ce genre de DVD.