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Quartier d’artistes anonymes


On se doute bien que, maintenant, les tagueurs ont les cheveux blancs : dessiner à la bombe sur les murs est devenue une activité du troisième âge (enfin… pour ceux qu’une vie de débauche et de refus de l’ordre public n’a pas conduit à une mort avant l’heure). Certains peuvent même avoir suivi des cours de typographie, et je soupçonne l’auteur de ce « 777 », rue de Palestine à Paris, d’avoir réfléchi au crénage et à la ligature.
Il y a eu, dans la même rue, un incendie de scooter, qui a brûlé la façade d’un immeuble, la transformant en surface cloquée et boursoufflée.
 
Cela fait plusieurs mois que l’incendie a eu lieu, et, ce matin, je me suis aperçu qu’un (ou une) peintre s’était servi(e) des phlyctènes éclatées pour y placer quelque pigment outremer, azur ou indigo. L’effet produit est intéressant, probablement parce qu’il s’appuie sur le hasard de la répartition des cratères, et parce que le bleu est sinon absent de la façade (gris-jaune ou beige).

À quelques pas de là se trouve un dispositif anti-urination classique, une sorte de grille en métal visant à empêcher les hommes de s’approcher trop près du recoin. Un petit malin (je pense que c’est un petit malin) s’est servi du mur pour y apposer un manneken pis de sa composition : une variation sur les figurines performatives, qui nous incitent quotidiennement à « traverser », à « stopper », à « entrer dans les toilettes si vous disposez du sexe adéquat », à « avertir son voisin de colis suspects » où à dénoncer à la police les enfants des immigrés clandestins. La figurine d’ordre, ici, se soulage. Il fallait bien qu’elle ait une face obscure.

Que faire ?

… ça dépend…

… et si on jouait ?
[Hommage “arty” au collimateur]

Sociologie statistique de la religion

Après avoir, depuis deux ans et demi, recueilli quelques 150 affiches différentes présentant des “Grandes croisades” évangéliques organisées par des pasteurs noirs, en région parisienne, me voici avec une base de données amusante à manipuler.
Les personnes photographiées ou mentionnées sur les affiches revendiquent des titres (“pasteur”, “bishop”, “maman”…). Ces titres sont associés à des caractéristiques qui ne sont pas aléatoirement distribuées : les femmes, par exemple, sont plus souvent “invisibles” (mentionnées mais pas photographiées). Certains titres sont associés de manière intense avec “tenir une bible dans la main” ou avec “tenir un micro”.
J’ai en tête que ces représentations peuvent, indirectement, être liées à une hiérarchisation interne du monde des “églises africaines”.
Une petite “analyse par clusters” donne ceci :

Apparemment, les détenteurs (et détentrices) d’un titre indiquant une position cléricale (de “évangéliste” à “pasteur”) sont relativement proches entre eux. Un groupe féminin et laïque (maman… servante) se différencie du premier. J’avais cru voir, sur les affiches, les “mamans” en position dominante (mais il s’avère qu’elles sont moins souvent visibles, qu’elles n’ont ni bible, ni micro)…

Et une analyse en composante principale donnerait ceci :

J’ai bien envie de conclure que ces affiches permettent assez bien de comprendre certains des principes de hiérarchisation d’un monde, celui des églises évangéliques et pentecôtistes dirigées par des pasteurs noirs, qui se présente avant tout comme un monde de petits entrepreneurs religieux individuels.

Barricades ?

Paris 8 bruisse en ce moment d’un mouvement social. Et, en entrant dans la salle des enseignants du département de sociologie [nous n’avons aucun bureau, l’université n’a pas prévu que les chercheurs et enseignants puissent y travailler] j’ai cru qu’une barricade avait été dressée à l’intérieur.
Mais en fait, non.

Il apparaît que les services dédiés à la peinture ont décidé d’utiliser la semaine de la rentrée pour repeindre la salle des enseignants, plutôt que de le faire pendant les congés. Et, pour repeindre, ils ont mis tous les meubles au milieu, et les ont protégés d’une feuille plastique. Très bonne idée.
Pendant ce temps là, la fenêtre de la salle C224 est toujours cassée (depuis janvier, elle ne ferme pas, et n’a pas été réparée malgré les demandes). Et seul un quart des lampes fonctionnent en B232 (ceux qui y font cours, le soir, le font dans la pénombre, accentuée par les murs gris et taggés qui seront repeints… un jour). Il n’y a plus de serviettes dans les toilettes du bâtiment B (puisque la grippe est passée, il n’y a plus à être propre, apparemment).

Et puisque nous parlons de Paris 8 et de ses toilettes dégoûtantes : voici un texte ethnographique sur les toilettes des colocations étudiantes en France (en anglais).

Et quelques liens dans le désordre :

Les territoires de la délivrance, la thèse de Sarah Demart sur les églises pentecôtises congolaises en Belgique et en France (et au Congo)… est en ligne. C’est une thèse touffue.

Tout le monde aime les daltoniens (disponible en t-shirt).

Mon 11 septembre


Il y a de beaux récits personnels répondant à la question que faisiez-vous ce jour-là. Je ne sais pas trop écrire ainsi.
Mais le 11 septembre, j’ai écrit. Voici le contexte. L’image ci-dessus est une photographie prise en 2000 du salon de l’appartement que j’occupais alors à New York, ayant pris la succession de Muriel D., avant que n’arrive, pour m’y succéder, Pascaline D.. Si ça se trouve, Romain L. est aussi dans le même appartement.
Le 11, parce qu’il faisait beau et que je n’enseignais pas, je suis parti lire de vieux papiers aux archives de l’Eglise méthodiste unie, dans le New Jersey.

Voici ce que, le lendemain, j’écrivis dans un mail collectif largement destiné aux connaissances les plus variées qui pouvaient se poser des questions sur ma survie éventuelle. D’où le style, plus matter of fact qu’émotif :

(…) Hier, comme je n’enseignais pas, je suis allé travailler aux archives de l’United methodist Church, à Drew University, Madison, dans le New Jersey, et c’est à 50 km de NY environ. Levé à 6h30, train à 7h40 à Penn Station, et arrivée à 8h45 à Madison. C’est vers 9h30 qu’une des responsables des archives est venu prévenir tout le monde (j’étais le seul chercheur présent). A 10h, tout le monde est monté au premier étage car on venait d’apprendre qu’une tour s’était effondrée.
Il est assez vite apparu que je ne pourrais pas rentrer à NY, car tout était
bloqué, et impossible de pénétrer dans Manhattan. J’ai essayé de continuer à travailler, sans grand succès, passant mon temps sur nyt.com et yahoo.com (yahoo a toujours bien fonctionné, tout au long de la crise). Bien sur, les téléphones vers NY ou vers la France étaient tres problématiques, mais le mail a toujours fonctionné.
Drew University, à l’origine un college de théologie qui s’est agrandi, a
très vite organisé des groupes de prière et un service d’aide psychologique. (…)

Mes mails, le 11 septembre, étaient encore plus secs.


----- Original Message -----
From: Baptiste Coulmont
To: christian.b***@ens.fr
Cc: olivier.g***@ens.fr
Sent: Tuesday, September 11, 2001
Subject: tout va bien

Bonjour,

J'etais dans le New Jersey ce matin, donc tout va bien de mon cote.
Je risque de rester coince cette nuit, mais ce n'est rien de grave.

Baptiste Coulmont

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Baptiste Coulmont - bc4@nyu.edu
http://homepages.nyu.edu/~bc4
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J’étais coincé pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’avais l’habitude de toujours sortir sans carte bancaire (l’idée de la perdre et de devoir faire opposition m’inquiétait trop). Et parce que je ne sortais qu’avec une trentaine de dollars, de quoi faire l’aller-retour, et manger. Pas de quoi payer une nuit d’hotel. Ensuite parce que les trains vers New York avaient été tous stoppés.
J’ai été hébergé par l’une des employées des archives, qui, je me souviens, prenait le soir un verre de vin, de préférence du rouge. C’est peut-être de là que date une habitude que j’ai aussi prise. Attaque terroriste ou pas.

Aaaargh ! Helvetica !

À la station Ménilmontant, l’autre jour, un panneau de signalisation, au lieu de contenir l’habituel Parisine, était rédigé dans un sans-serif familier.

Le fabricant du panneau, au moins, n’a pas utilisé Arial. Ni, ouf !, Comic Sans. On trouve, ailleurs sur internet, un autre match Parisine vs. Helvetica.
Si vous voulez savoir comment cette erreur a pu arriver et combien de points cette erreur va coûter au directeur de la station, vous pouvez lire la Petite sociologie de la signalétique de J. Denis et D. Pontille.

Public sex, vandalisme, nus, émeutes, concours…

Quelques liens, quelques photos, quelques images, quelques mots.
 

  • En haut des Buttes :

    [Graffiti inscrit sur les murs du Belvédère de Sybil]
    Il était intéressant d’observer les réactions des touristes : “Ils ont du faire ça la nuit. — Mais comment ? — Ils ont escaladé les grilles. — Ou alors pendant une grosse tempête. Quand il pleut, y’a personne.”
    J’ai préféré me taire et ne pas proposer de théorie.
  •  

  • Sous la terre :
    Les panneaux publicitaires “Numériflash” ont envahi le métro. J-N Lafargue, sur hyperbate a déjà souligné l’invention en retour d’un vandalisme spécifique, visant à faire stopper ces panneaux. Il semble qu’une marque de boisson pétillante s’en soit inspiré, montrant un personnage détruire, de l’intérieur l’un de ces panneaux.
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  • Dans des bar-tabacs :
    CetteMerdeEstFolle a découvert le bon goût germanique :
  •  

  • Dans les supermarchés :
    Le playmobil émeutier / manifestant / anarchiste et son compère le policier :

    Ce playmobil avait aussi été repéré, et acheté, par Fabio Rojas sur OrgTheory.
  •  

  • A Toulouse :
    L’IEP de Toulouse attire surtout les derniers classés au concours commun des IEP. Pour quelles raisons ? Trop loin de Paris ? Mauvaise réputation ? Belle analyse sur le vif sur PolitBistro :
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  • Chez les préfets :
    Fausses signatures pour expulser plus vite (voir aussi pole-juridique.fr)

    Afin d’être représenté dans les audiences de sans-papiers, le préfet a donc délégué sa signature à son secrétaire général. En cas d’absence de celui-ci, à son secrétaire général adjoint. Si les deux sont indisponibles, à son directeur de l’immigration et de l’intégration. Lorsque les trois sont empêchés, à son adjoint au directeur de l’immigration et de l’intégration.
    Et lorsque ce dernier ne peut pas signer, la photocopieuse le fait à sa place…

  • Rubicon

    La nouvelle série “Rubicon” (ne me demandez pas comment on se la procure) ne promet pas grand chose (elle semble inspirée par “Damages” d’un côté, par “Numb3rs” de l’autre). Mais une chose m’a amusé : cette série repose partiellement sur ce que je vais appeler rapidement une “tendance”. Regardez plutôt ces copies d’écran :

    Le bureau du personnage principal est couvert de petits dessins.
    Mais que remarque-t-on d’autre ?

    Il semble que certains dessins ressemblent à des graphes et des représentations visuelles de relations sociales.

    Que remarquez-vous dans cette dernière copie d’écran, ci-dessous ?

    On y voit, accroché au mur, une reproduction de la “Carte figurative des pertes successives” de l’armée de Napoléon dessinée par Charles Joseph Minard, l’une des images préférée d’Edward Tufte, l’auteur de Beautiful Evidence et de The Visual Display of Quantitative Information”. Ces “oeufs de Pâques” visuels ont été remarqués au moins ici sur twitter.
    Mais il semble que ces images n’aient dans cette série télévisée qu’une fonction illustrative. Elles n’interviennent pas, apparemment, dans la narration. Dommage, j’aurais aimé voir un héros résoudre une énigme à l’aide d’une sparkline. Peut-être que le décorateur de cette série s’est amusé ici (il me semble que ce même décorateur affectionne aussi Helvetica, ce qui n’est pas surprenant).
    Pourquoi ai-je qualifié ces images de “tendance” au début de ce billet ? C’est que plusieurs blogs influents, Daring Fireball ou Kottke se font les publicitaires des travaux de Tufte, que ce dernier vient d’être nommé par la Maison Blanche à un panel de surveillance des dépenses liées au “Recovery Act”. Enfin la question de la visualisation des données, abordée par Graphic Sociology, ou par Flowing Data, devient cruciale à un moment où l’on dispose de tellement de données statistiques que la difficulté est d’en construire des “synthèses épaisses” (“thick syntheses”, comme l’on parle de “thick description” à la Geertz).

    L’art de ne pas être gouverné

    [Petit hommage à moitié ironique à James C. Scott via Daniel Little]
     
    L’amphithéâtre est un espace social politique. Il suffit d’en avoir fréquenté pour savoir que les people of the hills, ceux qui s’assoient tout en haut, sont rétifs à l’étatisation représentée par le professeur. Le discours enseignant classique leur a donné une nature propre, presque une ethnicité : ils seraient les étudiants potentiels non civilisés, ils représenteraient in vivo une condition pré-étudiante ancestrale. Leur destin serait de descendre, petit à petit, de la “zomia” (cette zone haute peu accessible au pouvoir étatique en raison de la “friction” du terrain) pour se rapprocher du centre étatisé.
    Mais une autre tradition de recherche comprend ces rebelles comme ayant été générés par l’étatisation : on peut comprendre toute leur organisation sociale comme une réponse rationnelle à la pression étatique. Egalitarisme des relations sociales, agriculture non sédentaire…

    La rebellion estudiantine ne s’objective pas dans des raids esclavagistes, mais dans l’absentéisme ou diverses formes de grèves du zèle. Un indicateur archéologique existe cependant — archéologique au sens où il persiste dans le temps : le graffi-table (graffiti sur table).

    Proposons un plan d’un petit amphi universitaire (à peine six rangées). Il est probable que l’on puisse observer ceci, où l’intensité des graffitis à un endroit donné (i) est fonction du carré de la distance au professeur (d) :

    i=ƒ(d²)

    et — de manière plus qualitative — où, à des rangées particulières, sont associés des types de graffitis particuliers.
    Un espace sans graffitable a été repéré dans plusieurs amphithéâtres. Les versions professorales y voient une objectivation de l’espace du charisme personnel — ou du charisme d’institution — reconnu au professeur. D’autres y voient l’espace dit des postillons, une zone trop proche de l’État pour que des étudiants s’y installent.

     


     
    En bon empiriste positiviste, il me fallait vérifier cela. Ce fut fait lors d’une surveillance d’examen.

    Pour en savoir plus : Une longue tradition d’enquête sur graffitis existe, dont je ne donnerai que quelques exemples : 1, 2, 3

    Diagramme de Venn

    Je voulais créer une chose amusante avec un diagramme de Venn, mais je n’ai que l’idée de départ :

    Il me faudrait trouver des intersections intéressantes.