Quartier d’artistes anonymes
On se doute bien que, maintenant, les tagueurs ont les cheveux blancs : dessiner à la bombe sur les murs est devenue une activité du troisième âge (enfin… pour ceux qu’une vie de débauche et de refus de l’ordre public n’a pas conduit à une mort avant l’heure). Certains peuvent même avoir suivi des cours de typographie, et je soupçonne l’auteur de ce « 777 », rue de Palestine à Paris, d’avoir réfléchi au crénage et à la ligature.
Il y a eu, dans la même rue, un incendie de scooter, qui a brûlé la façade d’un immeuble, la transformant en surface cloquée et boursoufflée.
Cela fait plusieurs mois que l’incendie a eu lieu, et, ce matin, je me suis aperçu qu’un (ou une) peintre s’était servi(e) des phlyctènes éclatées pour y placer quelque pigment outremer, azur ou indigo. L’effet produit est intéressant, probablement parce qu’il s’appuie sur le hasard de la répartition des cratères, et parce que le bleu est sinon absent de la façade (gris-jaune ou beige).
À quelques pas de là se trouve un dispositif anti-urination classique, une sorte de grille en métal visant à empêcher les hommes de s’approcher trop près du recoin. Un petit malin (je pense que c’est un petit malin) s’est servi du mur pour y apposer un manneken pis de sa composition : une variation sur les figurines performatives, qui nous incitent quotidiennement à « traverser », à « stopper », à « entrer dans les toilettes si vous disposez du sexe adéquat », à « avertir son voisin de colis suspects » où à dénoncer à la police les enfants des immigrés clandestins. La figurine d’ordre, ici, se soulage. Il fallait bien qu’elle ait une face obscure.