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Jeunes électeurs, vieux électeurs, à Paris

Toujours en partant des listes électorales, voici une estimation rapide de la densité de jeunes électeurs et électrices (de moins de 20 ans) et de la densité des séniors parmi les seniors, les électrices de plus de 91 ans (il y a moins d’électeurs, à cet âge). Des courbes de niveaux indiquent les zones de densité moyenne équivalente.
jeunes-vieux
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L’image est parlante : la densité de jeunes électeurs est importante dans les quartiers populaires, et celle des super-seniors dans des quartiers plus bourgeois. Mais l’indicateur est imparfait. Les zones peu peuplées (8e arrondissement, par exemple) contiennent par définition peu d’électeurs, mais ne contiennent-elles pas plus de vieux électeurs que de jeunes électeurs ?
Ainsi une carte qui s’intéresserait à la proportion de jeunes électeurs (ou de vieux électeurs) parmi l’ensemble des électeurs donnerait une image un peu différente de Paris.

Paris, ville monde

Les listes électorales parisiennes (1,2 millions d’individus) renseignent sur le pays de naissance des électeurs parisiens. Une partie d’entre eux est née à l’étranger. Plus de 6000 au Viet Nam, un peu plus de 5000 au Liban, etc… On compte même un (ou une) électeur(e) né(e) au Vatican, ou plutôt ayant déclaré être né(e) au Vatican.
Ces électeurs sont peut-être “nés étrangers à l’étranger”, mais ils sont peut-être “nés français à l’étranger”. Mais l’étranger n’est pas toujours l’étranger : l’Algérie fut un moment des départements français, et les Algériens furent eux-aussi un moment des électeurs français. Et les pays changent de nom : où donc ont bien pu naître les électeurs français nés en “U R S S” ? Plus de 200 pays apparaissent dans ces listes : Paris est bien une ville-monde.
Mais il y a des mondes différents dans cette ville-monde.
Prenons donc les électeurs nés dans quelques pays choisis et examinons la dispersion spatiale de ces électeurs. J’ai superposé aux cartes des courbes de niveau qui donnent une idée imparfaite de la densité.
mondes-paris
L’on distingue bien des zones préférentielles : le Nord-Est parisien populaire, le Sud-Est du 14e arrondissement. Les électeurs et électrices nés au Liban ont ici une répartition bien spécifique : ils ont choisi le Paris du Sud-Ouest, 16e et 15e arrondissement. Reste à comprendre pourquoi…
Les électeurs nés aux États-Unis d’Amérique, eux, sont d’abord peu nombreux, mais aussi peu concentrés. Ils évitent visiblement le Paris populaire pour préférer le Paris touristique ou bourgeois.
La localisation a été réalisée grâce aux données du “projet BANO“, mais les coordonnées des points ont été légèrement modifiées. Note sur la lecture enfin : ce n’est pas parce qu’une zone est toute orange ou toute rose que les électeurs y résidant seraient majoritairement nés à l’étranger.

L’âge et l’origine

inscrits
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Ce graphique montre, pour l’année 2014, le nombre d’inscrits sur les listes électorales parisiennes [la taille des points], en fonction de l’année de naissance, de l’année d’inscription et de la proportion d’inscrits nées en France.
Toutes les inscriptions précédant 1981 ont été enregistrées comme ayant eu lieu en 1981.
Ceux qui s’inscrivent à 18 ans sont presque toujours nés en France (ils sont bien rouge sur le graphique). Mais ceux qui s’inscrivent tardivement (suite à un déménagement…) sont plus souvent nés à l’étranger : je lis cela en relation avec les naturalisations (les naturalisés, adultes et déjà relativement âgés, deviennent tardivement de nouveaux électeurs).
Mais il y a peut-être d’autres explications.

Je n’ai pas réussi à bien le faire apparaître, mais un peu avant 1995, 2002, 2007 et 2012, on voit plus d’inscriptions. La présidentielle actualise des électeurs virtuels.

Que faire avec ses Saints ?

Les Saints disparaissent de la scène publique. De moins en moins de bébés reçoivent, à la naissance, un prénom inscrit dans le calendrier liturgique français.
saints-chute
Mais les Saints se maintiennent à un niveau supérieur à 30% des naissances jusqu’au début des années 2000. Le Saint pourrait donc être un indicateur intéressant : il capture de l’âge, de l’origine nationale, et peut-être des orientations culturelles (il me semble clair que la liste des Saints catholiques n’est pas une liste à l’attrait universel).
La proportion d’électeurs (et d’électrices) avec un prénom de Saint (ou de Sainte) dessine donc un espace parisien bien connu. Les Saints s’exhibent dans le septième arrondissement, dans toute leur gloire. Ils sont plus discrets dans le dix-neuvième.
prenomssaints
Les Saints n’ont pas perdu toute leur efficacité : ils font encore de l’effet. Le jour de la Saint-N (quel que soit le prénom de Saint), il va naître en moyenne 1,7 fois plus de bébés portant ce prénom (avant 1970) que lors du reste de l’année. On passe à 1,35 fois plus pour les bébés nés après 1970. Les Saints perdent quand même en efficacité.

saint69

saints70
[Note : l’effet est massif, mais concentré sur une journée. Prenons le prénom “Zyxtof” : il va naître, chaque jour de l’année, en moyenne 0,27% des Zyxtof de l’année. Le jour de la Saint-Zyxtof, il naîtra 0,37% des Zyxtof de l’année. Ce qui fait que les Zyxtof ont quand meme 99,6% de chance de naître ailleurs que le jour de la Saint-Zyxtof.]
Signe de sécularisation ? de dissociation du catholicisme et de la nomination ? La conférence des évêques semble être consciente d’un retournement de civilisation : si l’on ne montre plus ses Saints, il faut amener les Saints en face des demandeurs. Sur le site “nominis.cef.fr“, il est ainsi possible d’entrer un prénom (Kaicy ? Stanley ? Jennifer ?) et de trouver le Saint associé. L’Eglise rattrape ainsi l’exubérance parentale, en proposant [principalement aux grands-parents, me dit-on] l’association à une lignée croyante a posteriori. N’ayez pas peur : vous avez tous des Saints !

Sur ce, puisque nous sommes le 13 mai, bonne fête à toutes les Fatima !

Les Noël naissent-ils à Noël ?

Les listes électorales donnent accès aux prénoms et à la date de naissance des électeurs. Il est ainsi possible d’étudier le lien entre certaines fêtes et le choix de certains prénoms. Commençons par Noël et Pascal.
J’ai retenu la date de naissance de tous les électeurs et électrices qui avaient un “Noël” parmi leurs prénoms : Noël, Jean-Noël, Marie-Noelle… sont, pour ce qui me concerne, des “Noël”.
Et ce que l’on constate, c’est que le jour de Noël est un jour de naissance particulier pour les Noël :
noel
Mais les choses évoluent au cours du siècle. 37% des “Noël” né-e-s avant 1935 sont né-e-s à Noël (c’est à dire entre le 23 décembre et le 27 décembre), ce n’est plus le cas que de 25% de celles et ceux qui sont nées entre 1935 et 1961. Et les Noël nés après 1979 que sont que 10% à être nés autour de Noël.
L’examen de la même relation avec les Pascal est plus complexe, car la date de Pâques change chaque année. Heureusement, il existe une fonction de la library timeDate, dans R, pour donner la date de Pâques. Et une partie des Pascal (et des Pascale, et des Marie-Pascale) naissent en effet à Pâques.
pascal
L’évolution est similaire à celles des Noël (mais en partant d’un niveau moins haut) : 13% “Pascal” nés avant 1950 sont nés à Pâques (plus ou moins 2 jours). Ce n’est plus le cas que de 6% des Pascal nés après 1981. Sur une période de 5 jours, s’il n’y avait pas d’attirance entre prénom et date, il aurait du naître 1,4% de Pascal ou de Noël à Pâques ou à Noël.
Il me reste maintenant à récupérer la liste des Saints-du-jour (en scrapant le site Nominis de la Conférence des Evêques) pour voir si le lien repéré ici pour deux dates est aussi repérable pour la Saint-Cunégonde et la Saint-Geoffroy.

En tout cas, ça a l’air de marcher pour la Saint-Valentin :
valentin

et pour quelques uns des prénoms les plus fréquents sur les listes électorales :
prenoms-pics80
cliquez pour voir en plus grand

Certains prénoms exhibent un saint (Michel, Marie, Jean, Daniel, Sébastien…) d’autres semblent plus également distribués sur l’année (Alain, Sarah…).

Un peu en avance

De nombreux travaux ont montré que, s’agissant des prénoms les plus fréquents, les cadres étaient “en avance” sur le reste des professions et catégories socioprofessionnelles. Des parents cadres vont avoir tendance à donner des prénoms un peu avant que des parents “professions intermédiaires” ou “employés” ne donnent les mêmes prénoms.
L’avance sur la mode peut-elle alors être prise comme indicateur indirect de position sociale ?
À partir des listes électorales parisienne, j’ai comparé, pour chaque “premier prénom”, l’année de naissance de l’électeur et l’année pendant laquelle son prénom atteint son rang le plus élevé. Ainsi un électeur prénommé Matthieu, né en 1979, sera considéré comme “en avance” de dix ans sur la mode (le prénom “Matthieu” atteint son meilleur rang national en 1989). On peut faire cela pour le million d’électeurs et d’électrices né-e-s en France et inscrit-e-s à Paris. Les prénoms très rares posent problème, car les données disponibles ne permettent pas de calculer l’année de leur “pic”. C’est le cas pour 8,3% des électeurs/trices.
La carte suivante montre, à l’échelle du bureau de vote, quelle est la proportion d’inscrits dont le prénom est au moins 3 ans “en avance” sur le pic.

avance

On remarquera aisément que les quartiers de Paris les plus “bourgeois” sont aussi ceux où les prénoms sont les plus fréquemment “en avance”. Comme si la mode pouvait naître dans un coin caché du septième arrondissement et essaimer, ensuite, dans le reste du corps social.

Les conditions maritales

Je continue ici l’examen des listes électorales. À Paris en 2014, les électrices sont 666954. Et un peu plus de 235000 sont mariées (au sens où elles disposent d’un nom marital en plus de leur nom de naissance). L’indicateur est imparfait : il est bien probable que le nom de l’époux ne soit pas toujours mentionné sur les listes électorales.
La proportion de femmes “mariées” augmente avec l’âge : les centenaires sont presques toutes mariées.
age-mariee
La géographie maritale parisienne est intéressante (on s’intéresse ici à la proportion de femmes mariées parmi les femmes) :
femmes-mariees
Les arrondissements les plus bourgeois sont ceux où les femmes mariées sont les plus fréquentes : septième, huitième, seizième. En revanche, dans les dixième, onzième et dix-huitième, les femmes n’indiquent pas souvent de nom marital. Est-ce parce qu’elles ne sont pas mariées ? Ou est-ce plutôt parce que c’est surtout dans les espaces bourgeois que l’on indique, — en toute discrétion — avec la bague de fiançailles et l’alliance, le nom de l’époux en toutes circonstances ? Ou est-ce parce qu’il y a des arrondissements de vieux et des arrondissements de jeunes et que le taux de mariage varie avec l’âge ?
L’analyse multivariée attendra, mais l’on remarquera, déjà, des comportements différents entre arrondissements : à tous âges, les femmes des arrondissements bourgeois ont plus fréquemment un nom marital sur leur carte d’électrice.
age-arrondissement-mariee

Le poids du nom

Les listes électorales parisiennes (plus d’un million d’inscrits), contiennent des informations sur 236072 femmes mariées : on y lit leur nom de naissance et le nom de leur époux. Les choses sont ainsi faites.
Certaines personnes disposent ainsi, par la naissance ou par le mariage, d’une particule. Appelons ces personnes des “nobles”. 6067 femmes sont nées nobles, 6456 épousent un noble. 230 005 sont nées roturières. Et 229 616 épousent un roturier.
Si les mariages avaient lieu au hasard, c’est à dire s’il n’y avait aucune attirance des femmes nées avec une particule pour les hommes nés avec une particule (et vice-versa), alors l’on observerait ceci :

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 223715 6290
Nait noble 5901 166

Seules 166 femmes nées avec une particule trouveraient un homme à particule.
Mais l’on sait bien que les mariages n’ont pas lieu au hasard.

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 225167 4838
Nait noble 4449 1618

Dans la réalité, dix fois plus de femmes nobles épousent des hommes nobles que si le coup de foudre frappait au hasard.
La situation diffère-t-elle suivant les arrondissements ? L’on sait que les “nobles” sont fréquents dans certains arrondissements (huitième, septième, seizième) et quasiment absents des arrondissements populaires (dix-neuvième, vingtième). Peut-être que leurs comportements conjugaux diffèrent : la noblaillonne du XIXe n’a peut-être pas les même goût que la duchesse du Faubourg Saint-Germain. L’on peut produire les mêmes données à l’échelle des 20 arrondissements parisiens et représenter, par des couleurs, le rapport entre la situation observée et la situation “attendue” (si les mariages se formaient au hasard).


mariages-paris
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Il est complexe de réfléchir en terme de sur-représentation ET en terme de rapports de surreprésentations. Cela peut conduire à des interprétations étranges (notamment en raison des petits effectifs aristocrates à l’est de Paris). Mais l’on voit que là où il y a peu de nobles, ces derniers s’épousent dix fois plus fréquemment qu’attendu : la distance sociale se maintient (Jean-Eudes de Maillancourt est peut-être un gentrifieur, mais comme il appartient quand même à la gentry, il épousera plutôt Sixtine-Marie de La Huchette d’Arcourt). Ce n’est pas le cas là où l’aristocratie est nombreuse : dans le septième, ce rapport n’est plus que de 1 à quatre. Mais dans le septième, les mariages hétérogames sont relativement moins fréquents qu’ailleurs ; et les mariages entre manants relativement plus fréquents. Je laisse méditer ce qui peut apparaître, a priori, comme contradictoire.

Paris en couleurs

Les listes électorales sont une source de données formidables. J’ai eu l’occasion de les explorer récemment. Première tentative de synthèse ici.
mds-couleur
click to embigen

J’ai conservé quelques variables, à l’échelle du bureau de vote : l’âge moyen, la proportion de femmes inscrites, la proportion de personnes nées à l’étranger, la proportion de “nobles”, la proportion de personnes portant plus de deux prénoms.
J’ai appliqué à cela une procédure appelée “Multi-dimensional scaling“, qui permet de rapprocher entre eux des individus ayant des caractéristiques proches. Ici, les individus sont des bureaux de vote.
J’ai retenu trois dimensions.
La première dimension rassemble entre eux les bureaux de vote selon la proportion d’inscrits nés à l’étranger [on remarque que le 16e arrondissement est un peu différent du 8e et du 7e].
La deuxième dimension capture les variations de l’âge et du sexe apparemment.
La troisième dimension est plus complexe à interpréter immédiatement (et je n’ai pas encore exploré en détail).
Sur ces trois dimensions, chaque bureau de vote a un score, que je normalise entre 0 et 255, ce qui permet d’associer une couleur “RVB” à chaque bureau. Un bureau ayant un score semblable sur les trois dimension sera plutôt gris (clair ou foncé).

La carte oppose alors un bureau de vote situé au cœur du septième arrondissement (qui est ici vert foncé) aux bureaux de votes rose/orangés des marges de Paris. Mais aussi un bureau “vert-clair”, au cœur de Paris (plus masculin et jeune) à d’autres que je vous laisse trouver. La Butte Montmartre apparaît bien bleue. L’opposition entre Ouest et Est, importante à Paris, apparaît indirectement : les couleurs les plus sombres sont à l’Ouest, comme si un nuage était posé sur l’Ouest.
[Première synthèse qu’il faudra affiner, bien sûr].

d <- dist(mydata)
fit <- cmdscale(d,eig=TRUE, k=3)
x <- fit$points[,1]
y <- fit$points[,2]
z <- fit$points[,3]
range01 <- function(x){round(255*(x-min(x))/(max(x)-min(x)))}
xs<-range01(x)
ys<-range01(y)
zs<-range01(z)
mds<-cbind(xs,ys,zs)
couleurs<-rgb(mds[,1],mds[,2],mds[,3],maxColorValue=255)
# et ensuite, il suffit d'associer chaque Bureau de vote à chaque couleurs : le BV[i] recevra couleur[i]

Pretty R at inside-R.org

La méthode a été inspirée par cet article : Delineating Europe’s Cultural Regions: Population Structure and Surname Clustering [James Cheshire, Pablo Mateos et Paul A. Longley]

E pluribus…

Les électeurs français nés à l’étranger constituent une petite partie (environ 10%) de l’électorat : ce sont soit des personnes ayant acquis la nationalité française, soit des électeurs nés français mais dans un pays qui est aujourd’hui un pays étranger, par exemple devenu indépendant, soit des électeurs nés de parents français à l’étranger… J’imagine que d’autres cas sont possibles. L’histoire de la nationalité est complexe.
Les listes électorales indiquent dans quel pays sont nés les électeurs. Voici une carte montrant, par bureau de vote, à Paris, en 2014, le pays de naissance le plus fréquent.
nes-hors-france
Comme l’on peut s’y attendre étant donné l’histoire coloniale (et l’histoire de la nationalité) ce sont les personnes nées en Algérie qui sont les électrices-nées-à-l’étranger les plus fréquentes. Maroc et Tunisie suivent.
Un bureau de vote, dans le 16e arrondissement, a suffisamment d’électeurs nés au Liban pour faire apparaître ce pays. Un autre, dans le 15e, a plus d’électeurs nés en Iran que d’électeurs nés dans d’autres pays.
Cambodge et Viet Nam apparaissent au sud du 13 arrondissement.
Quelques bureaux de vote ont plus d’électeurs nés au Sénégal que d’électeurs nés dans d’autres pays.
Cette première exploration est insuffisante : il faudrait probablement regrouper plusieurs pays ensemble, ou indiquer par l’intensité des couleurs des fréquences…