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Colette et Georges

Colette est abandonnée dix jours après sa naissance, en mars 1917, et c’est une amie de sa mère qui la dépose au Service des enfants assistés de la Seine. Une seule demande : que la petite soit baptisée.

Colette, devenue pupille de l’assistance publique, est envoyée à la campagne, dans la Sarthe, comme de nombreux enfants assistés à l’époque. Vers 13 ans, elle est placée comme « aide de culture », chez Madame Boitard. Et c’est là que nous la retrouvons, à seize ans, en octobre 1933.
Moretti, le directeur de l’agence locale, signale au Service des enfants assistés de la Seine que Colette « se trouve en état de grossesse de 6 mois 1/2 environ ». Le père est un ancien enfant assisté : il sont nombreux, dans la Sarthe. C’est donc une affaire interne au Service, même si Georges est majeur.

Je cite Moretti :

Cette pupille désigne comme séducteur l’ex-pupille N… Georges, né le 8 … 1911, n°22…., avec lequel elle avait entretenu des relations intimes au mois d’avril dernier pendant une permission de détente


… mais peut-être lisez-vous « aurait entretenu des relations »…

Georges, selon Moretti, a « certifié qu’il fréquentait la pupille Colette au moment de ses permissions mais qu’il n’avait jamais entretenu de relations coupables avec elle ».
Affaire classée non ? Sans relations coupables ni relations intimes, comment Georges pourrait-il être concerné ?
Et Moretti n’est pas dupe : Georges « s’est toujours montré excellent sujet. »


On appréciera le « je ne suis pas éloigné de croire », qu’il faut comprendre comme un « c’est lui qui a raison ». Car après tout, on le sait, les excellents sujets, même « d’intelligence un peu bornée » n’ont jamais de relations intimes et coupables.
En plus Madame Boitard est du même avis : sa domestique est d’une imagination débordante et trop « féconde » (sic), elle s’imagine des séducteurs, et hélas, sa conduite « laisse fort à désirer ». Non seulement elle sort, mais « elle fut surprise dans sa chambre, au mois de juillet dernier, en compagnie du domestique de la ferme. » Autant dire qu’on l’a échappé belle, on aurait pu croire à la vérité des déclarations d’une jeune fille de seize ans, enceinte. Et bien sûr, « ni lettre ni document » ne viennent prouver ce qu’elle raconte.

Et la présomption d’innocence ? Mais nous ne sommes pas en 2024, nous sommes en 1933.

Moretti organise une confrontation le mois suivant, en novembre 1933 donc. Cette confrontation, est-il désolé de l’écrire dans son rapport, « n’a pas permis de déceler le bien fondé des accusations portées par la pupille ». Alors certes, Georges a bien « accompagné Colette dans la nuit du 2 au 3 avril 1933 au retour de la fête du Port-Gauthier » mais « il n’a entretenu avec cette dernière aucune relation coupable ». Au dessus de tout soupçon, Georges ! Qui détourne l’attention du directeur vers « d’autres jeunes gens de la région » que Colette « fréquentait ».

« Dans ces conditions » il ne peut bien entendu pas « prendre la responsabilité d’une paternité qui ne lui appartient pas » conclut Moretti. Pauvre jeune homme accusé sans raison par une domestique à l’imagination trop féconde !

Et Colette s’effondre : pendant cette confrontation elle s’avère « beaucoup moins affirmative ». Moretti cherche à tout prix la vérité, mais « malgré [s]on insistance », malgré toute son insistance, elle ne peut apporter « aucune précision d’heure ni de lieu où l’acte s’est accompli ». Pourtant cela aurait été si intéressant, de savoir où et quand, précisément. Colette « maintient seulement que [Georges] avait été le dernier avec lequel elle a entretenu des relations intimes ».

Si Georges est « le dernier », c’est qu’il y en a eu d’autres. Moretti en conclut qu’il faut en rester là. Il lui parait « difficile » d’aller plus loin. Une accusation farfelu contre un « excellent sujet ».

Fin de l’histoire :

Pas tout à fait.

Moretti le 15 janvier envoie une nouvelle lettre à Paris : Colette a accouché d’une petite fille, Huguette. Elle n’abandonne pas sa fille mais la place en nourrice, et reçoit une allocation « à titre de secours préventif d’abandon ».

Un mois plus tard, Moretti envoie encore une lettre. Il a apparemment changé d’avis sur Georges. Ce dernier « qui avait été désigné comme séducteur et qui n’avait pas accepté de prendre à sa charge la paternité de l’enfant a, sur mes instances, consenti à réparer sa faute en contractant au début du mois d’avril prochain, un mariage avec la pupille. Il reconnaîtra l’enfant dans les formes légales. »

Moretti aime se mettre en avant. On ne sait pas ce qui lui a fait abandonner son incrédulité. Mais désormais, pour lui, Georges est bien le père de la petite Huguette.

Georges demande Colette en mariage, mais cette dernière, mineure, a besoin de l’autorisation du Service des enfants assistés afin de pouvoir se marier. Dans une dernière lettre, en mars, un mois avant la date prévue du mariage, Moretti transmet donc une demande d’autorisation. Dans laquelle il résume l’affaire :

Colette est jugée désormais « assez intelligente et assez active au travail ». Et Georges, lui, était « excellent élève, économe et stable dans ses placements ».

Moretti « transmet donc un avis très favorable à la demande de ces jeunes gens », même si, à aucun moment, il n’indique que Colette a reçu favorablement la demande en mariage de son « séducteur ».

Le mariage a lieu en avril 1933.

 

Source : Archives de Paris, D5X4 3494

Économies d’échelles : couples et professions

Vivre à deux est économique : il est possible d’économiser sur le logement par exemple (une chambre pour deux), ou sur la voiture (une pour deux). Il est aussi possible d’accumuler des ressources : ce n’est pas la même chose d’être en couple avec un.e conjointe « inactif.ve » (c’est à dire quelqu’un qui n’est ni en emploi, ni au chômage) ou en emploi.
Or tout le monde n’est pas en couple, ni en couple avec un.e conjoint.e en emploi. On peut le constater en explorant le Fichier détail du recensement 2016.

Le graphique suivant se concentre sur les hommes et les professions ayant les plus gros effectifs masculins.

Tout en haut, les hommes ayant déclaré être serveurs. Environ 60% d’entre eux ont déclaré ne pas être en couple cohabitant (voir la définition). Par comparaison, ce n’est le cas que de 25% environ des professeurs du secondaire. 15% environ des ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment, des maçons qualifiés (ouvriers), des artisans maçons ou des nettoyeurs ont des conjointes « inactives » (moins de 5% pour les professeurs du secondaire, les agents de police, ou éducateurs sportifs). Plus de 15% des cadres commerciaux des PME, des cadres des services administratifs des PME, des artisans maçons et des artisans peintres en bâtiment ont des conjointes qui exercent à temps partiel.
 

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Penchons-nous maintenant sur des professions aux effectifs masculins un peu moins nombreux. Ce que l’on voyait déjà sur le graphique précédent (des employés et des ouvriers plus souvent célibataires ou avec des conjointes inactives, au chômage ou à temps partiel) se répète sur celui-ci. Les professeurs des écoles, comparés aux ouvriers non qualifiés de type artisanal, sont moins souvent célibataires, et très peu d’entre eux ont une conjointe inactive.


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Et au milieu… les médecins libéraux généralistes. Plus de 15% d’entre eux ont une conjointe « inactive », 20% une conjointe qui exerce un emploi à temps partiel. Peu d’entre eux déclarent ne pas être en couple.

Si l’on place en abcisses la proportion d’hommes “célibataires” (c’est à dire pas en couple selon la définition de l’insee) et en ordonnées la proportion de conjointes inactives, au chômage ou à temps partiel (uniquement pour les hommes en couple), voici le graphique qui apparaît :


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En rose, et dans le quadrant nord-est, les ouvriers. Les employés sont plutôt au sud-est : une fréquence importante de célibataires, mais leurs conjointes sont moins souvent “inactives, à temps partiel ou au chômage”. Les artisans sont dans le quadrant ouest/nord-ouest : peu de célibataires, mais une proportion assez élevé de conjointes sans emploi ou à temps partiel. En vert, les cadres : souvent en couple, et en couple avec une conjointe qui n’est pas inactive, au chômage ou à temps partiel. Les médecins généralistes ressemblent, sur ce point, à des “artisans, commerçants, chefs d’entreprise”.

Au final, donc, des situations très différentes suivant les professions individuelles, ce qui inciterait à concevoir — encore plus qu’on ne le fait habituellement — la position sociale à l’échelle du ménage (voir par exemple cet article récent). Ou alors à garder en tête que derrière un médecin, il y a souvent une conjointe, et une conjointe avec du temps, que derrière un ouvrier non qualifié, il n’y a souvent pas de conjointe (du moins, plutôt, pas de conjointe avec qui l’ouvrier cohabite, ce qui est différent), et que derrière un professeur (des écoles ou du secondaire), il y a souvent une conjointe en emploi. Et donc des possibilités d’économie, ou d’épargne, bien différentes.
Une partie de ces différences est due à la distribution par âge de ces professions : les serveurs sont plutôt jeunes. Une autre au poids des immigrés : s’ils habitent en France au moment du recensement mais que leur conjointe est au Portugal ou en Pologne, sont-ils considérés comme vivant en couple ?

[Note : j’ai considéré que les “étudiantes” n’étaient pas “inactives”, ni au chômage, ni à temps partiel. Les positions changeraient un peu si j’avais inclus les étudiantes dans la catégorie inactive, au chômage ou à temps partiel.]

Qui épouse qui ?

L’homogamie, ou le fait d’épouser (ou d’être en couple) avec quelqu’un de socialement proche, est fréquente. Un bon nombre d’enseignant.e.s sont en couple avec des enseignant.e.s. Idem avec les ingénieur.e.s, ou les avocat.e.s. Mais parfois, les couples sont formés de personnes occupant des professions proches, mais différentes.
Le graphique suivant considère qu’il y a un lien entre deux professions (dans des couples composés de personnes de sexes différents) quand le couple est bien plus fréquent que ce que l’on observerait si les couples se composaient de personnes sélectionnées au hasard dans l’espace social. Et j’ai différencié les couples non mariés des couples mariés.


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Explorons quelques coins de l’espace ainsi dessiné :


On a ici un monde d’employés de la restauration et de mécanicien.

Et un autre morceau de l’espace, juste en dessous : le monde de l’alimentation, de l’hotellerie et des magasins.

On terminera par un monde de la fonction publique : agents des impots, magistrature… allié au monde médical.

Celles et ceux qui souhaitent explorer peuvent chercher les professions “pivot”, celles qui font le lien entre un monde et un autre.

L’écart d’âge entre conjoints

En France, l’écart d’âge entre conjoints (de sexes différents) est de 2 ans et demi. En moyenne, dans un couple, l’homme est 2,5 ans plus âgé que la femme.
Mais il y a une géographie de cet écart d’âge. En France métropolitaine, voici ce que cela donne, à partir du “Fichier détail individu” du Recensement 2014. L’intérêt du Fichier détail du recensement, c’est de pouvoir travailler sur près de 4,5 millions de couples (effectif non pondéré). Les zones sous la moyenne sont en bleu, les zones au dessus de la moyenne sont en rouge.

Du bassin minier au nord à la Charente, l’écart d’âge est faible. Dans le centre et en Corse, il a tendance à être plus élevé. Même chose en région parisienne et particulièrement en Seine Saint-Denis. On pourrait certainement trouver une explication culturaliste ou matérialiste : France du partage égalitaire et des petites fortunes à l’Ouest, formes d’héritages autrement constituées au Centre. Clanisme corse ? Mais il y a, pour un sociologue, d’autres explications.
On sait, par exemple, que l’écart d’âge est plus important pour les couples âgés que pour les jeunes couples. Il se pourrait donc que les variations de l’écart d’âge soient dûes au fait qu’à certains endroits de France habitent surtout des couples jeunes, et qu’à d’autres endroits, des couples plus âgés résident.
Dans la carte suivante, je “contrôle” par l’âge moyen du couple (c’est à dire la moyenne de l’âge de chaque conjoint), au niveau individuel. Puis je trace la carte des écarts par rapport à cette moyenne. Par exemple, dans les couples dont l’âge moyen est 35 ans, l’écart d’âge moyen est de 2,5 ans. Si l’écart constaté pour le couple n° 2 542 447 est de 3 ans, alors je considère qu’il est 0,5 an plus âgé (c’est le “résidu”). La carte suivante représente donc la moyenne des résidus par zone.

Ce contrôle par l’âge n’a pas tendance à atténuer les différences entre zones. Il semble avoir peu d’effet.
On va alors contrôler par la catégorie socio-professionnelle : car les femmes cadres ont des goûts en matière d’hommes que n’ont pas les femmes ouvrières ou agricultrices. De fait, les couples “cadres-cadres” ont un écart d’âge plus faible que les couples “ouvriers-ouvrières”. Et il se pourrait donc que les écarts d’âge moyens par zone soient dûs à la composition socioprofessionnelle de ces zones.
La carte suivante montre, par l’éclaircissement des coloris, que, en effet, le contrôle par la CS réduit les écarts. Une bonne partie des zones “très rouges” ou “très bleues” étaient de cette couleur en raison de la composition sociale.

Mais on sait aussi que les personnes qui ont un diplôme du supérieur n’ont pas les mêmes choix que les personnes qui n’ont pas de diplôme. On contrôle alors par ce niveau de diplôme. Là encore, on voit un effet :

Enfin il semble y avoir toujours une zone rouge en Seine Saint-Denis. L’on sait que c’est le département où la proportion d’immigrés est la plus importante, en France. Or les immigrés (c’est à dire les personnes nées étrangères à l’étranger) ont pu se marier avant d’arriver en France. De fait l’écart d’âge dans les couples immigrés est plus élevé (peut-être en raison d’un effet de sélection lors de la migration, peut-être en raison de la composition socioprofessionnelle de ce groupe). On va donc contrôler par l’âge moyen du couple, la CS des conjoints, le diplôme des conjoints et le fait d’être immigré ou non-immigré.
La carte s’éclaircit et “jaunit”, car de nombreuses zones bleues deviennent jaunes clair : il n’y a presque plus de différences entre régions françaises si la structure de la population est prise en compte. Quelques mois d’écart tout au plus.

Reste le cas de la Corse. Il y a visiblement, là, un goût pour l’écart d’âge qui ne s’explique pas par les variables utilisées ici.

Ma vie dans l’EDP (1)

Une demi-journée par semaine, voire un peu plus, je me plonge via Big_Stat à l’INED dans l’Echantillon démographique permanent (EDP). Le but : comprendre “l’inscription ailleurs”, le fait d’être inscrit ailleurs que sur son lieu de résidence. C’est quelque chose de fréquent : cela concerne près d’un.e inscrit.e sur cinq.

Première découverte : l’EDP est découpé en “bases études”. Chaque base-étude contient l’ensemble de l’EDP, pour un millésime donné (avec les informations rétrospectives, recensements, etc…). Mais attention : les identifiants individuels de l’EDP-2012 ne sont pas ceux de l’EDP-2014. Première demi-journée de perplexité, avant de comprendre, et de tout reprendre à zéro.

Deuxième découverte : le lieu d’inscription électorale, quand ce n’est pas le lieu de résidence, n’est pas un lieu abandonné. C’est un lieu investi. Si on n’a pas été radié, c’est qu’on a encore (parfois) des attachements dans ce lieu. Une des bases de l’EDP porte sur les mariages. Et on peut regarder où se marient (en 2014) les personnes qui, en 2014 par exemple, sont “inscrites ailleurs” que sur leur lieu de résidence. Ca fait peu de monde (il faut sélectionner les individus EDP recensés en 2014, français, majeurs, inscrits sur les listes électorales, mais “inscrits ailleurs” que sur leur lieu de résidence, et qui se sont mariés en 2014). Nous partîmes 4 millions, nous arrivâmes 600.

     Femmes Hommes Effectifs
2012 27,5   19,5   600
2014 26,5   19,4   620

J’ai aussi fait le calcul pour 2012 aussi. Un quart des femmes, un cinquième des hommes (inscrits ailleurs et qui se marient) choisissent comme lieu du mariage non pas le lieu de résidence, mais le lieu de l’inscription électorale.

Alors certes, les effectifs ne sont pas énormes. Il faut que je fasse la même opération de sélection avec, par exemple, les recensements de 2008 à 2014. Il faudrait aussi que je travaille sur le lieu de résidence antérieur, ou sur les lieux d’inscription postérieurs au mariage : car le mariage est peut-être le dernier moment d’inscription ailleurs (le moment où certains arrêtent d’être inscrits chez leurs parents et où, enfin, ils s’inscrivent là où ils résident).

Cols blancs et cols bleus se marient-ils vraiment ?

Vous parcourez peut-être ces lignes parce que vous venez de lire le billet publié dans Le Monde, à la une du cahier « Science & Médecine » du mercredi 4 février 2015, et que vous avez voulu en savoir un peu plus ?

J’ai choisi de parler cette semaine du livre de Jessi Streib (Duke University), The Power of the Past : Understanding Cross-Class Marriages (lien amazon, kindle). La thèse dont est issue le livre est en accès libre : The Power of the Past : Class, Marriage and Intimate Experiences with Inequality (pdf) (University of Michigan, 2013).
Je cite aussi en passant un article récent de Milan Bouchet-Valat, qui n’est pas en accès libre mais un travail plus ancien l’est.
Le livre de Streib s’intéresse à l’envers de l’homogamie, aux couples mariés composés d’une personne issue des classes supérieures et d’une personne issue des classes populaires, aux Etats-Unis. Elle parle donc de “blue collars” et de “white collars”. Elle montre avec finesse ce qu’elle nomme les différences de “sensibilités” face au monde :

Those from different classes shared their lives but not their ideas of how to live them, their resources but not their ideas of how to use them, and their children but not their ideas of how to raise them. This book locates these and other differences in sensibilities — default ways of thinking about everyday events, such as how to use resources, divide labor, and raise children. This focus moves away from the more common connection that sociologists make between class and culture—that of a focus on tastes.
(Streib, Power…, kindle-190)

Elle justifie l’étude des “sensibilités” en soulignant plusieurs aspects : les sensibilités sont moins circonscrites (“containable”) à un seul domaine que les goûts, et elles sont liées à l’acquisition de ressources :

Sensibilities may be linked to resource acquisition as institutions implicitly reward different types of sensibilities. Generally, institutions such as workplaces and schools reward sensibilities that are most associated with the middle class.
(kindle-207)

Les conditions maritales

Je continue ici l’examen des listes électorales. À Paris en 2014, les électrices sont 666954. Et un peu plus de 235000 sont mariées (au sens où elles disposent d’un nom marital en plus de leur nom de naissance). L’indicateur est imparfait : il est bien probable que le nom de l’époux ne soit pas toujours mentionné sur les listes électorales.
La proportion de femmes “mariées” augmente avec l’âge : les centenaires sont presques toutes mariées.
age-mariee
La géographie maritale parisienne est intéressante (on s’intéresse ici à la proportion de femmes mariées parmi les femmes) :
femmes-mariees
Les arrondissements les plus bourgeois sont ceux où les femmes mariées sont les plus fréquentes : septième, huitième, seizième. En revanche, dans les dixième, onzième et dix-huitième, les femmes n’indiquent pas souvent de nom marital. Est-ce parce qu’elles ne sont pas mariées ? Ou est-ce plutôt parce que c’est surtout dans les espaces bourgeois que l’on indique, — en toute discrétion — avec la bague de fiançailles et l’alliance, le nom de l’époux en toutes circonstances ? Ou est-ce parce qu’il y a des arrondissements de vieux et des arrondissements de jeunes et que le taux de mariage varie avec l’âge ?
L’analyse multivariée attendra, mais l’on remarquera, déjà, des comportements différents entre arrondissements : à tous âges, les femmes des arrondissements bourgeois ont plus fréquemment un nom marital sur leur carte d’électrice.
age-arrondissement-mariee

Le poids du nom

Les listes électorales parisiennes (plus d’un million d’inscrits), contiennent des informations sur 236072 femmes mariées : on y lit leur nom de naissance et le nom de leur époux. Les choses sont ainsi faites.
Certaines personnes disposent ainsi, par la naissance ou par le mariage, d’une particule. Appelons ces personnes des “nobles”. 6067 femmes sont nées nobles, 6456 épousent un noble. 230 005 sont nées roturières. Et 229 616 épousent un roturier.
Si les mariages avaient lieu au hasard, c’est à dire s’il n’y avait aucune attirance des femmes nées avec une particule pour les hommes nés avec une particule (et vice-versa), alors l’on observerait ceci :

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 223715 6290
Nait noble 5901 166

Seules 166 femmes nées avec une particule trouveraient un homme à particule.
Mais l’on sait bien que les mariages n’ont pas lieu au hasard.

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 225167 4838
Nait noble 4449 1618

Dans la réalité, dix fois plus de femmes nobles épousent des hommes nobles que si le coup de foudre frappait au hasard.
La situation diffère-t-elle suivant les arrondissements ? L’on sait que les “nobles” sont fréquents dans certains arrondissements (huitième, septième, seizième) et quasiment absents des arrondissements populaires (dix-neuvième, vingtième). Peut-être que leurs comportements conjugaux diffèrent : la noblaillonne du XIXe n’a peut-être pas les même goût que la duchesse du Faubourg Saint-Germain. L’on peut produire les mêmes données à l’échelle des 20 arrondissements parisiens et représenter, par des couleurs, le rapport entre la situation observée et la situation “attendue” (si les mariages se formaient au hasard).


mariages-paris
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Il est complexe de réfléchir en terme de sur-représentation ET en terme de rapports de surreprésentations. Cela peut conduire à des interprétations étranges (notamment en raison des petits effectifs aristocrates à l’est de Paris). Mais l’on voit que là où il y a peu de nobles, ces derniers s’épousent dix fois plus fréquemment qu’attendu : la distance sociale se maintient (Jean-Eudes de Maillancourt est peut-être un gentrifieur, mais comme il appartient quand même à la gentry, il épousera plutôt Sixtine-Marie de La Huchette d’Arcourt). Ce n’est pas le cas là où l’aristocratie est nombreuse : dans le septième, ce rapport n’est plus que de 1 à quatre. Mais dans le septième, les mariages hétérogames sont relativement moins fréquents qu’ailleurs ; et les mariages entre manants relativement plus fréquents. Je laisse méditer ce qui peut apparaître, a priori, comme contradictoire.

La samedification des mariages

À Bordeaux, entre 1933 et maintenant, les mariages se samedifient :
samedification
Aujourd’hui, près de 80% des mariages de la semaine sont célébrés le samedi.
Mercredis et Jeudi ont cessé d’être des jours de mariage. Quant au dimanche, oublions-le (les mairies sont fermées, de toute façon).

 

Mais en revanche, les naissances se désamedifient et se dédimanchifient :
naissances-bordeaux
Les femmes sont incitées à ne pas accoucher pendant les week-ends, pour des raisons d’organisation des services (et les césariennes sont probablement programmées aussi en semaine).

 

Et les décès ?
deces-bordeaux
Les Bordelais et Bordelaises ne décèdent pas le dimanche, et de plus en plus le jeudi. Mais là, les jours sont beaucoup moins distincts que dans les deux autres graphes.
[@jbiaudet sur twitter m’indique une référence : Kentish-Barnes (N). « Mourir à l’heure du médecin » Décisions de fin de vie en réanimation, Revue française de sociologie, 2007-3 ]
 

Inspiration : Kieran Healy et son Code. et cet article d’A. Régnier-Loillier
Données : Mariages par jour, depuis 1933, Bordeaux.

Une certaine actualité

L’ouverture prochaine du mariage aux couples du même sexe a redonné une petite actualité [exemple 1, exemple 2] aux articles issus de ma thèse, voire à ma thèse elle-même, qui portait sur les controverses, au sein d’églises américaines, autour du mariage des couples de deux hommes ou de deux femmes .
J’ai donc mis en ligne (ou vérifié leur disponibilité) la quasi-totalité des textes que j’ai rédigés et publiés sur ce sujet (des articles un peu anciens, rédigés vers 2005-2007, publiés avant 2009).

Coulmont B. (2003), « Églises chrétiennes et homosexualités aux États-Unis, éléments de compréhension ». Revue française d’études américaines, [95], p.73–86.
Coulmont B. (2003), « Géographie de l’union civile au Vermont ». Mappemonde, [71], p.13–18.
Coulmont B. (2004), « Devant Dieu et face au droit ? ». Critique internationale, [25], p.43–52.
Coulmont B. (2004), « Les Églises américaines et les nouvelles formes de mariages ». Matériaux pour l’histoire de notre temps, [75], p.5–16.
Coulmont B. (2005), « Do the Rite Thing: Religious Civil Unions in Vermont ». Social Compass, 52[2], p.225–239.

Coulmont B. (2005), « Entre droit, norme et politique : un procès ecclésiastique contemporain ». Droit et société, [59], p.139–148.
Coulmont B. (2006), « Jeux d’interdits ? Religion et homosexualité ». Archives de sciences sociales des religions, [136], p.103–114.
Coulmont B. (2006), « Entre le débat et le banal, le mariage religieux des couples du même sexe aux États-Unis ». In A. Cadoret et al. eds. Homoparentalités : approches scientifiques et politiques. Paris, Presses Universitaires de France, pp. 87–94.
Coulmont B. (2007), « Bons à marier ? Rite d’institution et institution d’un rite ». In B. Perreau ed. Le choix de l’homosexualité. Paris, EPEL, pp. 173–195.
Coulmont B. (2008), « États-Unis. Le mariage religieux des couples de même sexe ». In É. Fassin et al. eds. Mariages et homosexualités dans le monde. L’arrangement des normes familiales. Paris, Autrement, pp. 73–82.
Coulmont B. (2008), « Mariage homosexuel, religion et État aux États-Unis ». In F. Rochefort ed. Le Pouvoir du genre. Laïcités et religions 1905-2005. Toulouse, Presses universitaires du Mirail, pp. 217–228.
Coulmont B. (2010), « Un dessin vaut mieux que mille mots ». In Dossiers d’études. Les transformations de la conjugalité : Configurations et parcours. Paris, Université Paris Descartes, Caisse nationale des allocations familiales, pp. 48–54.