Changer de prénom (article du Monde)
Si vous arrivez ici suite à l’article du Monde (daté du 24 avril 2012), voici quelques précisions sur mon travail.
Comme précisé dans la partie Recherche du site, je mène actuellement une recherche sur les changements de prénoms dans le cadre d’une convention avec la Mission de recherche droit et justice. Cette recherche est centrée sur la procédure judiciaire : je ne m’intéresse qu’aux personnes faisant appel à la justice pour changer leur acte de naissance.
C’est après avoir écrit Sociologie des prénoms qu’une recherche sur les changements de prénom m’a semblé intéressante, pour comprendre une partie des usages des prénoms. Les sociologues savent beaucoup de choses sur le choix du prénom (par les parents), et peu de choses sur ce que l’on fait, ensuite, avec ce prénom.
Vous pouvez, si vous voulez en savoir plus, acheter Sociologie des prénoms, ou m’écrire en utilisant l’adresse suivante : prenoms@coulmont.com (sans accent).
Ces changements de prénom (comme les changements de nom) mettent en lumière « l’emprise du national sur le nominal » (pour reprendre l’expression de Nicole Lapierre) mais aussi les usages “narratifs” de l’état civil.
En France, aujourd’hui, le choix du prénom est libéralisé, il appartient pleinement aux parents. Il n’en va pas encore de même du choix d’un nouveau prénom (par les parents ou par l’enfant lui-même), qui est encore soumis à un contrôle judiciaire. Et il n’en va pas de même dans tous les pays. Le Maroc (comme le montre l’attestation consulaire copiée ci-contre) demande à ses citoyens d’avoir un prénom traditionnel marocain, ce qui peut poser problème à des parents cherchant à inscrire leur enfant dans deux espaces nationaux, s’ils ne vérifient pas le caractère marocain du prénom choisi.
La Turquie (et certains consulats turcs) cherche à maintenir les frontières de son alphabet, ce qui contraint certains enfants turcs, mais nés en France, à modifier, parfois très légèrement, leur prénom. Cette “tension alphabétique” s’est faite plus forte depuis une douzaine d’années, suite, notamment, à des revendications kurdes.
Aslan (Senem), 2009. Incoherent State: The Controversy over Kurdish Naming in Turkey. European Journal of Turkish Studies, (10). http://ejts.revues.org/index4142.html :
Especially in the post-2000 period, Kurdish activists sought to construct unique Kurdish names […] with letters that do not exist in the official alphabet […] [T]he pro-Kurdish Democratic People’s Party (DEHAP) and the Free Society Party (ÖTP) organized a campaign for the registration of Kurdish names that include letters q, x, and w, which do not exist in the official alphabet. Administrators of these parties collectively applied to courts to replace their names with explicit Kurdish names such as Xemgin, Berxwedan, Warjin, Qalferat, and Hêzîl Avaşîn.
En France, la procédure de “francisation” des noms et prénoms, proposée lors de la naturalisation (ou de l’acquisition de la nationalité), continue à entretenir un lien entre appartenance nationale et identité “nominale”. Nombreuses sont les personnes à demander à la justice une “défrancisation“, suite à la francisation d’un prénom [Mais ces personnes ne constituent qu’une petite partie des personnes qui ont francisé leur prénom].
L’« emprise du national sur le nominal » n’est qu’un aspect — éclairant, mais partiel — des changements de prénom. Une autre facette éclaire les demandes : l’état civil est considéré par les demandeurs comme une cristallisation de leur histoire personnelle. Pour beaucoup, les papiers disent une partie de la vérité des personnes (“C’est quoi ton vrai prénom ?”). Agir sur l’état civil permet ici de rectifier une histoire, de lui donner une unité, de choisir une lignée maternelle ou paternelle, de restaurer l’influence d’un aïeul, de s’inscrire dans un monde plutôt que dans un autre. C’est peut-être cela que Michel Foucault appelait la morale d’état civil.
N’hésitez pas à me contacter. Par mail à prenoms@coulmont.com ou en laissant un commentaire à ce billet.