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Présidentielles : les parrainages à particule

Si la particule du nom de famille (de, du, d’ ou des) ne voulait rien dire, alors les gens à particule auraient la même distribution sociale que les gens sans particule. Monsieur Dupont et monsieur du Pont seraient équivalents.
J’ai pu montrer, dans Dupont n’est pas du Pont (Histoire & mesure, 2019), que, précisément, Dupont n’est pas du Pont.
On peut en trouver une nouvelle illustration dans ce graphique, qui présente la proportion des « parrainages » (ou « présentations ») des candidats et candidates, aux élections présidentielles, depuis 1981. Soit 41 ans, huit élections, 56 candidats, et plus de 60 700 parrainages et marrainages.

Comme on peut le constater, c’est un gradient gauche-droite qui se révèle dans la distribution des « parrainages à particule ». Statistiquement, la chose est intéressante : il y a peu d’élus à particule, environ 1%, et les parrainages sont peu nombreux (entre 500 et 2000). Il ne suffirait que de quelques parrainages à particule en plus ici ou là pour faire basculer un.e candidat.e du bas en haut de cette liste. Mais ce n’est pas ce que l’on observe…

 

Pour comprendre dans quelles recherches s’inscrit ce graphique, vous pouvez lire Dupont n’est pas du Pont.

C’est pas du Pont

Je suis heureux de voir la publication de « Dupont n’est pas du Pont. Sociographie de la noblesse d’apparence », un article sur les noms à particule, dans la revue Histoire & Mesure. Les lectrices de ce blog connaissent mon intérêt pour l’onomastique, et notamment pour les noms à particule, que portent Vicomtes, Duchesses, Princes… mais aussi des personnes qui n’ont rien de la noblesse d’Ancien régime.

L’article est disponible sur cairn.info et des documents annexes sont accessibles ici.

C’est que, la particule, ça vous change un homme. Sur ces affiches, Dany Vicomte Daniel de Boon joue sur deux clichés, à gauche celui du ch’ti sympa mais pas futé, à droite celui du nobliau hautain et méprisant, “de Boon des Hauts de France” (qui semble imiter le duc de Wellington). Voilà qui demandait une investigation sociologique…

Trève de blague… L’article est essentiellement composé de deux parties. L’une qui explore la diminution de la part des gens à particule dans divers secteurs des élites françaises (écoles supérieures, magistrature, assemblées élues, hiérarchie cléricale catholique…), une diminution qui commence en 1789 mais qui n’est pas achevée aujourd’hui. S’il y a régression vers la moyenne, le rythme de la régression est lent.
La seconde partie explore la place contemporaine des hommes et femmes à particule à partir de sources nominatives diverses, ce qui permet de mettre en lumière des différences résidentielles (qui s’expliquent par l’inertie immobilière), des différences professionnelles et des différences politiques.

Entrepreneurs à particule

Le Fichier “SIRENE” contient des informations sur des millions d’entreprises françaises. Et, pour près de 4 millions d’entre elles, on dispose du nom de famille de l’entrepreneur, ou de l’entrepreneure. Il est alors possible de calculer, par secteur d’activité (à partir du code NAF), la proportion d’entrepreneurs dont le nom comporte une particule.

C’est dans la gestion de sites et de monuments historiques que la proportion d’individus à particule est la plus forte (un cinquième des entrepreneurs de ce secteur ont un nom à particule). On les trouve ensuite dans la sylviculture, l’exploitation forestière et la gestion de fonds. Dans les Musées, la reliure, l’édition, l’administration d’immeubles et les relations publiques.


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Et où sont-ils absents, les entrepreneurs à particule ? La sécurité, la récupération de déchet, l’élevage porcin, la dératisation…

cliquez pour agrandir [attention : l’échelle de ce second graphique n’est pas la même que celle du premier graphique]

Intitulés de la NAF Particules %
Gestion des sites et monuments historiques et des attractions touristiques similaires 20.0
Sylviculture et autres activités forestières 6.0
Exploitation forestière 4.5
Gestion de fonds 3.6
Reliure et activités connexes 3.1
Activités des agences de placement de main-d’œuvre 2.9
Autres services d’information n.c.a. 2.9
Location et location-bail de matériels de transport par eau 2.7
Administration d’immeubles et autres biens immobiliers 2.7
Activités combinées de soutien lié aux bâtiments 2.7
Autre mise à disposition de ressources humaines 2.6
Location et location-bail de camions 2.6
Activités des organisations religieuses 2.6
Organisation de jeux de hasard et d’argent 2.5
Gestion des musées 2.5
Transports maritimes et côtiers de passagers 2.4
Édition de livres 2.4
Action sociale sans hébergement n.c.a. 2.4
Travaux de maçonnerie générale et gros œuvre de bâtiment 2.3
Conseil en relations publiques et communication 2.2

 
Et les secteurs où la proportion d’entrepreneurs à particule est la plus faible :
 

Intitulés de la NAF Particules %
Activités de conditionnement 0.2
Récupération de déchets triés 0.3
Commerce de gros (commerce interentreprises) de déchets et débris 0.3
Sciage et rabotage du bois, hors imprégnation 0.3
Commerce de gros (commerce interentreprises) de composants et d’équipements électroniques et de télécommunication 0.4
Activités liées aux systèmes de sécurité 0.4
Entreposage et stockage non frigorifique 0.4
Fabrication d’articles de papeterie 0.4
Fabrication d’autres ouvrages en béton, en ciment ou en plâtre 0.4
Fabrication de cacao, chocolat et de produits de confiserie 0.4
Autres intermédiations monétaires 0.4
Élevage de porcins 0.4
Commerce de détail d’équipements automobiles 0.4
Installation de structures métalliques, chaudronnées et de tuyauterie 0.4
Fabrication de biscuits, biscottes et pâtisseries de conservation 0.4
Fabrication de bière 0.4
Élevage d’autres bovins et de buffles 0.4
Production de boissons alcooliques distillées 0.4
Élevage de vaches laitières 0.4
Désinfection, désinsectisation, dératisation 0.4

Évêques à particule

En 1789, la quasi totalité des évêques de l’Église catholique romaine étaient, en France, issus de la noblesse. Ce qui fait que la quasi totalité portait un nom à particule. À Agen c’était Jean-Louis d’Usson de Bonac, à Aix c’était Jean-de-Dieu-Raymond de Boisgelin de Cucè…
Certes la particule du nom de famille n’est pas un indicateur parfait de l’appartenance à la noblesse : si tous les nobles ou presque ont désormais un nom à particule, la très très grande majorité de celles et ceux qui on un “de”, un “du” ou un “des” dans leur nom de famille ne sont pas descendant d’un ancêtre noble du même nom. Il n’empêche : en France, encore aujourd’hui, Madame du Pont n’est pas Madame Dupont. Ne serait-ce que sur un seul point : Madame du Pont est très rare : moins d’1% des personnes résidantes en France ont un nom à particule.

Le graphique suivant s’intéresse à la proportion d’évêques à particule en France, entre 1500 et 2017. [J’ai fait ça un peu rapidement : j’ai considéré, par exemple, que les frontières actuelles de la France étaient les frontières en 1700, etc… Et j’ai traité les données de manière automatique : des erreurs de traitement sont toujours possibles.]
Mais ce graphique est bien illustratif. Il montre notamment que, sous l’Ancien Régime, petit à petit, la particule devient à la mode dans la noblesse. En 1500, tous les nobles ne portaient pas de particule (d’autres éléments de l’identité permettaient de signaler l’appartenance au Second ordre). À la toute fin de l’Ancien Régime, les nobles ont attaché une particule à leur nom.

Périodisons un peu ce graphique :
L’effet de l’Empire (et du Concordat) est visible : sous Napoléon, la proportion d’évêques à particule chute. Elle rebondit dès les débuts de la Restauration. Mais le pli est pris et chaque nouveau coup d’État, au XIXe siècle, va faire chuter la proportion d’évêques particuliers.

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Il faudrait que je propose, pour le XXe siècle, une périodisation par pontificats : après la Séparation, la nomination des évêques est affaire de l’Église seule. Et il se pourrait bien que quand l’Église entre dans une phase réactionnaire, les évêques à particule augmentent en nombre et en proportion, alors que dans les phases libérales, la proportion diminue.

Taisez-vous, Vicomte arriéré !

La Troisième République, surtout après 1877, a définitivement permis à la France d’enterrer la monarchie et ses cortèges nobiliaires. Mais les titres de noblesse, eux, n’ont jamais disparu. Encore aujourd’hui, l’Etat délivre les titres d’investiture aux descendants aînés mâles légitimes issus d’un mariage catholique (pour la noblesse d’Ancien régime). Et ce n’est pas l’enracinement de la République qui a fait disparaître les titres de noblesse du Journal officiel.

Par exemple, en 1914, on trouve un député vicomte (de Villebois-Mareuil)

En 1921 un baron (des Lyons de Feuchin)

En 1940 un marquis (de La Ferronnays)

Donc 70 ans après l’instauration de la République, des députés apparaissaient encore sous leur titre de noblesse. Et cela ne cesse pas en 1945. On trouve encore des marquis au tout début de la Quatrième République :

Dans le Journal officiel (Assemblée nationale), la pratique va cesser autour de 1950. Le “Marquis de Moustier” devient “Roland de Moustier” et le prénom remplace le titre, à une période historique d’émergence du prénom comme “lieu où s’affirme la volonté” écrivait Jean Carbonnier. D’ailleurs “Marquis” semble dès lors devenir une insulte, du moins pour les élus communistes, comme le montre cet extrait du 16 février 1952 :

ou encore cet extrait du 18 juin 1953 :

Merci à @RemiMathis sur twitter, à Gallica et au site d’archive de l’Assemblée nationale

L’honneur et le mérite

En France, si vous observez des groupes inégalement prestigieux, ou placés à des degrés différents dans une hiérarchie, vous observerez aussi que les membres de ces groupes n’ont pas la même probabilité d’avoir un nom à particule. Comme les noms à particule sont très rares en France (moins de 0,8% des personnes nées en France en sont dotés), il faut avoir des groupes de grande taille pour trouver des gens à particule. Ou alors il faut avoir des groupes que l’on peut rattacher aux classes dominantes, et l’on verra qu’au sein de ces groupes, les gens à particule constitue une sorte d’aristocratie, de paranoblesse.
Ici, je vais explorer la liste des personnes ayant reçu la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite entre 1990 et aujourd’hui. Soit environ 222 340 individus (une partie cumule les titres, et on les retrouve dans les deux listes). L’Ordre national du mérite est un ordre bâtard, de création récente (1963). La Légion d’honneur, elle, est doté du prestige de l’ancienneté. La proportion de gens à particule varie : 2,5% des «méritants» ont une particule, et c’est le cas de 3,6% des «légionnaires». Un rapport de 1 à 1.44 entre ces deux ordres, et surtout, une surreprésentation importante quand on la compare avec la population de la France. Il y a au minimum 4,5 fois plus de gens à particule chez les légionnaires que dans la population.
Ces différences entre ordres ne sont pas dues au hasard. Elles se répêtent chaque année, de manière systématique, comme le montre ce graphique:


Année après année, il y a toujours plus de récipiendaires à particule dans les listes de légionnaires que dans les listes de méritants. Encore aujourd’hui, dans la France contemporaine. (Et ce n’est pas du aux militaires recevant la Légion d’honneur, j’ai vérifié.)

La proportion de personnes à particule varie, au sein de ces ordres, de deux façons. Tout d’abord, plus on grimpe dans la hiérarchie locale, plus la proportion de gens à particule augmente.


11% des Grand’croix de la Légion d’honneur ont un nom à particule, ce n’est le cas que de 3,5% des simples “Chevaliers” (qui, contrairement à leur titre, ne sont que que de la piétaille). L’augmentation de la proportion de gens à particule avec les titres se repère aussi dans le cas de l’Ordre du mérite.

Pour devenir Grand’Croix, il faut d’abord être Grand Officier, et pour être Grand Officier il faut être Commandeur, etc… et il faut attendre un moment avant de pouvoir monter l’échelle. Les plus titrés sont donc les plus âgés, et les plus âgés dans l’Ordre. Entrer jeune a des effets sur la fin de carrière. C’est pourquoi il est fascinant de voir que, encore aujourd’hui dans la France contemporaine, la proportion de récipiendaire à particule est beaucoup plus élevée quand ces récipiendaires ont un faible nombre d’«années de service» :

Ce graphique ne concerne que les “Chevaliers” : 6% de celles et ceux qui sont nommés après juste 20 ans de service ont un nom à particule. La prime à la jeunesse est aussi clairement visible dans le cadre des entrées dans l’Ordre national du mérite. Voilà pourquoi il est fort probable que, dans quelques décennies encore, les Grand’Croix et Grand.e.s Officier.e.s auront toujours plus de noms à tiroir que les Chevaliers.

 
Notes : les données proviennent de Légifrance, par l’intermédiaire de Nathann Cohen

Le beau linge

Il y a le tissu social. Et il y a le beau linge social [*]. Mais parfois le beau linge est caché dans de vieilles armoires grinçantes. Ouvrons une de ces armoires : les noms à particules (et, parfois, à armoiries). Je vais m’appuyer sur les résultats nominatifs au bac général et technologique, entre 2012 et 2017, soit 2,2 millions d’individus.
Parmi eux, 25 000 ont un nom à particule (la particule ici étant “de”, “du”, “des” ou “d'” : d’Hauterives, de La Tour d’Aigues, des Restifs, Chabault du Fals, etc…), et parmi eux quelques De Souza. 68 000 ont un des 30 noms de famille les plus fréquents en France (Martin, Durand) mais aussi Da Silva. Les autres, qui sont donc 2,1 millions environ, représentent le tout-venant.
Si la particule ne disait rien (mais vraiment rien du tout) de la position sociale, alors les prénoms des bacheliers à particule devraient ressembler très fort aux prénoms des bacheliers sans particule. Si l’on pense que la particule est quand même un signe d’immigration potentiellement lointaine, alors on peut comparer avec les prénoms de celles et ceux qui ont un nom de famille très fréquent en France (un des trente noms de famille les plus fréquents). Les choix de monsieur et madame Dupont ne devraient pas trop différer des choix de Monsieur et Madame du Pont.

Le tableau des prénoms les plus fréquents ne révèle que peu de différences. Les prénoms des “Dupont” (c’est à dire des personnes ayant un des 30 noms de famille les plus fréquents en France) sont, grosso modo, rangés dans le même ordre que les prénoms de l’ensemble de la population des bacheliers. Les prénoms des “du Pont” (c’est à dire des personnes ayant un nom à particule) montrent de légères différences de rang : on y préfère Marie à Camille, on apprécie un peu moins Léa et Manon. On adoooore Louis et Paul.

rang DUPONT TOUS DU PONT
1 Camille Camille Marie
2 Thomas Thomas Antoine
3 Manon Marie Thomas
4 Lea Manon Alexandre
5 Marie Lea Camille
6 Pauline Alexandre Louis
7 Antoine Antoine Paul
8 Mathilde Maxime Guillaume
9 Maxime Nicolas Nicolas
10 Nicolas Pauline Pierre
11 Alexandre Mathilde Lea
12 Marine Chloe Charlotte
13 Julie Marine Marine
14 Chloe Laura Hugo
15 Quentin Julie Mathilde
16 Clement Quentin Manon
17 Julien Clement Maxime
18 Guillaume Pierre Quentin
19 Laura Marion Pauline
20 Valentin Julien Alexis

Sources : Résultats nominatifs au bac

Ainsi, pour ce qui est des choix les plus fréquents, les choix des Dupont et des du Pont se ressemblent. Les prénoms les plus fréquents n’ont qu’un faible pouvoir de distinction.

Le diable est dans les détails. Certains prénoms (des prénoms relativement fréquents, présents chez plus de 500 bacheliers et bachelières) ne sont pas répartis de la même manière entre Dupont et du Pont. Examinons la “sur-représentation” et la “sous-représentation” de ces prénoms fréquents. Pour ce faire, on divise la fréquence du prénom dans la population à particule par la fréquence du prénom dans la population complète. Quand ce rapport est supérieur à 1, cela signifie que les du Pont choisissent un peu plus souvent ce prénom que la population générale. Et l’on fait la même chose pour les Dupont.

Là, les différences apparaissent très visibles. Les parents à particules choisissent Sixtine, Maylis et Stanislas beaucoup plus souvent que le commun des mortels. Les Dupont, eux, ont des choix peu spécifiques : à la fois Teddy et Thibaud, Andy et Léonie : c’est que l’on trouve de tout dans les Dupont, qu’ils ont des choix très peu différents des choix du commun des mortels.

rang (de surreprésentation) DUPONT DU PONT
1 Solenne Sixtine
2 Alexane Maylis
3 Suzanne Stanislas
4 Andy Gaspard
5 Timothe Albane
6 Xavier Hugues
7 Segolene Hortense
8 Cassandra Henri
9 Joffrey Philippine
10 Gwenaelle Marin
11 Gabin Bertrand
12 Teddy Diane
13 Thibaud Victoire
14 Antony Alix
15 Charlene Astrid
16 Corentin Alban
17 Leonie Joseph
18 Coraline Malo
19 Etienne Amaury
20 Leopold Augustin

Sources : Résultats nominatifs au bac

Alors que nous serions bien en peine de distinguer les Dupont sur le tissu social (ce sont, collectivement, des omnivores culturels), les du Pont, eux, s’y distinguent bien, notamment par leurs choix spécifiques : ils sous-utilisent les prénoms les plus fréquents, et ils sur-utilisent un corpus de prénoms rares. Ainsi, alors que rien ne devrait distinguer les Dupont des du Pont, si la particule n’était vraiment rien, certaines de leurs pratiques culturelles les différencient encore, à la marge, du reste de la société. Quand donc arriveront-ils à s’intégrer ?

[*] La métaphore n’est pas seulement filée, elle est ici cousue de fil d’or.

Le petit remplacement : note sur la fécondité des nobles (d’apparence)

À la fin du XIXe siècle, les bébés à particule ne représentaient que 0,4% des naissances. À la fin du XXe siècle, 100 ans après, ils représentent 0,9% des naissances. Comment expliquer cela ? Une hypothèse, c’est de dire que les “de Souza” ont remplacé les “de Rochechouart”, et qu’on n’est même plus chez nous en France, hein !
Mais il semble que d’autres hypothèses moins farfelues soient envisageables, ma bonne dame, si seulement vous étiez moins xénophobe.
Je commence par retenir les noms de famille n’apparaissant qu’une seule fois dans les naissances de la fin du XIXe siècle : entre 1890 et 1914, ces familles n’ont produit qu’un seul bébé. J’examine ensuite combien de bébés sont produits vers 1980, en comparant les noms à particule et les autres noms. La méthode est grossière, mais elle permet probablement de comparer la fécondité des descendants de noms très rares, présents en France à la fin du XIXe siècle, à celle des personnes portant un tel nom rare à la fin du XIXe siècle.

Pour être plus précis : Prenons les familles qui n’ont qu’un seul enfant à la fin du XIXe siècle, qui ont moins de 5 enfants 25 ans après, moins de 17 50 ans après et moins de 64 75 ans après. C’est une manière de retenir principalement les familles qui n’augmentent pas grâce à l’immigration mais surtout par la fécondité naturelle (en produisant au maximum 4 enfants tous les 25 ans).
7732 familles “nobles” correspondent à ce cas. Lors de la dernière période, elles ont produit 8238 enfants, soit une croissance de 1,06.
Les familles non-nobles sont plus nombreuses. Mais en fin de période, elles n’ont plus que 0,81 enfant pour chaque enfant produit à la fin du XIXe siècle. (Pour repérer cela, et avoir une idée du rapport plus élevé des nobles d’apparence, je prends 3000 échantillons de non-nobles de même taille que la population des familles à particule d’un même niveau de rareté).

rapport-patronymes
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De la même manière, comparons les familles qui, à la fin du XXe siècle, ont 2 enfants (puis moins de 9, moins de 33 et enfin moins de 129). Les “nobles” se retrouvent avec 1,6 enfants pour chaque enfant de la fin du XIXe, les non nobles avec seulement 1,3 enfants.
Un dernier exemple : les familles qui démarrent avec 3 enfants : si elles ont une particule, elles produisent en fin de période 1,9 enfant pour chaque enfant; les familles sans particules n’en produisent que 1,4. Avec 4 enfants : 1,9 pour les nobles, 1,4 pour les manants.

Dans tous les cas, les familles à particule présentes en France à la fin du XIXe siècle et très rares semblent avoir une fécondité plus importante que les familles sans particule. Ou alors elles arrivaient mieux à transmettre leurs noms (mais comment le feraient-elles ?). Est-ce parce qu’elles se trouvent, plus souvent, au sommet de l’échelle sociale et qu’elles disposent d’un patrimoine plus fourni ? Qu’elles sont plus souvent que de coutume catholiques ? Qu’elles connaissent une mortalité infantile moindre ?

Les grandes familles sont des familles nombreuses (du moins un peu plus nombreuses).

Un autre indice des différences de fécondité peut être calculé à partir de la proportion de noms qui disparaissent, qui cessent de produire des bébés.

disparition-patronymes
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80% des noms sans particule très très rares à la fin du XIXe siècle ne produisent aucun bébé à la fin du XXe siècle. Ce n’est le cas que de 75% des noms à particule aussi rares. La différence est faible, mais elle signifie que les noms à particule très rares il y a 100 ans se maintiennent mieux sur la distance : et la comparaison entre nobles d’apparence et manants d’apparence est toujours au profit des gens à particule.

Note finale : n’étant pas démographe, il est fort possible que ma lecture et mon analyse du fichier des patronymes soit une hérésie.

Les vicomtes… et les autres

Lundi, dans quelques jours (le 21 novembre), je présente à l’INED les premiers résultats d’une recherche sur la noblesse d’apparence. Dupont n’est pas du Pont :

En 1816, 100% des ambassadeurs français avaient un nom à particule, ils ne sont plus que 3% aujourd’hui. La présence d’une particule dans le nom de famille n’a jamais impliqué l’appartenance à la noblesse… et pourtant ces noms, au XIXe siècle, étaient surreprésentés au sommet de l’échelle sociale : la noblesse d’apparence avait l’apparence de la noblesse. À partir de l’analyse de listes nominatives variées (concernant le personnel politique, les anciens élèves de grandes écoles, les bacheliers, les électeurs…) cette communication étudie la lente disparition des positions sociales héritées de l’Ancien Régime, mais aussi leur rémanence (résidentielle, culturelle et politique) encore aujourd’hui. Car en 2017, Dupont (prénom Olivier) n’est toujours pas du Pont (prénoms Aymard, Sixte, Marie).

C’est à 11h30, en salle Sauvy, à l’INED.

Habit vert et sang bleu

academie-rechercheSur le site de l’Académie française, vous pouvez faire une “recherche avancée” pour retrouver un “Immortel”. Vous pouvez chercher par “numéro de fauteuil”, par nom ou par lieu de décès… ou par titre de noblesse. Pas par sexe, parce que les Immortels n’ont pas de sexe. Ont-ils une particule ?
J’ai récupéré, et ce ne fut pas sans mal (pour l’Académie des sciences, qui a une liste bizarre et très mal formatée), les membres des cinq Académies de l’Institut de France. Voici le résultat.
Sous l’Ancien Régime, la proportion de noms à particule augmente entre le XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. Plusieurs éléments sont à préciser : d’abord les nobles se mettent à “particuler” leurs noms, à y ajouter des particules, et les manants aussi. Précisons aussi que cet anoblissement des Académies est peut-être un signe de reconversions internes au Second Ordre avant la Révolution.
La Révolution introduit des ruptures de séries, et des difficultés de fonctionnement pour les Académies. Au XIXe siècle, période de fondation de trois des cinq Académies, la tendance globale est à la diminution de la proportion d’Académiciens à particule.
academies
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Mais depuis le début du XXe siècle, et surtout depuis 1950, les différentes Académies ont stabilisé la proportion de membres à particule. Seule l’Académie des sciences voit sa proportion de nobles d’apparence continuer à diminuer (mais cette Académie est beaucoup plus populeuse que les autres). Gardons bien à l’esprit que, étant donné qu’il y a moins de 1% de noms à particule dans la population française, ces noms restent fortement sur-représentés Quai de Conti.
À l’Académie française, il reste tant bien que mal, depuis 1900, environ 6 Académiciens à particule sur les 40 en poste à un moment donné. De manière intéressante, à l’Académie des sciences morales et politiques et à l’Académie des beaux-arts, la proportion de membres à particule augmente depuis une bonne cinquantaine d’années. Les mauvaises langues diraient que, sous la Coupole, les vieilles croûtes et les vieux croûtons apprécient les noms à rallonge.

Le retournement de tendance se perçoit bien si l’on étudie la population totale des Académies (en enlevant l’Académie des sciences, pour laquelle la liste complète et précise des membres est complexe à établir) :

academies-agrege

J’ai utilisé ici une échelle logarithmique, pour mettre en évidence les évolutions « récentes » (c’est à dire depuis 1900).

Depuis une vingtaine d’année, après 50 ans de stabilisation et 150 ans de baisse continue, la proportion de noms à particule augmente. L’échantillon est petit, car les 4 Académies réunies ont 200 membres, mais l’évolution est bien perceptible.

Si vous voulez comprendre pourquoi, vous pouvez assister à l’un des prochains « Lundi de l’INED », où j’espère montrer que «Dupont n’est pas du Pont».

Notes :
(1) Merci à François Briatte pour sa collaboration… même si j’ai fini par faire du copier-coller à la main.
(2) L’Académie des inscriptions et belles-lettres, oui, ça existe vraiment.