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Aristocrates de tous pays, corrélez-vous

Quelle est la présence des nobles dans les livres français ? Google Ngram permet d’estimer la fréquence de tel ou tel mot parmi l’ensemble des mots publiés la même année.
J’ai récupéré la fréquence des titres de noblesse depuis 1760 : roi (roy, reine), prince (princes, princesse(s)), etc… La corrélation est très importante : la fréquence des différents titres augmente et diminue en même temps, depuis plus de deux siècles. Et c’est aussi corrélé aux usages de “noble” (nobles, noblesse).
noble-ngram
Ces titres n’apparaissent pas avec la même intensité : “roi” est beaucoup plus fréquent que “vicomte” (que j’ai regroupé avec comte et comtesse). Passons donc à une échelle logarithmique pour rendre plus visible la corrélation :

noble-ngram-log

Une des raisons possible de cette corrélation est que ce sont les mêmes livres qui parlent de “princes” et de “comtes”, et que les livres qui ne parlent pas de “princes” ne parlent pas non plus de “barons” ou de “rois”.

Dans le détail, l’on voit bien la période révolutionnaire, qui donne lieu d’abord à une hausse importante de la fréquence des titres, puis, effet des guillotines, à une chute rapide des mêmes titres. La reprise est rapide sous Napoléon, et culmine sous la Restauration. 1830, 1848 et 1870 n’apparaissent pas aussi visiblement.

La stabilité depuis 1950 est intéressante : les titres de noblesse cessent de disparaître des ouvrages publiés en français. On peut même déceler une augmentation depuis 1980 : comment expliquer les usages plus fréquents de titres périmés, dans une société républicaine ?

Monsieur de l’Isle

Certaines personnes, en France, possèdent un petit signe distinctif, une particule dans leur nom de famille : un “de”, un “du” ou un “d'”, voire un “des”. Moins d’un Français sur 100 en possède une.
Des indices variés laissent penser que cette particule est prestigieuse. Quand des personnes possèdent un nom à rallonge, de la forme “Coulmont de la Gastine”, un jeu identitaire est possible. Se définir publiquement comme “Coulmont” ou choisir au contraire “de la Gastine”, un beau nom de Vicomte. Il me semble que c’est souvent “de la Gastine” qui est utilisé au quotidien. Ainsi Philippe Le Jolis est-il connu sous le nom de Philippe de Villiers.
Mais peut-on trouver des preuves plus solides de ces prétentions à la distinction ?
Les demandes de changement de nom de famille, que publie chaque jour le Journal officiel, sont intéressantes. Elles sont nombreuses, mais surtout elles indiquent, du point de vue des demandeurs, une préférence. Molière l’écrivait déjà en 1662, il existe des particules de vanité :

« Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre
Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux. »

C’est que la quasi-totalité des nobles titrés, en France, ont un nom à particule. Et on estime à plus de 97% la proportion des adhérents de l’Association de la noblesse française possédant une particule. Si tous les nobles avaient des cheveux verts, ce signe, même partagé par d’autres personnes, non nobles, prendrait une signification particulière. Certaines personnes se coloreraient les cheveux en vert : «C’est parce qu’il y a des gens qui veulent à toute force entrer dans la noblesse que le mécanisme de la noblesse marche», écrivait Pierre Bourdieu. Car à la différence de la caste, fermée, la noblesse accepte, avec parcimonie, les prétendants.

Je n’ai pas trouvé de demandes d’abandon de nom à particule, mais j’ai trouvé, en quelques semaines, plusieurs dizaines de demandes visant à prendre une particule. De la même manière que Monsieur Cocu demande à devenir Cossu, que Madame Crotte demande à devenir Madame Crosse, l’on va trouver des Monsieur Lagrange voulant devenir “de la Grange”, ou souhaitant ajouter “du Roy” pour devenir “Lagrange du Roy”.

Voici une liste partielle de demandes récentes, pour lesquelles j’ai censuré certaines informations :

changementdenom-particule
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Ectoplasme ! Moule à gaufre ! Ambassadeur à particule !

La diplomatie fut longtemps une occupation acceptable pour un aristocrate. Encore aujourd’hui, environ 4% des ambassadeurs français portent une particule (alors que la proportion dans la population française est inférieure à 1%). Une petite base comportant des informations sur 3000 nominations d’ambassadeurs (sur data.gouv.fr) depuis 1944 nous permet de repérer une tendance à la baisse.
ambassadeurs-nobles-1944-2012

[Merci à @Gilda_f pour le titre]

Mais qui se fiance, de nos jours ?

Le Carnet du jour du Figaro est une source formidable qui se prête assez bien à l’enquête (pas seulement sur les prénoms). On peut y reconstituer certaines des relations familiales qui unissent entre elles des fractions diverses des classes dominantes. On peut y constater la place centrale qu’y occupe encore l’aristocratie d’apparence ou l’aristocratie titrée.
Voici un petit graphique, qui montre que près de 40% des faire-part de naissance et 75% des annonces de fiançailles implique une famille à particule. Chiffre à comparer avec la proportion estimée de porteurs de particule en France, plus de 0,5% mais moins de 1%.
carnetfigaro20132015-NF
On y repère aussi d’intéressantes variations saisonnières, qui restent à expliquer.

La persistance de l’Ancien Régime

Que signifie la particule du nom de famille ? Plus de 50% des députés nés vers 1780 ont une particule. Ils n’étaient pas tous nobles, certes, mais ils aspiraient probablement à un destin glorieux.
En reconstituant de grandes listes nominatives de membres des différentes élites sociales, il serait sans doute possible de mesurer le degré de persistance des positions sociales d’Ancien Régime.
Prenons par exemple la Légion d’honneur. Honneur républicain aujourd’hui, institution napoléonienne à l’origine. Examinons la proportion de légionnaires porteurs d’une particule :

legionparticule
Les légionnaires nés avant 1770 sont souvent porteurs d’une particule : ils reçoivent leur médaille sous Napoléon ou au retour des Bourbons. Ensuite, c’est un lent déclin qui s’observe, jusque pour les légionnaires nés après 1890, qui semblent bien porter de plus en plus souvent une particule. Les promotions les plus récentes, en 2011 ou 2014, comportaient entre 3 et 4% de noms à particule.
Pour entrer dans l’élite, rien de tel, aujourd’hui, qu’un passage par Palaiseau, et son école polytechnique. Institution révolutionnaire, elle n’accueille, à ses débuts, qu’une toute petite proportion noms à particule. Il faut dire que s’appeler Louis-François-Marie de Beau-Nom vers 1793 n’était pas de tout repos. Mais dès Napoléon, et suite au retour des Emigrés, l’école polytechnique attire bon nombre de particule. Un élève sur cinq, vers 1820, est un Monsieur.
polytechniqueparticule
Et là aussi, assez régulièrement, la proportion de porteurs de particule diminue. Elle diminue, tout en restant bien supérieure à la proportion de particules dans la population française (aujourd’hui, environ 0,8% de la population, estimation haute).
L’École des Chartes, elle, est fondée en 1821 par une ordonnance de Louis XVIII. Elle a toujours gardé ce fond aristocratique, et a servi d’école de reconversion de capitaux à une noblesse en mal de titres académiques.
chartesparticule
Si l’on en croit les « thèses de l’école des Chartes » produites par les élèves de cette école, 16% des élèves ont une particule vers 1850, et près de 4% de nos jours. Mais cela a tendance à diminuer.
Une autre école du pouvoir, fondée au moment de la Révolution, est intéressante à étudier. En partie parce qu’elle a toujours visé à peupler l’Université d’un personnel bien formaté.
normaleparticule
La particule n’est pas fortement attirée par l’Ecole normale supérieure. On y trouverait bien un Numa Fustel de Coulanges par ici ou par là, mais dès la fin du XIXe siècle, la population des normaliens ne se distingue pas de la population française sous le rapport de la particule du nom de famille.
L’augmentation, depuis près de cinquante ans, de la proportion d’élèves portant une particule n’en est que plus étrange : un autre signe, peut-être, de la permanence des inégalités sociales dans l’accès aux grandes écoles.
 
Notes : [1] ces graphiques ont été produits en synthétisant des informations publiquement disponibles sur des annuaires ou des catalogues librement accessibles. Un risque d’erreur non négligeable subsiste : catalogues incomplets, oublis de la particule, erreurs de codage, etc…
[2] le titre du billet fait référence à un formidable ouvrage bien connu d’A. Mayer

Les particules électorales

Les fichiers nominatifs des candidatures aux élections locales, en France, permettent de repérer des candidates et des candidats portant des “noms à particule”, que j’appelle des “nobles” (même si, je sais…).
J’avais exploré, il y a quelques années, les noms des candidates à la députation. Est-ce que le gradient politique repéré alors (plus de nobles à droite qu’à gauche) est aussi visible lors des départementales ?

Le tableau suivant synthétise les données. Je n’ai enlevé que les “Autres Extrême Droite” qui n’étaient pas nombreux. Là encore, “Monsieur de Puypeu” et “Madame de Horan” sont plus présents à droite qu’à gauche. Le MoDem, présidé par un admirateur d’Henri IV, le FN, qui possède une branche royaliste maurassienne et “Debout la France” (qui n’est pas le groupuscule présidé par Philippe de Villiers, mais qui est un autre groupe à la droite de la droite présidé par Nicolas Dupont-Aignan). Mes nobles de gauche sont, assez souvent, des De Almeida ou des De Souza dont je n’ai pas trouvé la trace dans le Bottin Mondain.

Départementales 2015 Nb Manants NB Particule % Nobles
PartiGauche 176 0 0
Régionalistes 185 0 0
DVG 1736 3 0,17
FrontGauche 1029 5 0,48
SOC 2423 13 0,53
RadicalGauche 172 1 0,58
PCF 1502 9 0,6
DIV 465 4 0,85
EELV 1064 11 1,02
ExtremeGauche 81 1 1,22
UDI 790 12 1,5
DVD 2174 37 1,67
UMP 1821 32 1,73
DeboutLaFrance 283 6 2,08
FN 3727 96 2,51
MoDEM 224 6 2,61
Ecologistes(Autres) 68 2 2,86

Le gradient politique est maintenu.
Si l’on examine maintenant les 933 000 candidatures aux élections municipales de 2014, nous voilà confrontés à un petit problème. Nombreuses, très nombreuses sont les listes sans affiliation politique. Impossible de produire aussi rapidement la même analyse.
Mais il est possible de repérer l’inégale répartition, sur le territoire métropolitain, des descendants du Second Ordre. Il y a une géographie locale de la noblesse et il est aussi possible de repérer que le Diocèse de Paris compte un bon nombre de prêtres à particule. De la même manière, Paris attire la noblesse. 2,7% des candidats, à Paris, portent une particule, et ce n’est le cas que de 0,3% des candidats du Bas Rhin (j’avoue ne pas avoir considéré les von Kälkechoz comme des nobles). À Versailles même, les candidats à particule représentent plus de 11% de l’ensemble des candidats aux municipales.
noblescandidats-municipales-carte

Voici le TOP 14 des communes de plus de 50 000 habitants ayant la proportion la plus importante de candidats à particule :

Versailles 11,6
Paris 7eme secteur 11,1
Neuilly-sur-Seine 5,6
Paris 16eme secteur 4,8
Paris 5eme secteur 4,5
Paris 15eme secteur 3,9
Vannes 3,8
Colombes 3,3
Asnières-sur-Seine 3,2
Annecy 3,1
Sartrouville 3,0
Saint-Maur-des-Fossés 2,6
Nantes 2,6
Boulogne-Billancourt 2,5

Il serait sans doute plus utile de travailler à partir de la liste des quelques 3000 noms de famille que l’on trouve dans les annuaires de la “véritable” noblesse, et de distinguer ainsi, parmi les particules, les prétendues et les autres.

Municipales 2014 NbManants NbNobles %Nobles
Communistes 4657 21 0,449
PartiGauche 1817 9 0,493
ExtremeGauche 12743 66 0,515
DiversGauche 107871 634 0,584
PartiSocialiste 29122 182 0,621
FrontGauche 13648 91 0,662
MoDem 2829 19 0,667
UnionGauche 30156 212 0,698
UDI 13308 109 0,812
SansEtiq 403005 3339 0,822
Divers 85958 717 0,827
Verts 5288 46 0,862
DiversDroite 147551 1465 0,983
UMP 22784 262 1,137
UnionCentre 2346 31 1,304
FrontNational 19906 285 1,412
UnionDroite 20839 304 1,438
ExtremeDroite 760 15 1,935

Un dernier graphique : dans les communes où l’on trouve peu de nobles sur les listes de candidats tout comme dans les communes dans lesquelles on trouve beaucoup de nobles sur les listes, le gradient politique est maintenu. Les partis situés à gauche rechignent à la particule.
nobles-listes-municipales

Si l’on s’intéresse aux professions des élus, on retrouvera un gradient social. 4% des élus municipaux qui sont “magistrats” sont nobles. Ce n’est le cas que de 0,2% des élus qui sont “agents subalternes des entreprises publiques”.

Professions % Nobles
Magistrat 4,07
Propriétaire 3,48
Conseiller juridique 3,28
Administrateur de sociétés 3,06
Avocat 2,95
Grands corps de l’état 2,77
Notaire 2,11
Homme de lettres et Artiste 1,90
Agent d’assurances 1,81
Journaliste et autre média 1,76
Marin (patron) 1,72
Agent immobilier 1,69
Industriel-Chef entreprise 1,68
Cadre supérieur (secteur privé) 1,63
Vétérinaire 1,58
Ingénieur conseil 1,44
…[coupure]… …///…
Salarié agricole 0,50
Employé (autres entrep. publiques) 0,50
Retraité de l’enseignement 0,49
Ouvrier (secteur privé) 0,48
Fonctionnaire de catégorie C 0,45
Retraité des entreprises publiques 0,42
Agent subalterne (entr.publiques) 0,20
Source : Fichier des élus municipaux. Calculs B. Coulmont
Licence ODbL © IdeesLibres.org 04/2014, Ministère de l’Intérieur 03/2014
Est « Noble » tout porteur de nom à particule

D’autres documents s’avèrent intéressants : par exemple la liste des parrainages aux présidentielles. Les particules, là encore, sont inégalement réparties entre les candidats. 13% des parrains de Christine Boutin — située à la droite de la droite catholique — portent une particule. Ce n’est le cas que de 0,2% des parrains de Robert Hue, qui se présentait sous l’étiquette du Parti Communiste.

Candidat %Nobles
Christine Boutin 13,2
Philippe de Villiers 6,7
Jean-Marie Le Pen 5,1
Edouard Balladur 4,2
Alain Madelin 2,8
Nicolas Sarkozy 2,4
Jacques Chirac 1,9
Jacques Cheminade 1,8
François Bayrou 1,7
Frédéric Nihous 1,6
Jean Saint-Josse 1,6
Brunot Mégret 1,4
Lionel Jospin 1,2
Ségolène Royal 1,2
Corinne Lepage 1
Daniel Gluckstein 1
Arlette Laguiller 0,6
José Bové 0,6
Olivier Besancenot 0,5
Christiane Taubira 0,4
Marie-George Buffet 0,4
Dominique Voynet 0,2
Gérard Schivardi 0,2
Noël Mamère 0,2
Robert Hue 0,2
Jean-Pierre Chevènement 0

Le cumul des variables

Les filles ont en moyenne plus de mention “très bien” que les garçons. Les parisiens ont plus souvent la mention que les non-parisiens. Les candidats avec une année d’avance (nés en 1997 par exemple) ont plus de mention très bien que les autres. Les candidats avec trois prénoms ou plus ont eu aussi plus de mention très bien que ceux qui n’ont qu’un ou deux prénoms.
Est-ce que tous ces indicateurs se cumulent ?
cumuls
Les “filles” [cf note], parisiennes, en avance, qui ont 3 prénoms ou plus ont une chance sur deux d’obtenir une mention TB. Les garçons, non-parisiens, en retard (nés avant 1996), qui ont moins de trois prénoms sont une chance sur cent d’obtenir la mention “très bien”.
[Les premières sont beaucoup plus rares que les seconds]
La même chose est calculable en ajoutant encore un indicateur, la particule (“Sixtine DE MACHIN”). Mais on se retrouve avec de très petits effectifs, notamment pour les filles, nobles, parisiennes, en avance, qui ont trois prénoms ou plus et qui ont autorisé la diffusion des résultats nominatifs au bac.
Ou comment combiner un peu de “toutes choses égales par ailleurs” et de “toutes choses inégales réunies”.

Mise à jour : en combinant les années 2013 et 2014, l’on dispose de suffisamment de candidats à particule (Amicie d’HAUCOURT par exemple) pour produire le même tableau :
particules-bac
[L’indicateur est très imparfait : il faudrait sans doute comparer terme à terme les porteurs de particule et les personnes dont le nom de famille est parmi les plus répandus en France, comme MARTIN, DURAND, BERNARD, RICHARD…]

Note : les “filles” ici, sont les personnes ayant des prénoms surtout donnés à des filles (et vice-versa pour les “garçons”).

Le poids du nom

Les listes électorales parisiennes (plus d’un million d’inscrits), contiennent des informations sur 236072 femmes mariées : on y lit leur nom de naissance et le nom de leur époux. Les choses sont ainsi faites.
Certaines personnes disposent ainsi, par la naissance ou par le mariage, d’une particule. Appelons ces personnes des “nobles”. 6067 femmes sont nées nobles, 6456 épousent un noble. 230 005 sont nées roturières. Et 229 616 épousent un roturier.
Si les mariages avaient lieu au hasard, c’est à dire s’il n’y avait aucune attirance des femmes nées avec une particule pour les hommes nés avec une particule (et vice-versa), alors l’on observerait ceci :

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 223715 6290
Nait noble 5901 166

Seules 166 femmes nées avec une particule trouveraient un homme à particule.
Mais l’on sait bien que les mariages n’ont pas lieu au hasard.

Epouse un manant    Epouse un noble
Nait manante 225167 4838
Nait noble 4449 1618

Dans la réalité, dix fois plus de femmes nobles épousent des hommes nobles que si le coup de foudre frappait au hasard.
La situation diffère-t-elle suivant les arrondissements ? L’on sait que les “nobles” sont fréquents dans certains arrondissements (huitième, septième, seizième) et quasiment absents des arrondissements populaires (dix-neuvième, vingtième). Peut-être que leurs comportements conjugaux diffèrent : la noblaillonne du XIXe n’a peut-être pas les même goût que la duchesse du Faubourg Saint-Germain. L’on peut produire les mêmes données à l’échelle des 20 arrondissements parisiens et représenter, par des couleurs, le rapport entre la situation observée et la situation “attendue” (si les mariages se formaient au hasard).


mariages-paris
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Il est complexe de réfléchir en terme de sur-représentation ET en terme de rapports de surreprésentations. Cela peut conduire à des interprétations étranges (notamment en raison des petits effectifs aristocrates à l’est de Paris). Mais l’on voit que là où il y a peu de nobles, ces derniers s’épousent dix fois plus fréquemment qu’attendu : la distance sociale se maintient (Jean-Eudes de Maillancourt est peut-être un gentrifieur, mais comme il appartient quand même à la gentry, il épousera plutôt Sixtine-Marie de La Huchette d’Arcourt). Ce n’est pas le cas là où l’aristocratie est nombreuse : dans le septième, ce rapport n’est plus que de 1 à quatre. Mais dans le septième, les mariages hétérogames sont relativement moins fréquents qu’ailleurs ; et les mariages entre manants relativement plus fréquents. Je laisse méditer ce qui peut apparaître, a priori, comme contradictoire.

Versatile « Marie »

À la fin du XIXe siècle, Marie était dans le “top 20” des prénoms les plus donnés aux garçons. Souvenons-nous, par exemple de Marie Koenig, connu sous le prénom de Pierre. Ou de Marie Revillon, connu sous le nom de Michel Tony-Revillon.
Mais ce prénom cesse rapidement d’être donnés aux bébés de sexe masculin. Du moins en première position. Car « Marie » est versatile. On trouve des Louis-Marie et Jean-Marie, des Hubert-Marie et autres Pierre-Marie. Mais l’on trouve aussi des “Louis, Marie, Octave” ou des “Charles, Marie, Geoffroy”.
Et Wikipedia nous dit vaguement que « dans certaines familles catholiques, le prénom Marie sera systématiquement choisi pour premier ou deuxième prénom, même pour un garçon, en hommage à la Vierge Marie. »
Choisir « Marie » en 2e, en 3e ou en 7e prénom permettrait de signifier (en quasi-cachette, mais administrativement) une forme de catholicité. Possible, mais cela reste à creuser.
Il est possible, dès maintenant, de cartographier des « Marie-hommes », à partir des listes électorales à Paris :

homme-marie

Les arrondissements dans lesquels on trouve le plus de Marie-hommes (Marie étant ici utilisé sans “tiret” et après le premier prénom) sont les 7e et les alentours du Parc Monceau (8e et 17e). 16e, 15e, 6e suivent. Les arrondissements plus populaires, 18e, 19e, qui comptent aussi peu d’électeurs à particule, comptent peu de Marie-homme.
Difficile en l’état de valider totalement l’hypothèse de Marie comme signal catholique. Mais comme signal bourgeois, peut-être un peu plus.

Note méthodologique : la carte compare entre eux uniquement les hommes ayant plusieurs prénoms (car la probabilité d’avoir “Marie” en second prénom est nulle quand on n’a qu’un seul prénom). Une comparaison entre les porteurs du prénom Marie et tous les hommes (quel que soit le nombre de prénom) ne change pas la distribution.

Mise à jour : une version précédente de la carte était basée sur des données inexactes.

Dis-moi, combien de prénoms as-tu ?

L’on sait peu de choses sur les seconds, troisièmes… et parfois quatrièmes, cinquièmes et sixièmes prénoms. Ce sont des prénoms invisibles dans la vie quotidienne. « Bonjour, je m’appelle Marie, Adélaïde, Charlotte, Garance, Domitille, Sixtine d’Aniel de la Rochefoucault… »
Et dans la plupart des cas, les données statistiques disponibles ne recueillent pas ces prénoms fantômes. Il en va différemment sur les listes électorales, où noms et prénoms permettent l’indexation d’une personne à une carte d’identité. Il est ainsi possible de repérer l’évolution, dans le temps, du nombre moyen de prénoms des personnes inscrites sur les listes électorales.
Sur le graphique suivant, j’ai distingué trois groupes principaux (et distingué, dans ces groupes, les hommes des femmes). Premier groupe, les électeurs nés à l’étranger. Le groupe du milieu, l’ensemble des inscrits. Le groupe du haut les électeurs ayant un nom de famille à particule [la particule semble être un indicateur intéressant].
prenoms-inscrits
Les deux groupes “électeurs nés à l’étranger” et “électeurs à particule” se distinguent fortement : les électeurs nés à l’étranger ont en moyenne moins de deux prénoms. Les électeurs à particule en moyenne plus de deux prénoms, voire trois pour les plus jeunes. Alors qu’une particule rallonge déjà le nom de famille moyen, les parents à particule choisissent des formules prénominales plus longues [ce qui complexifie le théorème de Bérurier mentionné par Marie-Anne Paveau]. Manière d’égaliser les deux côtés de la balance onomastique?

Si hommes et femmes né°e°s à l’étranger se ressemblent sous le rapport du nombre de prénom, il n’en va pas de même pour les électeurs à particule, ni, dans une moindre mesure, pour l’ensemble des inscrits : les femmes ont en moyenne moins de prénoms que les hommes. Elles sont peut-être privées d’un capital onomastique (les prénoms des ancêtres, transmis aux hommes de préférence ?)…

Une première lecture de ce graphique insisterait ensuite sur l’augmentation régulière du nombre moyen de prénoms des électeurs.

Mais attention :

  1. il est probable, très probable, que les jeunes inscrits n’ont pas les mêmes caractéristiques sociales que les inscrits plus âgés (la mal-inscription touchant tendanciellement certaines personnes plutôt que d’autres), et si le nombre de prénom varie en tendance avec l’origine sociale, alors on repère ici les conséquences graphiques d’un effet de sélection
  2. l’augmentation du nombre de prénoms est peut-être due à des changements administratifs-informatiques dans l’enregistrement des personnes qui se sont inscrites récemment : ceux qui se sont inscrits dans les années 1990 ne pouvaient, peut-être, qu’inscrire deux ou trois prénoms, alors que ceux qui se sont inscrits dans les années 1990-2000 ont eu la possibilité d’inscrire tous leurs prénoms… Cela pourrait expliquer en partie le “saut” visible pour les électeurs nés vers 1980.