Categories

Archives

Adorée Villany, danseuse nue

Quelques pages dans le livre de Jean Da Silva, Du Velu au Lisse : Histoire et esthétique de l’épilation intime, m’ont appris qu’au début du XXe siècle avaient eu lieu plusieurs procès contre des danseuses nues.

Ainsi, en 1908, Mlle Germaine Aymos est poursuivie, avec le directeur des Folies-Pigalle après une action de la “Ligue contre la licence des rues”. Les attendus du tribunal sont intéressants. Les juges de la 9e chambre soulignent que « les parties sexuelles [de la danseuse] étaient dissimulées par un morceau de taffetas de soie rose » et que « M. le commissaire de police mentionne, selon les termes mêmes de son rapport, qu’il a pu observer que la demoiselle Aymos était “rasée aux aisselles et au pubis” ». Pour les juges « cette précaution (…) loin de prêter à la nudité un élément obscène, était de nature, au contraire, à atténuer son caractère licencieux »
Ceci pourrait surprendre et amuser : il était prêté aux poils un aspect obscène que l’épilation, ou le rasage, faisait par nature disparaître.
Le procès, intéressant, peut être suivi en partie dans un ouvrage, Le nu au théâtre, publié en 1909 et disponible sur Gallica. Vous y trouverez cette photo de Germaine Aymos :
germaine aymos
Le rasage des poils pubiens, cependant, n’est pas ce qui a sauvé la danseuse. Les juges remarquent qu’elle est une “artiste de talent” et qu’elle a le soutien de Jules Claretie, « membre de l’Académie française dont l’autorité et la sincérité en matière artistique et théâtrale ne peuvent être mises en doute ». [voir aussi un article dans le Mercure de France, 16/08/1908]
Si l’on se penche un peu plus près sur les attendus, et si l’on compare avec un procès qui a lieu au même moment (où plusieurs actrices sont condamnées), on peut penser que ce qui a sauvé Mlle Aymos fut l’absence de mouvements. Elle était nue, certes, mais elle ne bougeait pas et semblait être une statue. Alors que deux femmes qui se caressent se « livrent à des gestes qui évoquent dans l’esprit des pratiques lesbiennes », d’après les mots du président Pacton (Le Nu au théâtre, p.278). On trouvera un commentaire comparant ces deux procès dans un article de Georges Claretie (le fils de Jules Claretie mentionné plus hautLe Figaro, 28/07/1908).

Les danseuses nues continuent à être poursuivies après 1908. Certaines semblent même construire leur carrière sur la nudité. C’est probablement le cas d’Adorée Villany, jugée en 1911 à Munich et en 1913 en France.

La Bibliothèque du Congrès possède plusieurs photographies de Villany dans ses oeuvres :
mcmahanphoto_2082_180959582
Voir aussi ce cliché la montrant dans la “Danse de Phryné”.
Georges Claretie, décidément spécialiste — comme son père — de la défense des danseuses nues, rend compte, dans le Figaro, en mai 1913, de ce procès
villany figaro Villany défend la nudité théâtrale comme le seul moyen à sa disposition d’exprimer des sentiments intenses : pour incarner la sur-douleur elle dit avoir besoin d’être nue. Elle obtient le soutien d’un peintre. Mais elle est condamnée à 200 francs d’amende : ses représentations, bien qu’en principe “privées” étaient accessibles à tous (pour le prix de 5 f.) et une série de prospectus vantant la “danse ultra-moderne” de Villany avaient été envoyés.

villany-matin
Un autre article, dans Le Matin, mai 1913

*

Et alors ? Alors c’est tout.

RATP vs. TARP

On peut prendre le métro tous les jours et s’ennuyer de la répétition des mêmes lieux… D’autres s’en amusent. Un groupe de chanteurs avait disposé des “moustaches poétiques” sur les affiches publicitaires, en novembre dernier : Alain Souchon, Audrey Tautou ou Tom Cruise se couvraient alors d’une petite moustache… La chercher dans les stations rendait le trajet divertissant.
D’autres encore commentent ou modifient les slogans omniprésents de la RATP. Des articles dans le Tigre [ce curieux journal curieux] essaient de saisir, mot par mot, la logique de la Régie. Des autocollants proposent aussi un commentaire, en détournant les messages institutionnels.
Cherchez l’erreur :
cherchez l erreur
Il y a quelques jours, ces autocollants avaient investi la station “Jourdain” (ligne 11) et m’ont incité à écrire cette note informe et sans direction. Ils ne sont restés que quelques heures, les autocollants : les sous-traitants de la Régie chargés du nettoyage ont fait vite. Le “si vous repérez un contrôleur, parlez-en à votre voisin” est mon préféré : les contrôleurs de la RATP ont la mauvaise habitude de se cacher pour leurs contrôles (derrière le coude d’un couloir le plus souvent).
Dans son analyse des consignes, Le Tigre écrivait :

ETIQUETEZ systématiquement tous vos bagages. Oui, oui, oui. Sys-té-ma-ti-que-ment. (…) N’est-ce pas d’une utilité extrême ? CQFD). Tout colis suspect abandonné étant de toutes manières détruit, boum ! la question est la suivante : le gros sac à dos de Durand, Pierrette, Nice, sera-t-il détruit avec moins de suspicion dans l’oeil du démineur que le gros sac à dos anonyme ? [source— voir aussi le dossier la société du slogan]

L’un des grands problèmes de la Régie autonome des transports parisiens est la discipline des “usagers”. Les clochards et les sans-toits ne peuvent plus s’allonger, grâce au travail des constructeurs de mobiliers. Les enfants, on le sait, ont tendance à se faire pincer les doigts très fort. Il y a quelques années, la RATP n’infantilisait que les enfants. Cela donnait déjà lieu à des détournements (au moment même où des petits vandales — le mouvement anti-pub — déchiraient des affiches de publicité pendant leur temps libre) [voir aussi paranos, ensemble] :

bulle-ratpPeut-on penser que le succès du lapin rose ait poussé la RATP à concevoir des messages similaires, mais destinés aux adultes ? L’on a vu récemment poindre des “bulles”, visibles depuis début 2009, qui incitent les voyageurs à “faciliter leur sortie” en “préparant leur descente” :
Et ce sont les “bulles” actuelles de la RATP qui ont excité les graphistes rebelles (notamment ceux qui se réclament du TARP).

Le choix d’une bulle n’est pas anodin car, dans la tête des créatifs, c’est une manière de faire dévier le contenu autoritaire (un message, une voix qui vient d’ailleurs, d’au-dessus) vers une forme plus «humaine». Ainsi, dans le cas du métro, les autocollants ont été collés à hauteur des têtes des usagers;
source : formes-vives.org

Mais les réactions sont souvent négatives, dénonçant le caractère “passive-aggressive” des messages. Palagret écrit :

Le message “Retenir les portes, c’est retenir le métro” cherche à culpabiliser le pauvre voyageur qui essaye d’entrer dans un wagon bondé. Le quatrième message “1 seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne” fait appel aux capacités mathématiques du voyageur et l’accuse carrément d’être responsable de tous les dysfonctionnements de la ligne 13.

Pascal Riché sur rue89 lit les “bulles” de manière identique :

voilà que ces petits panneaux arc-en-ciel (une couleur joyeuse pour faire passer la pilule ? ) viennent me dire : « Mais non, usager, c’est toi le responsable des retards. Tu ne prépares pas ta sortie, tu perds des précieuses secondes, tu retiens la porte pour tes copains… Alors ne vas pas te plaindre ! »

Les observateurs attentifs ont pu aussi remarquer l’opposition de certains voyageurs. Les photographies de Palagret (j’en reprends une ci-dessous) sont exemplaires :
bulle-bleue-m-tro-tag-ligne-13

Des groupes (ou une personne seule bien organisée) ont été plus loin : en reprenant la forme des messages de la RATP, ils en détournent le sens.

n attendez pas le signal pour offrir un sourire
N’attendez pas le signal pour offrir un sourire… le texte fleur bleue rappelle les poésies légères que la RATP affiche quand la publicité pour “Wall Street English” fait défaut. Mais la série offre aussi un petit message “philosophique” (si l’on accepte que la philosophie soit un guide de bonne vie).

Un groupe, le TARP, est à l’origine d’une série plus complète de messages. Je n’ai pas réussi à trouver des informations concernant ce groupe, mais j’y vois des étudiants en arts graphiques. Plus directes, souvent méchantes, les bulles du TARP s’inspirent de la culture grolandaise : “Quand le signal sonore retentit, je cris Youpi !”… Je reproduis ci-dessous certaines de leurs bulles :

Fumer des gros joints facilite ma descente :
fumer gros joints
Photo prise chez BlogMichet
.

Le détournement est réjouissant… Pascal Riché place en fin d’article cette photo (prise par Philon) :
signal-photo-philonrue89

NeverMindTheBolog a trouvé une belle bulle : “Une narine bouchée, du retard sur toute la ligne” (avec le “fumer des gros joints”, l’on distingue une source commune) :

La dernière bulle vient du blog de Sycomore :

pousse-les-vieux
source

Les détournements ont peut-être une vertu indirecte, celle de réveiller le sens critique. BanMwenColombo écrit, après avoir vu les nouveaux slogans :

Voilà ce qui m’interpellait et je n’arrivais pas à exprimer : ces messages de la RATP sont condescendants vis à vis des usagers du métro.
source

Les lectrices intéressées pourront trouver ailleurs d’autres photos (chez LaQuincaillerieDuCentre, F. Briand, CMoi – flickr, Paternoster et un message scatologique et photo chez MonsieurPoulpe).

Pourquoi consacrer du temps à ces petites images ? D’abord parce qu’elles m’ont amusé. Et parce que ce qui m’intéresse, au delà du salutaire appel au sourire, c’est surtout la combinaison du respect formel du design des messages de la RATP et d’une rébellion limitée à contredire les instructions officielles. Pas vraiment une rébellion, donc.

Les usages sociaux des prénoms

baronnestaffeNous autres sociologues connaissons mieux les prénoms tels qu’ils sont objectivés par l’état civil que les prénoms tels qu’ils sont utilisés quotidiennement.
Pour me faire une idée du paysage normatif, je collectionne, pour le moment, ce que les manuels de bonnes manières, les guides des bons usages et les recueils du bon ton proposent.
La Baronne Staffe, à la fin du XIXe siècle, décrit finement les différents usages possibles des prénoms ; si finement que cela semble parfois constituer une véritable obsession :

Un homme, qui n’est pas son parent, ne doit pas désigner une femme par son prénom, hors de sa présence ni en sa présence, à moins d’une très grande intimité. Encore fait-il bien d’employer le moins possible et même de ne pas employer du tout ce prénom, lorsqu’ils se trouvent tous deux avec des étrangers ou des gens qui ne les connaissent pas beaucoup. On tourne la difficulté en ne se donnant pas son nom. La femme agit de même à l’égard de l’homme.
source : Baronne Staffe [Blanche Soyer] Usages du monde, Paris, 1891, p.132, Librairie V. Havard.
permalien gallica

Le cas des “domestiques étrangers” mérite lui aussi une précision importante :

On n’a pas du tout le droit de donner leur prénom tout court aux domestiques étrangers, c’est-à-dire à ceux qui ne font pas partie de nos gens.
On dit très bien Mademoiselle Colette à la femme de chambre d’une personne de connaissance; mais, alors, si cette personne n’est pas mariée, on se garde de lui donner son prénom; en parlant d’elle à sa femme de chambre, à ses domestiques, on ne la désignera pas mademoiselle Louise, mais on lui donnera son nom de famille : mademoiselle Durand
source : Baronne Staffe [Blanche Soyer], Usages du monde, Paris, 1891, p.215, Librairie V. Havard.
permalien gallica

On trouve, un peu plus tôt dans le siècle, d’autres précisions. De Champgar (prénom inconnu) nous donne quelques indications sur les usages mondains, dans la famille :

Toutefois un homme bien élevé ne tutoiera jamais sa cousine, et il ne l’appellera par son prénom tout court que s’il existe une assez grande intimité entre eux; encore vis-à-vis des étrangers cette façon de parler est-elle peu convenable.
source : Champgar, Du ton et des manières actuels dans le monde, Hivert, Paris, 1854 (6e ed.), p.27-28
lien GoogleBooks

Ces propositions normatives étaient-elles suivies ? Etaient-elles mêmes partagées (ou n’existaient-elles que dans l’esprit de leurs promoteurs) ?
Au delà, un autre problème se pose. Les manuels de bonnes manières proposant des usages normatifs du prénom semblent peu nombreux. Or c’est dans la série que des tendances émergent. Pour étayer la thèse qui voudrait que le prénom a, au cours des derniers siècles, pris une importance qu’il n’avait pas, j’en suis pour l’instant réduit à une mauvaise comparaison avec Le nouveau savoir-vivre, convenances et bonnes manières de Berthe Bernage et Geneviève de Corbie (Paris, Gautier-Languereau, 1974), qui écrivent, page 143 :

On emploie de moins en moins d’appellation « bébé ». Tout petit, l’enfant est appelé et désigné par son prénom qu’il apprend ainsi à connaître et c’est beaucoup mieux.