L’année dernière, en 2012, mon billet sur les mentions au bac avait été largement relayé. J’avais ensuite tenté de réfléchir un peu à cette réception. Cette année, au début du mois d’avril 2013, suite à un billet sur les prénoms sur-représentés par série du bac, une chose similaire s’était produite. Et j’y avais réfléchi, encore.
Il y a une semaine, j’ai rapidement analysé les résultats au bac 2013 qui venaient d’être publiés… et mon billet a rapidement été relayé. Alors, forcément, il y a un truc. Soit je dispose d’attachées de presse très compétentes, soit il y a un truc.
Il y a un truc [même si les attachées de presse de La Découverte sont très compétentes.]
Qu’ai-je fait ? Après avoir récupéré les données, je mets en ligne un billet dimanche en fin d’après-midi. Dans l’idéal, je l’aurais mis en ligne samedi en fin d’après-midi, mais je n’ai pas réussi à tout récupérer à temps. Pourquoi le samedi ? Je me dis que si le billet est repris sur “twitter” au cours du week-end, des journalistes l’auront vu et pourraient en parler le lundi. J’avais fait cela le 30 mars pour le billet sur les séries du bac. J’avais en effet toutes les chances de penser que ce qui était arrivé en juillet 2012 pouvait se reproduire — peut-être à une plus petite échelle — en juillet 2013, et autant prendre les devants en permettant une meilleure réception. Eviter l’idée selon laquelle le prénom “détermine” quoi que ce soit m’était chère.
Mais ce n’est visiblement pas la peine : le billet est mis en ligne dimanche, et les journalistes ont commencé à m’appeler lundi matin.
Immédiatement après avoir mis en ligne le billet, je twitte ceci :
Je ne twitte pas “grande découverte”, mais “pas de surprise”.
Et ce fut ma seule contribution à la diffusion.
Poursuivons par une petite objectivation : le volume des visites sur le site coulmont.com
Le volume annuel tout d’abord :
Cela indique assez bien le caractère exceptionnel, mais renouvelé, de l’intérêt porté aux billets sur les prénoms et le bac.
Le volume journalier ensuite :
A la différence de juillet dernier, le traffic a surtout été concentré sur le lundi. Une analyse plus détaillée montrerait que c’est moins le billet en lui-même que le document PDF qui a été visité. Cela se perçoit un peu sur le tableau des “pages vues” et des “hits” que je reproduit ci-dessous :
Sur ce tableau, l’on estime mal le poids de “twitter”, car ce site multiplie les URL différentes en t.co. Europe1 semble en faire de même, avec 4 URL différentes.
Je n’ai pas pu récupérer, comme je l’avais fait l’année dernière, les discussions sur “twitter”, même si j’ai essayé de les suivre. Mon sentiment est que, initialement, les “twittos” utilisent l’URL du billet ou du PDF, mais que rapidement, cette URL se perd dans l’ensemble des URL dérivées (presse en ligne).
- Slate : Bac 2013 et prénoms: 20% des Adèle et des Diane ont eu une mention très bien, contre 2,5% des Sabrina [deux journalistes me contactent quelques minutes après que Slate ait mis en ligne l’article, en citant explicitement Slate comme étant à l’origine de leur appel]
- Le Monde, blog “big browser” : PALME D’OR – Pour une mention « très bien » au bac, mieux vaut s’appeler Adèle
- Rue89 : Baccalauréat : mieux vaut s’appeler Ulysse qu’Enzo
- aufeminin.com : Baccalauréat 2013 : Quel prénom pour quelle mention ?
- Elle.fr Les Diane et Adèle font mieux que les Sabrina au bac 2013
- 20minutes : Bac 2013: 20% des Adèle et Diane ont eu une mention «très bien», contre 2,5% des Sabrina
- LCI.fr Bac 2013 : quand le prénom est déterminant pour la mention
- Direct Matin : Mention au bac. Mieux vaut mieux s’appeler Diane ou Adèle
- L’Express.fr Pour avoir la mention “très bien” au bac, mieux vaut s’appeler Diane que Sabrina
- Sud Ouest : Bac : 17% des Juliette et 2,5% des Sabrina ont obtenu une mention “très bien”
- Europe1 : Bac 2013 : Diane, un prénom à mention
- RTL : Bac : dis moi ton prénom, je te dirai ta mention
- La Nouvelle République : “Insolite” Bac 2013 : les prénoms qui donnent des mentions
- lefigaro.fr Bac 2013 : dis moi ton prénom je te dirai ta mention
- plurielles.fr Diane, Adèle, Quitterie : ces prénoms qui récoltent des mentions “Très Bien”
- youmag.com Mieux vaut s’appeler Adèle que Rudy pour avoir son bac avec mention très bien [j’aime bien ceci « Des résultats qui vont sans aucun doute relancer la polémique lancée lors de la précédente divulgation de cette étude en avril 2013 où beaucoup, comme Magic Maman s’insurgeait [sic] contre ce type d’étude qui véhicule “une fois de trop la théorie du déterminisme social” »]
- blog-examen : Bac 2013 : la mention dépend-elle du prénom ?
- psycho-enfants.fr : Bac 2013 : certains prénoms « réussissent » mieux que d’autres
- LaLibre.be [Belgique] : Pour réussir ses études, mieux vaut s’appeler Diane ou Adèle [On apprécie le «En France, c’est devenu un classique après chaque annonce des résultats du bac. Le sociologue Baptiste Coulmont…»]
Quelques indices signalent l’intérêt des lecteurs (comme ce “palmarès” des articles les plus partagés de lemonde.fr) :
Le 9 juillet (mardi), les réactions continuent.
D’abord, les journaux gratuits “20 minutes”, “Direct matin”, “Metro”… publient des petits articles sur les prénoms et le bac. Mais, et c’est intéressant, une Sabrina et un Kévin sont conviés par les blogs du Nouvel Obs pour exposer leur point de vue
- Le Nouvel Obs : Bac 2013 : dis-moi comment tu t’appelles, je te donnerai ta mention
- Je m’appelle Sabrina et mon prénom n’a rien à voir avec ma mention “Assez bien”
- Bac 2013 et prénoms : je m’appelle Kevin, on me prend pour un crétin mais…
- Et un jeune collègue, N. Docao [oui, j’ai atteint l’âge où je peux parler de “jeunes collègues”] décrypte Bac 2013 et étude sur les prénoms : les médias s’emballent, Kevin et Sabrina trinquent
Ce que dit Nicolas Docao m’intéresse : l’attention (passagère) accordée à mes travaux est liée à ceci : “s’il est un bien symbolique dont l’individu est affublé en dehors de toute procédure de choix, il s’agit bien de son prénom. (…) Qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, le prénom dépasse tout choix individuel” Et relier ce non-choix à un statut acquis (la réussite au bac) pose problème, cela d’autant plus que le prénom est vécu comme un résumé du soi.
Je relève aussi quelques articles publiés le 9 juillet :
- BFMTV Bac 2013: quel prénom a obtenu le plus de mentions Très bien?
- 7sur7.be [site belge] Les prénoms qui prédisposent à réussir le bac
- ParoleDeMamans.com [sic] Les prénoms pour réussir le bac !
- grazia : Faut-il s’appeler Diane ou Adèle pour avoir une mention au bac ?
- La Côte (Suisse) : Tu veux avoir la mention au bac? Appelle-toi Juliette ou Grégoire mais pas Brian! [avec un rappel de la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu]
- zurbains : Bac 2013 : à chaque prénom sa mention ! [mention “passable” à ceci : «Au-delà des chiffres, vous aurez compris qu’une interprétation de ces résultats n’a que peu de sens.»]
Une chose m’a surpris dans ces articles, l’idée selon laquelle “comme chaque année, le sociologue Baptiste Coulmont publie son étude sur les prénoms…”, idée qui n’apparaît pas seulement dans les articles, mais aussi sur twitter :
Dans le monde contemporain, les “traditions” s’implantent finalement très rapidement, dès la deuxième année.
La discussion s’est poursuivie aux États-Unis, certes de manière un peu moins médiatique :
- Le blog themonkeycage.org, tenu par un groupe éminent de politistes étasuniens, relaie mon travail, sous la plume d’Erik Voeten : Kevin Rarely Gets “Très Bien”
- et ce billet est à son tour repris par Kevin Drum sur le site du mensuel Mother Jones It’s Not Just Kevin Who Rarely Gets “Très Bien” : il n’y a pas que Kevin qui ait du mal à obtenir la mention “Très bien”, écrit …Kevin… Drum [Drum est un commentateur politique qui apprécie les statistiques. A-t-on cela en France ?]
- et, de manière indirecte sur un des blogs du Washington Post, Wonkblog [wonk est un mot qui désigne l’expert public un peu “nerd“]
Pendant ce temps, en France, quelques quotidiens publient [en version “papier”] des articles reprenant les conclusions du graphique (Le Progrès, L’Est républicain). Ces articles sont mentionnés dans le cadre de la Revue de presse du matin sur LCP. Et Ségolène Royal a du répondre à une question dessus (c’est vers la fin de la vidéo) :
Des journalistes du “20h” de France 2 ont fait un reportage (j’y suis interviewé). Le reportage a été diffusé le 11 juillet.
Ce reportage suscita plusieurs commentaires indignés sur “twitter” :
Et enfin, le 12 juillet (vendredi), mon travail est rapidement abordé dans une chronique de l’émission Télématin :
Que retenir de tout ça ?
Je ne dirai presque rien ici des erreurs de lecture, je renvoie au billet de Nicolas Docao. Ces erreurs de lectures (“le prénom détermine…”) sont en lien avec ma démarche : les prénoms personnalisent, individualisent presque, une cérémonie nationale collective, la publication des résultats du bac. Camille a réussi… une Camille a réussi… les Camille ont réussi… 11% des Camille ont réussi… Le langage opère des raccourcis entre catégories (hétérogènes) et individus… et l’on a parfois affaire à de quasi-antonomases (les noms propres, ici certains prénoms, ne sont pas tout à fait utilisés comme noms communs, mais on n’en est pas très loin). Un jeu intéressant (pour mes travaux) se déploie entre fonction identificatrice du prénom (son rattachement à une personne précise, dans un contexte donné) et sa fonction connotatrice (puisque des qualités collectives, ici la réussite mesurée par le taux de mention, sont attachées aux prénoms, si bien que les porteurs du prénom, sans porter individuellement ces qualités, peuvent y être associés).
Je retiendrai ici surtout, d’abord, qu’il est possible de renouveler ce qui apparaissait comme une expérience particulière, un enchaînement d’articles et de reportages sur une réflexion sociologique autour des ressorts la réussite scolaire. Mais que ce renouvellement ne se fait pas à l’identique. L’année dernière, deux relais avaient été cruciaux : une dépêche AFP et un article en deuxième page du Monde. Cette année ce fut plus diffus et moins légitime. L’enchainement fut celui-ci :
(1)twitter–>(2)”pure players” [i.e. presse uniquement en ligne]–>(3)quotidiens gratuits–>(4)presse régionale–>(5)télévision
Pas à l’identique pour une autre raison : certaines personnes ont ressenti de la lassitude face à ce qu’ils avaient déjà lu ou entendu l’année précédente. Il n’est donc pas certain que ce travail sera autant relayé, si l’année prochaine je réitère l’analyse des résultats nominatifs au bac. De mon côté, l’infrastructure est déjà en place, automatisée, depuis le code R pour scrapper les résultats jusqu’à la production de deux “mini-sites”, celui qui indique les prénoms ayant le même profil et celui qui présente, de manière lisible, le “nuage des prénoms“… Il ne reste plus qu’à organiser une conférence de presse alors ?